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Date : 20010720

Dossier : IMM-1014-00

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 20 JUILLET 2001

En présence de MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                    CRISTIAN MARCEL VERGARA SOTO

                                                                                                                     demandeur

                                                               - et -

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

                                                       ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'ARRR est annulée et la demande de reconnaissance à titre de DNRSRC du demandeur sera réexaminée par un autre agent. Aucune question n'a été soumise aux fins de la certification.

« François LEMIEUX »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


Date : 20010720

Dossier : IMM-1014-00

                                                                                  Référence neutre : 2001 CFPI 818

ENTRE :

                                    CRISTIAN MARCEL VERGARA SOTO

                                                                                                                     demandeur

                                                               - et -

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                 Par la présente demande de contrôle judiciaire, CRISTIAN Marcel VERGARA Soto (le demandeur), citoyen chilien, conteste une décision rendue le 1er février 2000 par l'agente de révision des revendications refusées (l'ARRR) B. Sachs-Syer.


[2]                 L'ARRR a conclu que le demandeur n'exposerait pas sa vie à de graves risques, à des sanctions excessives ou à des traitements inhumains s'il devait quitter le Canada pour retourner au Chili. Par conséquent, l'ARRR a jugé que le demandeur n'était pas un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (un DNRSRC) au sens du paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration.

[3]                 Le demandeur soulève deux moyens à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire :

(1)        la négligence ou l'incompétence de son ancien avocat, un consultant en immigration, qui n'a présenté aucune observation à l'ARRR à l'appui de la demande de reconnaissance à titre de DNRSRC et

(2)        un manquement à l'obligation d'équité parce qu'avant de rendre la décision contestée, l'ARRR n'a pas communiqué au demandeur l'évaluation du risque qui avait été faite et ne lui a pas donné la possibilité de présenter des observations sur cette évaluation et de corriger les erreurs, omissions ou autres lacunes qu'elle pourrait contenir; la communication de l'évaluation au demandeur était d'autant plus importante que celui-ci allègue que l'ARRR a commis certaines erreurs de fait fondamentales et n'a pas examiné la totalité de la preuve.

LES FAITS

[4]                 Les faits substantiels de la présente demande de contrôle judiciaire ne sont pas en litige.

[5]                 Le demandeur s'est enfui du Chili en décembre 1995 et est arrivé au Canada le 26 décembre de cette même année.


[6]                 Il a revendiqué le statut de réfugié en invoquant sa crainte d'être persécuté par le service de renseignements chilien (le SRC) en raison de ses activités politiques. Après une audience au cours de laquelle le demandeur était représenté par un membre de la Law Society of British Columbia, qui a plaidé devant moi la demande de contrôle judiciaire, la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut) a rejeté la revendication du demandeur dans une décision rendue le 14 juillet 1998.

[7]                 La Section du statut a déclaré que l'élément majeur de la revendication du statut de réfugié du demandeur était son action au sein d'une église, Capilla Cristo Roto, et d'un groupe, los Jovenes, qui aidait les familles des personnes disparues, tenait des manifestations pacifiques, organisait des soupes populaires pour les pauvres et traçait des graffiti politiques. Le demandeur a dit qu'en raison de ces activités, il a été détenu à deux reprises, a été battu et a été menacé par le service de renseignements chilien, car il était lié à trois frères tués en 1987 et en 1989 : deux des frères ont trouvé la mort au cours d'une descente du SRC, lors d'une réunion du groupe auquel ils appartenaient, et le troisième a été tué lors d'une manifestation. La Section du statut a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible parce qu'il n'était pas suffisamment étayé par la preuve.


[8]                 Le 28 juillet 1998, le demandeur a retenu les services de Universal Immigration Services pour sa demande de reconnaissance à titre de DNRSRC. Il a signé cette demande le 28 juillet 1998 et a donné, le 4 août de cette même année, au consultant en immigration M. Iraj Rezaei un chèque de 3 000 $ comme paiement pour préparer la demande de reconnaissance à titre de DNRSRC. Le demandeur, dans son affidavit à l'appui de la présente demande, a prétendu qu'il était entendu que M. Rezaei rédigerait la demande et la présenterait à Citoyenneté et Immigration Canada dans le délai imparti de 30 jours.

[9]                 M. Rezaei n'a, en fait, présenté aucune demande à l'ARRR pour M. Soto. Il n'est fait aucune mention, dans les notes et le dossier de décision de l'ARRR, de la réception d'une telle demande.

LA DÉCISION DE L'ARRR

[10]            À la lumière des notes de l'ARRR et de son dossier de décision, on constate que l'agente à pris en considération la documentation suivante :

(a)        le Formulaire de renseignements personnels, que le demandeur a produit devant la Section du statut;

(b)        la décision de la Section du statut;

(c)        quatre réponses à des demandes de documents de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié;

(d)        et les Country Reports on human rights practices sur le Chili de 1996, 1997 et 1998 du département d'État américain.


[11]            L'ARRR a déclaré, en conclusion, que [TRADUCTION] « comme mentionné dans les motifs de l'ARRR, la question de la crédibilité reste entière en raison de l'absence de nouveaux renseignements/éléments de preuve. » L'ARRR a aussi écrit ceci : [TRADUCTION] « - éléments de preuve convaincants insuffisants pour pouvoir conclure que les autorités chiliennes, les policiers, les militaires ou toute autre personne au Chili s'intéresse présentement au demandeur principal, à ses allées et venues ou cherche à exercer des représailles contre lui - éléments de preuve convaincants/objectifs insuffisants pour que le demandeur soit reconnu à titre de DNRSRC. » Je dois ajouter que l'ARRR a passé en revue une preuve documentaire abondante sur la situation actuelle du Chili.

ANALYSE

[12]            À mon avis, l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire peut être déterminée en répondant à la deuxième question, à savoir si le défendeur a manqué à son obligation d'équité du fait que l'ARRR n'a pas, avant de rendre sa décision, donné au demandeur une copie de l'évaluation du risque pour que M. Soto puisse présenter ses observations à cet égard.

[13]            L'avocat du demandeur me renvoie à une décision récente de la Cour d'appel fédérale, Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407. Dans cette affaire, un ARRR n'avait pas communiqué son évaluation du risque à un demandeur de résidence permanente qui invoquait des motifs d'ordre humanitaire à l'appui de sa demande, examinée au Canada.


[14]            Récemment, la Cour d'appel fédérale, dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Bhagwandass, [2001] A.C.F. no 341, a longuement commenté Haghighi, précité. Dans l'affaire Bhagwandass, il n'y avait pas eu divulgation d'un rapport au représentant du ministre dans lequel il était indiqué que le défendeur constituait un danger pour le public (avis de danger). Le juge Sharlow, au nom de la Cour d'appel fédérale, a appliqué le raisonnement de Haghighi au cas qui l'occupait.

[15]            Selon l'avocat du défendeur, les moyens du demandeur soulèvent la question de savoir si l'ARRR s'est appuyée, pour rendre sa décision, sur des éléments de preuve extrinsèques qui n'avaient pas été communiqués au demandeur et, en particulier, si elle s'est appuyée sur un Country Report du département d'État américain sur la situation du Chili en 1998, qui n'a étédisponible qu'après le dépôt de la demande de reconnaissance à titre de DNRSRC du demandeur.

[16]            L'avocat du défendeur fait remarquer que la Cour d'appel fédérale a déclaré, citant Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.), que l'ARRR ne manque pas à son obligation d'équité s'il se fie à des documents du domaine public qui contiennent des renseignements sur les conditions générales en vigueur dans un pays donné.


[17]            De plus, l'avocat du défendeur, se fondant sur Mancia, précité, fait remarquer, à juste titre, que la Cour d'appel fédérale a aussi énoncé que l'ARRR ne viole pas l'obligation d'équité s'il se reporte à des documents disponibles, même si ceux-ci ne deviennent disponibles qu'après le dépôt des observations à l'appui de la demande de reconnaissance à titre de DNRSRC, à moins que le demandeur ne démontre que le document indique des changements, pertinents pour le cas à l'étude, dans les conditions générales du pays.

[18]            Si le demandeur avait fondé sa contestation sur le défaut de lui avoir communiqué des éléments de preuve que l'ARRR avait obtenus depuis peu, l'avocat du défendeur aurait raison. La contestation du demandeur ne portait cependant pas sur cela, mais sur le fait que l'ARRR n'a pas communiqué au demandeur l'évaluation même du risque qui lui aurait permis de présenter des observations sur les erreurs alléguées, les omissions ou toute autre lacune que pourrait comporter le document.

[19]            À mon avis, Haghighi, précité, a une pertinence directe à cet égard. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge Gibson selon lequel, en raison de la décision de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, l'obligation d'équité implique désormais que le rapport d'évaluation du risque d'un ARRR soit divulgué afin que le demandeur ait la possibilité de corriger des erreurs ou de relever des omissions, et ce même si le rapport ou l'évaluation du risque se fonde sur de la documentation fournie par le demandeur, avec sa demande de reconnaissance à titre de DNRSRC, ou sur d'autres renseignements du domaine public qui lui sont raisonnablement accessibles.


[20]            La conclusion du juge Evans et les arguments sur lesquels il se fonde sont exprimés de la façon suivante, aux paragraphes 37 et 38 de la décision :

J'estime que l'obligation d'équitéexige que ceux qui présentent de l'intérieur du pays une demande de droit d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) soient informés de l'ensemble du contenu du rapport d'évaluation des risques de l'agent de révision et qu'il leur soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas oùle rapport est fondésur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles. Compte tenu du volume, des nuances et des incompatibilités des renseignements disponibles à partir de différentes sources sur la situation dans le pays, donner au demandeur la possibilitéde faire des observations sur les erreurs, les omissions et les autres lacunes que pouvait contenir l'analyse de l'agent de révision pourrait bien permettre d'éviter des décisions erronées de la part des agents d'immigration dans les dossiers oùdes raisons d'ordre humanitaire sont invoquées, d'autant plus que ces rapports sont susceptibles de jouer un rôle vital dans la décision finale. J'ajouterais seulement que la possibilitéd'attirer l'attention sur les erreurs ou les omissions qui seraient contenues dans le rapport de l'agent de révision ne constitue pas une invitation aux demandeurs pour qu'ils présentent de nouveau leurs arguments à l'agent d'immigration.

Vu les conséquences potentiellement graves pour une personne qui est renvoyée dans un pays où, contrairement au rapport de l'agent de révision, il y a un risque sérieux de torture, la correction accrue de la décision qui est susceptible de résulter du fait d'accorder à l'intiméle droit procédural recherchéen l'espèce justifie tout retard administratif que cela pourrait occasionner. Afin de minimiser les retards, il serait opportun que les agents d'immigration donnent aux demandeurs un délai relativement court pour présenter leurs observations écrites au sujet du rapport.

[21]            Ma conclusion à l'égard de cette question est déterminante pour la demande de contrôle judiciaire. Je n'ai pas besoin d'examiner la première allégation du demandeur concernant la négligence ou l'incompétence de son consultant en immigration.


DÉCISION

[22]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'ARRR est annulée et la demande de reconnaissance à titre de DNRSRC doit être réexaminée par un autre agent. Aucune question n'a été soumise aux fins de la certification.

« François LEMIEUX »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 20 JUILLET 2001

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-1014-00

INTITULÉ :                                             CRISTIAN MARCEL VERGARA SOTO c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 14 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :            Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                              Le 20 juillet 2001

COMPARUTIONS :

M. Peter P. Dimitrov                                            POUR LE DEMANDEUR

Mme Banafsheh Sokhansanj                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Peter P. Dimitrov                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocat

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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