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Date : 19990618


Dossier : T-1046-98

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     demandeur,

ET :

     GUANG TAO KUO,

     défendeur.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision d"un juge de la citoyenneté qui a accordé la citoyenneté canadienne au défendeur le 23 mars 1998. Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance en annulation de la décision du juge de la citoyenneté pour le motif que ce dernier a commis une erreur en décidant que le défendeur avait satisfait au critère de résidence énoncé à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, lequel requiert qu"un demandeur de la citoyenneté canadienne ait accumulé au moins trois années de résidence au Canada dans les quatre années qui précèdent immédiatement la date de sa demande.

[2]      Bien qu"il en ait été convenablement notifié par voie de signification, le défendeur ne s"est pas présenté à l"audience.

[3]      Le demandeur a déposé la présente demande le 22 mai 1998. Elle est donc assujettie aux Règles de la Cour fédérale (1998). En vertu de ces règles, les appels en matière de citoyenneté ne se font plus par voie de procès de novo, mais bien par voie de demande sur la base du dossier soumis au juge de la citoyenneté; voir Canada (M.C.I.) c. Cheung (1998), A.C.F. no 813 (C.F. 1re inst.).

[4]      Dans l"affaire Yeung c. Canada (M.C.I.) (3 février 1999) T-1256-98, le juge Campbell avait conclu que " pour qu"une décision d"un juge de la citoyenneté soit annulée, il est nécessaire qu"une erreur susceptible de contrôle ait été identifiée ". Dans l"affaire Ma c. Canada (M.C.I.) , (1999), F.C.V. No 288, le juge Reed a noté que la Loi sur la citoyenneté indiquait que l"instance devait être un appel. Elle a de plus noté que l"article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, empêche de soumettre une décision ou une ordonnance rendue par un organisme fédéral à un contrôle judiciaire de la part de la Cour fédérale dans la mesure où la loi prévoit déjà un droit d"appel. Dans l"affaire Wang c. Canada (M.C.I.) (1999), F.C.V. No 439, le juge Reed a indiqué que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Finalement, dans l"affaire Kit May Phoebe Lam c. Canada (M.C.I.) (26 mars 1999) T-1310-98, le juge Lutfy a dit que la norme de contrôle devait être " toute proche de celle du bien-jugé ". Il a toutefois ajouté que " [t]elle est la limite de la retenue à observer par le juge judiciaire durant cette période transitoire, eu égard aux connaissances et à l'expérience spécialisées du juge de la citoyenneté ".

[5]      M. Kuo est né à Taïwan, en République populaire de Chine, le 1er juillet 1945. Il est arrivé pour la première fois au Canada le 1er février 1989 et a obtenu le statut de résident permanent le 21 août 1993. Il a depuis fondé une école secondaire privée à Toronto, soit le Imperial College. Il a soumis une demande de citoyenneté canadienne le 7 décembre 1996 et s"est présenté à des entrevues qui ont eu lieu le 24 février et le 12 mars 1998. Dans sa demande de citoyenneté, il a signalé les absences suivantes du Canada :

                 1.      Un voyage de trois jours à Hong Kong en septembre 1994 pour la tenue d"une entrevue au Haut-commissariat du Canada;                 
                 2.      Un voyage de 120 jours, échelonné du 30 septembre 1995 au 1er janvier 1996, dans plusieurs pays d"Asie pour la recherche d"appuis financiers et pour le recrutement d"étudiants au Imperial College of Toronto;                 
                 3.      Vacances en Allemagne, du 20 février au 3 mars 1996 (14 jours);                 
                 4.      Un voyage de 108 jours, échelonné du 16 mai au 2 septembre 1996, dans plusieurs pays d"Asie pour la recherche d"appuis financiers et pour le recrutement d"étudiants au Imperial College of Toronto.                 

[6]      Le défendeur s"est absenté pendant 245 jours au total. Selon les calculs du juge de la citoyenneté, il lui manquait 136 jours pour atteindre les 1 095 jours de résidence requis. Le juge a cependant décidé que le défendeur avait néanmoins satisfait au critère de résidence étant donné qu"il avait centralisé son mode de vie au Canada. Ce faisant, le juge a considéré que le défendeur avait acquis les symboles usuels de la citoyenneté canadienne : un N.A.S., un domicile, l"assurance-santé, un compte bancaire, de même que l"établissement avec succès d"une entreprise au Canada qui emploie six citoyens canadiens. La grande partie des absences du défendeur sont attribuables aux efforts qu"il a déployés pour promouvoir son entreprise. Au cours de ses périodes d"absence, il a maintenu un pied-à-terre au Canada. Il a cessé de maintenir ses liens avec les autres pays.

[7]      Le demandeur conteste la décision au motif qu"elle se fonde sur des incohérences contenues dans la demande de citoyenneté du défendeur, dans son passeport et dans le questionnaire relatif à la résidence qu"il a rempli le 8 février 1998. À titre d"exemple, dans le questionnaire sur la résidence, le défendeur a omis de mentionner ses vacances en Allemagne, de même que son voyage de trois jours à Hong Kong. De plus, le passeport que le défendeur a soumis au soutien de sa demande a été renouvelé le 25 juillet 1995 à Taïwan, date à laquelle le défendeur a affirmé se trouver au Canada. Les dates des visas étampées dans son passeport ne sont pas compatibles avec les absences signalées dans son formulaire de demande ainsi que dans le questionnaire sur la résidence. Plus particulièrement, le passeport contient un visa daté du 2 février 1996, date à laquelle le défendeur a déclaré se trouver au Canada. Par ailleurs, la Cour a remarqué que les visas datés du 20 février 1996 et du 3 mars 1996, ce qui correspond à la période de temps que le défendeur a prétendu avoir passé en Allemagne pour des vacances, comportaient une écriture d"origine asiatique. À la page 39 du dossier se trouve un visa daté du 25 septembre 1995, date à laquelle le défendeur a déclaré se trouver au Canada. Il ressort clairement de la preuve que le défendeur a fait plus de voyages qu"il ne l"a indiqué dans sa demande.

[8]      Il existe aussi des incohérences entre la demande de citoyenneté et le questionnaire sur la résidence relativement à l"adresse du défendeur. Dans le questionnaire, le défendeur a écrit ce qui suit en réponse à la question [TRADUCTION] " Où avez-vous vécu depuis votre arrivée initiale? " :

     Du 21 août 1993 au 8 août 1994 : il a loué le 623 A, rue Queensway, à Toronto.         
     Du 1er décembre 1994 au 15 novembre 1995 : il a loué l"appartement 903 du 5767, rue Yonge, à Toronto.         
     Du 15 novembre 1995 au 8 février 1998 : il a loué l"appartement 1708 du 100, avenue Madison, à North York.         

[9]      Pourtant, dans sa demande datée du 7 décembre 1996, le défendeur avait écrit qu"il avait vécu à l"adresse de l"avenue Madison au cours des trois ans et trois mois qui ont précédé sa demande. Cela reviendrait à dire qu"il y a vécu depuis le mois de septembre 1993. Le dossier (aux pages 57, 71 et 73) révèle également que l"appartement de l"avenue Madison a été loué par le Imperial College of Toronto de novembre 1995 à octobre 1996, puis par un dénommé Ming Mei Kuo. Le défendeur affirme que cet individu est son frère.

[10]      Le défendeur a écrit dans le questionnaire sur la résidence qu"il louait des logements à Taïwan et en Malaisie occidentale depuis le 8 février 1998. Il a également indiqué qu"il habite, depuis cette même date, au 20, boul. Queen Elizabeth, à Toronto, un logement dont il prétend être propriétaire. Cependant, selon les documents au dossier, il s"agit de l"adresse de l"école où travaille le défendeur (voir les pages 115 et 139 du dossier du demandeur). Cette période de temps est ultérieure à la demande de citoyenneté et n"est, par conséquent, pas pertinente à l"évaluation du critère de résidence. La Cour est toutefois d"avis que cette anomalie nuit encore davantage à la crédibilité du défendeur.

[11]      La Cour juge que les contradictions et les incohérences contenues dans la demande du défendeur jettent un sérieux doute sur la crédibilité des faits sur lesquels le juge de la citoyenneté s"est fondé pour rendre sa décision. Par conséquent, la décision doit être annulée.


[12]      Pour les motifs précités, la demande est accueillie. La Cour annule la décision rendue par le juge de la citoyenneté.

                                     " P. ROULEAU "

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 18 juin 1999.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 19990618

Dossier : T-1046-98

OTTAWA (Ontario), le 18 juin 1999

EN PRÉSENCE de monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

demandeur,

ET :

GUANG TAO KUO,

défendeur.


ORDONNANCE

[1]      La demande est accueillie. La Cour annule la décision rendue par le juge de la citoyenneté.

                                

                             " P. ROULEAU "

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1046-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Le ministre de la Citoyenneté et de
                         l"Immigration c. Guang Tao Kuo
LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :              11 juin 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                  18 juin 1999

COMPARUTIONS

Leena Jaakkimainen                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Aucune comparution                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Morris Rosenberg                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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