Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 20040809

                                                                                                                    Dossier : IMM-5336-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1088

Ottawa (Ontario), le 9 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER                                 

ENTRE :

                                                                GEZIM MERSINI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, un citoyen de l'Albanie, est arrivé au Canada en 2001 et a demandé l'asile. Dans une décision datée du 10 juin 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande.


Questions en litige

[2]                Le demandeur soulève deux questions :

1.         La décision de la Commission selon laquelle le demandeur n'était ni un témoin crédible ni digne de foi était-elle manifestement déraisonnable?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant l'un des motifs au soutien de la demande du demandeur?

La décision de la Commission

[3]                La Commission a dit qu'au soutien de sa demande le demandeur « prétend craindre avec raison dtre persécuté par le Parti socialiste (PS), le gouvernement actuellement au pouvoir, les policiers et des inconnus masqués qui appuient le PS en raison de ses opinions politiques » . Pour la Commission, la crédibilité était la question déterminante. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à réfuter le fardeau qui lui incombait de démontrer le bien-fondé de sa cause, et a signalé qu'en raison « de nombreuses incohérences et omissions, le tribunal doit conclure que le demandeur d'asile n'est pas un témoin crédible ou digne de foi » . En particulier, la Commission a énoncé cinq de ces incohérences et omissions, comme suit :


·                       Le témoignage du demandeur selon lequel il était membre du Parti démocratique (PD), section 53 a été contredit par la carte de membre qui désignait la section 60/3. Sa seule explication pour cette divergence a été que la carte devait comporter une erreur typographique.

·                       Contrairement à des demandeurs dans d'autres causes, il n'avait pas d'explication satisfaisante pour l'omission de fournir une lettre d'attestation en tant que membre du PD.

·                       Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il a dit voir été agressé par quatre hommes masqués. Dans son témoignage de vive voix, il a dit que ses agresseurs étaient des hommes en uniformes.

·                       Dans son FRP, il n'a aucunement mentionné que son père était membre du PD.

·                       Son témoignage selon lequel son café a été complètement détruit en 1997 ne concordait ni avec les notes prises au point d'entrée dans lesquelles il a dit être propriétaire d'un café ni avec les éléments de preuve présentés à l'audience qui montraient qu'il avait payé des taxes pour son café pour l'année 1999.


Analyse

Question #1: Crédibilité

[6]                En ce qui concerne la question de la crédibilité, la norme de contrôle applicable est la question manifestement déraisonnable. C'est-à-dire que la décision sera renversée uniquement si je conclus qu'elle n'était aucunement soutenue par les éléments de preuve dont disposait la Commission.

[7]                Au regard de la décision dans son ensemble, je ne puis conclure qu'elle était manifestement déraisonnable. Même si l'une ou l'autre de ces erreurs ou omissions, prise isolément, n'aurait peut-être pas été décisive, prises ensemble elles étaient suffisantes pour que la Commission conclue à l'absence de crédibilité chez le demandeur. Cela est vrai en ce qui concerne deux des éléments de sa demande - son appartenance au PD et les événements allégués de persécution. Bien que ma décision aurait peut-être été différente en ce qui concerne une ou plusieurs des questions, il existe des éléments de preuve au soutien de chacune des cinq conclusions. Il n'y a pas d'erreur susceptible de contrôle.


Question #2: Omission de tenir compte des motifs de la demande

[8]                Le demandeur prétend que la Commission a omis de traiter d'un aspect central de sa demande, c'est-à-dire son appartenance à une famille qui entretenait une relation proche avec le Dr Sali Berisha, un ancien président du PD. Au moment où il a rempli son FRP, l'avocat du demandeur a nommé les « opinions politiques » et « l'appartenance à un groupe social particulier » comme motifs prévus à la Convention au soutien de la demande. Le demandeur affirme que le deuxième élément de sa demande était étayé par la preuve de la façon suivante :

·                       le beau-frère du demandeur travaillait comme chauffeur pour le Dr Berisha;

·                       le beau-frère et la soeur du demandeur se sont vus accorder l'asile en France;

·                       le Dr Berisha était le médecin du père du demandeur; et

·            le demandeur a fourni des photographies montrant certains membres de sa famille aux côtés du Dr Berisha.


[5]                Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que la Commission ne mentionne pas dans sa décision qu'elle rejette la prétention d'appartenance à la famille. La Commission dit de façon précise dans sa décision que le demandeur « fonde sa demande d'asile sur ses opinions politiques, son appartenance au PD et la persécution dont il a été victime pendant qu'il était en Albanie » . Le demandeur aimerait que je tire une inférence selon laquelle la Commission avait accepté comme crédible l'élément de sa demande qui concerne l'appartenance à la famille. Subsidiairement, en n'offrant pas de raison pour expliquer en quoi cette partie de la demande n'était pas crédible, la Commission a commis une erreur (Rahman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 170 (C.A.F.); Pour c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),[1991] A.C.F. no 1282 (C.A.) (QL)).


[6]                Même si le fait d'ignorer une partie de la demande d'un demandeur d'asile pourrait normalement constituer une erreur grave et potentiellement fatale, je suis convaincue que, dans la présente affaire, il n'y a pas eu d'erreur susceptible de contrôle. Il incombe à un demandeur d'asile de présenter en preuve toute la documentation qui peut s'avérer essentielle pour l'appréciation de sa demande (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Même si le demandeur allègue maintenant que sa prétention quant à l'appartenance à la famille se trouve au coeur de sa demande, plusieurs éléments importants du dossier font que ce n'est pas là l'idée qui en ressort. Par exemple, même si le demandeur a souvent mentionné dans son témoignage l'existence d'un lien entre sa famille et le Dr Berisha, il n'a pas prétendu avoir personnellement subi de la persécution en raison des expériences vécues par sa famille. En admettant qu'il n'aurait probablement pas eu de succès s'il avait demandé l'asile en France, le demandeur a effectivement admis que sa situation était différente et moins convaincante que celle de sa soeur et de son beau-frère. Même si le demandeur a fourni des photographies de membres de sa famille avec le Dr Berisha, il n'y en avait aucune du demandeur. Enfin, et c'est peut-être ce qui est le plus révélateur, il y a le témoignage du demandeur. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi les socialistes et le gouvernement lui voulaient du mal, il a répondu : [traduction] « Parce que j'étais membre du Parti démocratique . » En bref, l'appartenance du demandeur à un groupe social particulier (la famille) n'était pas au « coeur » de sa demande. Cela semble avoir été le résultat d'une réflexion après coup, aucunement appuyée par la preuve.

[7]                Le Commissaire était certainement au courant de la relation que la famille entretenait avec le Dr Berisha; on y renvoie dans la décision. La Commission n'a donc pas commis d'erreur en ignorant la preuve dont elle disposait.


[8]                Il eut été préférable que la Commission s'attarde de façon plus précise à ce motif de la demande du demandeur. Vu que le demandeur s'est surtout concentré sur son appartenance au PD et sur les incidents de persécution allégués, on peut comprendre pourquoi la Commission a donc centré sa décision sur cet aspect de la demande. Ayant examiné le dossier, je suis convaincue qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve pour fonder une demande sur la relation qu'entretenait la famille du demandeur avec le Dr Berisha. Il ne suffit pas à un demandeur d'asile adulte de simplement affirmer qu'en raison de difficultés vécues par des membres de sa famille, lui aussi devrait être considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Le lien entre le demandeur et la persécution subie par les membres de sa famille doit être fondé en preuve. Il n'y a pas ici une telle preuve. Vu les faits particuliers de la présente affaire, l'omission par la Commission de d'arrêter à ce motif de la demande n'est pas déterminant pour la décision. Même si on avait renvoyé directement au motif de sa demande entourant la relation familiale, la décision n'aurait pas été différente parce qu'il n'y avait tout simplement pas suffisamment de preuve au soutien de ce motif.

Conclusion

[9]                Pour ces motifs, je suis convaincue que la décision devrait être maintenue. La demande sera rejetée.

[10]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question pour certification. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                              « Judith A. Snider »          

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5336-03

INTITULÉ :                                                    GEZIM MERSINI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman                                            POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.