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Date: 19990325


Dossier : IMM-1232-98

ENTRE


JASBIR SINGH BOPARAI,

DALBIR KAUR BOPARAI,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) a conclu, le 5 mars 1998, que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

Les faits :

[2]      Le demandeur est un citoyen indien âgé de 31 ans, un sikh baptisé du Pendjab ayant fait des études postsecondaires. Son père est médecin de profession et agriculteur. Le demandeur allègue craindre d"être persécuté par les autorités étatiques en sa qualité de sikh baptisé et de présumé partisan des militants sikhs.

[3]      Le demandeur n"a jamais été membre d"une organisation politique. En 1986, il a participé à une manifestation organisée par l"All India Sikh Students Federation. La police est intervenue et il s"en est tiré sain et sauf. À ce moment-là, il a également échappé à une rafle effectuée par la police à Model Town.

[4]      Au milieu de l"année 1990, des agents de police ont effectué une rafle au collège Lyallpur Khalso où le demandeur suivait des cours de maîtrise en économie. Le demandeur a évité une arrestation, mais il a eu tellement peur qu"il n"est pas retourné au collège; il s"est donc rendu à Patiala et s"est inscrit à des cours de théologie; il a obtenu sa maîtrise en mars 1992. Il est ensuite retourné dans son village étant donné que la situation s"était calmée.

[5]      Au milieu du mois de janvier 1995, le demandeur se rendait en autobus chez ses beaux-parents à Patiala. Il a été arrêté par la police à un poste de contrôle et a été détenu pendant cinq jours.

[6]      Le 3 avril 1995, le demandeur a de nouveau été arrêté au cours d"une rafle que la police effectuait dans des villages et il a été détenu pendant dix jours.

[7]      Le demandeur a de nouveau été arrêté le 26 novembre 1995 et il a été détenu pendant trois jours. Son père a également été détenu.

[8]      Le 8 décembre 1995, des agents de police ont effectué une rafle chez le demandeur tôt le matin pour l"arrêter, mais celui-ci s"est enfui par la porte arrière et est allé se cacher chez un ami.

[9]      Le 4 février 1996, le demandeur est arrivé au Canada et a revendiqué le statut de réfugié sur les conseils d"un agent qui avait organisé le voyage.

[10]      Le demandeur affirme que chaque fois qu"il a été détenu, il a été battu et torturé et qu"il a fallu payer un pot-de-vin pour qu"il soit mis en liberté.

Arguments du demandeur :

[11]      Le demandeur soutient que rien ne permettait raisonnablement au tribunal de douter de sa crédibilité. Le témoignage a été corroboré par la preuve documentaire : lettres, preuve médicale, photographies et documents courants.

[12]      Il est soutenu que le tribunal a fait une inférence défavorable sans motif légitime et qu"il a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur n"était pas membre d"un parti politique et qu"il avait de l"instruction de sorte que le témoignage qu"il avait présenté au sujet des problèmes qu"il avait eus en Inde n"était pas convaincant ou digne de foi. Il est soutenu que toute personne instruite qui ne s"intéresse pas à la politique pourrait être victime de persécution et appartenir à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention. Même si le demandeur n"était pas membre de l"All India Sikh Student Federation, il était un partisan actif de la Fédération.

[13]      Il est soutenu que le demandeur était soupçonné d"avoir participé aux activités des militants et qu"il était allégué qu"il était responsable de meurtres de policiers. Le demandeur a clairement dit que la police le soupçonnait de participer aux activités des militants. Il est soutenu que le demandeur a été amené en autobus en janvier 1995 parce qu"il était un sikh baptisé. Son apparence était différente de celle des non-sikhs et des sikhs non baptisés. La police pouvait avec raison soupçonner le demandeur et lui demander de descendre de l"autobus.

[14]      Il est soutenu que le tribunal a tiré une conclusion déraisonnable en ce qui concerne la vraisemblance et qu"il a donc commis une erreur de droit susceptible d"examen en concluant que la preuve n"était pas convaincante. Il est soutenu que le demandeur a essentiellement témoigné qu"il avait été détenu parce que la police présumait à tort qu"il était membre de l"AISSF alors qu"en fait il n"était qu"un sympathisant.

[15]      Il est soutenu que le tribunal a omis de tenir compte des éléments de preuve qui avaient à juste titre été mis à sa disposition sur ce point. Le demandeur a témoigné qu"il avait été mis en liberté parce que chaque fois qu"il avait été arrêté, il avait payé un pot-de-vin. La preuve documentaire qui avait à juste titre été mise à la disposition du tribunal montrait que la police arrêtait et détenait les gens pour leur soutirer de l"argent.

[16]      Il est soutenu que l"inférence que le tribunal a faite, à savoir qu"étant donné que le demandeur avait déjà été arrêté à deux reprises les autorités auraient su qu"il n"était pas membre de la Fédération, est abusive. Le demandeur a été arrêté à deux reprises même s"il n"était pas membre de la Fédération parce que les autorités le soupçonnaient d"avoir adhéré à la Fédération à cause de ses contacts.

[17]      Il est soutenu que la Commission a omis de tenir compte du fait que le demandeur avait été torturé en Inde.

Arguments concernant la demanderesse

[18]      Il est soutenu que la Commission a commis une erreur de droit en omettant d"examiner la revendication de la demanderesse compte tenu des faits qui lui étaient propres.

[19]      Il est soutenu que la demanderesse a été persécutée par la police à cause des activités auxquelles elle se livrait et à cause des problèmes que son mari avait eus avec la police. Le témoignage de la demanderesse, tant écrit qu"oral, n"a pas été contredit et il ne renfermait aucune incohérence.

[20]      Il est soutenu que si la Commission a jugé crédible le témoignage de la demanderesse, elle aurait dû conclure que celle-ci avait raison de craindre d"être persécutée.

[21]      Il est soutenu que la Commission a totalement omis de tenir compte du témoignage de la demanderesse et n"a tiré aucune conclusion indépendante au sujet du bien-fondé de sa revendication.

[22]      Il est soutenu qu"en se fondant simplement sur la conclusion défavorable tirée au sujet de la crédibilité du mari de la demanderesse et en omettant de noter que la demanderesse avait présenté une revendication qui était indépendante, en ce qui concerne certains aspects cruciaux, de celle de son mari, la Commission a omis d"exercer sa compétence à l"égard de la demanderesse et omis de prendre une décision distincte à son égard et que, ce faisant, elle a commis une erreur de droit.

Arguments du défendeur :

[23]      Il est soutenu qu"il était loisible à la Section du statut de décider que la preuve présentée par les demandeurs au sujet de la présumée arrestation du demandeur en janvier 1995 n"était pas crédible.

[24]      Il est soutenu qu"il est raisonnable pour la Section du statut d"inférer que quelqu"un qui a censément été détenu pendant cinq jours, qui a été interrogé par un inspecteur et qui a été gravement battu et accusé de meurtre et de militantisme donnerait une description plus exacte et des renseignements plus détaillés au lieu de se contenter de dire que les policiers soupçonnaient, à cause de son apparence, qu"il était sikh et qu"il ne savait pas pourquoi les policiers l"avaient fait descendre de l"autobus ou pourquoi il avait été détenu pendant cinq jours.

[25]      Il est soutenu que la Commission était d"avis qu"étant donné que le demandeur était un homme instruit, il aurait pu répondre d"une façon plus précise aux questions se rapportant à ce qui lui était arrivé au Pendjab.

[26]      Il est soutenu que la Section du statut pouvait raisonnablement conclure que la preuve présentée par les demandeurs au sujet du présumé événement du 8 décembre 1995 n"était pas convaincante étant donné que le témoignage du demandeur, en ce qui concerne la raison pour laquelle on avait effectué une rafle chez lui, était passablement imprécis.

[27]      Il est soutenu que, selon l"économie de la Loi sur l"immigration, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la Section du statut, en sa qualité de juge des faits relatifs à la revendication.

[28]      Il est soutenu qu"il doit exister un lien entre la situation personnelle du demandeur de statut et la situation générale en ce qui concerne les droits de la personne dans le pays d"où le demandeur s"est enfui. Le statut de réfugié au sens de la Convention n"est généralement pas reconnu du simple fait que le dossier du pays en cause laisse à désirer sur le plan des droits de la personne.

[29]      Il est soutenu que le demandeur doit présenter certains éléments de preuve montrant qu"il risque personnellement d"être victime des violations des droits de la personne établies par la preuve documentaire s"il retourne dans son pays.

La demanderesse

[30]      En ce qui concerne la demanderesse, il est soutenu que la Section du statut a tenu compte des deux aspects de sa revendication, à savoir le fait que les autorités indiennes la persécuteraient pour avoir essayé de communiquer avec son mari et l"événement qui s"était censément produit en octobre 1996.

[31]      Il est soutenu qu"il était loisible à la Commission de ne pas croire le témoignage de la demanderesse puisqu"elle n"avait pas cru celui de son mari et que la demanderesse avait témoigné avoir été arrêtée en octobre 1996 parce que la police voulait l"interroger au sujet de son mari.

[32]      Il est également soutenu que la Section du statut a eu raison de tenir compte du fait que la demanderesse avait attendu quatre mois après un renvoi pour revendiquer le statut de réfugié.

La question en litige

[33]      La Section du statut a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

Analyse

[34]      La Cour fédérale a clairement établi les lignes directrices à suivre lorsqu"il s"agit d"apprécier les conclusions tirées par des tribunaux d"instance inférieure au sujet de la crédibilité. Comme l"a dit l"avocat du demandeur, ces principes ont été brièvement résumés dans l"arrêt Rajaratnam c. Canada (MEI) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

         S"il appert qu"une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s"est formée adéquatement, aucun principe juridique n"habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l"absence de crédibilité.                 

[35]      Voir également Armson c. MEI (1989), 9 Imm. L.R. 150 (C.A.F.).

         Le revendicateur du statut de réfugié n"est donc pas libéré de l"obligation de dire la vérité. Le tribunal qui entend son témoignage a le droit de ne pas le croire et de fonder sa décision sur cette appréciation; toutefois, il se trouve dans l"obligation de justifier "en termes clairs et explicites" pourquoi il a conclu en l"absence de crédibilité.                 

[36]      Toujours en ce qui concerne la question de la crédibilité, la norme de contrôle établie par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1993] A.C.F. no 732, et appliquée dans la décision Mejia c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1997] A.C.F. no 1243 doit être citée :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire. Dans Giron , la Cour n"a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d"une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron , à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d"un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l"être. L"appelant, en l"espèce, ne s"est pas déchargé de ce fardeau.                 

[37]      Le demandeur a témoigné avec l"aide d"un interprète, mais la lecture de la transcription de l"audience tenue par la Commission ne montre pas qu"il y ait peut-être eu un simple malentendu en l"espèce.

[38]      Le tribunal qui entend un témoignage a le droit de ne pas le croire et de fonder sa décision sur cette appréciation, mais il est tenu de fournir des motifs à l"appui " en des termes clairs et explicites " comme on l"a dit dans la décision Armson . C"est ce que le tribunal a fait en disant que [TRADUCTION] " le demandeur ne s"est pas acquitté de l"obligation qui lui incombait d"étayer sa revendication au moyen d"une preuve crédible ".

[39]      Le tribunal a qualifié la preuve du demandeur de [TRADUCTION] " non convaincante " et de [TRADUCTION] " non digne de foi " en ce qui concerne les présumés problèmes que celui-ci avait eus en Inde.

[40]      Le tribunal a conclu que le demandeur n"avait pas répondu aux questions d"une façon satisfaisante compte tenu de son niveau d"instruction et qu"aucune explication n"avait été donnée au sujet de certaines incohérences.

[41]      Dans la mesure où les inférences que le tribunal a faites ne sont pas déraisonnables à un point tel qu"elles justifient une intervention, les conclusions que le tribunal a tirées ne peuvent pas faire l"objet d"un contrôle judiciaire (Aguebor , tel qu"il a été appliqué dans Mejia).

[42]      Étant donné les explications que le tribunal a données au sujet de la conclusion relative à l"absence de crédibilité et de la preuve dont il disposait, cette cour ne peut pas conclure que cette conclusion était déraisonnable au point de justifier une intervention.

[43]      Cette conclusion s"applique également à la demanderesse.

[44]      Le tribunal a clairement rejeté la revendication de la demanderesse.

[45]      Dans sa décision, le tribunal a clairement dit que la demanderesse

         [TRADUCTION]                 
         ne s"était pas acquittée de l"obligation qui lui incombait d"étayer sa revendication au moyen d"éléments de preuve crédibles. La demandeure n"a jamais fait partie d"une organisation politique dans son pays ou n"a jamais été membre d"une organisation politique.                 

Le tribunal était convaincu que [TRADUCTION] " la demandeure ne craignait pas vraiment subjectivement d"être persécutée lorsqu"elle a quitté son pays ".

Conclusion

[46]      Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[47]      Ni l"un ni l"autre avocat n"a soutenu qu"il existait une question grave, de sorte qu"aucune question ne sera certifiée.

             " Pierre Blais "

                 Juge

TORONTO (ONTARIO)

le 25 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-1232-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JASBIR SINGH BOPARAI
     DALBIR KAUR BOPARAI
     et
     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :      LE MERCREDI 24 MARS 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Blais en date du 25 mars 1999

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman              pour le demandeur
Lori Hendricks              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés          pour le demandeur

Avocats

281 est, avenue Eglinton

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          pour le défendeur

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