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Date : 20041019

Dossier : IMM-544-04

Référence : 2004 CF 1440

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                AHMAT MAHAMAT AL-BACHIR

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), concerne une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 5 décembre 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de personne à protéger à l'article 97.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Est-ce que le tribunal a appliqué de façon erronée la doctrine « res judicata » ?

2.         Est-ce que le tribunal a erré en refusant d'admettre une nouvelle preuve au motif qu'elle n'avait pas été communiquée à l'intérieur du délai prescrit par les règles?

c)                   3.         Est-il manifestement déraisonnable de conclure au manque de crédibilité du demandeur?

[3]                Pour les motifs suivants, je réponds par la négative aux trois questions et je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Le demandeur est un ressortissant du Tchad qui allègue une crainte bien fondée de persécution dans son pays sur la base de son association avec le mouvement pour la démocratie et justice au Tchad (MDJT).

[5]                Le demandeur a déposé une demande de réfugié pour la première fois en 1999. Cette demande a été refusée en date du 26 juillet 2000 pour manque de crédibilité. Sur recommandation de son avocat, il quitte le pays pour les États-Unis et revient au Canada le 10 août 2001.

[6]                Il soumet une nouvelle demande en août 2001 dans laquelle il allègue avoir en sa possession une nouvelle preuve qui n'était pas disponible lors du dépôt de sa première demande et qui servira à établir la véracité de sa demande.

DÉCISION CONTESTÉE    

[7]                Le tribunal a d'abord conclu qu'il allait entendre le demandeur seulement sur sa nouvelle preuve, soit celle qu'il ne possédait pas lors de la première audition et a déterminé que le principe de « res judicata » tel que définit dans la décision Vasquez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1769 (1ère inst.) (QL) s'appliquait.      

[8]                Ensuite la commissaire n'a pas permis au demandeur de déposer les documents à l'appui de sa nouvelle preuve au motif qu'il était en retard en voulant les déposer le matin même de l'audition, soit le 5 décembre 2003 et aussi parce qu'il avait déclaré en janvier 2002 les avoir en sa possession.

[9]                Finalement, le tribunal a tiré des conclusions négatives sur la crédibilité du demandeur.

ANALYSE

Est-ce que le tribunal a appliqué de façon erronée la doctrine « res judicata » ?

[10]            Les conditions sous-jacentes à cette doctrine ont été élaborées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Angle c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1975] 2 R.S.C. 248 et ont été reprises par la Cour d'appel fédérale dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chung, [1993] 2 C.F. 42.

[11]            Il s'agit que :

1.         la même question ait déjà été tranchée;

2.         la décision judiciaire soit finale;

3.         les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit soient les mêmes personnes.

[12]            Le demandeur invoque que la première condition est manquante. À cet égard, il allègue que la question à savoir si le demandeur a qualité de « personne à protéger » au sens de l'article 97 n'a pu être décidé antérieurement étant donné que cet article n'existait pas sous l'ancienne loi au moment même où le demandeur a déposé sa première demande en 1999.

[13]            Cependant, le tribunal n'a jamais refusé d'étudier la question sous l'angle de l'article 97. Mais il a indiqué que la décision porterait uniquement sur les nouveaux éléments de preuve. À la page 2 de sa décision, le tribunal mentionne clairement qu'il a considéré la demande du demandeur sous les articles 96 et 97 de la Loi. Il est indiqué :

I find that the claimant is not a Convention Refugee, nor a person in need of protection for the following reasons.


Le fait de refuser de réévaluer la preuve présentée lors de la première demande n'est pas un refus d'entendre le demandeur sur la question de l'article 97. J'adopte ici le raisonnement de ma collègue la juge Layden-Stevenson dans Brovina c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 635, [2004] A.C.F. no 771 (1ère inst.) (QL), paragraphe 18.

Est-ce que le tribunal a erré en refusant d'admettre une nouvelle preuve au motif qu'elle n'avait pas été communiquée à l'intérieur du délai prescrit par les règles?

[14]            L'admissibilité des documents présentés en retard est laissée à la discrétion du tribunal. Cette discrétion est basée, entre autre, sur l'appréciation de la preuve. Il faut donc de se demander si, suite à son appréciation de tous les éléments pertinents, le tribunal est arrivé à une conclusion erronée. Étant donné qu'il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, je suis d'avis que la norme de contrôle applicable pour cette question est celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, la Cour suprême du Canada a donné des précisions comment s'applique cette norme. Elle mentionne que la Cour de révision n'est pas censée se demander quelle aurait été la bonne décision, mais il faut qu'elle examine les motifs du tribunal pour vérifier si la méthode d'analyse utilisée peut raisonnablement aboutir aux conclusions arrivées.


[15]            Les Règles de la section de la protection des réfugiés prévoient que pour être accepté à l'audition, un document doit être déposé 20 jours à l'avance et transmis à l'autre partie (règle 29(1) et (4)). En cas de non respect, une des parties peut demander l'autorisation du tribunal. Dans sa décision d'accorder l'autorisation, ce dernier examine : a) la pertinence et la valeur probante du document; b) toute preuve nouvelle apportée; c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29 (règle 30).

[16]            En l'espèce, le demandeur allègue que le tribunal n'a pas considéré les explications du demandeur en ce qui a trait au retard. Après avoir examiné les notes sténographiques, je considère que le demandeur a eu amplement l'occasion de donner tous les détails relativement à son retard et la commissaire a consacré plus d'une page de sa décision à expliquer les motifs de son refus d'admettre cette preuve. La méthode d'analyse du tribunal est conforme à la jurisprudence. Conséquemment, les conclusions ne sont pas manifestement déraisonnables.

[17]            Malgré que le tribunal a refusé d'admettre cette nouvelle preuve, elle l'a quand même commentée. Selon le demandeur, il s'agit de documents prouvant qu'il était membre du MDJT. Certains de ces documents sont même datés de l'an 2000. Le demandeur s'en prend à son ancien procureur pour ne pas les avoir déposés en temps utile. Cet argument n'a pas été retenu par la commissaire et la Cour considère qu'il n'y a d'erreur révisable ici.

Est-il manifestement déraisonnable de conclure au manque de crédibilité du demandeur?

[18]            La question de crédibilité est une question de fait pour laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 aux pages 316 et 317 (C.A.F.).

[19]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que l'intervention de la Cour est nécessaire.

[20]            Les parties ont décliné de soumettre des questions sérieuses de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

              « Michel Beaudry »              

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                                           IMM-544-04

INTITULÉ :                                                          AHMAT MAHAMAT AL-BACHIR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  le 29 septembre 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                                L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                         le 19 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Johanne Doyon                                            POUR LE DEMANDEUR            

Sylviane Roy                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DOYON, MORIN

Montréal (Québec)                                                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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