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Date : 20040921

Dossier : IMM-6241-03

Référence : 2004 CF 1293

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                BELA RACZ D.D.N. 1964, BELANE RACZ D.D.N. 1966,

                             BELA RACZ FILS D.D.N. 1987, PETER RACZ D.D.N. 1991

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section des réfugiés) datée du 4 juillet 2003 dans laquelle la Section des réfugiés a conclu que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des « personne[s] à protéger » en vertu de l'article 74 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).


CONTEXTE

[2]                Tous les demandeurs sont des Roms hongrois. Ils demandent l'asile en invoquant la crainte d'être persécutés du fait de leur race et de leur appartenance ethnique. Chaque demandeur adulte a rempli un Formulaire de renseignements personnels (FRP) qui a servi au résumé des faits ci-dessous.

[3]                Bela Racz (D.D.N. 18-10-1945) (demandeur 1) est né et a grandi dans la ville de Polgar en Hongrie. Il a étudié pour devenir peintre commercial. À l'âge de 19 ans, il a épousé Irma Algacs, alias Belane Racz (D.D.N. 5-7-1948) (demanderesse 2); il a quatre enfants, deux filles qui vivent toujours en Hongrie et deux fils qui sont également parties à la présente demande.

[4]                Bela Racz (D.D.N. 1-11-1964) (demandeur 3) est le fils du demandeur 1 et de la demanderesse 2. Dans son FRP, il a décrit la discrimination dont il avait fait l'objet à l'école. Il a été humilié par ses professeurs à l'école primaire et battu par des étudiants à l'école professionnelle. Pendant son service militaire, on l'a humilié, on lui a réservé des corvées avilissantes et, à deux reprises, on l'a agressé.


[5]                En 1984, il a épousé Edit Horvath (D.D.N. 1-10-1966), alias Belane Racz (demanderesse 4). Alors qu'elle était enceinte de leur premier enfant, elle a été agressée par des skinheads qui l'ont jetée à terre et lui ont assené des coups de pied. Le jour même, on l'a conduite à l'hôpital où elle a donné prématurément naissance à leur fils Bela. Les skinheads et les Hongrois étaient souvent les auteurs de menaces et de voies de fait dans la rue.

[6]                Les enfants mineurs du demandeur 3 et de la demanderesse 4, Bela (D.D.N. 6-10-1987) et Peter (D.D.N. 10-2-1991) sont également parties à la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]                Le demandeur 3 et la demanderesse 4 ont décidé de partir; ils sont arrivés au Canada en août 2000.

[8]                Robert Racz (D.D.N. 21-06-1975) (demandeur 5) est également le fils du demandeur 1 et de la demanderesse 2. Il a épousé Barna Ilona, alias Robertne Racz (D.D.N. 17-02-1975) (demanderesse 6); ils ont une fille, Brigitta Racz (D.D.N. 3-5-1997), mineure, également partie à la présente demande de contrôle judiciaire.

[9]                Le demandeur 5 et la demanderesse 6 ainsi que les parents du demandeur 5, le demandeur 1 et la demanderesse 2, ont décidé qu'il serait préférable, pour leur propre sécurité, de venir au Canada. Les parents ont vendu leur maison pour payer tous les billets d'avion. Ils sont arrivés au Canada le 25 mars 2001, moment où ils ont demandé l'asile.


QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Les demandeurs soulèvent plusieurs questions. Je pense que deux questions suffisent à trancher la présente demande :

1)         La commissaire a-t-elle fondé sa décision en matière de crédibilité sur des conclusions de fait tirées de façon abusive et arbitraire, sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

2)         La commissaire a-t-elle appliqué le critère approprié pour évaluer la protection de l'État?

ANALYSE

1)         La commissaire a-t-elle fondé sa décision en matière de crédibilité sur des conclusions de fait tirées de façon abusive et arbitraire, sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

[11]            La crédibilité est une question d'appréciation des faits et la Cour s'est depuis longtemps gardée d'infirmer des décisions fondées sur des conclusions relatives à la crédibilité, à moins que ces conclusions n'aient été tirées de façon abusive et arbitraire et que, par conséquent, la décision ne soit manifestement déraisonnable.

[12]            Certes, la commissaire dispose de beaucoup de latitude pour établir la valeur probante de la preuve. Elle peut privilégier un élément de preuve plutôt qu'un autre.

[13]            La Commission peut tenir compte des divergences entre le FRP des demandeurs et les notes prises par l'agent d'immigration lors de leur arrivée.

[14]            Le tribunal peut avoir longuement examiné ces divergences; cependant, les conclusions concernant les faits qui n'apparaissaient pas dans les notes de l'agent d'immigration ne sont ni abusives, ni arbitraires. Il faut souligner que si l'on se fonde sur les notes de l'agent d'immigration, Bela Racz n'a aucunement mentionné qu'il avait été lui-même victime d'un acte de persécution précis; il a parlé de sa femme et de ses enfants. La question me préoccuperait davantage si la décision était fondée sur ces seules divergences, mais les faits ont été analysés en profondeur et les divergences en question ne sont qu'un élément parmi bien d'autres.

[15]            La commissaire tire une conclusion de fait erronée en énonçant, dans sa décision, qu'il s'est écoulé 8 mois entre la dernière fois où les demandeurs ont été agressés et leur arrivée au Canada. En fait, deux mois s'étaient écoulés dans le cas du demandeur 1 et de la demanderesse 2 (et un mois dans le cas du demandeur 5 et de la demanderesse 6). La dernière agression signalée contre la demanderesse 2 a eu lieu le 15 janvier 2001; la dernière agression contre la demanderesse 6 a eu lieu en février 2001. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 25 mars 2001. Le demandeur 1 et la demanderesse 2 ont expliqué qu'ils avaient dû vendre leur maison pour payer leurs billets d'avion et ceux de leur fils Robert (demandeur 5) et de sa famille. La Commission a conclu que l'explication n'était pas raisonnable « vu la crainte alléguée et la demande d'asile effectuée par leur fils au Canada » .


[16]            Il était raisonnable d'en arriver à cette conclusion.

[17]            La Commission tire une conclusion négative du fait que le demandeur 1 et la demanderesse 2 n'ont pas demandé l'asile en novembre 2000, mais qu'ils sont plutôt retournés en Hongrie malgré les années de persécution alléguées. La demanderesse 2 explique que son fils et son épouse dépendent d'elle pour prendre soin de leur fille. La Commission peut tirer une conclusion négative de ce retour en Hongrie.

[18]            Les demandeurs ont fourni un rapport de police et un rapport de médecin qui se sont avérés sans valeur probante.

[19]            Puisque le rapport de police et celui du médecin sont fondés sur les déclarations des demandeurs, ces documents ne constituent pas, à mon avis, une preuve corroborante mais plutôt une preuve par ouï-dire et, si l'on tient compte des conclusions tirées relativement à la crédibilité des demandeurs eux-mêmes, il était loisible au tribunal de n'accorder aucune valeur probante aux documents des demandeurs.


[20]            La Cour ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par le tribunal à moins qu'elles n'aient été tirées de façon abusive ou arbitraire. Il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle du tribunal. La question de savoir si ma conclusion aurait été différente n'est pas le critère applicable.

[21]            J'estime que le tribunal a commis certaines erreurs de fait, mais ces erreurs ne constituent pas une décision déraisonnable. À mon avis, ces erreurs ne justifient pas l'intervention de la Cour.

2)         La commissaire a-t-elle appliqué le critère approprié pour évaluer la protection de l'État?

[22]            Depuis quelques années, la Cour a été saisie de plusieurs demandes concernant la situation des Roms en Hongrie. La décision concernant la crédibilité des demandeurs et fondée sur la persécution dont ils auraient personnellement fait l'objet est en quelque sorte subjective; cependant, la question de savoir si l'État hongrois protège suffisamment les citoyens roms devrait être une question objective, soit les citoyens roms sont protégés par leur État, soit ils ne le sont pas. Néanmoins, sur cette question précise, la Cour a toujours été profondément divisée malgré la similitude des éléments de preuve présentés sur la situation du pays.


[23]            Dans plusieurs décisions (Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1614 (C.F. 1re inst.); Orban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 681 (C.F.); Olah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 623 (C.F. 1re inst.); Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 894 (C.F. 1re inst.); Bela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 902 (C.F. 1re inst.)), la Cour a décidé que la Commission, en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait, pouvait conclure que l'État protégeait adéquatement ses citoyens roms. Même si certains rapports ont fait état de l'indifférence, voire de la brutalité de la police envers les Roms, l'État hongrois a fait beaucoup de progrès afin d'offrir aux Roms des conditions plus équitables et de former les forces de police en conséquence. Le bureau du procureur général et les organisations romes pour l'autonomie sont souvent cités comme des exemples de ressources supplémentaires auxquelles les Roms peuvent faire appel s'ils sont insatisfaits du comportement de la police envers eux.


[24]            Un autre courant jurisprudentiel, (Sarkozi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 973 (C.F. 1re inst.); Elemer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1021 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 771 (1re inst.); Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.); Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 957 (C.F. 1re inst.)) conclut que l'on n'a pas accordé assez d'importance à la situation difficile du demandeur qui essaye de se prévaloir lui-même de la protection de l'État contre les actes criminels. Améliorer les conditions générales de vie du peuple rom est une chose, mais protéger les citoyens contres des actes criminels relève toujours de la compétence de la police. Si la police ne veut pas ou n'est pas en mesure d'offrir cette protection ou si elle est carrément hostile ou méprisante, on peut conclure que l'État n'offre pas aux victimes de persécution la protection qu'elles méritent.

[25]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a décidé qu'il n'y avait pas que l'État qui pouvait être responsable de persécution; dans un tel cas, il fallait déterminer si l'État pouvait offrir une protection suffisante contre la persécution dont il n'était pas complice :

¶ 52       Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet « ne veut » ou sous le volet « ne peut » de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. Je reconnais que ces conclusions élargissent l'éventail des revendications du statut de réfugié auxquelles il sera peut-être fait droit au-delà de celles qui comportent la crainte d'être persécuté par le gouvernement nominal du demandeur. Dans la mesure où cette persécution vise le demandeur pour l'un des motifs énumérés, je ne crois pas que l'identité de l'auteur redouté de la persécution a pour effet de soustraire ces cas aux obligations internationales du Canada dans ce domaine. Sur ce, je passe maintenant à l'examen des motifs énumérés.

[26]            C'est la commissaire qui apprécie la preuve, et en ce qui concerne la question de la protection de l'État, une question de droit et de fait, la norme de contrôle applicable serait le caractère raisonnable. La décision raisonnable est définie comme une décision qui peut être raisonnablement étayée par les faits et non comme une décision que l'instance révisionnelle aurait prise (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247).

[27]            Tel que susmentionné, la Cour est divisée sur la question de la protection qu'offre l'État aux Roms. On peut invoquer des arguments raisonnables au soutien des deux opinions.


[28]            Au cours de l'audience, la commissaire a demandé à plusieurs reprises si les demandeurs s'étaient adressés au procureur général ou aux organisations romes. Les demandeurs ont toujours répondu par la négative, en disant qu'ils n'avaient pas accès au procureur général et que les organisations romes n'avaient pas été créées pour s'occuper de ces questions. La preuve documentaire présentée n'étaye pas cette opinion et le tribunal a utilisé le critère approprié. Pour ces motifs, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

-         Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                                     « Pierre Blais »             

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6241-03

INTITULÉ :                                        BELA RACZ D.D.N. 1964, BELANE RACZ D.D.N. 1966,

BELA RACZ FILS D.D.N. 1987,

PETER RACZ D.D.N. 1991

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 15 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       LE 21 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Amina Sherazee                                                             POUR LES DEMANDEURS

David Tyndale                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amina Sherazee                                                             POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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