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Date : 20011106

Dossier : IMM-140-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1213

ENTRE :

GERALDINE SSERWANGA

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]    Mlle Geraldine Sserwanga (la demanderesse) réclame le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 14 novembre 2000, par laquelle la Commission a déterminé qu'elle n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]    La demanderesse a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'elle a une crainte fondée d'être persécutée en Ouganda à cause de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire sa famille.

[3]    La demanderesse et son époux étaient membres de la tribu Baganda. Depuis leur mariage en 1974, ils ont vécu ensemble dans la ville de Kasese, dans l'ouest de l'Ouganda, où son mari exploitait une ferme. En 1994, des hostilités se sont déclenchées entre les forces démocratiques alliées (FDA) et les forces du gouvernement, ce qui les a obligés à fuir à Kampala, la capitale.

[4]    La demanderesse a travaillé comme institutrice à Kampala pendant que son époux continuait d'exploiter la ferme familiale à Kasese. Entre décembre 1994 et décembre 1998, il s'est rendu toutes les semaines à la ferme, qui se trouve à environ dix heures de route de Kampala. La demanderesse l'accompagnait cinq à six fois par année.


[5]                 En décembre 1998, pendant que la demanderesse, son époux et quatre de leurs enfants se trouvaient à la ferme, un groupe des forces de défense du peuple ougandais (FDPO) a investi le domaine et a battu la demanderesse et sa famille tout en les accusant de supporter les FDA. Son époux a été détenu pendant un mois au cours duquel il a été gravement torturé, et n'a obtenu sa libération qu'après le paiement d'un pot-de-vin. L'époux de la demanderesse a cessé d'aller à Kasese pendant deux mois après cet incident, puis il y est retourné toutes les deux semaines pour gérer la ferme. La demanderesse ne s'est rendue à Kasese qu'une fois depuis l'incident de décembre 1998; c'était en août 1999.

[6]                 En novembre 1999, la demanderesse est venue au Canada pour rendre visite à sa demi-soeur. Elle devait retourner en Ouganda le 25 novembre 1999. Le 21 novembre, elle a reçu un appel téléphonique d'un ami de la famille l'informant que son époux avait été abattu à Kasese où il se trouvait en compagnie de deux de ses enfants. Plus tard dans la même journée, au cours de deux appels téléphoniques du même ami, elle a été informée que son époux était mort et que ses enfants avaient été kidnappés par le terroriste, mais qu'ils avaient plus tard été retrouvés par l'un des travailleurs.

[7]                 Le 23 novembre 1999, le demi-frère de la demanderesse lui a téléphoné pour l'informer qu'elle ne serait pas en sécurité si elle retournait en Ouganda. Elle ne s'est pas servie de son billet de retour et elle s'est rendue dans un refuge le 28 novembre 1999. Elle a revendiqué le statut de réfugié le 6 décembre 1999.

[8]                 La Commission a tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de la demanderesse, plus particulièrement pour ce qui concerne son manque de détails concernant la mort de son époux.


[9]                 La Commission a également statué qu'il y avait une divergence entre le certificat de décès et les renseignements fournis dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et le témoignage donné à l'audience, particulèrement quant à la date et au lieu du décès. La demanderesse n'a pu expliquer cette divergence. La Commission avait également des doutes au sujet de la date d'enregistrement du certificat de décès, soit quelque quatre mois après le décès de son époux. Par conséquent, la Commission a décidé d'accorder très peu de poids au certificat de décès.

[10]            La Commission a examiné la question de la crainte fondée d'être persécutée, précisément en relation avec l'époux de la demanderesse. Elle a conclu qu'une personne qui a une crainte subjective d'être persécutée ne continuerait pas de se rendre dans un endroit où elle a été battue et détenue, comme l'a fait l'époux de la demanderesse. La Commission a estimé que les déplacements de l'époux à Kasese n'était pas compatible avec les gestes d'une personne qui entretient une crainte subjective d'être persécutée.

[11]            La Commission s'est également prononcée sur l'existence d'une possibilité de refuge intérieur (PRI). D'après la preuve documentaire, elle a conclu que les FDA ne sont actives qu'aux environs de Kasese et que le conflit entre les FDA et les forces du gouvernement ne s'étend pas à l'extérieur de cette région. La Commission a également tenu compte du fait qu'aucun des membres de la famille de la demanderesse, notamment ses enfants, n'avait été questionné ou n'avait éprouvé quelque difficulté que ce soit dans l'année ayant suivi le décès de son époux.


[12]            En outre, la Commission a statué qu'aucune preuve digne de foi ne démontrait que les autorités ou qui que ce soit d'autre avait posé des questions au sujet de la demanderesse depuis qu'elle a quitté l'Ouganda le 19 novembre 1999. La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas une crainte objective et fondée d'être persécutée.

LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[13]            La demanderesse prétend que la Commission a mal interprété le critère juridique qu'il convient d'utiliser pour déterminer s'il existe une PRI et, en conséquence, qu'elle a commis une erreur de droit en concluant qu'elle avait une PRI à Kampala.

[14]            Elle prétend qu'elle craint de retourner en Ouganda parce que son époux a été tué par les forces gouvernementales qui le soupçonnaient de collaborer avec les rebelles. Elle a indiqué dans son témoignage qu'elle faisait l'objet des mêmes soupçons pour le même motif. Elle soutient qu'il n'y a pas de fondement raisonnable à partir duquel la Commission pouvait conclure qu'elle avait une PRI à Kampala. Dans son cas, le gouvernement est l'agent de persécution et, par conséquent, sa crainte d'être persécutée n'est pas limitée à la région géographique du conflit.

[15]            En outre, la demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas une crainte subjective d'être persécutée. Elle soutient que l'examen par la Commission de la décision de son époux de retourner à la ferme de Kasese après décembre 1998 présume que son époux devait avoir une craine subjective d'être persécuté avant son décès pour que sa revendication puisse être accueillie. Elle affirme que sa crainte d'être persécutée provient du fait que son époux a été tué par balle.


[16]            La demanderesse soutient que la formation a commis une erreur en tirant des conclusions négatives sur sa crédibilité parce qu'elle a ignoré ou mal interprété la preuve. Plus particulièrement, elle affirme que la conclusion concernant le certificat de décès est erronnée.

[17]            La Commission fait référence à une divergence entre la date et le lieu du décès. La demanderesse prétend qu'elle a expliqué de façon raisonnable cette divergence en indiquant qu'il doit s'être écoulé un jour entre le moment où son époux a été abattu et l'heure à laquelle son décès a ensuite été prononcé à l'hôpital.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[18]            Le défendeur soutient que les conclusions sur la crédibilité relèvent du champ d'expertise de la Commission parce que ses membres ont l'avantage de voir et d'entendre la demanderesse. La Commission a le droit de tirer des conclusions raisonnables concernant le caractère plausible de la preuve; voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315.


[19]            Le défendeur soutient de plus que la Commission a correctement évalué la situation de la demanderesse en jugeant qu'elle avait une PRI. Ni la demanderesse ni son époux n'ont eu de difficulté à vivre à Kampala depuis 1994. Aucune preuve digne de foi n'a été fournie pour démontrer que les autorités avaient posé des questions au sujet de la demanderesse depuis qu'elle a quitté le pays en novembre 1999. De même, la demanderesse a de la famille et un emploi d'institutrice à Kampala. Le défendeur soutient que, dans ces circonstances, il n'est pas déraisonnable pour elle de chercher refuge à Kampala.

[20]            Le défendeur fait également valoir qu'il incombe à la demanderesse de prouver qu'il n'existait pour elle aucune PRI raisonnable objective en Ouganda et qu'elle ne s'est pas acquittée de ce fardeau.

ANALYSE

[21]            L'issue de la présente demande de contrôle judiciaire dépend de la norme de contrôle applicable. Cette question a été abordée par le juge Pelletier dans la décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. N ° 300, paragraphe 5, dans les termes suivants :

La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193. La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait clairement de son mandat et son champ d'expertise.

[22]            Malgré que la demanderesse ait fourni des arguments concernant les supposées erreurs de droit de la part de la Commission dans ses conclusions ayant trait à une plainte subjective d'être persécutée, une possibilité de refuge intérieur et des conclusions de faits manifestement déraisonnables, à mon avis, elle conteste essentiellement les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission et ses conclusions de faits.


[23]            Selon moi, la Commission a à bon droit tenu compte du fait que son époux n'avait pas une crainte fondée d'être persécuté dans l'évaluation de l'existence de la crainte subjective et fondée d'être persécutée que pouvait entretenir la demanderesse.

[24]            La demanderesse a fondé sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur ses opinions politiques et son appartenance à un groupe social particulier, soit sa famille. Elle prétend que sa crainte d'être persécutée est attribuable au meurtre de son mari, qui aurait été perpétré par les forces gouvernementales, et qu'elle court maintenant un risque parce qu'elle était mariée à une cible du gouvernement.

[25]            Toutefois, la Commission n'était saisie d'aucune preuve permettant d'appuyer ces allégtions. La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n'a pas prouvé qu'elle avait une crainte fondée d'être persécutée à cause de sa relation avec son époux est raisonnable.

[26]            À mon avis, la Commission a aussi à bon droit examiné l'existence d'une PRI pour la demanderesse à Kampala et elle a raisonnablement évalué la preuve indiquant qu'aucun membre de sa famille, y compris les enfants de la demanderesse, n'avait suscité l'intérêt, fait l'objet de questions ou subi de préjudice de la part des agents du gouvernement depuis que la demanderesse a quitté l'Ouganda.

[27]            Je conclus qu'il n'est pas justifié que la Cour modifie la décision de la Commission. La demande est rejetée.


[28]            Les avocats ont fait savoir qu'il n'y avait aucune question à faire certifier.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« E. Heneghan »

                                                                                                             Juge                      

Ottawa (Ontario)

le 6 novembre 2001

Traduction certifiée conforme :

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                   IMM-140-01

INTITULÉ :                                             GERALDINE SSERWANGA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le mercredi 24 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE :                                                    le 6 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Howard Eisenberg                                                POUR LA DEMANDERESSE

Rhonda Marquis                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard Eisenberg                                                POUR LA DEMANDERESSE

Hamilton (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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