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Date : 20000605


Dossier : IMM-934-98


ENTRE :


YONG HO CHO


demandeur


et




LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire contre la décision, datée du 26 janvier 1998, dans laquelle l'agente des visas Sara Trillo du consulat général du Canada à Buffalo (New York) a rejeté la demande que le demandeur avait présentée en vue d'obtenir le droit de s'établir au Canada.

LES FAITS

[2]      Le demandeur cherche à obtenir le droit de s'établir au Canada en tant qu'entrepreneur. Il souhaite y fonder une entreprise de fabrication d'ordinateurs avec l'aide de son frère, qui a également demandé le droit de s'établir au pays.

[3]      Le demandeur soutient qu'il a fondé une entreprise de fabrication d'ordinateurs à Séoul en compagnie de son ami M. Kyu Young Noh, en 1989. Comme l'entreprise se développait, le demandeur a demandé à son frère Woo Hyoung Cho de lui prêter son concours, car il avait besoin de capital supplémentaire afin d'assurer la croissance de cette dernière. Le frère du demandeur s'est vu offrir 20 p. 100 des parts de l'entreprise en contrepartie de son investissement. Le demandeur et son associé détenaient chacun 40 p. 100 des parts de l'entreprise.

[4]      L'entreprise du demandeur achetait des pièces de divers fournisseurs et les assemblait dans ses locaux. Une fois assemblés, les ordinateurs subissaient des tests pendant une ou deux journées avant d'être livrés aux clients de l'entreprise.

[5]      Le demandeur soutient qu'il possède un capital net de plus de 500 000 $CAN, dont 240 000 $CAN en avoirs liquides.

[6]      En 1997, le demandeur a visité le Canada en compagnie de son frère pour étudier la possibilité d'y fonder une entreprise de fabrication d'ordinateurs semblable à celle qu'ils possèdent en Corée du Sud. C'est suite à cette visite qu'ils ont décidé de demander le droit de s'établir au Canada.

LA DÉCISION DE L'AGENTE DES VISAS

[7]      L'agente des visas était d'avis que le demandeur n'était pas en mesure de diriger une entreprise rentable.

[8]      Elle a fait remarquer que bien que l'entreprise fût apparemment fondée en septembre 1990, son enregistrement avait eu lieu seulement en septembre 1994. Elle a souligné que l'entreprise produisait un revenu d'environ 50 000 $CAN, que les trois associés devaient se partager. À son avis, cette entreprise ne fournissait pas un très grand profit à ces derniers. L'agente des visas a en outre souligné le fait que le demandeur et son frère avaient fourni des réponses divergentes au sujet des profits que l'entreprise leur permettait de réaliser.

[9]      L'agente des visas a mentionné que le demandeur disposait de 53 000 $CAN et qu'il avait l'intention d'investir 50 000 $CAN dans une entreprise au Canada. Elle était d'avis que ce montant n'était pas suffisamment important pour qu'il puisse fonder une entreprise et embaucher deux personnes, tout en subvenant à ses besoins et à ceux de son épouse et ses deux enfants, alors que ni lui ni son épouse ne connaissait l'une ou l'autre des langues officielles.

[10]      L'agente des visas n'a pas cru que le demandeur recevrait 80 millions de won de Corée du Sud d'un dépôt relatif à une entente de location d'une demeure. Elle n'a pas non plus cru qu'il possédait en Corée une propriété d'une valeur de 200 000 $CAN, vu l'absence d'une évaluation de cette dernière, qui est au nom de son beau-père.

[11]      Elle n'était pas convaincue que le demandeur connaissait suffisamment le projet d'entreprise, qu'il avait la capacité de diriger une entreprise, ni que l'entreprise qu'il souhaitait fonder serait rentable et profiterait à l'économie canadienne, tout en fournissant un emploi à au moins un citoyen ou résident permanent du Canada. L'agente des visas a donc rejeté la demande.

LA POSITION DU DEMANDEUR

[12]      Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis d'examiner la question de savoir s'il était en mesure d'acheter une entreprise, après avoir déterminé qu'il n'avait pas la capacité d'en fonder une.

[13]      Il fait valoir que l'agente des visas a violé l'obligation d'agir de façon équitable qui lui incombait lorsqu'elle a omis de lui faire part de ses réserves concernant son plan d'entreprise.

[14]      Le demandeur soutient que le Règlement sur l'immigration n'exige pas qu'il ait déjà exploité avec succès une entreprise ni qu'il ait déjà pris part à une telle entreprise. L'agente des visas a reconnu que le demandeur avait de l'expérience en affaires, mais elle a commis une erreur lorsqu'elle a tenu compte d'autres critères, soit le fait que le profit n'était pas important, que le demandeur n'avait pas d'expérience, et que les fonds dont il disposait étaient insuffisants.

[15]      Le demandeur fait remarquer que l'agente des visas l'a apprécié en tant que [TRADUCTION] « agent d'entretien d'ordinateur après vente » et lui a accordé le nombre maximal de points au titre de l'expérience, soit huit. Ayant déterminé qu'il avait de l'expérience dans le domaine informatique, elle a, de fait, conclu qu'il possédait une certaine expérience. Le demandeur soutient qu'une telle conclusion est contradictoire.

[16]      Le demandeur fait en outre valoir qu'en omettant de lui faire part de ses réserves concernant l'insuffisance des fonds qu'il entendait investir, l'agente des visas a non seulement violé l'équité procédurale, mais elle a également outrepassé sa compétence.

LA POSITION DU DÉFENDEUR

[17]      Le défendeur n'a pas soumis de dossier. Par contre, l'agente des visas a produit un affidavit.

[18]      Elle explique qu'à l'étape de la sélection administrative, le demandeur s'est vu accorder le nombre maximal de points au titre de l'expérience, soit huit, étant donné qu'il avait mentionné qu'il possédait une entreprise de fabrication d'ordinateurs depuis 1989. On l'a par la suite convoqué à une entrevue afin de vérifier les renseignements qu'il avait fournis.

[19]      L'agente des visas affirme que lorsqu'on l'a invité à expliquer pourquoi l'entreprise a été fondée en 1990 mais n'a été enregistrée qu'en 1994, le demandeur a répondu que l'entreprise était au nom de quelqu'un d'autre et qu'elle lui appartenait depuis 1994. Invité à expliquer pourquoi il avait dit que l'entreprise lui appartenait depuis 1989, le demandeur a répondu que l'entreprise lui appartenait mais qu'elle était au nom de la soeur de son associé.

[20]      L'agente des visas lui a ensuite demandé de fournir une preuve établissant que l'entreprise lui appartenait depuis 1989, mais il a dit qu'il ne pouvait lui fournir une telle preuve. Il a expliqué que comme ils travaillaient pour une autre entreprise, ils ne pouvaient enregistrer l'entreprise à leurs noms. L'agente des visas lui a alors demandé s'ils y travaillaient à temps partiel, mais il a répondu qu'ils y travaillaient à temps plein. Elle lui a alors demandé pourquoi ils ne pouvaient enregistrer leur entreprise, même s'ils travaillaient à temps plein. Il a expliqué que c'est son associé qui était l'employé.

[21]      L'agente des visas a alors invité le demandeur à lui fournir les bilans de l'entreprise, mais celui-ci a mentionné que comme il s'agissait d'une petite entreprise, il n'était pas nécessaire de préparer de tels documents. L'agente des visas a souligné que le demandeur était incapable de lui fournir une preuve établissant le revenu net de cette entreprise.

[22]      L'agente des visas n'était pas convaincue qu'un dépôt de garantie de 80 millions de won de Corée du Sud serait remboursé au demandeur. La clause 4 du bail prévoyait que la durée du bail devait être de 24 mois, à partir du 22 décembre 1996. La clause 8 du bail prévoyait que le locateur qui voulait mettre fin au contrat ne pouvait demander un remboursement. Comme l'agente des visas n'a pas cru que le demandeur recevrait cet argent, elle n'en a pas tenu compte en appréciant ce dernier.

[23]      L'agente des visas a fait remarquer que le demandeur ne lui avait pas fourni de preuve établissant qu'il possédait 40 p. 100 des parts de l'entreprise. L'agente des visas a expliqué que la monnaie sud-coréenne avait été dévaluée. Le montant des dépôts ne reflétait plus le montant qui avait été déclaré en décembre lorsqu'il a été converti en dollars canadiens à l'époque où l'entrevue a eu lieu, soit en janvier 1998.

[24]      En outre, les relevés bancaires que le demandeur a produits font état de sa situation financière en mai 1997. Un relevé plus récent que le demandeur a produit à l'entrevue montre que le montant a depuis diminué. En décembre, il possédait la somme de 10 950,90 US$ à la Hanil Bank, et la somme de 14 221 633 won sud-coréens à la Dongsuh Securities Co. Ltd.

[25]      L'agente des visas a mentionné qu'aucune preuve n'a été produite en ce qui concerne le capital net et les avoirs liquides dont disposait le demandeur. Elle a fait remarquer que le demandeur ne s'est pas conformé à la lettre d'entrevue étant donné que son épouse n'a pas assisté à l'entrevue, contrairement à ce que la lettre mentionnait clairement.


LA QUESTION LITIGIEUSE

[26]      L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en interprétant la définition d' « entrepreneur » ?

L'ANALYSE

[27]      Voici comment le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 définit le terme « entrepreneur » :

"entrepreneur" means an immigrant

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

(b) who intends and has the ability to provide active and on going participation in the management of the business or commercial venture; (entrepreneur)


« entrepreneur » désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce; (entrepreneur)

    

[28]      Pour être considéré comme un entrepreneur, le demandeur doit convaincre l'agent des visas qu'il avait l'intention et la capacité d'établir ou d'acheter une entreprise, ou d'y investir une somme importante. Le demandeur peut établir qu'il avait une telle intention en prouvant qu'il s'était préparé en conséquence. Par ailleurs, il arrive souvent que le demandeur établisse sa capacité en faisant état de ses antécédents et démontrant qu'il a suffisamment d'argent à consacrer à son projet.

[29]      Le demandeur soutient que l'agente des visas a tenu compte de critères supplémentaires que ne prévoit pas la loi. L'agente des visas a écrit, dans sa lettre de refus :

     [TRADUCTION] Cela signifie que cette entreprise produisait un revenu annuel d'environ 50 000 $CAN, que vous et vos associés deviez vous partager. À mon avis, cette entreprise ne vous fournissait pas un très grand profit. Les documents de l'entreprise que vous avez produits ne m'ont pas convaincue que cette entreprise était rentable. Vous avez refusé, ou encore vous avez été incapable de fournir d'autres documents de l'entreprise. Pour cette raison, vous n'êtes pas parvenu à me convaincre que vous êtes en mesure de diriger une entreprise rentable.

[30]      Or, la loi ne prévoit nullement que l'entreprise devait être rentable ni que le demandeur devait avoir exploité sa propre entreprise.

[31]      Néanmoins, l'agent des visas doit tenir compte de divers facteurs pour apprécier la capacité du demandeur de diriger activement une entreprise au Canada.

[32]      La lettre de refus fournit des détails sur la preuve dont l'agente des visas a tenu compte. À mon avis, l'agente des visas a bel et bien considéré les facteurs que le demandeur lui a soumis.

[33]      Monsieur le juge Dubé a dit dans la décision Hui c. Canada (1997), IMM-2502-95 (C.F. 1re inst.) :

     L'agent des visas a interrogé le requérant et examiné sa demande de résidence permanente. Elle a conclu qu'il ne correspondait pas à la définition d' « entrepreneur » étant donné que son entreprise de Hong Kong avait, depuis sa création, soit perdu de l'argent, soit rapporté de très faibles bénéfices. Elle a estimé que la rentabilité de l'entreprise du requérant à Hong Kong était l'un des facteurs permettant de juger de son sens des affaires.

     [...]

     S'il est vrai que la lettre de refus ne précise pas les éléments de preuve dont elle a tenu compte, les notes personnelles de l'agent des visas, ainsi que son affidavit indiquent qu'elle a effectivement tenu compte de tous les facteurs invoqués par le requérant.

[34]      À mon avis, le demandeur n'est pas parvenu à établir que l'agente des visas a commis une erreur de droit ou qu'elle a omis de tenir compte d'un principe d'équité procédurale, ni qu'elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'elle aurait tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte de la preuve dont elle disposait.

[35]      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.



« Pierre Blais »

                                         juge


OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 juin 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-934-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          YONG HO CHO c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 30 MAI 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR M. LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                  5 JUIN 2000



ONT COMPARU :


M. Jegan N. Mohan                      POUR LE DEMANDEUR
Mme Leena Jaakkimainen                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Mohan & Mohan

Scarborough (Ontario)                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

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