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Date : 20060317

Dossier : IMM-3197-05

Référence : 2006 CF 342

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

UWADINESU OGIRIKI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), au sujet d'une décision rendue par Michel Faure, de la Section de la protection des réfugiés (SPR), qui rejetait la demande d'asile d'Uwadinesu Ogiriki (le demandeur). Dans sa décision rendue le 29 avril 2005, la SPR a conclu que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La décision était fondée sur le manque de crédibilité du demandeur.

[2]                Le demandeur serait un citoyen du Nigeria. Il a allègué qu'il s'était fait arrêter peu de temps après avoir participé à une manifestation. Il soutient qu'il craint de retourner dans son pays parce qu'il a été maltraité en détention.

[3]                La seule question en litige est la suivante : la SPR a-t-elle commis une erreur de fait en tirant sa conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur? La SPR a noté les éléments suivants :

-           Le demandeur n'a pas établi son identité pour les raisons suivantes :

(1)         Il était incapable de donner une raison crédible pour expliquer pourquoi il avait fallu presque un an pour qu'il obtienne un certificat de naissance (le certificat a été émis en janvier 2004 et il ne l'aurait reçu qu'en novembre ou en décembre 2004);

(2)         Le demandeur a hésité lorsqu'on lui a demandé à quelle date il avait reçu son certificat de naissance;

(3)         Le certificat de naissance n'est muni d'aucun élément de sécurité.

-           Aucun document n'a été présenté en vue d'établir l'itinéraire du demandeur, et celui-ci a été incapable de donner des détails à ce sujet dans son témoignage;

-           En général, le demandeur improvisait et était incapable d'être direct;

-           Au cours de son témoignage, lorsqu'on lui a demandé de décrire son arrestation, le demandeur a omis de mentionner qu'il avait été frappé avec un fusil;

-           Le demandeur a témoigné qu'un petit garçon était mort en prison, mais avait mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que « certains détenus » étaient morts en détention;

-            Le demandeur a hésité et s'est contredit au sujet de l'adresse exacte de l'endroit où il s'était réfugié après s'être échappé de prison;

-           Il existe des incohérences entre l'exposé des faits du demandeur, son FRP et son témoignage au sujet des dates auxquelles il a été détenu, et les justifications qu'il a données à ce sujet n'étaient pas crédibles.

[4]                De plus, la SPR a rejeté le certificat médical qui lui avait été présenté, essentiellement parce que le demandeur n'était pas crédible.

[5]                La norme de contrôle pour l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur par la SPR est la décision manifestement déraisonnable (voir Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F no 1866 (C.A.F.), au paragraphe 10; Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4). La même norme de contrôle s'applique aux conclusions de la SPR relatives à la validité des documents d'identité (Kosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 994, [2005] A.C.F. no 1233, au paragraphe 28, Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 863, [2003] A.C.F. no 1103, au paragraphe 6).

[6]                Le demandeur a mis l'accent sur le libellé de la dernière partie de l'article 106 de la LIPR.

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[7]                Dans l'affaire P.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 103, [2005] A.C.F. no 130, le juge Shore a résumé le sens de l'article 106 :

Ce qui y est prévu, essentiellement, c'est que le demandeur a le fardeau de prouver son identité et que, s'il n'y réussit pas de manière satisfaisante, cela peut avoir une incidence sur sa crédibilité.

[8]                À mon avis, la SPR a donné suffisamment d'explications pour justifier sa décision de rejeter le certificat de naissance présenté par le demandeur, et après avoir lu la transcription de l'audience (dossier du tribunal, pages 157 à 164), les documents pertinents et les commentaires du commissaire, je suis d'accord avec lui : le demandeur n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau de prouver son identité. Je ne vois aucune raison d'intervenir à ce sujet.

[9]                Comme la SPR a tiré d'autres conclusions, je formulerai d'autres commentaires. J'ai lu la transcription de l'audience et je conclus que la SPR n'a commis aucune erreur en concluant que les explications du demandeur étaient vagues au sujet de son itinéraire (dossier du tribunal, pages 181 à 184), ni en concluant qu'il était vague et hésitant tout au long de son témoignage. En fait, j'arrive à la même conclusion. Ses réponses étaient hésitantes, incomplètes, et dans certains cas, la SPR a dû insister pour obtenir réponse à ses questions.

[10]            L'avocat du demandeur affirme que le fait que le témoignage du demandeur était vague en ce qui a trait à la mort d'un petit garçon en prison est insuffisant pour affaiblir la crédibilité du demandeur. Après avoir lu la description du demandeur du temps qu'il avait passé en prison (dossier du tribunal, pages 170 à 174), je suis d'accord avec l'avocat que cette contradiction est relativement mineure, mais pas au point où elle rendrait la décision manifestement déraisonnable. Dans son témoignage, le demandeur a mentionné la mort du petit garçon, mais n'a jamais dit que le petit garçon était la seule personne à être morte en prison. Cependant, il demeure bizarre que le demandeur n'ait pas mentionné la mort d'autres codétenus, lorsqu'on lui en a donné la chance pendant l'audience.

[11]            L'avocat du demandeur a finalement soutenu que la SPR avait commis une erreur en rejetant le certificat médical du demandeur. Ce certificat (dossier du tribunal, page 117) atteste que le demandeur souffre [TRADUCTION] « de grandes douleurs dans la région de sa hanche droite » depuis qu'il avait été battu pendant son arrestation en février 2003. Selon le demandeur, il était fautif de la part de la SPR de noter que [TRADUCTION] « le médecin ne suggère pas [dans le certificat médical] l'utilisation de rayons X ou la tenue d'autres examens pour déterminer l'origine de la douleur » . Bien que je sois d'accord avec le demandeur que les connaissances médicales ne sont pas du ressort de la SPR, je ne crois pas qu'il ait été manifestement déraisonnable que la SPR tire une telle conclusion. Il n'est pas nécessaire d'être un expert en médicine pour exprimer des réserves au sujet de la douleur que le demandeur prétend ressentir, puisque le médecin a choisi de ne pas examiner d'avantage la cause des « grandes douleurs » dont souffre le patient depuis plus d'un an et demi. De plus, la SPR n'était pas obligée de justifier le rejet du certificat médical. Lorsqu'elle a conclu qu'un demandeur n'est pas crédible, la SPR peut, pour ce seul motif, rejeter les preuves qu'il a présentées. Dans la décision Hamid c. Canada, [1995] A.C.F. no 1293 (1re inst.), au paragraphe 20, le juge Nadon a émis les commentaires suivants :

Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant    ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

Cette décision a été suivie par la Cour fédérale (voir Al-Shaibie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1131, 2005 CF 887, au paragraphe 21; Saha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1117, aux paragraphes 32 et 33).

[12]            Selon moi, la SPR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur s'était trompé en disant que son oncle habitait au 10 Obi Street alors qu'il avait supposément déclaré dans son FRP (question 20) que celui-ci résidait au 1 Obi Street. Cette conclusion ne correspond pas aux faits. En raison des autres conclusions qui ont été tirées, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une erreur assez importante pour qu'il y ait des répercussions en l'espèce.

[13]            En conclusion, la décision de la SPR est raisonnable dans son ensemble et devrait être maintenue, même si le demandeur y a décelé quelques « faiblesses » . Dans l'affaire Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282, [2000] A.C.F. no 286, au paragraphe 22, le juge Evans a émis les commentaires suivants :

[M]ême si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision à l'égard de certaines conclusions de fait, la décision qu'il a rendue au sujet de l'annulation serait néanmoins confirmée s'il y avait d'autres faits sur lesquels il était raisonnablement possible de fonder sa conclusion finale.

[14]            La Cour fédérale a mis ce jugement en application pour des contrôles judiciaires de décisions de la SPR (voir Agbon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1573, [2005] A.C.F. no 1936, au paragraphe 10; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506, au paragraphe 22). En d'autres mots, même si l'un, parmi plusieurs, des motifs d'une décision est considéré fautif, la conclusion tirée par un tribunal spécialisé ne devrait pas être annulée si d'autres faits peuvent soutenir cette conclusion. Je note aussi que trois des nombreuses conclusions défavorables qu'a tirées la SPR au sujet de la crédibilité ne sont pas contestées, à savoir :

-           Il existe une incohérence mineure au sujet de l'adresse exacte à laquelle le demandeur se serait réfugié après s'être échappé de prison (dossier du tribunal, pages 19, 176 et 177);

-           Le demandeur a omis de mentionner dans son récit écrit des faits qu'il avait été frappé avec un fusil, comme il ressort de son certificat médical (dossier du tribunal, page 117) et de son témoignage (dossier du tribunal, page 169);

-           Le demandeur a donné des versions contradictoires du temps qu'il allègue avoir passé en détention (dossier du tribunal, pages 17, 32, 143 et 175).

[15]            J'ai invité les avocats à présenter des questions à certifier. Aucune question n'a été formulée.

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

-           La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n'est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3197-05

INTITULÉ :                                       UWANDINESU OGIRIKI

                                                                                                                       

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ont.)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 15 mars 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                       Le 17 mars 2006

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo

Avocat

North York (Ont.)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR

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