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     Date: 20000411

     Dossier: T-344-00



Entre:

     DANIEL J. McDONALD

     Demandeur

     ET

     THE GREAT LAKES PILOTAGE AUTHORITY et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeurs



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


[1]      La Cour est saisie en l"espèce d"une requête de l"Administration de Pilotage des Grands Lacs (ci-après l"Administration) afin d"obtenir de la Cour une ordonnance déclarant le procureur au dossier du demandeur ainsi que son étude inhabiles à occuper pour le demandeur pour cause de conflit d"intérêts.

[2]      Tel qu"il ressort de l"Avis de la requête à l"étude, les motifs de celle-ci sont que:

6.      That the law firm of Langlois Gaudreau O'Connor, of which the Applicant's solicitor of record is a member, acts as general counsel for the Corporation of Professional Great Lakes Pilots (the "Corporation").
7.      That the Corporation is contractually bound to cooperate fully with the Authority in the defence of the present proceedings.
8.      That in its capacity as counsel to the Corporation, the firm of Langlois Gaudreau O'Connor has access to information of a privileged and/or confidential nature shared between the Corporation, the Authority and/or their respective counsel in the expectation, intention and belief that their common interest creates a shared privilege, which may not be waived unilaterally by the Corporation.
9.      More particularly, but without restricting the generality of the foregoing, the Authority has had a privileged discussion relating to the matters at issue herein with Mr. Jean Grégoire, a member of Langlois Gaudreau O'Connor acting in his capacity as general counsel to the Corporation, which the Authority had a right to expect to be confidential.
10.      The firm of Langlois Gaudreau O'Connor and Mr. John O'Connor are in a conflict of interest and may not continue to act as solicitors for the Applicant.

Contexte

[3]      Le 24 février 2000, le demandeur logeait une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision de l"Administration retirant son nom d"une liste d"éligibilité. Ce retrait avait pour effet ultimement d"empêcher le demandeur d"obtenir un brevet de pilote, et donc, de pouvoir devenir pilote.

[4]      Au début du mois de février 2000, un collègue du procureur du demandeur, Me Grégoire, a offert à ce dernier de contacter une vieille connaissance oeuvrant auprès de l"Administration (Tito De Concilys) afin de s"enquérir du processus général touchant l"embauche des pilotes. Cette information apparaissait utile au procureur du demandeur afin d"évaluer les recours possibles du demandeur et ni le procureur du demandeur (Me O"Connor) ni son collègue ne détenait cette information.

[5]      C"est alors que le 17 février 2000, Me Grégoire logea un appel téléphonique à M. De Concilys.

[6]      C"est cette conversation qui est au coeur et à l"origine de la requête à l"étude.

[7]      En fait, il est important de réaliser que ce n"est pas tant ce qui a été dit lors de cette conversation que le contexte perçu par M. De Concilys qui a amené l"Administration à juger qu"il y avait présence d"un conflit d"intérêts.

[8]      Toutefois, avant de regarder ce que M. De Concilys a perçu de cette même conversation, il y a lieu de noter les éléments factuels suivants.

[9]      Suivant ma compréhension, il n"y a pas véritablement de débat entre les parties quant au fait que lors de cette conversation, Me Grégoire n"a pas reçu ni sollicité d"informations ou de renseignements confidentiels. Il ressort de plus que la situation du demandeur n'a pas sous quelque aspect que ce soit été invoquée lors de cette conversation.

[10]      À cet égard, les extraits suivants de l"affidavit de Me Grégoire soumis à l"encontre de la requête à l"étude nous informent de ce qui suit:

17.      [...] En aucun temps, je n'ai considéré que notre conversation pouvait être privilégiée et être soumise au secret professionnel;
18.      En fait, la discussion avec M. De Concilys fut de nature générale, puisque je n'étais intéressé que par le processus général applicable pour l'embauche des pilotes;
[...]
20.      Je n'ai ni sollicité, ni reçu de M. De Concilys aucune information qui ne soit pas de nature publique et l'affidavit de M. De Concilys ne contient aucune allégation à l'effet que des informations de nature privilégiée aient été données à cette occasion. Je n'ai sollicité aucune information ou fait confidentiel relatif à quelque dossier que ce soit et M. De Concilys ne m'a communiqué aucune information ou fait confidentiel relativement à quelque dossier que ce soit. Notre conversation s'est en effet limitée au processus général relativement à l'engagement de pilotes sur les Grands Lacs. L'Administration publie de temps en temps dans les journaux des avis sollicitant des candidatures au poste de pilote sur les Grands Lacs. L'information que j'ai sollicitée de M. De Concilys concernait ce processus, de la publication des avis jusqu'à l'embauche des pilotes;
[...]
26.      Durant cette conversation, je n'ai pas expliqué à M. De Concilys que nous avions été consultés par M. McDonald. En effet, l'information sollicitée et reçue était d'ordre général et j'ignorais si mon associé, Me O'Connor, recommanderait à M. McDonald de prendre un recours juridique contre l'Administration. Je n'ai pu révéler à l'Administration que M. McDonald prévoyait prendre un recours car j'ignorais totalement si un tel recours serait éventuellement intenté;
27.      Au cours de ma conversation avec M. De Concilys, je n'ai appris aucun fait confidentiel au sujet de M. McDonald, ni au sujet de toute autre personne. Ainsi, il ne peut exister aucun risque de transmission d'informations confidentielles à qui que ce soit, puisque je n'ai ni reçu ni sollicité de telles informations;
28.      De façon plus particulière, je n'ai pas sollicité de M. De Concilys ni ai-je reçu de ce dernier quelque information que ce soit concernant le nom des individus impliqués, la nature, le contenu ou les résultats des examens ou des entrevues, qu'ils se soient déroulés en 1999 ou avant;

[11]      À l"appui de sa position, l"Administration s"en remet à une convention collective, et plus particulièrement à l"article 10.07 de celle-ci, signée entre l"Administration, la Corporation of Professional Great Lakes Pilots (ci-après la Corporation) et la Guilde de la marine marchande du Canada (ci-après la Guilde).

[12]      Les parties n"ont pas semblé s"entendre quant au rôle joué par ces entités sous la Convention. De la preuve limitée soumise, j"en déduis que l"Administration agit à titre d"employeur tandis que la Corporation et la Guilde sont présentes pour représenter les intérêts des salariés, soit les pilotes. Il y aurait un certain lien entre la Corporation et la Guilde mais ce lien n"a pas été clairement défini.

[13]      L"article 10.07 de la Convention se lit comme suit:

10.07      In the event of any action at law or any action under the provisions of the Pilotage Act, against the Authority or the Corporation resulting from the refusal to grant a licence, as a result of an applicant failing to pass the examination, both parties shall cooperate fully in the defence of such action.

[14]      De la preuve soumise de part et d"autre, et plus particulièrement de l"affidavit de Me Grégoire, j"en conclus que ce dernier ainsi que le procureur du demandeur et son étude n"ont en quelque temps pertinent agi pour la Corporation. Cette étude et ces procureurs ont agi et agissent seulement de temps à autre pour la Guilde.

[15]      Les extraits suivants de l"affidavit de M. De Concilys nous laissent voir ce que ce dernier a tenu pour acquis lors de cette conversation:

7.      Had Mr. Grégoire said that his firm was acting or considering acting on behalf of Mr. McDonald, I would have refused to answer his questions.
8.      As it was, I assumed Mr. Grégoire's firm was, as usual, acting on behalf of the Corporation and/or the Guild and provided him with the information he sought regarding all phases of the pilot hiring process, past and present, for District No. 2.
9.      I was aware at the time that Mr. McDonald was dissatisfied with the decision we had made concerning him and I assumed Mr. Grégoire's call was in relation to this matter.
10.      When I spoke with Mr. Grégoire, I assumed and intended that, if Mr. McDonald were to take action in the Courts, the Corporation and the Guild would be bound to co-operate with the Authority. I therefore spoke to Mr. Grégoire as the solicitor for the Corporation and/or the Guild in this spirit of co-operation. [paragraphes 7 à 10]

Analyse

[16]      À mon avis, l'arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235 (ci-après l'arrêt MacDonald) constitue la décision de principe en matière de tout conflit d'intérêts chez les avocats. En ce sens, les arrêts cités par l'Administration ne constituent que des cas d'espèces appliquant directement ou indirectement les enseignements de la Cour suprême.

[17]      Suivant ma lecture de cet arrêt, la transmission potentielle de renseignements confidentiels de la part du client lors de sa relation première avec l'avocat est l'élément de base que l'on doit rechercher dans l'étude de tout conflit pouvant être présent lorsque subséquemment l'avocat se retrouve à agir contre ce client.

[18]      Dans l'arrêt MacDonald, en page 1260, la Cour pose la question à résoudre en l'espèce et indique le chemin à suivre pour la résoudre dans les termes suivants:

[...] l'avocat a-t-il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d'avocat à client, qui concernent l'objet du litige? [...]
     Pour répondre à la première question, la cour doit résoudre un dilemme. Il peut en effet être nécessaire, pour examiner à fond la question, de révéler les renseignements confidentiels que l'on cherche justement à protéger. La requête perdrait alors tout sens. Les tribunaux américains ont résolu ce dilemme en adoptant le critère du "lien important". L'établissement d'un "lien important" fait naître une présomption irréfragable selon laquelle l'avocat a appris des faits confidentiels. À mon avis, ce critère est trop rigide. Il peut arriver qu'il soit prouvé hors de tout doute raisonnable qu'aucun renseignement confidentiel pertinent en l'espèce n'a été divulgué; le requérant a pu, par exemple, reconnaître ce fait au cours de son contre-interrogatoire. Or, cette preuve serait inefficace au regard d'une présomption irréfragable. À mon avis, dès que le client a prouvé l'existence d'un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l'avocat est suffisante , la Cour doit en inférer que des renseignements ont été transmis, sauf si l'avocat convainc la cour qu'aucun renseignement pertinent n'a été communiqué. C'est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s'acquitter. Non seulement la Cour doit être convaincue, au point qu'un membre du public raisonnablement informé serait persuadé qu'aucun renseignement de cette nature n'a été transmis, mais encore la preuve doit être faite sans que soient révélés les détails de la communication privilégiée. Néanmoins, je suis d'avis qu'il ne convient pas de priver de tout moyen d'action l'avocat qui veut s'acquitter de ce lourd fardeau.
(mes soulignés)

[19]      Appliquées au cas qui nous occupe, ces directives nous amènent à nous demander en premier si l"on doit considérer qu"il y a eu une relation d"avocat-client entre Me Grégoire et M. De Concilys, soit l"Administration.

[20]      Seule la perception de M. De Concilys et son application de l"article 10.07 peuvent nous amener à ainsi conclure. En effet, dans les faits l"on sait de la preuve que Me Grégoire n"a jamais agi pour la Corporation mais que son étude agit de temps à autre pour la Guilde. De plus, même si la Guilde est signataire de la Convention, son article 10.07 et l"esprit de coopération qu'il prévoit ne s"enclenchent qu"entre l"Administration et la Corporation et ce, une fois qu"un litige est intenté. Singulièrement, l"article 10.07 ne prévoit pas la participation de la Guilde.

[21]      Dans les faits on doit donc conclure que c"est à tort que M. De Concilys a considéré que l"article 10.07 faisait de Me Grégoire en quelque sorte son procureur de facto .

[22]      Le premier élément de la première question posée par la Cour suprême dans l"arrêt MacDonald est donc absent. Ceci serait en principe suffisant pour disposer de la présente requête.

[23]      Toutefois, même en retenant pour fins de discussions la perception de M. De Concilys, à savoir que lors de la conversation du 17 février il lui était loisible de considérer que Me Grégoire agissait du même bord que l"Administration, il est difficile de considérer que le contenu de cette conversation présente une connexité qui soit suffisante avec l"objet du présent litige.

[24]      Tel que mentionné précédemment, la conversation n"a porté que sur le processus d"embauche et sur rien d"autre. Rien de particulier du cas du demandeur n"a été abordé. Même si l"on peut voir entre cette conversation et le présent litige un recoupement, je ne suis pas pleinement convaincu qu"il y a lieu de parler de "connexité suffisante".

[25]      Néanmoins, malgré la conclusion qui précède, supposons pour fins de discussions que cette connexité suffisante est présente et tenons pour acquis également que l"ensemble des autres conditions d"application de l"article 10.07 sont remplies (c"est-à-dire qu"au 17 février un litige était enclenché et que le présent litige porte sur les circonstances visées par cet article 10.07). Si l"on admet cela, alors la présomption que des renseignements confidentiels ont été transmis à Me Grégoire lors de la conversation est mise en place en faveur de l"Administration.

[26]      Toutefois, cette présomption n'est pas irréfragable. Elle ne fait que porter la balle dans le camp des procureurs du demandeur afin de leur laisser la possibilité de se décharger du lourd fardeau, pour reprendre les termes de la Cour suprême, de convaincre un membre du public raisonnablement informé qu'aucun renseignement confidentiel ne leur a été transmis le 17 février 2000.

[27]      Si l"on doit se rendre à cette étape, ce que je ne pense pas en ratio decidendi , je considère de par l"affidavit de Me Grégoire, et plus particulièrement en raison des extraits cités précédemment, - et qui doivent être vus comme une preuve non contredite - que le demandeur s"est déchargé de ce fardeau de preuve.

[28]      Les présents motifs nous permettent donc de considérer comme non fondé chacun des motifs au soutien de la présente requête cités plus avant (voir paragraphe 2).

[29]      À l"audition de la requête, la procureure de l"Administration a insisté sur le fait que M. De Concilys de même que tout pilote qui pourrait être amené à souscrire un affidavit pourraient être mal à l"aise, pourraient mal percevoir le fait que le demandeur conserve ses procureurs présents.

[30]      Pour les motifs qui précèdent, cette perception à elle seule ne saurait constituer à mon avis un conflit d"intérêts au sens de l"arrêt MacDonald . D"autre part et de façon plus particulière, il n"a pas été établi de façon positive que M. De Concilys était pour souscrire un affidavit dans le cadre du mérite de la présente affaire. Cette conclusion s"applique pour tout autre pilote. De plus, quant à M. De Concilys, même s"il souscrivait un tel affidavit, il n"est pas dit qu"il sera contre-interrogé. Même s"il devait être contre-interrogé, le fait que Me Grégoire ait eu une conversation générale avec lui sur le processus d"embauche des pilotes ne saurait raisonnablement créer une situation de malaise telle, lors du contre-interrogatoire, qu"il faudrait en conclure aujourd"hui qu"il y a lieu d"ordonner le retrait des procureurs présents du demandeur.

[31]      Pour tous ces motifs, cette requête de la défenderesse afin que le procureur au dossier du demandeur ainsi que son étude soient déclarés en conflit d'intérêts dans la présente action et qu'ils doivent en conséquence être déclarés inhabiles à continuer d'occuper pour ce dernier doit être rejetée, le tout avec dépens en faveur du demandeur en tout état de cause.


Richard Morneau

     protonotaire


MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 11 avril 2000

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-344-00

DANIEL J. McDONALD

     Demandeur

ET

THE GREAT LAKES PILOTAGE AUTHORITY et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeurs


LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 3 avril 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 11 avril 2000


ONT COMPARU:


Me John G. O'Connor

pour le demandeur

Me Mireille A. Tabib

pour la défenderesse The Great Lakes Pilotage Authority

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Langlois Gaudreau O'Connor

Québec (Québec)

pour le demandeur

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le Procureur général du Canada

Stikeman, Elliott

Montréal (Québec)

pour la défenderesse The Great Lakes Pilotage Authority

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