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     Date: 20000531

     Dossier: IMM-2606-99

OTTAWA (Ontario), le 31 mai 2000

DEVANT : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :


SAMRAT SHAHNAZ

     demandeur


ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



ORDONNANCE

[1]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition devant une formation différente.

                             « P. ROULEAU »

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.




     Date: 20000531

     Dossier: IMM-2606-99

ENTRE :


SAMRAT SHAHNAZ

     demandeur


ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande présentée conformément à l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, en vue de l'obtention d'une autorisation et du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 3 mai 1999, que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur, Samrat Shahnaz, est un citoyen du Bangladesh âgé de 18 ans. Il est arrivé à Toronto le 19 septembre 1997 et a exprimé son intention de revendiquer le statut de réfugié le 29 septembre 1997 au Centre d'Immigration Canada, à Etobicoke (Ontario). La revendication était fondée sur le fait que le demandeur craignait d'être persécuté dans son pays pour des motifs d'ordre politique. Le demandeur a témoigné avoir été persécuté à cause d'une campagne de recrutement organisée par l'Islami Chattra Shibir (l'ICS), qui est l'aile étudiante du Jamaat-i-Islami. Le demandeur a été persécuté parce qu'il avait refusé d'adhérer au groupe. Le demandeur a en outre allégué qu'il n'avait pas pu obtenir la protection de l'État.

[3]      La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible; cela étant, elle était convaincue qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention et que l'État accordait une protection suffisante.

[4]      Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur a déclaré qu'au mois de janvier 1997, pendant qu'il étudiait dans un collège situé à environ quatre heures de sa ville natale, il avait été harcelé par des membres de l'Islami Chattra Shibir, qui avaient organisé une campagne de recrutement sur le campus. Le demandeur a affirmé avoir poliment refusé, mais le 12 mars 1997 il a été attaqué. Il s'est rendu au poste de police pour signaler l'événement; il a déclaré à la police qu'il avait reconnu deux des agresseurs et il a donné leurs noms. Dans son FRP, le demandeur déclare que la police l'a informé qu'elle ne pouvait rien faire. Le demandeur est ensuite allé à l'hôpital pendant environ deux semaines pour sa convalescence.

[5]      Le FRP révèle en outre qu'au mois d'avril 1997, les parents du demandeur ont été harcelés chez eux à plusieurs reprises et que l'Islami Chattra Shibir avait encore une fois proféré des menaces contre le demandeur. Le demandeur s'est de nouveau rendu au poste de police pour avoir de l'aide, mais comme la première fois, on n'a rien fait.

[6]      Au mois de mai 1997, le demandeur s'est présenté aux examens finals écrits, mais par suite d'autres menaces dont il avait fait l'objet et de problèmes que lui avait posés l'Islami Chattra Shibir, il s'est vu obligé de partir et n'a pas pu passer ses examens. Le demandeur a signalé l'affaire aux autorités du collège, mais ces dernières ne voulaient pas intervenir. Il a ensuite communiqué avec le commissaire du quartier en vue de lui faire part de ses problèmes, mais cela ne s'est pas avéré utile et il est retourné chez lui, dans sa famille, à Khulna.

[7]      Au mois de juin 1997, le demandeur a de nouveau été attaqué à l'extérieur de sa maison. Il n'a pas été grièvement blessé et il a pu s'enfuir. Les parents se sont encore une fois rendus au poste de police pour avoir de l'aide mais aucune mesure n'a été prise. Au mois de juillet, la famille a de nouveau été harcelée. Le demandeur a décidé de quitter le Bangladesh; il est allé à Dhaka où il est resté chez un oncle; au mois de septembre, il a finalement quitté le pays.

[8]      Un examen minutieux de la transcription montre que le demandeur a confirmé l'agression du mois de mars 1997 et qu'il a donné le nom des agresseurs à la police dans un rapport établi le 15 mars. Après que sa famille et lui eurent fait l'objet d'autres menaces, son père s'est de nouveau adressé à la police, qui n'a rien fait. Le demandeur a confirmé qu'il avait été harcelé au collège au mois de mai, lorsqu'il avait voulu se présenter à ses examens finals. Au cours du témoignage oral, le demandeur a également confirmé l'agression qui avait eu lieu à l'extérieur de sa maison au mois de juin. Il a déclaré qu'aucun rapport n'avait été fait parce que la police ne pouvait rien faire.

[9]      L'avocat du demandeur soutient que, dans sa décision, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait ou qu'elle a interprété la preuve d'une façon erronée afin de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Le demandeur soutient également qu'en appréciant sa crédibilité, la Commission n'a pas mentionné un rapport rédigé par un psychologue, lequel avait été soumis au moment de l'audience, montrant qu'il était extrêmement anxieux.

[10]      J'ai minutieusement examiné le témoignage ainsi que la décision de la Commission; je suis convaincu que la Commission a accordé trop d'importance aux contradictions existant entre le témoignage et le FRP du demandeur ou qu'elle a interprété les éléments dont elle disposait d'une façon tout à fait erronée. La Commission se préoccupait apparemment du fait que les noms des deux garçons que le demandeur avait donnés à la police ne figuraient pas dans le rapport préparé par les autorités que celui-ci avait soumis. Je suis convaincu que si les noms ne figuraient pas dans le rapport, c'était probablement parce que la police les avait délibérément omis. La formation signale ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     [...] L'intéressé a en outre déclaré que la police lui avait de fait relu la déclaration, en présence de son frère, mais qu'il n'avait pas modifié le rapport de façon à inclure les noms des coupables et qu'il n'avait pas demandé qu'un Premier rapport de dénonciation (le PRD) soit déposé plutôt qu'un compte rendu général. L'intéressé a dit qu'il n'avait pas demandé que le compte rendu général soit modifié de façon à inclure les noms des coupables parce qu'à ce moment-là, il se sentait malade.

[11]      Il n'y a absolument rien qui montre, dans le témoignage, que le demandeur ait déclaré que la police lui avait lu la plainte et la dénonciation à haute voix. De fait, la preuve montre que c'est son père qui avait préparé ces documents et que le demandeur ne les avait pas vus ou lus parce qu'il ne se sentait pas bien.

[12]      La Commission poursuit en disant ceci :

     [TRADUCTION]
     Le demandeur a en outre dit que c'était l'inaction de la police qui lui a fait croire que la police du Bangladesh ne voulait pas le protéger.

[13]      La formation a conclu que le demandeur ne disait pas la vérité au sujet de l'événement, en particulier en ce qui concerne les renseignements qu'il avait donnés à la police, de façon que celle-ci puisse l'aider. La conclusion tirée par la Commission, à savoir que le demandeur ne pouvait pas bénéficier de la protection de la police à cause du manque de renseignements, contredit directement le témoignage du demandeur et l'exposé figurant dans le FRP, alors qu'à au moins trois ou quatre reprises, son père, le commissaire du quartier et lui sont clairement allés voir les autorités et que, chaque fois, on leur a dit que l'on ne pouvait pas les aider. Le fait qu'il est soutenu que la propre preuve documentaire fournie par le demandeur (le FRP) n'étaye pas l'allégation selon laquelle aucune protection n'était accordée sans qu'il soit expressément fait mention de la preuve du FRP m'empêche de retenir la version des événements donnée par la formation.

[14]      Au paragraphe 2, également sous la rubrique de la crédibilité, la Commission a dit ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     L'intéressé a également témoigné oralement avoir de nouveau été agressé au mois de mai 1997 lorsqu'il s'est présenté à un examen à Barisal.

[15]      Cela est inexact. Dans son FRP et dans son témoignage oral, le demandeur a fort clairement déclaré que, lorsqu'il s'était présenté aux examens au mois de mai, il n'avait pas été agressé, mais qu'il avait été harcelé.
[16]      Au paragraphe 3, sous la rubrique de la crédibilité, la Commission a fait les remarques suivantes :
     [TRADUCTION]
     L'intéressé a également témoigné qu'un membre de l'ICS avait communiqué avec lui lorsque ses parents et lui avaient demandé leurs visas canadiens de visiteurs à Dhaka. Il a initialement dit à la formation que cet événement s'était produit au mois d'août 1997. Toutefois, il a modifié son témoignage lorsque l'ACR l'a interrogé; il a affirmé que l'événement s'était produit au mois de juin 1997. Lorsqu'on l'a confronté au sujet de cette incohérence, le demandeur a déclaré qu'il avait peut-être dit que cela s'était produit au mois d'août 1997 uniquement parce qu'il se sentait mal chaque fois que les gens lui parlaient de cet événement. Il a ensuite affirmé que l'événement s'était produit au mois de juin. Toutefois, lorsque l'ACR lui a demandé de dire une fois pour toutes à quel moment l'événement s'était de fait produit, l'intéressé a encore une fois changé d'idée et a déclaré que cela s'était produit au mois d'août 1997.

[17]      L'examen du témoignage oral semble montrer que l'intéressé était moins confus que l'ACR. S'il régnait de la confusion, c'était plutôt à cause des questions qui étaient posées qu'à cause des réponses données par le demandeur. La lecture de la transcription révèle que le demandeur a fort bien traité de cette question compte tenu du fait qu'il avait été assujetti à un contre-interrogatoire difficile.

[18]      Lorsqu'elle parle de la protection de l'État, voici ce que la formation dit :

     [TRADUCTION]
     La formation conclut qu'il était tout à fait déraisonnable pour l'intéressé de s'attendre à ce que la police règle les problèmes que lui posait l'ICS alors que, en fait, il ne leur avait pas donné de détails, comme les noms des agresseurs.

[19]      J'ai décidé de retenir la déclaration écrite figurant dans le FRP ainsi que celle qui a été faite oralement devant la formation; le demandeur a de fait donné les deux noms à la police. Si la police a décidé de ne pas les inclure dans la dénonciation ou dans la plainte, c'était peut-être parce qu'elle hésitait à procéder à une enquête ou à poursuivre l'enquête. Il semble inconcevable que la formation ait simplement affirmé que le demandeur n'avait pas mentionné de noms.

[20]      La formation ajoute ensuite ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     La formation note en outre que les parents de l'intéressé auraient facilement pu défendre leur propre cause en retenant les services d'un avocat qui les aiderait à porter des accusations contre l'ICS et ses membres.

[21]      J'estime que cette remarque est tout à fait ridicule. Si la police ne peut rien faire, comment peut-on s'attendre à ce qu'un avocat individuel puisse aider en pareil cas?

[22]      Je suis convaincu qu'il y avait un nombre suffisant d'incohérences entre le témoignage, le FRP et les conclusions tirées par la Commission pour justifier le renvoi de l'affaire pour nouvelle audition devant une formation différente. Cela étant, je ne ferai pas d'autres remarques au sujet des autres aspects qui ont été soulevés au cours de l'argumentation.

[23]      Il est de droit constant que la Commission est particulièrement bien placée pour apprécier la crédibilité des demandeurs qui se présentent devant elle et que cette cour ne devrait intervenir que si les conclusions relatives à la crédibilité ne sont pas étayées par la preuve. Comme je l'ai déjà dit, j'estime que les conclusions de la Commission sont fondées sur des considérations non pertinentes et que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve qui sont à mon avis importants.

[24]      La demande est accueillie. L'affaire est renvoyée pour nouvelle audience par une formation différente.

                             « P. ROULEAU »

                                 JUGE

OTTAWA (Ontario),

le 31 mai 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-2606-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Samrat Shahnaz c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 16 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Rouleau en date du 31 mai 2000


ONT COMPARU :

Byron M. Thomas              pour le demandeur

Ann-Margaret Oberst              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Byron M. Thomas              pour le demandeur

Etobicoke (Ontario)

Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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