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Date : 20051118

Dossier : T-460-05

Référence : 2005 CF 1567

Ottawa (Ontario), 18 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

ENTRE :

SANDRA MERCER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET SANDRA HOUNSELL

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission de la fonction publique de décliner compétence relativement à une plainte déposée par la demanderesse, Sandra Mercer, sous le régime de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (la Loi).

LES FAITS

[2]                La demanderesse travaillait au sein de la fonction publique comme agente de correction de niveau CX-2. À son retour d'un congé d'invalidité, elle avait droit à une nomination par priorité en vertu de l'article 36 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (DORS/2000-80). La Commission a déterminé qu'elle pouvait être nommée à tout poste de niveau PM-04. Un poste de niveau CR-04, soit un niveau inférieur à celui du poste qu'elle occupait, était libre lorsqu'elle est revenue de son congé. La demanderesse a exercé son droit de nomination par priorité, mais elle a conservé sa priorité de réintégration à un poste de niveau PM-04 ou équivalent, conformément à l'article 39 du Règlement.

[3]                Vers le 5 octobre 2004, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (le ministère) a offert un poste PM-03 à la défenderesse Sandra Hounsell, sans avoir au préalable obtenu de la Commission l'autorisation en matière de priorités et, par conséquent, sans avoir tenu compte du droit de la demanderesse d'être nommée prioritairement à ce poste si elle avait les qualités requises, malgré l'existence de candidats plus qualifiés.

[4]                Quelque temps après avoir offert le poste à Mme Hounsell, le ministère a examiné s'il y avait lieu de nommer par priorité la demanderesse à ce poste, mais il a estimé qu'elle n'était pas suffisamment qualifiée et, plus particulièrement, qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la [traduction] « vaste expérience de la mise en oeuvre de programmes et de projets » et à [traduction] « l'interprétation et l'application de la Loi sur l'assurance-emploi et de ses règlements d'application » .

[5]                Le 12 novembre 2004, la demanderesse a sollicité une enquête de la Commission de la fonction publique sous le régime de l'article 7.1 de la Loi, alléguant que le ministère avait contrevenu à la Loi et au Règlement parce qu'il n'avait considéré la nomination de la demanderesse au poste PM-03 qu'après y avoir désigné une autre fonctionnaire et qu'il avait erronément conclu que la demanderesse n'était pas qualifiée pour le poste.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Le 5 février 2004, la demanderesse a reçu une lettre de la Commission l'informant que sa plainte ne donnerait pas lieu à une enquête et exposant les motifs fondant cette décision. Voici les passages pertinents de cette lettre :

[traduction] Vous alléguez dans votre demande que votre nomination au poste PM-03 au bureau de Corner Brook de RHDC en qualité de bénéficiaire de priorité de réintégration n'a pas été prise en considération comme elle le devait. Vous indiquez qu'avant de demander un numéro d'autorisation de la CFP, le ministère avait fait une offre verbale pour ce poste à une collègue, Sandra Hounsell, laquelle était inscrite sur une liste d'admissibilité valide pour des postes PM-03. Vous croyez en conséquence que l'évaluation subséquente de vos compétences réalisée dans le cadre de la présentation de bénéficiaire de priorité n'a pas été équitable, parce que le ministère avait déjà décidé de nommer Sandra Hounsell même si, selon vous, vous répondiez aux exigences du poste.

Votre demande d'enquête a été examinée en fonction de la Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) dont un exemplaire vous a été transmis déjà. Cette politique renferme des instructions à l'intention de la Direction générale des recours concernant les questions sur lesquelles la Commission fera enquête.

Nous vous informons par la présente que la Direction générale des recours ne donnera pas suite à votre plainte parce que la situation que vous y décrivez ne satisfait pas aux cinq conditions énoncées dans la Politique susmentionnée. Plus précisément, le fait qu'avant de demander une autorisation en matière de priorités, le directeur du BR, M. Brian Penney, a communiqué avec Sandra Hounsell parce que cette dernière était inscrite sur une liste valide d'admissibilité ne constitue pas une preuve suffisante de l'existence de motifs raisonnables de penser que l'évaluation subséquente de vos compétences n'a pas été équitable.

En outre, les documents joints à votre demande comprennent l'explication que le ministère a donnée à la CFP au sujet de sa conclusion selon laquelle vous ne possédiez pas une expérience suffisante, explication comportant des renseignements fournis par votre superviseur immédiat, lesquels indiquent qu'à l'été 2004 vous aviez encore besoin de conseils/supervision. Il s'agit là d'une raison suffisante et plausible, pour le ministère, de conclure que vous ne possédez pas [traduction] « le niveau d'expérience approfondie » exigé pour le poste PM-03. Enfin, l'enquête ne donnerait lieu à aucune mesure correctrice puisque la mesure logique (l'évaluation de vos compétences pour le poste) a déjà eu lieu.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                La présente demande soulève deux questions :

-            Quelle est la norme de contrôle applicable?

-            La Commission a-t-elle erronément décliné compétence relativement à la plainte de la demanderesse?

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur l'emploi dans la fonction publique         Public Service Employment Act

7.1 La Commission peut effectuer les enquêtes et vérifications qu'elle juge indiquées sur toute question relevant de sa compétence.

***

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

7.1 The Commission may conduct investigations and audits on any matter within its jurisdiction.

***

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

Règlement sur l'emploi dans la fonction            Public Service Employment Regulations

publique (2000)

35. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de l'article 40, tout fonctionnaire excédentaire a le droit, pendant la période durant laquelle il est excédentaire, d'être nommé sans concours et, sous réserve des articles 29, 30 et 39 de la Loi, en priorité absolue à un poste de la fonction publique pour lequel la Commission le juge qualifié.

(2) Le fonctionnaire excédentaire perd le droit de nomination conféré par le paragraphe (1) s'il est nommé ou muté pour une période indéterminée, s'il refuse une offre raisonnable d'emploi ou est mis en disponibilité.

***

39. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et de l'article 40, le fonctionnaire visé aux paragraphes 35(1) ou 36(1) ou à l'article 29 de la Loi qui a été nommé ou muté à un poste de niveau inférieur a le droit d'être nommé sans concours et, sous réserve des articles 29, 30 et 39 de la Loi, en priorité absolue à un poste de la fonction publique qui n'est pas de niveau supérieur à celui du poste qu'il occupait au moment de la nomination ou de la mutation au poste de niveau inférieur et pour lequel la Commission le juge qualifié.

(2) Le paragraphe (1) s'applique pendant une période de trois ans à compter de la date de la nomination ou de la mutation.

(3) Le fonctionnaire visé au paragraphe (1) perd le droit de nomination conféré par ce paragraphe s'il est nommé ou muté pour une période indéterminée à un poste d'un niveau équivalent ou supérieur à celui du poste qu'il occupait au moment où lui était conféré le droit de nomination prioritaire, ou s'il refuse une telle nomination ou mutation sans motifs valables et suffisants.

35. (1) Subject to subsection (2) and section 40, a surplus employee is entitled, during the surplus period, to be appointed without competition and, subject to sections 29, 30 and 39 of the Act, in priority to all other persons, to a position in the Public Service for which, in the opinion of the Commission, the surplus employee is qualified.

(2) A surplus employee who is appointed or deployed for an indeterminate period, who refuses a reasonable job offer or who is laid off ceases to be entitled to be appointed to a position under subsection (1).

***

39. (1) Subject to subsections (2) and (3) and section 40, an employee referred to in subsection 35(1) or 36(1) or in section 29 of the Act who is appointed or deployed to a position at a lower level is entitled to be appointed without competition and, subject to sections 29, 30 and 39 of the Act, in priority to all other persons, to a position in the Public Service that is of a level that is not higher than the position the employee held immediately before the date the appointment or deployment to the lower level position took effect and for which, in the opinion of the Commission, the employee is qualified.

(2) The entitlement under subsection (1) is for a period of three years beginning on the day of the appointment or deployment to the lower level.

(3) An employee referred to in subsection (1) who is appointed or deployed for an indeterminate period to a position that is of a level equivalent to or higher than the position the employee held immediately before the date that the priority entitlement took effect, or who declines such an appointment or deployment for an indeterminate period without good and sufficient reason, ceases to be entitled to be appointed under that subsection.

Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique

PRÉFACE

La présente politique prescrit les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP).

OBJECTIF DE LA POLITIQUE

Prévoir des critères sur lesquels la Commission, et ses délégataires à la Direction générale des enquêtes, fondent leur décision d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la LEFP.

APPLICATION

Une enquête en vertu de l'article 7.1 pourrait être effectuée afin d'examiner une question concernant l'application de la LEFP en conformité avec les exigences de cette politique.

EXIGENCES DE LA POLITIQUE

1. Questions individuelles

En vertu de l'article 7.1 de la LEFP, la Commission pourrait exercer son pouvoir d'enquêter sur des questions individuelles si chacune des cinq conditions suivantes sont réunies:

a) À première vue, si elle se révèle vraie, la question soulevée constituerait une irrégularité dans l'application de la LEFP.

b) Il s'agit d'une question relevant de la compétence de la Commission.

Note 1 : Pour plus de certitude, ceci exclut la tenue d'enquête sur l'application des articles 26 (démission), 28 (stage), 29 (1) et (2) (mise en disponibilité) et 34.1 (1) (mutation) de la LEFP et des articles du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (2000) (REFP) qui ont trait aux articles susmentionnés de la Loi, et sur l'absence de prolongation d'emploi d'un employé nommé pour une période déterminée, puisque l'exercice de ces pouvoirs revient à l'administrateur général et non à la Commission.

Note 2 : La Commission pourrait décider d'enquêter sur l'application de l'article 32 (ordre inverse du mérite) du REFP si, nonobstant le paragraphe c), la plainte est déposée dans un délai de 14 jours de la date de la lettre informant la personne intéressée du résultat du processus.

c) La question est soulevée auprès de la Commission dans les trois mois suivant la date à laquelle a eu lieu la présumée irrégularité.

Note : La Commission peut, dans des circonstances exceptionnelles, décider d'enquêter après l'expiration du délai de trois mois, mais en aucune façon, la prolongation du délai ne peut dépasser six mois de la date à laquelle a eu lieu la présumée irrégularité.

d) Il est toujours possible de déterminer des mesures correctives ou d'émettre des recommandations pour la question soulevée.

Note : La Commission n'enquêtera généralement pas sur des allégations reliées à un concours interne ou public improductif, mais selon les circonstances elle peut faire enquête quand le poste à doter par ce concours est subséquemment comblé dans les quatre mois de l'avis de non-productivité de ce concours autrement que par nomination prioritaire ou une mutation.

e) Aucun autre mécanisme de recours est disponible pour la question soulevée, soit en vertu de la LEFP, d'une convention collective, ou d'une autre loi, telle que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi canadienne des droits de la personne.

Note : La Commission n'exercera généralement pas son pouvoir d'enquêter lorsque le recours général prévu par la LEFP pour la question soulevée a été exclu par une autre disposition spécifique de la Loi, par le Règlement ou un Décret d'exemption, telles que par exemple, dans les cas d'une nomination en priorité, d'une nomination intérimaire de moins de 4 mois, de la nomination non déléguée d'un EX dans le groupe EX.

ANALYSE

A) Norme de contrôle

[8]                La norme de contrôle applicable aux décisions administratives est établie par application de la méthode pragmatique et fonctionnelle définie par la Cour suprême du Canada dans des arrêts comme Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, suivant laquelle quatre facteurs contextuels doivent être pris en considération : 1) la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel dans la loi, 2) l'expertise du tribunal administratif par rapport à celle du tribunal de révision sur la question en litige, 3) l'objet de la loi et de la disposition particulière et 4) la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit.

[9]                Le premier facteur met l'accent sur le mécanisme d'examen prévu par la loi. En l'espèce, aucune clause privative ne protège les décisions rendues par la Commission de la fonction publique, mais la Loi ne prévoit pas de droit d'appel. On a considéré que le mutisme de la loi est neutre.

[10]            La Cour suprême a statué que l'analyse que requiert le deuxième facteur comporte « trois dimensions : la cour doit qualifier l'expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise » (Pushpanathan, précité, par. 33).

[11]            La demanderesse soutient que le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 7.1 n'est assorti d'aucune exigence obligatoire relativement à l'expertise et que le décideur n'a pas procédé à un examen des faits. Notre Cour a étudié l'expertise de la Commission de la fonction publique relativement à l'application de la Loi dans l'affaire Harquail c. Canada (Commission de la fonction publique), [2004] A.C.F. no 1896 (QL), 2004 CF 1549. Le juge Kelen a conclu que la Commission « possède une expertise légèrement supérieure à celle de la Cour, étant donné qu'elle est chargée de surveiller la fonction publique, de mettre en oeuvre la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et qu'elle possède de l'expérience dans l'application du paragraphe 33(3) » (au paragr. 28). Je crois qu'on peut tenir le même raisonnement au sujet du paragraphe 7.1 puisque la Commission a manifestement de l'expérience relativement à des procédés de dotation comme les concours et relativement à d'autres méthodes d'évaluation, aux mutations et nominations, aux priorités et aux plaintes en matière d'emploi. Elle doit également rendre régulièrement des décisions sur l'opportunité d'effectuer des enquêtes sur des questions relevant de sa compétence. Ainsi, ce facteur favorise une plus grande déférence à l'égard des décisions de la Commission à cet égard.

[12]            Quant à l'objet de la disposition en cause en l'espèce, il suffit de citer les propos que mon collègue Mosley a tenus dans Oriji c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no    815 :

[21] Tout d'abord, la LEFP a « principalement pour objet » de faire en sorte que la sélection et la nomination de candidats à l'Administration fédérale se font suivant le mérite : voir les arrêts Bambrough c. Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), à la page 115, et Buttar c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 437 (C.A.) (QL). L'enquête menée en application de l'article 7.1 de la LEFP a pour objet de fournir une recommandation à la CFP afin qu'elle puisse prendre les mesures de redressement qu'elle juge indiquées (voir l'article 7.5 de la LEFP). Le pouvoir de présenter une telle recommandation est de nature discrétionnaire plutôt qu'obligatoire.

[22]         Selon Renée Caron, dans son ouvrage intitulé Employment in the Federal Public Service (Aurora, Ontario : Canada Law Book Inc., 2003), à la page 6-70, l'article 7.1 confère à la Commission une [traduction] « compétence générale non attribuée » qui l'autorise à effectuer des enquêtes dans des domaines où aucun droit d'appel n'est déjà prévu par la LEFP, notamment sur des questions primordiales comme les nominations à la suite d'un concours public et les litiges liés aux nominations par priorité.

[13]            Il ne fait aucun doute que la Loi dans son ensemble a pour objet de protéger l'intérêt public en faisant en sorte que les nominations à la fonction publique reposent uniquement sur le mérite et soient exemptes de discrimination et de partialité. Il est également vrai, toutefois, qu'en tant que disposition générale résiduelle, l'article 7.1 se veut une voie de recours pour ceux qui se sentent lésés par des décisions particulières de dotation non sujettes à appel, notamment des décisions portant sur des questions importantes au plan individuel comme des nominations à des concours publics et des litiges relatifs à des nominations par priorité.

[14]            Il est vrai que la Commission n'est pas tenue de faire enquête sur chaque plainte qu'elle reçoit. La jurisprudence établit clairement ce point. Par exemple, le juge Denault a écrit dans Patel c. Canada (Commission de la fonction publique), [1996] A.C.F. no 127 (QL) : « En ce qui a trait à l'article 7.1, le législateur, en utilisant expressément le mot " peut ", confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de faire enquête sur les questions qui relèvent de sa compétence. Elle n'est nullement tenue de le faire » (paragr. 8) (voir aussi Nault c. Commission de la fonction publique du Canada, [2002] A.C.F. no 1766 (C.F.) (QL)). Toutefois, les décisions de la Commission en cette matière ont des répercussions au moins aussi importantes sur les droits individuels que sur l'intérêt public dans l'existence d'une fonction publique indépendante et qualifiée. Je suis par conséquent d'avis que l'application de ce facteur milite en faveur d'une moins grande déférence envers les décisions de la Commission.

[15]            Enfin, relativement à la nature des questions soumises à la Commission, une distinction s'impose entre les divers arguments soumis par la demanderesse. Lorsque celle-ci fait valoir que les lignes directrices de la politique limitent le pouvoir discrétionnaire de la Commission, tant dans leur libellé que dans leur méthode d'application, elle soulève clairement une question de droit à l'égard de laquelle l'obligation de déférence est moindre. Pour ce qui est de la décision de la Commission portant que la demanderesse n'a pas démontré ses compétences et qu'une enquête ne permettrait pas d'appliquer de mesures correctives, elle concernait nettement des questions mixtes de fait et de droit puisqu'elle comportait l'application de normes juridiques ou quasi-juridiques à un ensemble de faits. Dans cette mesure, elle appelle une plus grande déférence.

[16]            Tout bien considéré, je suis d'avis que la norme de contrôle à appliquer en l'espèce est double : c'est la norme de la décision correcte qui devrait régir l'interprétation de la politique, mais c'est celle de la décision raisonnable simpliciter qui devrait s'appliquer à l'appréciation des motifs justifiant la décision de la Commission de ne pas faire enquête sur la plainte de la demanderesse.

B) La décision de la Commission de ne pas faire enquête

[17]            Selon la demanderesse, la politique sur laquelle la Commission a fondé sa décision ne crée pas d'obligation juridique puisqu'elle n'a pas été prise en vertu d'un pouvoir légal et, vu le vaste mandat qui lui a été confié par l'article 7.1, la Commission ne peut se fonder sur ses seules lignes directrices ou politiques pour limiter son pouvoir discrétionnaire ni limiter sa compétence en matière d'enquête lorsqu'il s'agit du seul recours existant. Par conséquent, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de droit et qu'elle a limité son pouvoir discrétionnaire en n'appuyant sa décision que sur l'application mécanique de sa politique.

[18]            Il importe d'abord de signaler le principe établi par la Cour suprême, selon lequel des lignes directrices peuvent être formulées pour guider, sans le limiter, l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, mais qu'elles ne peuvent être interprétées de manière à exclure d'autres facteurs pertinents : Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 (appliqué par notre Cour dans Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2004] A.C.F. no 735 (QL), 2004 CF 597; Neilans c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 908 (QL), 2004 CF 716). Ainsi que l'ont fait observer D.J.M. Brown et J.M. Evans dans leur traité Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 2 (Toronto: Canvasback Publishing, 1998, p. 12-39), [traduction] « ... la formulation de lignes directrices et de motifs écrits peut améliorer la qualité de l'acte décisionnel ainsi que la justice administrative en accroissant la certitude, en réduisant les incohérences et en haussant le niveau de responsabilité envers le public » .

[19]            Comme dans l'affaire Maple Lodge Farms, précitée, le libellé de la politique en cause ne lui confère pas de caractère strictement obligatoire. Cette politique a pour objet de « [p]révoir des critères sur lesquels la Commission, et ses délégataires à la Direction générale des enquêtes, fondent leur décision d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la LEFP » . Une telle formulation n'indique certainement pas l'intention d'assujettir la Commission à des règles fermes. Il en va de même du libellé des exigences de la politique relatives aux questions individuelles. Le paragraphe introductif énonce que la Commission « pourrait » exercer son pouvoir d'enquêter sur des questions individuelles si les cinq conditions énumérées sont réunies, non que la Commission entreprendra nécessairement une enquête si toutes les conditions sont réunies, et il n'exclut pas entièrement la possibilité d'effectuer une enquête si l'une quelconque des conditions n'est pas remplie, comme l'indiquent abondamment les notes accompagnant chacune des conditions.

[20]            Il est clair que la Commission s'est reportée à la politique pour prendre sa décision concernant la demanderesse, mais rien n'indique qu'elle se considérait juridiquement tenue de l'appliquer ou que son application lui ait fait omettre de considérer des éléments de preuve pertinents. En fait, la Commission a reconnu sans équivoque que le poste avait été offert à Mme Hounsell avant que la candidature de la demanderesse soit examinée, un fait essentiel de la plainte de la demanderesse.

[21]            La demanderesse a également soutenu que la Commission n'avait pas respecté les règles d'équité procédurale parce qu'elle ne l'avait pas mise au courant des éléments pris en considération dans son cas et ne lui avait pas donné l'occasion d'y répondre, affirmant, plus particulièrement, que la Commission aurait dû l'informer des conclusions de l'examen de la compétence qu'elle avait effectué avant de prendre sa décision.

[22]            Il est bien établi en droit qu'un décideur est tenu d'observer les règles d'équité procédurale. Le contenu de cette obligation varie cependant selon les circonstances. Le décideur administratif doit au minimum, toutefois, faire connaître aux intéressés les éléments pris en considération et donner à ceux-ci une possibilité réelle d'y répondre en présentant toute observation pertinente.

[23]            Il ressort clairement de la preuve que la demanderesse était au courant des raisons invoquées par le ministère pour ne pas lui offrir le poste ainsi que de la politique qui devait guider la décision de la Commission, et cela n'est pas contesté. Rien n'indique alors que la demanderesse ignorait la preuve qu'elle avait à faire en soumettant une plainte sous le régime du paragraphe 7(1) de la Loi. La compétence de la Commission a fait l'objet d'un examen le 1er février 2005, et la demanderesse prétend que la Commission a manqué à son obligation d'équité procédurale en ne lui fournissant pas une copie de ce document. Or, il est difficile de concevoir quel préjudice cette omission aurait pu causer à la demanderesse puisque le document d'examen de la compétence renferme principalement des renseignements que la demanderesse connaissait déjà, comme la description de sa situation, sa position, la position du ministère et les motifs qui serviraient de fondement à la décision de la Commission. Le document renferme également la recommandation de décliner compétence pour faire enquête sur la plainte, mais on peut considérer cela comme une étape du processus décisionnel, et rien dans l'obligation d'équité procédurale n'en oblige la divulgation à la demanderesse, puisque les motifs et la décision de la Commission ont été communiqués clairement à celle-ci dès que la décision a été prise.

[24]            Les tribunaux ont établi certaines exigences concernant l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, afin d'assurer l'observation des règles d'équité procédurale par la Commission des droits de la personne lorsqu'elle décide de ne pas déférer une plainte au Tribunal. Il n'y a pas lieu de décider si de semblables exigences devraient être incluses par interprétation à l'article 7.1 de la Loi car, même en interprétant la portée de l'obligation d'équité le plus restrictivement possible, la procédure suivie en l'espèce se révèle déficiente.

[25]            Il ressort clairement du dossier qu'après avoir reçu la plainte de la demanderesse, la Commission a communiqué avec M. Hollett, directeur régional des ressources humaines du ministère, et lui a demandé des renseignements supplémentaires [traduction] « pour aider [la Commission] à déterminer s'il convenait d'accepter ou non la demande d'enquête » . La Commission voulait savoir notamment si on avait expliqué en détail à la demanderesse pourquoi on estimait qu'elle n'était pas qualifiée pour le poste. Quelques jours plus tard, M. Kevin Walsh, consultant en ressources humaines pour le ministère, a répondu à la demande de renseignements.

[26]            À mon avis, cet échange de courriels est tout à fait regrettable, et il constitue indéniablement un manquement à l'obligation d'équité de la Commission envers la demanderesse. Bien qu'à n'en pas douter, la demanderesse ait eu largement l'occasion de soumettre sa preuve et ait effectivement produit quarante-quatre pages de documents et d'arguments devant la Commission, il n'en reste pas moins qu'elle n'a pas pu répondre aux « renseignements » postérieurs que le ministère a fournis à la Commission. L'avocat de la demanderesse a, qui plus est, soutenu devant nous que le ministère n'avait jamais vraiment dissipé les craintes exprimées par la demanderesse dans sa plainte, en particulier sa crainte que ses compétences n'aient pas été correctement et impartialement évaluées parce qu'au moment de l'examen de sa candidature le poste avait déjà été offert à une autre fonctionnaire qui l'avait accepté.

[27]            La politique énonce très clairement que la Commission ne fait pas enquête à cette étape et qu'elle n'a qu'à déterminer si la question soulevée constituerait à première vue, si elle était avérée, une irrégularité dans l'application de la LEFP.

[28]            Une lecture approfondie de la lettre envoyée à la demanderesse le 3 février 2005 pour l'informer de la décision de ne pas donner suite à sa plainte révèle que la Commission a manqué à son obligation d'équité non seulement en communiquant avec le ministère à l'insu de la demanderesse, mais également en imposant à celle-ci une charge de preuve beaucoup plus lourde que celle à laquelle elle pouvait raisonnablement s'attendre à cette étape préliminaire. En écrivant que le fait que « le directeur du BR, M. Brian Penney, a communiqué avec Sandra Hounsell parce que cette dernière était inscrite sur une liste valide d'admissibilité ne constitue pas une preuve suffisante de l'existence de motifs raisonnables de penser que l'évaluation subséquente de vos compétences n'a pas été équitable » , la Commission a appliqué bien plus que l'exigence d'une preuve prima facie. Le même raisonnement s'applique aux deux autres conclusions fondant la décision de ne pas faire enquête. Il n'était pas possible de tirer les conclusions selon lesquelles [traduction] « le ministère avait donné une raison suffisante et plausible expliquant sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas à l'une des exigences du poste » et qu'[traduction] « il n'y avait pas lieu de prendre de mesures correctives puisque les compétences de la demanderesse avaient déjà été évaluées » sans effectuer d'enquête.

[28]

[29]            Il ne faut pas perdre de vue que la Loi sur la fonction publique a pour objet de constituer une fonction publique de premier ordre par l'adhésion aux valeurs de transparence, d'ouverture et de mérite. Suivant la jurisprudence, il fallait, puisque les allégations de préjugé et d'évaluation partiale des compétences étaient au coeur de la plainte de la demanderesse, procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances, si ces allégations semblaient crédibles à première vue, pour déterminer si la partialité perçue existait bien dans les faits et si elle avait influé sur le processus de nomination. Cet examen ne saurait être sommaire et il suppose la tenue d'une enquête. En rejetant la plainte de la demanderesse, la Commission a donc fait une erreur de droit.

[30]            Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision de la Commission de la fonction publique en date du 3 février 2005 et je renverrais l'affaire à la Commission pour qu'elle fasse enquête conformément aux présents motifs. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L. Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-460-05

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Sandra Mercer

                                                            c.

                                                            Procureur général du Canada et Sandra Hounsell

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                9 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DE MONTIGNY

EN DATE DU :                                   18 novembre 2005

COMPARUTIONS:

David Yazbeck

POUR LA DEMANDERESSE

Tatiana Sandler

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

David Yazbeck

Raqven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

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