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Date : 20050913

Dossier : IMM-9911-04

Référence : 2005 CF 1240

Toronto (Ontario), le 13 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                 VERONICA GATHONI KAHIGA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             

et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Veronica Gathoni Kahiga a fait une demande d'asile, affirmant craindre que ses oncles au Kenya la forcent à se marier contre son gré. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande au motif que son témoignage n'était pas crédible.

[2]                L'avocat de Mme Kahiga concède qu'aucune des conclusions, considérées isolément, n'était manifestement déraisonnable; cependant, il soutient que, cumulativement, ces conclusions ont donné lieu à une décision qui n'est pas fondée.

Les allégations Mme Kahiga

[3]                Mme Kahiga est une femme professionnelle, éduquée, qui avait 34 ans lorsqu'elle a quitté le Kenya en septembre 2001. Elle dit que ses oncles paternels ont concocté un plan visant à la faire épouser un veuf de 60 ans. Lorsqu'elle a refusé, le plan a été mis de côté pendant quelque temps. Cependant, Mme Kahiga dit que, après le décès de son père en mars 1998, ses oncles ont décidé de mettre leur plan à exécution.

[4]                Mme Kahiga dit qu'elle s'est adressée à la police, mais qu'elle a été éconduite. Elle affirme qu'elle est alors allée voir le chef de la région rurale où vivaient ses oncles, qui lui a dit qu'elle devait accepter ce mariage.

[5]                Mme Kahiga dit que, en janvier 2001, ses oncles lui ont dépêché un cousin à Nairobi qui lui a dit qu'elle devait rentrer pour se marier. Mme Kahiga prétend que, à ce moment, elle s'est cachée jusqu'à ce qu'elle quitte le Kenya quelque neuf mois plus tard.

[6]                Ce n'est qu'en janvier 2002 que Mme Kahiga a déposé sa demande d'asile, près de quatre mois après son arrivée au Canada. Selon ses explications, elle a tardé à le faire parce qu'elle avait espéré que ses oncles changeraient d'avis, ce qui lui aurait permis de rentrer au Kenya.

La norme de contrôle

[7]                 Dans l'arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, _ 38, la Cour suprême du Canada a rappelé que, en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, on ne peut annuler les conclusions de fait de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié que si elle les a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. En ce qui concerne les questions de crédibilité, la norme de contrôle est donc la décision manifestement déraisonnable.

Analyse                       


[8]                Mme Kahiga affirme que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs. Premièrement, elle dit que la Commission a étudié de manière très orientée les renseignements figurant dans la preuve documentaire. À cet égard, il faut signaler que la Commission a constaté qu'il n'avait été produit aucune preuve documentaire montrant que les femmes adultes et indépendantes comme Mme Kahiga, qui vivent dans les villes kényanes, doivent se soumettre à des mariages forcés arrangés par des membres de la famille masculins. Mme Kahiga soutient que, si son éducation et son statut professionnel l'ont peut-être rendue moins vulnérable que certaines autres femmes, néanmoins, elle n'était pas à l'abri des pressions exercées par les membres masculinsde sa famille.

[9]                L'examen de la preuve documentaire produite devant la Commission révèle que si les mariages forcés sont courants dans certaines communautés, ils semblent se produire lorsque les femmes sont « léguées » au frère aîné ou à un autre membre masculin de la famille du mari décédé de la femme. Cela n'a rien à voir avec la situation exposée par Mme Kahiga.

[10]            Comme l'a signalé la Commission, dans l'arrêt Adu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 114, la Cour d'appel fédérale a conclu que « la "présomption" » selon laquelle le témoignage sous serment d'un requérant est véridique peut [...] être réfutée par l'absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu'on pourrait normalement s'attendre à y retrouver » . Dans les circonstances, il n'était pas déraisonnable, à plus forte raison manifestement déraisonnable, que la Commission tire une inférence défavorable du fait que n'avait été produite aucune preuve documentaire faisant état de cas de mariages forcés dans des situations similaires à celle de Mme Kahiga.


[11]            Mme Kahiga soutient en outre que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'elle avait déposé « avec prudence et en se tenant sur ses gardes » ou qu'elle avait « hésité » et s'était « montrée incertaine » au cours de son témoignage. Selon son avocat, Mme Kahiga a donné des réponses pleines et entières aux questions qui lui ont été posées. Manifestement, c'est la Commission qui est la mieux placée pour faire l'évaluation du comportement des témoins au cours de leur déposition, et la Cour n'est tout simplement pas en mesure de remettre en question ce genre d'évaluation.

[12]            Selon Mme Kahiga, la Commission a aussi commis une erreur lorsqu'elle a rejeté les affidavits de sa soeur et de son ami, qui corroboraient son récit. Je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur à cet égard. Ces affidavits sont brefs, vagues et n'exposent pas avec précision les faits dont les déclarants auraient été témoins. En outre, dans sa déposition, Mme Kahiga n'a jamais mentionné que les déclarants avaient été témoins des faits qu'ils ont relatés. Dans les circonstances, lorsque la Commission a qualifié ces affidavits de peu fiables et d'orientés, elle n'a pas agi de manière déraisonnable.

[13]            En ce qui concerne le fait qu'elle a tardé à déposer sa demande d'asile, Mme Kahiga soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'elle avait attendu jusqu'à l'expiration de son visa pour agir, parce que son visa avait, en fait, été prolongé. On n'a pas attiré mon attention sur quelque élément de preuve que ce soit allant dans ce sens. En outre, la jurisprudence est claire : si le fait que le demandeur a tardé à présenter sa demande d'asile n'est pas déterminant, cela peut toutefois indiquer une absence de crainte subjective d'être persécuté : voir Tudela-Flores c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2005] A.C.F. no 571.


[14]            Il n'est pas inutile de signaler que Mme Kahiga est une femme éduquée, qui avait manifestement fait des recherches concernant le régime canadien de protection des réfugiés avant de quitter le Kenya, et qui était au courant de ses droits à cet égard. Dans les circonstances, la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable du fait que Mme Kahiga n'avait pas présenté une demande d'asile à la première occasion.

Conclusion

[15]            Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

Certification

[16]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a demandé la certification d'une question, et aucune question ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« A. Mactavish »

________________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

                                   


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9911-04

INTITULÉ :                                        VERONICA GATHONI KAHIGA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 13 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :                      

Dariusz Wroblewski                                         POUR LA DEMANDERESSE

Kristina Dragaitis                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                                                                          

Dariusz Wroblewski

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.                                                         

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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