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                                                                                                                                           Date : 20011114

                                                                                                                             Dossier : IMM-6304-99

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1243

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                                        YAN HUA LI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


1.                    Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, dans le but d'obtenir le contrôle judiciaire visé à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a refusé, le 16 décembre 1999, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à la demanderesse.

2.                    La demanderesse souhaite que la décision de la SSR soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être examinée de nouveau.

3.                    La demanderesse, qui vient de Fuzhou, en Chine, était âgée de 17 ans au moment où la SSR a rendu sa décision. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa religion et de ses prétendues opinions politiques.


4.                    La demanderesse et sa famille sont de religion catholique romaine. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le gouvernement chinois ne permet pas aux catholiques romains de pratiquer leur religion. Ainsi, ceux-ci ne sont pas autorisés à construire des églises ou à organiser des activités religieuses. La demanderesse affirme que les autorités ont [traduction] « démoli » une église en construction dans un village voisin. Elle dit que de fervents croyants continuent de construire des églises en dépit des mesures prises par le gouvernement. Elle affirme que le prêtre de son église a été arrêté pendant une messe et que le cardinal de Fuzhou a été arrêté et condamné à un emprisonnement de 20 ans. Un [traduction] « jeune croyant » enseignant le catéchisme à des enfants a été arrêté et battu sévèrement. La demanderesse aurait commencé à enseigner le catéchisme et aurait appris que la police était à sa recherche. Cet incident a incité sa famille à prendre des dispositions pour qu'elle parte pour le Canada.

5.                    La demanderesse prétend également que le gouvernement chinois a forcé sa mère à subir un avortement alors qu'elle était enceinte de son troisième enfant. Le gouvernement a aussi imposé de lourdes amendes à sa famille, qui a dû emprunter de l'argent pour les payer. Le père de la demanderesse a été stérilisé de force. Dix ans plus tard, le gouvernement a tenté de l'arrêter parce qu'il avait participé à des manifestations contre le contrôle des naissances. Il s'est alors enfui au Royaume-Uni.

6.                    La demanderesse a été emmenée au Canada par des membres d'un groupe criminel organisé, les Snakeheads. Elle a quitté la Chine vers le 16 août 1999 et est arrivée à Vancouver le 18 août suivant, ou vers cette date. Elle a été enfermée dans une chambre d'hôtel de cette ville pendant environ 11 jours. Les passeurs lui ont dit qu'elle pourrait sortir de la chambre si elle se conduisait bien. Le 3 septembre 1999, après avoir passé deux jours à Toronto, elle a été capturée avec neuf autres personnes en tentant d'entrer illégalement aux États-Unis et a été placée en détention à la frontière canado-américaine.


7.                    La demanderesse soutient qu'elle est une réfugiée sur place parce que les autorités chinoises considéreront qu'elle a exprimé une opinion politique en quittant la Chine illégalement et en revendiquant ensuite le statut de réfugié. Elle prétend qu'elle sera battue, emprisonnée et condamnée à payer des amendes si elle est renvoyée en Chine. Le fait que les médias aient parlé de son arrestation et de l'audience de la SSR accroît sa crainte. Cette question, qui est soulevée également par toutes les personnes qui ont été arrêtées en même temps que la demanderesse, fait l'objet de motifs séparés qui sont joints aux présents motifs, à l'appendice A. Il suffit pour l'instant de mentionner que la prétention a été rejetée.

DÉCISION DE LA SSR

8.                    Se fondant sur la preuve documentaire, la SSR a décidé qu'il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse soit victime de persécution religieuse si elle était renvoyée en Chine. L'un des documents produits en preuve, qui a été cité par la SSR, laisse entendre que, bien que le gouvernement chinois cherche à imposer des restrictions aux groupes religieux non enregistrés en particulier, le nombre d'églises non enregistrées continue à augmenter rapidement, [traduction] « parfois sans grande intervention des autorités » [1]. Un autre document indique que les activités religieuses sont généralement tolérées dans la province du Fujian (d'où vient la demanderesse) tant qu'elles ne prennent pas une tournure politique.

9.                    La SSR a aussi cité l'extrait suivant d'un document publié par le Département d'État américain et intitulé Annual Report on International Religious Freedom for 1999: China :


[traduction] ... il y avait plus de 85 000 lieux de culte approuvés. Certains groupes se sont enregistrés volontairement, d'autres sous la pression, et les autorités ont refusé d'en enregistrer d'autres encore. Des groupes non officiels ont indiqué qu'il arrive souvent que les autorités refusent de les enregistrer sans expliquer pourquoi. Le gouvernement prétend que ces refus s'expliquent principalement par le manque d'installations et de lieux de rencontre adéquats. De nombreux groupes religieux se sont conformés à contrecoeur à la réglementation à cause de leur opposition, pour des raisons de principe, au contrôle exercé par l'État sur la religion ou de la crainte des conséquences néfastes qu'ils pouvaient subir s'ils révélaient, comme ils devaient le faire, les noms et les adresses de leurs dirigeants. Dans certaines régions, ce sont les chefs religieux et les responsables des affaires civiles qui se chargent de l'enregistrement des groupes non autorisés; dans d'autres régions, l'enregistrement est effectué par la police et les agents du BAR dans le cadre de leurs fonctions en matière d'application de la loi. La police a fermé de nombreux temples, mosquées, séminaires, églises catholiques et « églises domestiques » protestantes « clandestins » , dont un grand nombre comptaient de nombreux membres et possédaient une quantité importante de biens ainsi que des ressources financières et des réseaux importants. Les dirigeants des groupes non autorisés sont souvent l'objet de harcèlement, d'interrogatoires, de détention et d'agression physique[2].

10.              La SSR a constaté que la demanderesse était incapable de dire si son église était enregistrée ou non, et elle a conclu que [traduction] « même si la situation n'est pas parfaite en Chine pour ce qui est de la liberté de religion, cette situation semble s'améliorer » [3].

11.              La SSR a tiré ensuite des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de la demanderesse. Ainsi, elle n'a pas admis que le père ou la mère de la demanderesse ou les autorités religieuses lui auraient permis d'enseigner le catéchisme après qu'un autre professeur eut été arrêté et battu sévèrement. La SSR a rejeté l'explication de la demanderesse selon laquelle elle avait couru ce risque afin de servir Dieu et ne pensait pas être arrêtée vu son jeune âge. La SSR a reconnu qu'il y a des martyrs dans toutes les religions, mais elle doutait de [traduction] « la crédibilité du courage [de la demanderesse] » , compte tenu de son âge et du risque d'être arrêtée et battue. En outre, la demanderesse ne pouvait pas préciser qui lui avait demandé d'enseigner le catéchisme et elle avait répondu aux questions [traduction] « d'une manière particulièrement hésitante » .


12.              La SSR a demandé à la demanderesse si l'enseignement du catéchisme était contraire à la loi en Chine. La demanderesse a répondu que [traduction] « la Chine interdit tout genre d'activité religieuse qui contrevient à la loi et n'autorise que les activités religieuses protestantes » [4]. La SSR a conclu ce qui suit de cette réponse :

[traduction] Si la première affirmation est vraie, alors la revendicatrice savait qu'elle contrevenait à la loi en enseignant. La deuxième affirmation n'est pas compatible avec la situation objective du pays qui est décrite dans la documentation[5].

13.              La SSR a ensuite fait référence à la preuve documentaire pour conclure que, contrairement à ce que prétendait la demanderesse, la pratique religieuse est permise en Chine.

14.              La SSR a considéré que le témoignage de la demanderesse concernant sa participation à une manifestation d'opposition à la politique de contrôle des naissances de la Chine était [traduction] « incohérent et contradictoire » . Elle a indiqué que la demanderesse n'avait rien dit à ce sujet dans son exposé circonstancié et que rien dans les notes prises au point d'entrée (PE) ne permettait de conclure que la demanderesse avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié au Canada.

15.              La SSR a conclu que la demanderesse ne s'était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu'il existait plus qu'une simple possibilité qu'elle soit persécutée du fait de ses activités religieuses si elle retournait en Chine.


16.              La demanderesse prétend que la SSR a commis un certain nombre d'erreurs dans sa décision. Selon elle, la SSR n'a pas tenu compte de son témoignage selon lequel un prêtre et un cardinal avaient été arrêtés dans sa région; elle n'a pas tenu compte du fait qu'elle était recherchée par la police; elle a omis de prendre en compte le fait que sa vie serait en danger si elle était renvoyée en Chine, compte tenu de son âge et des conditions existant dans les prisons chinoises; elle n'a pas respecté les directives relatives aux enfants qui revendiquent le statut de réfugié lorsqu'elle a évalué sa crédibilité.

ANALYSE

1.          Motifs objectifs

17.              La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la SSR est celle du caractère manifestement déraisonnable : Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741, [1994] A.C.F. no 2018, au par. 25 (1re inst.) (QL). La conclusion de la SSR selon laquelle la situation de la liberté religieuse semble s'améliorer en Chine est raisonnable compte tenu de la preuve.


18.              La norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la SSR sur des questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable simpliciter : Goodman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 342, au par. 53 (1re inst.) (QL), (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 104, le juge Lemieux; Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 708, au par. 12 (1re inst.) (QL), le juge O'Keefe. La question que la SSR devait trancher en l'espèce n'était pas de savoir si la tolérance religieuse était plus grande qu'avant, mais plutôt si cette tolérance était devenue plus grande au point où il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée. Il ressortait même des passages cités par la SSR que les adeptes religieux, notamment les catholiques, sont toujours persécutés en Chine :

[traduction] La police a fermé de nombreux temples, mosquées, séminaires, églises catholiques et « églises domestiques » protestantes « clandestins » , dont un grand nombre comptaient de nombreux membres et possédaient une quantité importante de biens ainsi que des ressources financières et des réseaux importants. Les dirigeants des groupes non autorisés sont souvent l'objet de harcèlement, d'interrogatoires, de détention et d'agression physique.

19.              Il ressortait aussi de la preuve que les groupes religieux sont souvent récalcitrants :

[traduction] De nombreux groupes religieux se sont conformés à contrecoeur à la réglementation à cause de leur opposition, pour des raisons de principe, au contrôle exercé par l'État sur la religion ou de la crainte des conséquences néfastes qu'ils pouvaient subir s'ils révélaient, comme ils devaient le faire, les noms et les adresses de leurs dirigeants.

                

20.              Il ressortait même de la preuve que les autorités refusent d'enregistrer des groupes religieux :       [traduction] Certains groupes se sont enregistrés volontairement, d'autres sous la pression, et les autorités ont refusé d'en enregistrer d'autres encore. Des groupes non officiels ont indiqué qu'il arrive souvent que les autorités refusent de les enregistrer sans expliquer pourquoi.

21.              Mais la question que la SSR devait trancher n'était pas de savoir si, dans l'abstrait, les catholiques étaient persécutés, mais plutôt si la demanderesse était susceptible d'être persécutée compte tenu de sa situation. Pour trancher cette question, la SSR devait être convaincue que la demanderesse était bien la personne religieuse qu'elle prétendait être. Pour ce faire, elle devait nécessairement évaluer la crédibilité de la demanderesse.


2.          Crédibilité

22.              L'arrêt Aguebor c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732, au par. 4 (C.A.) (QL), (1993), 160 N.R. 315, est généralement considéré comme l'arrêt faisant autorité pour ce qui est de la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SSR concernant la crédibilité :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

23.              Les directives intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié[6], données par la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, prévoient ce qui suit :

En général, les enfants ne sont pas capables de témoigner avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l'importance et des détails d'un fait. Ils peuvent être incapables, par exemple, de témoigner au sujet des circonstances entourant leurs expériences passées ou de leur crainte de persécution future. De plus, les enfants peuvent manifester leurs craintes d'une manière différente d'un adulte[7].

[...]

Lorsqu'il évalue la preuve présentée au soutien d'une revendication du statut de réfugié d'un enfant, le tribunal devrait tenir compte de ce qui suit :

1.              Si l'enfant a témoigné de vive voix, le tribunal doit évaluer la valeur de ce témoignage. Le tribunal devrait, à cette fin, prendre en considération la possibilité qu'a eue l'enfant d'observer les faits, et sa capacité de les observer attentivement, de faire part de ce qu'il a vu et de s'en souvenir. Ces facteurs peuvent varier suivant l'âge de l'enfant, son sexe et ses antécédents culturels, ainsi que la crainte, les problèmes de mémoire, l'état de stress post-traumatique et la perception de l'enfant concernant la procédure de la SSR, entre autres.


2.              Il se peut qu'un enfant demandeur du statut de réfugié ne puisse exprimer une crainte subjective de persécution de la même manière qu'un demandeur adulte. Par conséquent, il faudra peut-être accorder plus de poids aux éléments objectifs qu'aux éléments subjectifs de la revendication. La Cour fédérale du Canada (Section d'appel) a dit ce qui suit sur cette question :

[...] il répugne de penser que l'on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant en bas âge [...], était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

3.              Il peut arriver qu'il y ait des lacunes dans la preuve. Par exemple, l'enfant peut indiquer que des hommes en uniforme sont venus chez lui, mais être incapable de préciser de quel genre d'uniforme il s'agissait, ou encore ne pas connaître les opinions politiques des membres de sa famille. L'enfant peut, notamment en raison de son âge, de son sexe, de ses antécédents culturels ou d'autres caractéristiques, être incapable de témoigner au sujet de tous les faits. Dans ces cas, le tribunal devrait déterminer s'il est en mesure de déduire les détails de la revendication du témoignage présenté[8].

24.              Il convient de noter que la SSR affirme qu'elle a pris sa décision en conformité avec les Directives sur les enfants, [traduction] « en analysant les éléments fondamentaux de la revendication » [9]. Il est difficile d'évaluer la crédibilité d'une jeune personne qui prétend qu'elle était prête à courir le risque d'être battue pour enseigner le catéchisme. Il arrive souvent que des personnes sont amenées, par leur foi, à commettre des actes héroïques. Mais il appartenait en définitive à la SSR d'évaluer la crédibilité de la demanderesse. La SSR a eu le bénéfice de voir et d'entendre la demanderesse et, en l'absence de motifs autres que la possibilité d'en arriver à une conclusion différente, je ne vois aucune raison de modifier cette évaluation.


25.              La SSR a peut-être été un peu irréaliste en s'attendant à ce que la demanderesse connaisse le régime juridique applicable aux églises en Chine. Par contre, il n'est pas déraisonnable de penser que les personnes qui prétendent avoir un intérêt particulier dans un domaine donné possèdent des connaissances étendues de celui-ci. Je n'aurais peut-être pas procédé de la même manière que la SSR, mais l'approche adoptée par celle-ci n'était pas dénuée de fondement, même si on tient compte de l'âge de la demanderesse.

26.              La SSR a constaté que la demanderesse avait répondu [traduction] « d'une manière particulièrement hésitante » quand elle avait voulu savoir qui l'avait choisie pour enseigner le catéchisme. La Cour répugne à intervenir à l'égard de conclusions relatives à la crédibilité qui sont fondées sur le comportement. M. le juge Jerome a d'ailleurs dit ce qui suit à ce sujet dans la décision Tong c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 479, au par. 3 (1re inst.) (QL) :

Le comportement du demandeur, la cohérence de ses propos, son aptitude à présenter des faits spécifiques, et la concordance entre ses assertions et les preuves objectives versées au dossier, sont autant de facteurs de crédibilité intérieure, c'est-à-dire de véracité (ou de manque de véracité) manifeste du témoignage du témoin, envisagé en soi et à la lumière du dossier, c'est-à-dire envisagé à la lumière du comportement, de la franchise, de la promptitude, de la cohérence et de l'uniformité des réponses - ce que je qualifierais de fonds de crédibilité. La confusion, la réticence, les réponses évasives et les contradictions seront des indices de manque de crédibilité.

27.              La SSR pouvait tenir compte de l'imprécision apparente des réponses de la demanderesse. Elle pouvait s'attendre à obtenir facilement une réponse à une question aussi simple et pertinente, peu importe l'âge de la demanderesse. Cet échange est pertinent également en ce qui concerne un autre aspect du récit de la demanderesse : sa prétention d'avoir enseigné le catéchisme.


28.              La SSR a jugé que le témoignage de la demanderesse concernant sa participation à la manifestation de protestation contre les politiques de contrôle des naissances de la Chine était incohérent et contradictoire. Me fondant sur la décision Tong, je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion, vu en particulier que la demanderesse n'a pas parlé de cette manifestation dans son FRP : Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 49, au par. 36 (1re inst.) (QL), le juge Teitelbaum.

29.              Les arguments de la demanderesse concernant son statut de réfugié sur place ont été rejetés dans des motifs séparés.

30.              Compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la SSR. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section du statut de réfugié le 20 décembre 1999, dont les motifs sont datés du 16 décembre 1999, est rejetée.

La question suivante est certifiée :


Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et

b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?

                                                                                                                                  « J. D. Denis Pelletier »      

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                             Dossier : IMM-6304-99

                                                                                                                                            APPENDICE A

Réfugié sur place

31.              Les demandes de contrôle judiciaire présentées par dix demandeurs ont été entendues ensemble parce qu'elles soulevaient des questions identiques, notamment celle de savoir si les demandeurs étaient devenus des réfugiés sur place. Chacun des demandeurs avait revendiqué le statut de réfugié devant la Section du statut de réfugié (SSR) parce qu'il prétendait craindre avec raison d'être persécuté à cause de ses prétendues opinions politiques et de son statut de réfugié sur place découlant des reportages parus dans les médias sur son arrestation, sa détention et sa revendication subséquente du statut de réfugié. Des enregistrements sur bandes vidéo de reportages diffusés à la télévision et deux articles parus dans des journaux ont été présentés à la SSR. Les demandeurs prétendaient qu'à cause de ces reportages et de ces articles les autorités chinoises sauraient qu'ils avaient revendiqué le statut de réfugié au Canada et considéreraient les revendications comme des déclarations politiques contre le régime chinois. Les demandeurs soutiennent également qu'ils seront sévèrement punis pour avoir quitté la Chine illégalement. Ils n'ont produit aucune preuve démontrant que les autorités chinoises les traiteraient différemment par suite des reportages faisant état de leurs revendications du statut de réfugié.

32.              Les présents motifs s'appliquent à tous les demandeurs au regard de leur allégation selon laquelle la SSR n'a pas bien évalué leur revendication du statut de réfugié sur place.


33.              La SSR a indiqué que les questions suivantes étaient [traduction] « fondamentales » au regard du statut de réfugié sur place :

[traduction] La Chine serait-elle au courant de la présente revendication du statut de réfugié? Considérerait-elle qu'une personne qui quitte le pays illégalement et revendique le statut de réfugié exprime une opinion politique? Dans l'affirmative, quelles conséquences le revendicateur subirait-il10?

34.              La SSR s'est ensuite demandé si la peine que le gouvernement chinois infligerait aux demandeurs pour avoir quitté le pays illégalement équivaudrait à de la persécution au sens de la Convention. Elle a rappelé les principes énoncés dans l'arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540, [1993] A.C.F. no 584 (C.A.) (QL), selon lesquels les lois ordinaires d'application générale sont présumées être valides et neutres et le demandeur doit démontrer que la loi en question revêt un caractère de persécution pour un motif prévu par la Convention11. La SSR a reconnu le principe voulant qu'une loi d'application générale puisse avoir un effet assimilable à de la persécution si la peine qu'elle prévoit est [traduction] « tout à fait disproportionnée par rapport à l'infraction commise » 12. Elle a toutefois précisé qu'il faut que la peine disproportionnée soit liée à un motif prévu par la Convention pour que le statut de réfugié soit reconnu.


35.              Citant une Réponse à une demande d'information du 22 septembre 1999, la SSR a fait remarquer que les autorités chinoises disposent d'un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'infliction de sanctions aux personnes ayant quitté le pays illégalement. Elle a toutefois souligné que le document n'indiquait pas qu'une peine d'emprisonnement de plus de trois ans pouvait être infligée et que la Chine pouvait considérer la sortie illégale du pays ou la revendication du statut de réfugié comme l'expression d'une opinion politique ou un facteur qui influerait sur la sanction. La SSR a cité le passage suivant :

[traduction] [...] le fait que les personnes qui sont rapatriées en Chine soient rarement emprisonnées s'explique par différents facteurs : l'importance du phénomène de l'immigration illégale de personnes de la province du Fujian, le nombre de personnes rapatriées en Chine après avoir vécu en Australie, au Japon, à Taïwan, aux États-Unis et dans d'autres pays, et l'influence considérable des Snakeheads13.

36.              La SSR a aussi cité un extrait d'un rapport sur les pays publié en Australie en 1994 :

[traduction] En réponse aux reportages parus dans les médias selon lesquels les personnes rapatriées récemment dans la province du Fujian devaient payer des amendes élevées et fréquenter des centres de rééducation en cas de défaut de paiement, un représentant du Fujian a indiqué que ces personnes avaient été détenues dans un centre du BSP afin que leur identité et leur santé soient vérifiées. Elles seraient ensuite renvoyées dans la ville où elles habitaient, qui sont toutes situées dans la région de Fuzhou. De légères amendes leur seraient infligées. Même si le gouvernement les considérait comme des personnes ayant contrevenu à la loi, il était préférable de les voir comme des victimes du trafic illégal de migrants. Le représentant a reconnu que les récidivistes et les organisateurs ignobles seraient traités plus durement14.


37.              Une autre Réponse à une demande d'information a été citée pour démontrer que les migrants qui retournent en Chine n'ont pas non plus de motifs objectifs suffisants de craindre d'être harcelés par les Snakeheads15.

38.              La SSR a tiré les conclusions suivantes :

[traduction] En résumé, la loi chinoise régissant la sortie illégale du pays est une loi d'application générale qui, suivant les lignes directrices établies dans l'arrêt Zolfagharkhani, est présumée valide et neutre. Même s'il soutenait que le régime chinois est généralement oppressif, le revendicateur n'a pas réussi à démontrer que cette loi aurait sur lui un effet analogue à de la persécution liée à un motif prévu par la Convention. En conséquence, il importe peu que le revendicateur puisse être identifié sur les bandes vidéo produites en preuve et que la Chine soit au courant de la présente revendication du statut de réfugié16.


39.              Les avocats des demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a décidé qu'il importait peu de savoir si les demandeurs pouvaient être identifiés dans les reportages. M. Markaki a fait valoir que la SSR s'est seulement demandé si la peine prévue pour la sortie illégale était de la nature de la persécution, sans déterminer spécifiquement comment les revendications du statut de réfugié des demandeurs dont les médias avaient abondamment parlé allaient être considérées par les autorités chinoises et l'effet que cela pourrait avoir sur la peine qui leur serait infligée. Selon l'avocat, la SSR aurait dû examiner cette question [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis, en se servant de ce qu'elle savait des conditions existant dans le pays et les documents généraux produits en preuve qui indiquent qu'un régime oppressif est en place en Chine et que celui-ci ne tolère aucune critique ni opposition politique de quelque sorte que ce soit » 17.

40.              Il existe peu de lignes directrices et de décisions judiciaires sur l'évaluation appropriée des revendications sur place. Selon le Guide du HCR, une personne peut devenir un réfugié sur place pour d'autres raisons que le changement de circonstances dans son pays d'origine :

Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu'elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu'elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d'un examen approfondi des circonstances. En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d'origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles18.

41.              Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, la Cour suprême a ouvert la porte aux opinions politiques imputées au revendicateur19 :

[...] il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. Dans bien des cas, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d'être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté, mais cela ne l'empêche pas d'être protégé.


Le motif des opinions politiques semble donc suffisamment souple pour englober la revendication de réfugié sur place des demandeurs.

42.              À mon avis, le problème fondamental dans le cas des demandeurs vient du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve, documentaire ou autre, qui étayait leur revendication du statut de réfugié sur place. Ce problème ressort implicitement des propos suivants formulés par la Cour suprême dans l'arrêt Ward : « Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté » (non souligné dans l'original). Je suis d'accord avec M. Markaki quand il dit que la SSR a limité son analyse à la preuve documentaire traitant des peines applicables en cas de sortie illégale de la Chine. Par contre, je ne pense pas que la SSR aurait dû déterminer comment le gouvernement chinois pourrait considérer le fait de revendiquer le statut de réfugié, [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis » . Il aurait fallu, si une distinction doit être faite au regard du traitement réservé aux personnes rapatriées qui ont revendiqué le statut de réfugié au Canada et aux autres personnes rapatriées, et si ce traitement équivaut à de la discrimination fondée sur de prétendues opinions politiques, que la SSR soit saisie d'éléments de preuve à ce sujet. M. le juge Nadon a d'ailleurs dit ce qui suit dans la décision Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)20 :

Il est clair en droit que le fardeau de la preuve incombe au requérant, c'est-à-dire qu'il doit convaincre la section du statut de réfugié que sa revendication satisfait, à la fois, aux critères subjectifs et objectifs nécessaires à la justification d'une crainte de persécution.


43.              En l'absence de preuve documentaire démontrant que les demandeurs seraient persécutés en raison des opinions politiques qui leur seront imputées par suite de leurs revendications du statut de réfugié, il était raisonnable que la SSR ne tire aucune conclusion fondée sur la preuve de publicité. La SSR ne peut pas émettre d'hypothèses sur la question de savoir si cela est favorable ou défavorable aux demandeurs.

44.              Le principe suivant, qui a été élaboré par M. le juge Gibson dans la décision Biko c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL), m'est utile également pour analyser la décision de la SSR :

La décision de la SSR doit être interprétée dans son ensemble. J'ajouterais à cela qu'elle doit être interprétée comme un ensemble, compte tenu de tous les éléments de preuve dont disposait la SSR.

45.              Compte tenu du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve établissant les motifs objectifs de la crainte de persécution des demandeurs fondée sur leurs prétendues opinions politiques et que les demandeurs avaient le fardeau de la preuve à cet égard, j'estime que la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la revendication du statut de réfugié sur place des demandeurs.

46.              À la fin de l'audience, l'avocat m'a demandé de certifier la question suivante concernant le statut de réfugié sur place :

[traduction] Le fait qu'un pays ayant un caractère généralement oppressif sache que l'un de ses ressortissants a revendiqué le statut de réfugié fait-il de cette personne un réfugié sur place?


47.              À mon avis, cette question n'est pas particulièrement claire à cause de l'imprécision de la notion de « pays ayant un caractère généralement oppressif » . La question en litige en l'espèce était de savoir si le statut de réfugié sur place pouvait être reconnu en l'absence d'une preuve démontrant que la revendication du statut de réfugié de certaines personnes était venue spécifiquement à l'attention des autorités chinoises. À mon avis, la question suivante est plus appropriée, et je suis disposé à la certifier :

Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et

b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-6304-99

INTITULÉ :                                                     YAN HUA LI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 11 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                             MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                     Le 14 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Nagi Ebrahim                                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Pascale-Catherine Guay                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ebrahim, MacLeod et Gervais                                        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]           Dossier du tribunal, à la p. 7.

[2]            Dossier du tribunal, aux p. 7 et 8.

[3]           Ibid.

[4]           Ibid., à la p. 9.

[5]           Ibid.

[6]           Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, le 30 septembre 1996. Voir http://www.cisr.gc.ca/fr/apropos/juridique/directives/enfantsref/EVD_ISS_f.htm (Directives sur les enfants).

[7]            Ibid., Troisième série de directives, « Obtention de la preuve » .

[8]           Ibid., « Évaluation de la preuve » .

[9]           Dossier du tribunal, à la p. 6.

10          Voir IMM-6306-99, dossier des demandeurs, à la p. 11.

11          Ibid.

12           Ibid., à la p. 13.

13          Ibid., à la p. 14.

14            Ibid., aux p. 13 et 14.

15          Ibid., à la p. 15.

16           Ibid.

17          Ibid., à la p. 108.

18            Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève, janvier 1998, à la p. 22.

19           [1993] 2 R.C.S. 689, aux p. 746 et 747.

20          [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL).

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