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Date : 20000417

Dossier : T-1825-99

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2000

Présent : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LA COMPAGNIE PHARMACEUTIQUE PROCTER & GAMBLE CANADA, INC.

et PROCTER & GAMBLE COMPANY

Demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et GENPHARM INC.

Défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et Procter and Gamble Company (P & G) ont obtenu des avis de conformité en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (règlement sur les avis de conformité) à l'égard de deux produits, le Didronel et le Didrocal. Le Didrocal est approuvé aux fins du traitement de l'ostéoporose alors que le Didronel est approuvé aux fins du traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité. Dans les deux cas, la substance active est l'étidronate disodique. P & G a inclus le brevet n ° 1,338,376 (brevet 376) dans la liste de brevets qu'elle doit tenir à jour quant à l'avis de conformité délivré pour le Didrocal. Le brevet 376 porte sur l'utilisation de polyphosphonates inhibant la résorption osseuse (dont l'étidronate disodique) comme élément d'un schéma posologique cyclique dans le traitement de l'ostéoporose.

[2]         Le brevet 376 résume l'invention comme suit :

[TRADUCTION]    La présente invention porte sur une méthode de traitement ou de prévention de l'ostéoporose chez les humains et les animaux inférieurs qui sont atteints d'ostéoporose ou qui risque de l'être, consistant en un schéma posologique comprenant deux cycles ou plus, et dont chaque cycle s'étend sur une période allant de 1 à 90 jours durant laquelle un polyphosphonate inhibant la résorption osseuse est administré quotidiennement en quantité limitée et efficace et sur une période de repos allant de 50 à 120 jours durant laquelle aucune substance inhibant la résorption osseuse n'est administrée.

La présente invention porte de plus sur un kit pour le schéma posologique cyclique décrit précédemment, lequel comprend de 1 à 90 doses quotidiennes dont chacune comprend une quantité limitée et efficace de polyphosphonate inhibant la résorption osseuse, de 50 à 120 doses d'un placebo ou d'un supplément nutritionnel et d'un moyen de disposer les éléments pour en faciliter la prise conformément au schéma posologique.

Des 37 revendications du brevet 376, 16 portent sur l'utilisation d'un kit pour le traitement de l'ostéoporose et les autres portent sur l'utilisation du polyphosphonate inhibant la résorption osseuse dans un schéma posologique cyclique pour le traitement de l'ostéoporose sans qu'il ne soit fait mention d'un kit.


[3]         La défenderesse Genpharm Inc. (Genpharm) a fait une demande d'avis de conformité en vertu du règlement sur les avis de conformité à l'égard de son produit Gen-Etidronate, lequel est également de l'étidronate disodique en comprimé de 400 mg. Elle a aussi fait une demande d'avis de conformité à l'égard du même produit en comprimé de 200 mg qui fait l'objet d'une requête parallèle dans le dossier n ° T-1970-99, dans lequel des motifs distincts sont rendus. Genpharm a signifié un avis d'allégation à P & G indiquant que la vente du Gen-Etidronate ne contreviendra pas au brevet 376 parce que le produit de Genpharm « [TRADUCTION] ne sera pas emballé comme un kit à utiliser avec un autre ingrédient actif ou un supplément nutritionnel » . P & G a intenté des procédures en vertu de l'article 6 du règlement sur les avis de conformité pour interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Genpharm. Parce que la seule connaissance qu'elle a de l'allégation de Genpharm est l'avis d'allégation et une copie de la monographie du produit Gen-Etidronate, lequel a été divulgué volontairement après l'institution des procédures, P & G présente la présente requête, en vertu du paragraphe 6(7) du règlement sur les avis de conformité, visant à obtenir une ordonnance de divulgation d'extraits de la demande d'avis de conformité de Genpharm.


[4]         Les règles qui s'appliquaient à la divulgation avant l'adoption du paragraphe 6(7) du règlement sur les avis de conformité ont été examinées par le juge Evans (tel était alors son titre) dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. et Novartis A.G. c. Abbott Laboratories, Limited, et le ministre de la Santé, T-160-99, 17 août 1999, non publiée (C.F. 1re inst.). Le savant juge a indiqué que le critère applicable à la divulgation avant l'adoption du paragraphe 6(7) en mars 1998 était très rigoureux. Les motifs exposés pour obtenir la divulgation doivent être « convaincants » , « clairs et persuasifs » , « solides » ou « essentiels et nécessaires » . Le juge Evans a conclu que le critère rigoureux devait être maintenu pour la divulgation envisagée au paragraphe 6(7). Il a indiqué les facteurs justifiant une telle position : le caractère sommaire de l'instance et la nécessité de ne pas la retarder par une étape de communication préalable, la possibilité d'intenter une action en contrefaçon malgré l'absence d'ordonnance d'interdiction, le risque de préjudice venant du fait que des renseignements exclusifs confidentiels ont été rendus publics. Malgré toute la déférence due à cette opinion, j'y ajouterais une réserve. Le postulat sous-tendant le critère « rigoureux » doit être que la divulgation initiale dans l'avis d'allégation est fidèle aux revendications du brevet. Les juges qui ont élaboré ce critère ne pouvaient avoir l'intention de récompenser une divulgation incomplète en l'abritant derrière un critère rigoureux auquel seraient assujetties les demandes de divulgation plus complète. On doit donc présumer que le critère rigoureux ne s'applique pas de la même façon lorsque la divulgation initiale dans l'avis d'allégation ne reprend pas adéquatement les revendications du ou des brevets en question. Dans un tel cas, les exigences de l'équité peuvent appeler l'application d'une norme moins rigoureuse.


[5]         Dans la présente instance, Genpharm demande la délivrance d'un avis de conformité à l'égard du Gen-Etidronate. Comme nous l'avons vu, les produits comparables de P & G sont le Didronel et le Didrocal. Le Didronel est vendu en comprimés individuels de 200 mg alors que le Didrocal est vendu en kit de comprimés de 400 mg avec des comprimés de carbonate de calcium. La monographie du Didronel comprend une section intitulée « mise en garde » qui porte sur l'utilisation du Didronel dans le traitement de l'ostéoporose et qui vise, selon P & G, à décourager l'utilisation du Didronel dans le traitement de l'ostéoporose. Le Gen-Etidronate sera disponible en comprimés de 200 et de 400 mg. Les comprimés de 400 mg seront emballés en bandes alvéolées thermoformées de 14 comprimés. Il sera recommandé pour utilisation dans le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité mais la monographie de ce produit ne contient aucune mise en garde concernant son utilisation dans le traitement de l'ostéoporose. Cette omission, conjuguée à l'emballage des comprimés de 400 mg dans des bandes alvéolées thermoformées, donne à penser à P & G que l'intention est peut-être de présenter le Gen-Etidronate comme un substitut au Didrocal.

[6]        L'avis d'allégation signifié à P & G fait référence au brevet 376, qui comprend des revendications pour l'utilisation d'un médicament, et nie la contrefaçon en raison de l'emballage, c'est-à-dire que le produit « [TRADUCTION] ne sera pas emballé en kit ... » . Le brevet 376 décrit l'invention comme « [TRADUCTION] une méthode de traitement ou de prévention de l'ostéoporose » . Bien que 17 revendications portent sur l'utilisation d'un kit dans le traitement de l'ostéoporose, un nombre égal porte sur le traitement de l'ostéoporose sans l'utilisation d'un kit. La question du kit pourrait donc ne pas permettre de trancher la question de la contrefaçon.


[7]         P & G demande la divulgation d'extraits de la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) portant sur l'étiquetage (Partie 1.6), la bioéquivalence (Partie 3) et les produits pharmaceutiques d'essai et de référence (Partie 4.6). La partie 3 de la PADN porte sur la bioéquivalence, c'est-à-dire la comparaison de la nouvelle drogue à un produit (produit de référence canadien) dont la sécurité et l'efficacité sont suffisamment établies, pour qu'une déclaration de bioéquivalence justifie la vente du deuxième produit sur la même base que le produit de référence canadien. Selon l'affidavit de McClenaghan, c'est également un facteur clef dans certaines juridictions pour l'approbation de substituts aux médicaments d'origine. La partie 4.6, Résumés de section - Produits pharmaceutiques d'essai et de référence, est une section connexe où l'on doit trouver la justification scientifique de la demande de bioéquivalence. Les deux pourraient être pertinentes quant à la question de la contrefaçon éventuelle. Si le produit de référence canadien est le Didrocal, utilisé dans le traitement de l'ostéoporose, cela pourrait soulever des questions au sujet des revendications voulant que le Gen-Etidronate soit utilisé dans le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité.

[8]         Selon moi, l'avis d'allégation signifié par Genpharm ne traite pas de façon adéquate des revendications du brevet et ne permettraient pas à P & G d'aborder pertinemment la question de la contrefaçon. La divulgation requise pour remédier à ce défaut est la divulgation des extraits suivants du volume principal :

-Partie 3 : Synthèse globale : Bioéquivalence

-Partie 4.6 : Résumés de section : Produits pharmaceutiques d'essai et de référence


[9]         La divulgation des mentions figurant sur l'étiquette pourrait être utile à P & G mais, la question litige en étant une de substitution, ces mentions sont d'importance secondaire par rapport à la question du produit de référence et à la revendication de bioéquivalence. Partant du principe qui veut que la divulgation ne doive porter que sur ce qui est nécessaire, je refuse d'ordonner la production des mentions figurant sur l'étiquette.

[10]       J'ordonne également une mesure de redressement accessoire en demandant la production de tout changement aux documents dont j'ai ordonné la divulgation (dont la monographie de produit divulguée volontairement par Genpharm) depuis la date de la demande d'avis de conformité ainsi que la production des changements pouvant être apportés après la date de mon ordonnance. J'ordonne aussi au ministre de la Santé de confirmer que la monographie du produit et les documents dont j'ordonne la divulgation correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans les dossiers du ministère de la Santé.

[11]       Enfin, les parties ont demandé une ordonnance fixant le délai pour compléter les étapes qui restent à franchir relativement à la présente demande. J'ajourne cette portion de la demande à 9h30 le jeudi 4 mai 2000 devant la Cour fédérale siégeant à Toronto pour qu'elle y soit entendue.

[12]       En conséquence, je rends les ordonnances suivantes :

ORDONNANCE

IL EST PAR LA PRÉSENTE ORDONNÉ QUE :


1- La défenderesse Genpharm produise aux demanderesses La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et Procter & Gamble Company les extraits suivants de sa présentation abrégée de drogue nouvelle pour le comprimé de 400 mg :

a) La partie 3 de la PADN intitulée « Synthèse globale : bioéquivalence » et en particulier le produit de référence canadien;

b) La partie 4.6 de la PADN intitulée « Résumés de section : Produits pharmaceutiques d'essai et de référence » lesquelles seront désignées comme étant les extraits divulgués;

2- La défenderesse produise également aux demanderesses tous changements qui ont été apportés par Genpharm à sa PADN depuis la date de la demande d'avis de conformité, se rapportant à la partie 1.5 de la PADN intitulée « monographie de produit » ou aux extraits divulgués;

3- La défenderesse produise également aux demanderesses tous changements à la monographie de produit ou aux extraits divulgués au fur et à mesure qu'ils sont apportés;

4- Le ministre de la Santé vérifie que la monographie de produit et les extraits divulgués, ainsi que les changements produits en conformité avec les paragraphes 2 et 3 de la présente ordonnance correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans les dossiers du ministère de la Santé;

5- Les demanderesses doivent traiter les renseignements reçus conformément à la présente ordonnance comme confidentiels et concluront avec la défenderesse Genpharm un accord de confidentialité mutuellement acceptable, pourvu qu'à défaut d'entente, l'une ou l'autre partie puisse demander à la Cour d'en fixer les conditions;


6- La demande de la demanderesse visant à obtenir des directives concernant l'établissement d'un calendrier des étapes à suivre concernant la présente affaire est ajournée au 4 mai 2000 pour être entendue à cette date;

7- Les dépens de la requête suivront l'issue de la cause.

           J. D. Denis Pelletier

______________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

________________________

Daniel Dupras, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU DOSSIER :                                 T-1825-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                    La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et al c. Le ministre de la Santé et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       24 janvier 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                          17 avril 2000

ONT COMPARU :

M. Andrew Shaughnessy

Mme Angela Furlanetto                Pour la demanderesse

M. Stephen Lane                                     Pour la défenderesse (Genpharm)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton Clarizio

Toronto (Ontario)                                    Pour la demanderesse

Sim Hughes Ashton & McKay

Toronto (Ontario)                                    Pour la défenderesse (Genpharm)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada            Pour le défendeur (ministre de la Santé)

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