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Date : 19990812


IMM-4908-98


E n t r e :

     KHALID MOHAMMAD KHOKHAR,


demandeur,




- et -





MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.





     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés à l'audience à Toronto (Ontario)

     le jeudi 12 août 1999)


LE JUGE LEMIEUX


[1]      Je suis prêt à rendre jugement.
[2]      Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée à l'aéroport international Pearson le 2 décembre 1997. Il fonde sa revendication sur une crainte justifiée d'être persécuté du fait de ses opinions politiques, en l'occurrence son appartenance à la Ligue musulmane du Pakistan (LMP). Il craint d'être persécuté par le Parti populaire pakistanais (PPP) et d'être victime d'abus policiers.
[3]      La Section du statut de réfugié (SSR) a tenu une audience le 27 août 1998. Elle a reconnu la participation du demandeur à la LMP et a accepté le fait qu'il avait eu des problèmes avec des hommes de main du PPP en 1995. La SSR a convenu que l'événement décisif qui avait amené le demandeur a s'enfuir du Pakistan en décembre 1995 avait été la dispersion d'une manifestation organisée en juin 1995 par la LMP contre le gouvernement du PPP. À la suite de l'intervention policière, le demandeur s'était caché. La police a porté des accusations contre le demandeur, qui s'est enfui en Angleterre. Peu de temps après son arrivée en Angleterre, le demandeur a appris que son domicile avait été attaqué par des hommes de main du PPP. Il a revendiqué sans succès le statut de réfugié en Angleterre. Il a interjeté appel, mais a quitté l'Angleterre avant que la décision ne soit rendue au motif qu'il craignait une décision défavorable et les répercussions qu'une telle décision aurait sur sa vie personnelle s'il était forcé de retourner au Pakistan. Il est alors venu s'installer au Canada.
[4]      Appliquant les principes posés dans l'arrêt Adjei c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.), la SSR a rejeté sa revendication au motif qu'elle n'était pas convaincue qu'il existait un risque raisonnable ou une possibilité sérieuse que le revendicateur soit persécuté s'il devait retourner au Pakistan. La SSR a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas au critère de la définition du " réfugié au sens de la Convention " contenue à l'article 2 de la Loi sur l'immigration parce que la crainte du demandeur n'avait aucun fondement objectif. La SSR a fait reposer son raisonnement sur le fait que la situation politique au Pakistan avait évolué depuis que le demandeur avait quitté le Pakistan en 1995. La LMP, le parti du revendicateur, était au pouvoir depuis février 1997. La SSR a conclu qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que la LMP protège le revendicateur compte tenu de ses activités politiques antérieures en faveur de ce parti. La SSR a poursuivi en disant que, faute de preuve concernant son incapacité de les protéger, un État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens. La SSR a cité le témoignage du demandeur dans lequel celui-ci précisait qu'il avait promis de s'abstenir de toute activité politique, estimait que les accusations portées contre lui par la police tomberaient s'il retournait au Pakistan en raison du changement de gouvernement et constatait qu'aucun autre incident concernant sa famille ne s'était produit depuis décembre 1995.
[5]      À mon avis, la décision de la SSR est inattaquable, ne renferme aucune erreur justifiant un contrôle judiciaire et s'accorde avec l'arrêt Canada c. Ward, (1993) 103 D.L.R. 4th 1, de la Cour suprême du Canada.
[6]      Dans l'arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a déclaré que, pour déterminer si une crainte subjective de persécution a été démontrée objectivement, l'analyse doit porter d'abord et avant tout sur la capacité de l'État de protéger le revendicateur. Si l'État peut protéger le revendicateur, la crainte du revendicateur n'est pas, sur le plan objectif, bien fondée. La Cour suprême du Canada a en outre estimé que le revendicateur est tenu de fournir une confirmation nette et convaincante de l'incapacité de l'État de le protéger, parce qu'en l'absence de cette preuve, la revendication du statut de réfugié doit être refusée, étant donné que tout État est censé être en mesure de protéger ses citoyens.
[7]      À mon sens, les conclusions et l'analyse de la SSR cadrent parfaitement avec ce que la Cour du Canada a dit dans l'arrêt Ward. La SSR n'était pas convaincue que le demandeur avait démontré, eu égard aux circonstances de la présente affaire, que le Pakistan n'était pas en mesure de le protéger.
[8]      Dans le témoignage qu'il a donné devant la SSR, le demandeur a témoigné en général au sujet de ses craintes concernant les hommes de main du PPP et les abus policiers à son retour. La SSR a qualifié de spéculatifs certains éléments de ce témoignage.
[9]      L'avocat du demandeur soutient que la SSR n'a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à la situation qui existait au Pakistan au moment de l'audition. Ces éléments de preuve consisteraient en éléments de preuve documentaires, en l'occurrence un rapport du département d'État des États-Unis sur la situation des droits de l'homme au Pakistan en 1997. Dans ce document, il est précisé que le gouvernement du Pakistan continue à peu respecter les droits de la personne, qu'il y a de graves problèmes en ce qui concerne des abus de pouvoir de la part des policiers et que certains groupes politiques procèdent à des assassinats (sans toutefois nommer expressément le PPP). Cet argument est mal fondé. La SSR mentionne expressément le rapport du département d'État des États-Unis lorsqu'elle fait observer que, présentement, le PPP tient des manifestations contre le gouvernement et que des hommes de main de la LMP harcèlent des membres du PPP. Il est vrai que la SSR ne mentionne pas expressément le problème du respect des droits de la personne et celui des abus de pouvoir de la police et des partis politiques qui existent au Pakistan. À mon avis, elle a cependant tenu compte de tous ces éléments pour conclure que la protection des citoyens n'était peut-être pas idéale au Pakistan. Ce que le tribunal a fait, c'est d'apprécier le témoignage du demandeur en même temps que les éléments de preuve qui auraient été ignorés. Une telle appréciation relevait de sa compétence et l'on ne saurait prétendre que cette conclusion est abusive.
[10]      L'avocat du demandeur a présenté à l'audience un argument qui ne se trouvait pas dans son mémoire. Cet argument est centré sur la conclusion tirée par la SSR au sujet de l'évolution de la situation politique. L'avocat du demandeur a fait valoir que la SSR n'avait pas analysé la question de savoir si les changements survenus au Pakistan étaient importants, réels et durables, citant notamment le jugement Acedevo c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.T.D., 78 F.T.R. 316. L'avocat du défendeur a rétorqué en invoquant l'arrêt Yusuf c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] F.C.A. 179 N.R. 11.
[11]      Dans l'arrêt Yusuf, le juge Hugessen dit ce qui suit :
         Nous ajouterions que la question du " changement de situation " risque, semble-t-il, d"être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d"origine du demandeur n"est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s"il y a, au moment de l"audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l"éventualité de son retour au pays. Il s"agit donc d"établir les faits, et il n"existe aucune " critère " juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L"emploi de termes comme " important ", " réel " et " durable " n"est utile que si l"on garde bien à l"esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l"art. 2 de la Loi ; le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d"être persécuté ? Étant donné qu"en l"espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n"interviendrons pas.

[12]      À mon avis, en l'espèce, la SSR s'est penchée sur la question précise à laquelle la Cour d'appel fédérale a dit dans l'arrêt Yusuf qu'il fallait répondre, en l'occurrence la question de savoir si le revendicateur a présentement raison de craindre d'être persécuté. Or, elle a répondu par la négative à cette question. Dans l'ensemble, la preuve appuie une telle conclusion.
[13]      Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les avocats n'ont pas demandé à la Cour de certifier l'existence d'une question sérieuse de portée générale.

     " François Lemieux "

     JUGE

TORONTO (ONTARIO)

Le 12 août 1999

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-4908-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              KHALID MOHAMMAD KHOKHAR

    

                             - et -
                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE JEUDI 12 AOÛT 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Lemieux le 12 août 1999



ONT COMPARU :                      M e John Savaglio

                                 pour le demandeur

                             M e Kevin Lunney

                                 pour le défendeur


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Me John Savaglio

                             Avocat et procureur
                             1919, Brookshire Square
                             Pickering (Ontario) L1V 6L2
                                 pour le demandeur

                              M e Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

                                 pour le défendeur

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA


                                 Date : 19990812

                        

         IMM-4908-98


                             E n t r e :

                             KHALID MOHAMMAD KHOKHAR,

     demandeur,

                             - et -



                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.




                    

                            

        

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

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