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Date : 20000316

Dossier : T-955-99

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

GARY MAN LAI SHIU

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL


[1]         La question que soulève le présent appel est de savoir si, dans la décision qu'il a prise le 5 avril 1999, le juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu'il a approuvé la demande de citoyenneté canadienne que le défendeur a présentée en vertu du par. 5(1) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi)[1]. À mon avis[2], la réponse à cette question dépend de la question de savoir si le critère énoncé par le juge Thurlow dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, à la page 214, a été appliqué de la façon suivante :

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

[2]         Voici les faits, non contestés, de la présente affaire :

1.              Gary Man Lai Shiu est né à Hong Kong le 2 février 1971. Il est un citoyen de Hong Kong.

2.              Le défendeur est arrivé au Canada en compagnie des autres membres de sa famille le 15 août 1994 et a été, la même journée, légalement admis au pays en tant que résident permanent. Outre un brève visite qu'il a faite à Hong Kong, pendant ses vacances, du 21 décembre 1994 au 11 janvier 1995, le défendeur n'a pas résidé dans son pays de naissance et n'y est pas retourné depuis son arrivée au Canada.

3.              Le défendeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 12 janvier 1998.

4.              Il ressort du dossier relatif à l'établissement du défendeur au pays que ce dernier a déclaré en 1994 qu'il était un étudiant. En effet, avant son arrivée au Canada en 1994, le défendeur suivait un programme de doctorat en physique de cinq ans à l'UniversitéCornell, dans l'État de New York. (États-Unis). Aux États-Unis, il était détenteur d'un visa d'étudiant.

5.              Outre son bref séjour à Hong Kong, le défendeur a fait un voyage de six jours aux Pays-Bas pour assister à un congrès de physique en 1997. Les autres absences du défendeur du Canada étaient toutes liées aux études qu'il poursuivait à l'UniversitéCornell.

6.              Le défendeur a été absent du Canada pendant 1 120 jours entre la date de son premier départ du Canada, le 25 août 1994, et le 16 décembre 1997. Il a cependant été physiquement présent au Canada pendant 126 jours au cours de la période pertinente, revenant à la maison au Canada chaque fois que l'occasion se présentait.


7.              Le défendeur s'est trouvé au Canada aux dates suivantes :

15 au 25 août 1994

7 au 24 août 1995

19 décembre 1995 au 16 janvier 1996

19 au 28 août 1996

20 décembre 1996 au 14 janvier 1997

22 au 30 juillet 1997

16 décembre 1997 au 15 janvier 1998

Il revenait à la maison parce qu'il aimait l'ambiance canadienne et pour voir ses parents et amis.

8.              Même s'il vivait aux États-Unis pour y poursuivre ses études, le défendeur a obtenu et maintenu un compte bancaire à une succursale de la Banque Hong Kong du Canada à Edmonton (Alberta), un permis de conduire de l'Alberta, une carte de soins de santé de l'Alberta, et un numéro d'assurance sociale. Il se servait également de son adresse d'Edmonton (celle de la résidence de ses parents) en tant qu'adresse postale pour toutes ses lettres et tous ses documents importants. Il a également entreposé des meubles au Canada pendant son séjour à l'étranger[3].

[3]         Il faut également mentionner un autre fait important dans la présente affaire, soit que après que le défendeur est arrivé pour la première fois au Canada le 15 août 1994, il n'est demeuré au pays que pendant dix jours avant de se rendre aux États-Unis pour y poursuivre ses études.

[4]         Sur le fondement des faits susmentionnés, le juge de la citoyenneté a pris la décision qui fait l'objet du présent contrôle : [TRADUCTION] « Approuvé sur la base des renseignements fournis » .


[5]         Compte tenu de Re Papadogiorgakis, il est clair que pour satisfaire au critère en matière de résidence prévu à l'al. 5c) de la Loi, une personne doit avoir « établi sa résidence » au Canada et ne pas avoir cessé d'y résider. Cependant, toujours selon le raisonnement du juge Thurlow, la norme, prévue à l'al. 5c) de la Loi, selon laquelle le demande de citoyenneté doit avoir résidé au Canada pendant 1 095 jours avant de présenter sa demande, n'est pas rigide.

[6]         Il existe toute une gamme d'opinions judiciaires en ce qui concerne la preuve que doit nécessairement produire un adulte indépendant, tel le défendeur, pour prouver qu'il a établi une résidence au Canada[4].

[7]         Dans Re Lamb [1999] J.C.F. no 651 [C.F. 1re inst.] (décision rendue le 28 avril 1999), le juge Simpson a conclu, à l'égard d'un demandeur qui, après son arrivée au Canada, n'a passé que dix jours au pays avant de retourner poursuivre ses études aux États-Unis, que ce dernier n'avait pas établi de résidence. Le juge a fait les remarques suivantes :

La décision Papadogiorgakis montre que la Cour peut traiter un étudiant comme un résident, malgré une absence physique importante, si cet étudiant a établi et conservé une résidence au Canada en y centralisant son mode de vie, et ne se trouvait à l'étranger que pour des études temporaires et revenait fréquemment.

Toutefois, la décision Papadogiorgakis ne permet pas de conclure qu'un étudiant peut venir au Canada pour une courte période, ne pas y établir une première résidence, puis passer de longues périodes d'études et de vacances à l'étranger et, sur ce fondement, s'attendre à remplir les exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyennetécanadienne. Je devrais faire remarquer qu'établir une résidence n'est pas seulement une question de rassembler les documents habituels liés à la résidence (carte santé, carte d'assurance-sociale, carte bancaire, déclaration d'impôts, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). À mon avis, il faut également faire des efforts pour s'intégrer et participer à la société canadienne, ce qui pourrait se faire dans un lieu de travail, dans un groupe de bénévoles, ou dans une activité sociale ou religieuse, pour ne nommer que quelques possibilités.


[8]         La décision Re Lamb est compatible avec la décision que le juge Gibson a rendue dans Re Chuang [1999] J.C.F. no 509 (décision rendue le 15 avril 1999) à l'égard d'un demandeur étudiant qui n'était demeuré que pendant dix jours au Canada après avoir obtenu le statut de résident permanent, décision dans laquelle le juge cite avec approbation le passage suivant des motifs que le juge Wetston a exposés dans Re Shang [1998] J.C.F. no 112 [C.F. 1re inst.]) :

Peut-on dire que l'appelante est une personne qui, en pensée et en fait, a centralisé son mode de vie avec tout ce que cela comporte de relations sociales, d'intérêts et de commodités au Canada? La réponse à cette question est souvent très difficile dans les cas des étudiants. Toutefois, en l'espèce, malgré le fait que l'appelante a été une étudiante, je ne suis pas convaincu qu'elle ait effectivement établi sa résidence au Canada avant de décider de demander la citoyenneté canadienne. Je ne suis pas persuadé que la qualité de l'attachement de l'appelante pendant ses études et jusqu'à la date de sa demande de citoyenneté est telle qu'il y a lieu de qualifier le temps qu'elle a consacré aux études de période de résidence au Canada. À mon avis, payer des impôts, obtenir un numéro d'assurance sociale ou un permis de conduire sont des indices insuffisants de la poursuite agressive d'une intégration dans la collectivité et le mode de vie canadiens. La preuve en l'espèce établit plutôt que son attachement est davantage un attachement à sa famille, qui vit à Toronto, qu'un attachement au Canada en soi.

[9]         La décision Re Shang a été rendue avant que le juge de la citoyenneté ne prenne une décision dans la présente affaire, alors que les décisions Re Lamb et Re Chuang ont été rendues après sa décision. Cependant, chacune de ces affaires contient la détermination principale suivante : le demandeur de citoyenneté doit avoir d'abord clairement établi sa résidence au Canada pour que sa demande soit accueillie.

[10]       En conséquence, vu la particularité du critère que le juge Thurlow a énoncé dans Re Papadogiorgakis, compte tenu de l'interprétation susmentionnée de ce critère, et comme le juge de la citoyenneté n'a pas exposé de motifs pour étayer la décision qu'il a rendue dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que ce dernier a appliqué le bon critère en l'espèce. En conséquence, j'estime qu'il a commis une erreur susceptible de contrôle en prenant cette décision.


ORDONNANCE

[11]       En conséquence, le présent appel est accueilli.

     « Douglas R. Campbell »     

juge

Edmonton (Alberta)

Le 16 mars 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                              T-955-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration                                                                        c. Gary Man Lai Shiu

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                                                 16 mars 2000

ONT COMPARU :    

W. Brad Hardstaff                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Brent W. Mielke                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Shtabsky & Tussman

Edmonton (Alberta)                                                                  POUR LE DÉFENDEUR



[1]            Voici le libellé du par. 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

a) en fait la demande;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

c) a étélé galement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidéau Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20. [Non souligné dans l'original.]

[2]                Selon les conclusions que j'ai tirées en matière d'interprétation dans MCI c. Wing Tung Thomas Yeung (C.F. 1re inst. no T-1256-98, décision rendue le 3 février 1999), la question litigieuse que soulèvent les appels comme celui en l'espèce est de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle.

[3]            Cette description est inspirée de l'exposé des faits et du droit du défendeur, dossier de la demande du défendeur, onglet 3.

[4]            Dans Re Cheung, 32 F.T.D.R. 245, le juge MacKay a conclu qu'une demanderesse de citoyenneté qui dépendait entièrement de ses parents avait établi sa résidence, même si, après son arrivée au pays, elle n'a passéque quatre jours au Canada avant de retourner à Hong Kong, où elle a poursuivi des études de médecine. Comme le défendeur en l'espèce n'est pas dans une situation similaire, je conclus donc que la décision du juge MacKay peut être distinguée de la présente affaire.

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