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                                                                                                                     Date : 20041202

                                                                                                               Dossier : T-1088-04

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1688

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 2 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                      MANSOUR RASAEI

                                                                                                                                  appelant

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      intimé

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                M. Mansour Rasaei, citoyen originaire d'Iran mais qui travaillait et vivait en tant que résident permanent à Singapour avant son arrivée au Canada, a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 1er août 2000 et le droit d'établissement le 6 septembre 2000.


[2]        Le 6 octobre 2003, M. Rasaei a demandé la citoyenneté canadienne. Même s'il a réussi le test de citoyenneté, M. Rasaei s'est vu refuser la citoyenneté canadienne le 4 mai 2004 après une audience devant un juge de la citoyenneté parce qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, et ses modifications (la Loi). M. Rasaei interjette appel de cette décision sur le fondement du paragraphe 14(5) de la Loi. Il demande plus précisément à notre Cour de rendre une ordonnance annulant la décision du juge de la citoyenneté et une décision approuvant sa demande de citoyenneté canadienne.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]        M. Rasaei soulève les trois questions suivantes :

1.         Le juge de la citoyenneté a mal interprété le critère de la résidence et, de ce fait, a mal interprété l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

2.         Le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne faisant pas une recommandation au ministre conformément aux paragraphes 5(3) et (4) de la Loi.

3.         Le juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents produits par M. Rasaei pour établir qu'il vivait régulièrement, normalement ou habituellement au Canada.


ANALYSE

La norme de contrôle

[1]         Dans le passé, les décisions des juges de la citoyenneté faisaient l'objet d'un contrôle suivant la norme de la décision correcte (Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 778, par. 7 (1re inst.)). Toutefois, dans une décision plus récente de la Cour fédérale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, par. 6, 7), la juge Tremblay-Lamer a indiqué que la norme de la décision raisonnable simpliciter est plus appropriée puisque la question de savoir si une personne satisfait aux conditions de résidence énoncées dans la Loi est une question mixte de droit et de fait et qu'il faut faire preuve d'un certain degré de déférence à l'égard des connaissances et de l'expérience particulières des juges de la citoyenneté. C'est, selon moi, une norme de contrôle appropriée. Par conséquent, il convient de faire preuve de déférence dans la mesure où il est démontré que le juge a compris la jurisprudence et qu'il a apprécié les faits et les a appliqués au critère prévu par la Loi.

Question 1 :     Le juge de la citoyenneté a-t-il mal interprété le critère de la résidence et, de ce fait, a-t-il mal interprété l'alinéa 5(1)c) de la Loi?


[2]         M. Rasaei prétend que l'intention de conserver le Canada comme pays de résidence est importante mais non déterminante. Il affirme que, lorsqu'une personne s'est absentée physiquement du Canada, la période d'absence peut être prise en considération aux fins de la résidence peu importe depuis combien de temps elle s'est établie au Canada avant cette absence et si elle a maintenu sa résidence au Canada pendant qu'elle était à l'étranger (Re : Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), 88 D.L.R. (3d) 243, Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1067, et Re : Sun (1992), 58 F.T.R. 264 (C.F. 1re inst.)).

[3]         M. Rasaei souligne également que la Cour fédérale a déjà indiqué que la présence effective au Canada pendant toute la période requise par la loi n'est pas une exigence préalable pour satisfaire aux conditions de résidence (Re : Banerjee, [1994] A.C.F. no 1360).

[4]         M. Rasaei soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en se contentant de compter ses jours d'absence plutôt qu'en cherchant à savoir les raisons pour lesquelles il s'est absenté. Il estime que si le juge s'était ainsi interrogé, la période pendant laquelle il s'est absenté (environ 521 jours s'échelonnant sur la totalité de 2002 et sur des parties des années 2001 et 2003) n'aurait pas été retenue intégralement contre lui.

[5]         L'alinéa 5(1)c) de la Loi énonce les trois conditions que doit remplir la personne qui demande la citoyenneté. Les voici :

a)         être admis au Canada à titre de résident permanent;

b)         conserver le statut de résident permanent;


c)          avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande, la durée de la résidence étant calculée suivant la formule prescrite dans cet alinéa.

[6]         Toutes les personnes qui demandent la citoyenneté doivent remplir les trois conditions énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Seule la troisième condition est en cause en l'espèce.

[7]         Dans son analyse de la demande de M. Rasaei, le juge de la citoyenneté s'est appuyé sur la décision Re : Koo, [1993] 1 C.F. 186, (1992), 19 Imm. L.R. (2d) 1 (1re inst.). Dans cette affaire, la juge Reed a formulé six facteurs qui aident à déterminer si le Canada est le pays où la personne qui demande la citoyenneté « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou s'il s'agit du pays où elle a « centralisé son mode d'existence » . Ces six facteurs sont les suivants :

1)      la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)      où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)      la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?


4)      quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5)      l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6)      quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[8] Je suis convaincue qu'en l'espèce le juge a examiné les six facteurs énoncés dans la décision Koo en tenant compte de la preuve dont il avait été saisi. Le juge a fourni une lettre de refus circonstanciée dans laquelle il a examiné intégralement la demande de citoyenneté canadienne présentée par M. Rasaei en ce qui a trait à la question de la résidence. Outre le déficit de 508 jours, il a tenu compte des indices de la résidence de M. Rasaei au Canada, de la nature de son emploi aux États-Unis, de la présence de sa famille en Iran et de la rupture de ses liens avec Singapour. Bref, compte tenu de la preuve dont il avait été saisi, le juge de la citoyenneté a appliqué correctement la preuve aux facteurs servant à déterminer la résidence. Il n'était pas injustifié de sa part de conclure que M. Rasaei n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada.


[9] M. Rasaei voudrait que notre Cour réévalue la preuve pour tirer une conclusion différente; ce n'est pas le rôle de la Cour.

Question 2 :     Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en ne faisant pas une recommandation au ministre conformément aux paragraphes 5(3) et (4) de la Loi?

[10]       M. Rasaei soutient qu'il a eu beaucoup de difficulté en tant que résident permanent à trouver un emploi au Canada dans la profession qu'il avait choisie. Cette incapacité de trouver du travail est la raison principale pour laquelle il a dû vivre à l'étranger pendant une longue période (et, en fait, semble devoir continuer de le faire à l'occasion). Malgré cette explication, le juge de la citoyenneté n'a pas considéré que le préjudice découlant de l'absence de la citoyenneté canadienne constituait un motif raisonnable d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de recommander au ministre d'attribuer la citoyenneté canadienne à M. Rasaei même s'il ne remplissait pas les conditions concernant la résidence.


[11]       Il s'agit en réalité d'une question accessoire à la première question. L'analyse nécessaire pour déterminer s'il convient de recommander l'attribution de la citoyenneté même si les conditions de résidence ne sont pas remplies est essentiellement la même que celle qui est faite pour déterminer s'il y aurait lieu d'exempter la personne de ces conditions. M. Rasaei doit prouver l'existence de liens manifestes avec le Canada. À défaut de quoi, il doit démontrer l'existence de raisons impérieuses de l'exempter des conditions. Il doit s'agir de raisons d'ordre humanitaire ou du préjudice indu que la personne subirait si la citoyenneté lui était refusée.

[12]       Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a souligné qu'aucun document n'avait été produit pour justifier la formulation d'une recommandation en application des paragraphes 5(3) et (4) de la Loi, mais qu'après avoir attentivement examiné toutes les circonstances, il ne croyait pas que le cas de M. Rasaei justifiait de formuler une recommandation favorable [traduction] « puisqu'il n'y a aucune preuve indiquant qu'il s'agit de maladie ou d'invalidité, d'une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de services exceptionnels rendus au Canada » .

[13]       Je ne vois aucune erreur à cet égard dans sa décision.

Question 3 :     Le juge de la citoyenneté a-t-il omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents produits par M. Rasaei pour établir qu'il vivait régulièrement, normalement ou habituellement au Canada?


[14]       M. Rasaei prétend que le juge de la citoyenneté a commis une erreur parce qu'il n'a pas tenu compte de son permis de retour pour résident permanent lorsqu'il a déterminé le nombre total de jours de résidence au Canada. Il affirme que son absence du Canada était manifestement le résultat d'une situation temporaire puisqu'il avait été incapable de trouver du travail au Canada dans la profession de son choix (génie). Lorsqu'il a été engagé par Baker Hughes Inc. au Massachusetts (qui, souligne l'appelant, est une société multinationale ayant notamment plus d'une cinquantaine d'établissements partout au Canada), il a clairement indiqué son désir de revenir au Canada afin de s'y établir puisqu'il a informé Citoyenneté et Immigration Canada de son absence temporaire du pays et qu'il a obtenu un permis de retour pour résident permanent. M. Rasaei soutient que le juge de la citoyenneté aurait dû tenir compte de ce permis.

[15]       Un tribunal - ou, comme c'est le cas en l'espèce, un juge de la citoyenneté - n'a pas à mentionner chaque document qu'il a examiné pour arriver à sa décision (Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). L'omission de mentionner un document n'a pas de conséquences irrémédiables pour la décision à condition que les motifs de la décision reposent raisonnablement sur « l'ensemble de la preuve produite » (Hassan, précitée, p. 318).

[16]       En l'espèce, je suis convaincue que cet élément de preuve, qui a peu d'importance, voire aucune, relativement aux critères de citoyenneté n'a pas été laissé de côté. Au plus, le permis de retour pour résident permanent indique l'intention de M. Rasaei de s'établir au Canada. Le juge a reconnu les intentions de M. Rasaei lorsqu'il a dit que [traduction] « votre objectif est de rester au Canada et vous avez hâte de trouver un emploi à temps plein » . Malheureusement pour M. Rasaei, les bonnes intentions ne sauraient remplacer la présence physique ni les autres facteurs formulés dans l'analyse faite dans la décision Koo.


[17]       Je n'ai absolument aucun doute qu'avec le temps, M. Rasaei deviendra un citoyen utile pour notre pays. Toutefois, il doit tout d'abord satisfaire aux exigences de la Loi sur la citoyenneté.

CONCLUSION

[18]       Pour ces motifs, je conclus que le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur qui justifie l'intervention de notre Cour et que l'appel de M. Rasaei doit être rejeté.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

L'appel interjeté par l'appelant est rejeté.

(Signé) « Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1088-04

INTITULÉ :                                              MANSOUR RASAEI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 30 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                            LE 2 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Mansour Rasaei                                           EN SON PROPRE NOM

Jonathan Shapiro                                         POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coquitlam (C.-B.)                                       EN SON PROPRE NOM

Morris Rosenberg                                        POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada


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