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Date : 20040115

Dossier : T-55-02

Référence : 2004 CF 60

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                               demandeur

                                                                                  et

                                                                      CHIN WAN FU

                                                                                                                                                    défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision rendue par un juge de la citoyenneté, lequel a accueilli la demande de citoyenneté du défendeur.

[2]                 Le 23 novembre 2000, le défendeur a rempli une demande de citoyenneté canadienne.

[3]                 Pendant les quatre années précédant sa demande, le défendeur a effectué de fréquents voyages à l'extérieur du Canada. Malgré le fait que le défendeur ait été physiquement présent au Canada pendant seulement 406 jours au cours des quatre années précédant la date de sa demande de citoyenneté, le juge de la citoyenneté a conclu que la vie du défendeur était centralisée au Canada. Il a donc accueilli la demande du défendeur. Cette décision a donné lieu au présent appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur).

[4]                 Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait et de droit en accueillant la demande parce que le défendeur n'a pas rempli les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

[5]                 Le défendeur n'a présenté aucune observation dans le cadre du présent appel et il n'a pas comparu devant la Cour le 16 octobre 2003, même si la signification a bien été faite à l'adresse qu'il avait précisée. L'affaire a été ajournée pour être entendue au moyen d'une vidéoconférence le 14 janvier 2004. Encore une fois, le défendeur n'a pas comparu devant la Cour.


[6]                 Bien qu'il ait été établi dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, que la norme de contrôle des décisions des juges de la citoyenneté « est une norme qui est proche de la décision correcte » , je soulignerais que depuis l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (2003), 223 D.L.R. (4th) 599, à la page 613, les cours ne peuvent choisir que parmi trois normes de contrôle :

[35] Après avoir examiné chacun des facteurs, la cour de révision doit choisir une des trois normes de contrôle reconnues à l'heure actuelle : voir l'arrêt connexe Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, rendu simultanément. Lorsque la pondération des quatre facteurs susmentionnés indique la nécessité d'une grande déférence, la norme de la décision manifestement déraisonnable est appropriée. S'il y a lieu à peu ou pas de déférence, la norme de la décision correcte suffit. Si la pondération des facteurs semble indiquer un degré de déférence se situant quelque part au milieu, la norme de la décision raisonnable simpliciter s'applique.

[7]                 En l'espèce, lorsque la Cour doit vérifier que le juge de la citoyenneté a appliqué l'un des critères admis de résidence aux faits, cela soulève, à mon avis, une question mixte de droit et de fait (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748). Compte tenu du fait qu'il faille accorder un certain degré de déférence à l'égard des connaissances et de l'expérience particulières du juge de la citoyenneté, je conclurais que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[8]                 En l'espèce, il ressort de la décision du juge de la citoyenneté qu'il a appliqué aux faits le critère énoncé dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.).

[9]                 Au paragraphe 10 de la décision Koo (Re), précitée, le juge Reed a énoncé six facteurs qui peuvent aider à déterminer si un demandeur a un mode de vie centralisé au Canada :

[...]

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?


2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[10]            Le juge de la citoyenneté a conclu que la plupart des voyages du défendeur étaient pour des raisons d'affaires et que ses absences étaient temporaires. Toutefois, compte tenu de la preuve dont il disposait, le juge de la citoyenneté ne pouvait conclure à juste titre que les absences étaient temporaires.

[11]            La preuve démontre que, bien que sa famille soit au Canada, le défendeur n'était jamais présent au Canada pendant de longues périodes. En quatre ans, il a passé un peu plus d'un an au Canada, son absence étant motivée non pas par un travail temporaire, mais par son emploi à plein temps.

[12]            Les entrées du défendeur dans la région administrative de Hong Kong et ses sorties de cette région révèlent des tendances de voyage qui démontrent qu'il continue à centraliser son mode de vie à Hong Kong.

[13]            La situation du défendeur n'est pas analogue à celle d'un étudiant qui retournera chez lui après une période temporaire à l'étranger. Rien, à l'exception des indices passifs énoncés par le juge de la citoyenneté (déclarations de revenus, baux immobiliers et quelques relevés bancaires), ne démontre que la vie du défendeur était centralisée au Canada : en fait, au cours des deux dernières années, il n'a passé que 88 jours au pays. La preuve établit des tendances de voyage qui peuvent être qualifiées de retours occasionnels au Canada pour des visites familiales.

[14]            J'estime que le défendeur n'a pas satisfait aux exigences énoncées dans la décision Koo, précitée, et que, de ce fait, le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait et de droit lorsqu'il a conclu que le Canada est l'endroit où le défendeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . On ne peut donc pas affirmer qu'il s'agit d'une décision raisonnable.

[15]            Pour ces motifs, l'appel est accueilli.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel soit accueilli.

                                                                    « Danièle Tremblay-Lamer »

      Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                       COUR FÉDÉRALE

                          AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER

DOSSIER :                           T-55-02

INTITULÉ :                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

c.

CHIN WAN FU

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                     LE 15 JANVIER 2004

COMPARUTION :

Lorne McClenaghan              POUR LE DEMANDEUR

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DEMANDEUR


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