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Date : 19980908

Dossier : IMM-3823-97

Ottawa (Ontario), le mardi 8 septembre 1998

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Gibson

ENTRE

RUDRASIGAMANY GNANA-EASWARY,

demanderesse,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision en cause de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience et réexamen par une formation composée de membres différents.

                         Frederick E. Gibson                     

juge                                  

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

Date : 19980908

Dossier : IMM-3823-97

ENTRE

RUDRASIGAMANY GNANA-EASWARY,

demanderesse,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Les présents motifs font suite à une décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention au sens attribué à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision de la SSR est datée du 18 août 1997.



[2]         La demanderesse est une citoyenne tamoule du Sri Lanka. Elle est née le 3 juillet 1941. Jusqu'à l'âge de 16 ans, elle a vécu à Colombo. Elle s'est ensuite installée avec sa famille dans le nord du Sri Lanka, à Valvettiturai, qu'elle désigne, dans l'exposé qui est joint au Formulaire de renseignements personnels, comme étant son « lieu d'origine » . Elle s'est mariée à Valvettiturai et y a élevé quatre enfants. Dans l'exposé qui est joint au Formulaire de renseignements personnels, la demanderesse parle des mauvais traitements dont elle a été victime entre les mains de la police, des forces armées, de la Force indienne de maintien de la paix et des Tigres de libération. Pendant la période où elle a vécu à Valvettiturai, trois de ses enfants se sont enfuis du Sri Lanka.

[3]         En 1991, la demanderesse et sa fille, qui était restée avec elle, se sont installées à Colombo, où elles ont fait face à d'autres difficultés, et ont notamment été victimes d'extorsion. La quatrième enfant s'est mariée et a suivi son mari au Canada.

[4]         En novembre 1993, la demanderesse et son mari, qui la plupart du temps ne vivait apparemment pas avec la famille à cause de son travail, se sont installés en Inde après avoir obtenu des visas de visiteur. Ils ont eu de la difficulté à conserver leur statut en Inde, de sorte qu'ils sont retournés, en octobre 1994, au Sri Lanka et à Colombo, où ils ont encore une fois eu des problèmes. Peu de temps après, la demanderesse et son mari se sont installés à Vavuniya dans le centre nord du Sri Lanka, que l'avocate de la demanderesse qui a comparu devant moi a décrit comme étant la « porte du Nord » . Le mari de la demanderesse avait déjà vécu et travaillé à Vavuniya. La demanderesse a de nouveau fait face à des difficultés. Elle est brièvement retournée à Colombo, puis elle est venue au Canada.

[5]         Au début de ses motifs, la SSR a dit ceci :

[TRADUCTION]La formation conclut que le témoignage de l'intéressée n'était pas crédible ou digne de foi et elle s'est fondée sur les remarques que le juge Mahoney a faites dans la décision Orelien[2] :

Il me semble que l'on ne peut être convaincu que les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu qu'il est probable qu'ils le sont, et non simplement possible.

Pour les motifs ci-après énoncés, la formation n'est pas convaincue que l'intéressée ait des motifs valables de craindre d'être persécutée si elle retourne dans son pays d'origine.

[6]         La SSR a ensuite poursuivi son analyse en examinant deux questions, à savoir le bien-fondé de la crainte de la demanderesse et la possibilité de refuge intérieur (PRI), à Colombo.

[7]         La SSR a conclu que la crainte de la demanderesse n'est pas fondée. Elle a fondé cette conclusion sur le fait que la demanderesse s'était de nouveau réclamée de la protection de l'État après avoir quitté l'Inde pour retourner à Colombo et sur le fait qu'elle avait attendu environ seize mois pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention après son arrivée au Canada. Dans la déposition qu'elle a faite devant la SSR, la demanderesse a fourni des explications à cet égard. La SSR a plutôt sommairement rejeté ces explications. En ce qui concerne le fait que la demanderesse s'était de nouveau réclamée de la protection de l'État, la SSR a conclu que la déposition de la demanderesse était contradictoire. Elle a en outre conclu que l'explication donnée était invraisemblable. Voici ce qu'elle a dit :

[TRADUCTION]

[...] de l'avis de la formation, il ne semble pas raisonnable qu'elle soit retournée non seulement à Colombo, mais aussi dans le nord à un moment où les LTTE faisaient agressivement campagne pour la création d'un État distinct.

Quant au fait que la demanderesse avait tardé à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, la SSR a essentiellement conclu que l'explication donnée par la demanderesse était invraisemblable, selon la déposition qu'elle avait faite au sujet de ses tribulations au Sri Lanka. Voici ce que la SSR a dit :

[TRADUCTION]

Étant donné que l'intéressée s'est de nouveau réclamée de la protection de l'État, lorsqu'elle est retournée au Sri Lanka, non seulement à Colombo, mais aussi dans le Nord, en 1994, et qu'elle a attendu 16 mois après être arrivée au Canada pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, la formation n'est pas convaincue qu'elle ait été traitée de la façon dont elle affirme l'avoir été par les autorités et par les LTTE, au Sri Lanka.

Par conséquent, la conclusion générale que la SSR avait tirée au sujet du manque de crédibilité était fondée sur le fait que la demanderesse s'était de nouveau réclamée de la protection de l'État et qu'elle avait tardé à présenter sa revendication. En outre, la formation s'est fondée sur le manque de crédibilité pour rejeter les explications que la demanderesse avait données à cet égard. Le raisonnement de la SSR est circulaire.

[9]         Après avoir rejeté la déposition de la demanderesse, notamment au sujet des difficultés auxquelles elle avait fait face à Colombo, la SSR a conclu à l'existence d'une PRI à Colombo. Elle a fondé sa conclusion sur les caractéristiques personnelles de la demanderesse ; il s'agissait d'une femme qui, au moment de l'audience devant la SSR, avait 56 ans et avait apparemment des compétences à titre de cuisinière et de couturière, même s'il a été reconnu qu'elle [TRADUCTION] « [...] n'a[vait] jamais travaillé nulle part [...] » .

[10]       Il aurait raisonnablement été loisible à la SSR de conclure que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention, compte tenu de tous les éléments de preuve mis à sa disposition, mais je suis convaincu que la décision ne peut pas être maintenue sur la base de l'analyse figurant dans les motifs. Comme il en a ci-dessus été fait mention, les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité et du fait que la crainte de la demanderesse n'était pas fondée sont circulaires. Il est erroné en droit de conclure que le témoignage de la demanderesse n'est pas crédible parce que celle-ci n'a pas établi que sa crainte était fondée, puisqu'elle s'était de nouveau réclamée de la protection de l'État et qu'elle avait tardé à revendiquer le statut de réfugié, tout en concluant que les explications données à cet égard doivent être rejetées parce qu'il ne faut pas croire son témoignage.

[11]       La conclusion que la SSR a tirée au sujet de la PRI est clairement fondée sur le fait qu'elle ne croyait pas le témoignage que la demanderesse avait présenté au sujet des difficultés qu'elle avait eues à Colombo. Si la conclusion générale relative au manque de crédibilité ne peut pas tenir, et je conclus qu'elle ne peut pas tenir, la conclusion selon laquelle il existait un PRI, fondée comme elle l'était sur la conclusion relative à la crédibilité, ne peut pas non plus tenir.

[12]       Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audience et réexamen par une formation composée de membres différents.

[13]       Ni l'un ni l'autre avocat n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

                         Frederick E. Gibson                     

juge                                   

Ottawa (Ontario)

Le 8 septembre 1998

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

No DU DOSSIER :IMM-3823-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :RUDRASIGAMANY GNANA-EASWARY

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :LE MARDI 25 AOÛT 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON EN DATE DU 25 AOÛT 1998.

ONT COMPARU :

Mme Barbara Jackman              pour la demanderesse

M. Stephen Gold                                               pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Walman et associés pour la demanderesse

Avocats

281 est, av. Eglinton

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenbergpour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 19980825

Dossier : IMM-3823-97

ENTRE

RUDRASIGAMANY GNANA-EASWARY,

demanderesse,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE



           [1]L.R.C. (1985), ch. I-2.

           [2]Orelien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 IMM. L.R. (2d) 1, à la p. 11 (C.A.F.).

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