Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990128


Dossier : IMM-1551-98

Entre :

     VICTORIA SANTAMARIA MEJIA

     Demanderesse

Et:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      La demanderesse est citoyenne Hondurienne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention et ce, suite à sa participation ainsi que celle de son mari aux activités syndicales de l'entreprise pour laquelle ils travaillaient au Honduras.

[2]      La demanderesse soumet qu'en 1990, alors que le syndicat était en négociation pour le renouvellement de la convention collective, elle-même ainsi que son mari décédé depuis son arrivée au Canada, ont commencé à recevoir des menaces et des pressions de la part de personnes engagées par l'entreprise afin d'intimider les membres du syndicat.

[3]      Suite à la signature de la convention collective en mai 1992, la demanderesse soumet qu'elle-même et son mari ont reçu des menaces de mort.

[4]      La demanderesse soumet qu'en janvier 1993, son mari aurait été menacé à nouveau de mort par des agents de la DIN, une section de l'armée Hondurienne, mais qu'il aurait toutefois décidé de poursuivre ses activités syndicales étant alors secrétaire général du syndicat.

[5]      À deux reprises en 1993, le mari de la demanderesse aurait été attaqué par des membres de la DIN. Il a finalement été congédié en septembre 1993. La demanderesse aurait également été congédiée en décembre 1993 et ce pour avoir poursuivi ses activités syndicales.

[6]      Suite à son congédiement ainsi que de celui de son mari, le syndicat aurait déposé une plainte contre lesdits congédiements, entraînant de nouvelles menaces.

[7]      La demanderesse indique avoir continué de participer aux activités syndicales durant environ trois mois après son congédiement parce qu'elle était secrétaire aux griefs.

[8]      La demanderesse a quitté le Honduras en avril 1994 pour les États-Unis et son mari est venu la rejoindre par la suite. Étant parents de six enfants restés au Honduras, la demanderesse et son mari ont dû faire parvenir de l'argent aux enfants et attendre avant le pouvoir venir au Canada et demander leur statut de réfugié.

[9]      La demanderesse et son mari sont arrivés au Canada en août 1995. Ce dernier est décédé par la suite.

[10]      Suite à son interrogatoire, les arbitres ont conclu à la non-crédibilité de la demanderesse au motif que son témoignage diffère de celui de son mari quant aux détails afférents aux menaces de mort proférées.

[11]      Quant à la position de secrétaire aux griefs au sein du syndicat, les arbitres doutent de l'importance jouée par la demanderesse et ce parce que son mari n'a jamais mentionné que sa femme occupait une telle position dans son FRP.

[12]      Les arbitres mettent en doute l'existence qu'une crainte bien fondée de persécution en ce que la demanderesse a continué de participer aux réunions syndicales pendant environ trois mois après son congédiement.

[13]      En ce qui concerne la preuve documentaire déposée, les arbitres retiennent un document déposé, soit le Country Reports on Human Rights Practices for 1996 qui indique l'existence d'une loi sur le travail au Honduras et la possibilité d'organiser des syndicats.

[14]      De plus, les arbitres soulignent le fait que la demanderesse a habité les États-Unis pendant plus d'un an sans jamais avoir demandé le statut de réfugié.

[15]      Pour ces motifs, le tribunal a conclu à l'absence de possibilité raisonnable de persécution pour la demanderesse advenant un retour au Honduras et qu'en conséquence, elle n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

[16]      Les questions en litige sont les suivantes:

     1. Le tribunal a-t-il erré en faits en mettant en doute la crédibilité du témoignage de la défenderesse?         
     2. Le tribunal a-t-il erré en droit en ce qu'il n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve documentaire déposée?         

[17]      Il est vrai que la demanderesse dans son FRP, à la question 37, base sa revendication sur la réponse à la même question 37 du FRP de son mari qui est décédé au Canada le 1er octobre 1996. Le tribunal a conclu que le témoignage de la demanderesse diffère de celui de son mari. Plus particulièrement, les arbitres font référence à un incident en janvier 1993 où l'époux de la demanderesse dans son exposé indiquait que des menaces lui avaient été faites par un groupe qui faisait partie du Directorat interne des enquêtes, alors que la demanderesse dans son témoignage déclarait que ces menaces provenaient probablement de la direction de la compagnie. En fait, ce que l'époux de la demanderesse récite dans son FRP est comme suit: "le mois de janvier 1993, un agent de la DIN m'a donné un message me disant que je serais tué et ma famille aussi; et alors demander ma retraite du syndicat, et mes compagnons m'ont dit de ne pas me retirer, de continuer; donc j'ai continué". Comment peut-on dire que ceci diffère de l'essentiel du témoignage de la demanderesse? Cette dernière a maintenu que la menace provenait peut-être de la DIN et elle a conclu que cela venait probablement de la direction de la compagnie. Je ne vois pas de divergences.

[18]      De plus le tribunal indiquait comme suit: "Le tribunal croit que, maintenant que son mari est mort, la revendicatrice exagère son importance au sein du syndicat. D'ailleurs, dans son récit, son mari fait référence à sa femme de la façon suivante: "elle travaillait à l'emballage" et "elle participait aux activités du syndicat". Jamais son mari, dans sa réponse à la question 37, n'a mentionné que son épouse aurait été membre de l'exécutif du syndicat. Déterminer en vertu du récit de son défunt mari que la demanderesse n'était pas membre de l'exécutif du syndicat me semble être une exagération de la part du tribunal le portant à conclure que celle-ci était non-crédible. La question n'a jamais été soulevée dans le FRP de l'époux, à savoir si la demanderesse faisait partie de l'exécutif ou non.

[19]      Dans un autre paragraphe, le tribunal soumet que la demanderesse aurait pendant trois mois, après avoir été renvoyée de son emploi, participé à des réunions syndicales à tous les lundis dans les bureaux de la compagnie et conclut que son comportement n'était pas celui d'une personne qui aurait une crainte bien fondée de persécution. Je ne vois pas comment le fait d'assister à des réunions syndicales pourrait effacer la possibilité d'une crainte de persécution.

[20]      Je dois conclure que le tribunal a mal interprété la preuve et qu'il a intentionnellement mis de côté certains éléments révélateurs.

[21]      De plus, le tribunal déclare que la preuve documentaire nous informe du droit des travailleurs de former des unions et de négocier des conventions collectives au Honduras. La revendicatrice a témoigné que les lois existaient mais n'étaient pas appliquées. Le tribunal fait référence à une seule preuve documentaire pour appuyer sa conclusion que les travailleurs sont bien protégés par une loi du travail qui a été rédigée ou promulguée au Honduras. À la lecture de la preuve documentaire, le Human Rights Watch World 1997 condamne les autorités au Honduras. Le rapport de Amnesty International pour 1997 abonde dans le même sens et cite à la page 9:

                 The law protects workers' rights to organize and to bargain collectively; collective bargaining agreements are the norm for companies in which workers are organized. However, although the Labour Code prohibits retrebution by employers for trade unions activity, it is a common occurrence. Some employers threaten to close down unionized companies, harrass their workers and in some cases fire them from trying to form a trade union...                 
                 Labour leaders blame the government for permitting management to act contrary to the Labour Code and say that this problem will continue until the Ministry of Labour is organized to make it more efficient. They criticize the Minister for not enforcing the Labour Code...                 

[22]      Le rapport du Bureau de la Démocratie/Human Rights, en date de juillet 1996 se lit comme suit à la page 116:

                 Labor / Peasant Members                 
                 The right to organize and bargain collectively is recognized by the Constitution, and 18 percent of the labor force is unionized. Three large peasant associations are also directly affiliated with the trade unions. Leaders and members of these two groups are frequent asylum applicants, alleging mistreatment by military/police forces and/or tugs hired by employers or land owners to thwart strikes or land occupations.                 

[23]      À la page 130 du dossier de la Cour, Honduras - Mise-à-jour, une documentation préparée par la Direction des recherches générales de la documentation de la Commission de l'Immigration et du Statut de Réfugié du Canada, stipule comme suit:

                 Les Droits de la Personne                 
                 Americas Watch a signalé qu'en 1993 "La violence politique a nettement diminué, mais les militaires, y compris la FUSEP (force policière), avaient l'habitude de régler les différends économiques et personnels en recourant à la violence"; en outre, il arriverait fréquemment que des personnes placées sous la garde de la police soient torturées et maltraitées.                 

Dans ce même rapport, à la page 135:

                 La corruption est considérée comme l'un des fléaux du Honduras. L'impunité apparente de dirigeants corrompus est un sujet particulièrement préoccupant...                 

[24]      Toute cette preuve documentaire relativement aux conditions des droits de la personne dans ce pays a été totalement ignorée par le tribunal qui s'est basé uniquement sur un article de droit.

[25]      Il est évident que le tribunal n'a nullement tenu compte de l'ensemble de la preuve, essentiellement documentaire, qui lui a été soumise quant à la situation au Honduras.

[26]      Dans l'affaire Bains v. Canada (Minister of Employment and Immigration, [1993] F.C.J. No. 497, le juge Cullen a fait les observations suivantes quant à la prise en compte par le tribunal de la preuve documentaire déposée:

                 ... Once again, I am concerned that no mention of this documentation is made in the reasons. I agree that it is within the purview of the panel to review the documentation and accept or reject the information, however, the Refugee Division cannot simply ignore the information, particularly where in its own reasons it notes that there are genuine refugees from the Punjab. The Refugee Division, in my view, is obligated, at the very least, to comment on the information. If the documentation is accepted or rejected the applicant should be advised of the reasons why, especially as the documentation supports the applicant's position.                 

[27]      Dans le présent cas, le tribunal déclare à la page 5 de sa décision avoir tenu compte d'une partie de la preuve documentaire indiquant l'existence de droit d'association sans en faire une analyse approfondie.

[28]      Je conclus que la décision du ribunal est mal fondée en ce qui a trait à la crédibilité et que l'évaluation de la preuve documentaire n'a pas été faite de manière objective.

[29]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est retournée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle détermination.

                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 28 janvier 1999

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.