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Date : 20040915

Dossier : IMM-4398-03

Référence : 2004 CF 1258

Calgary (Alberta), le 15 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN                                            

ENTRE :

                                                           CHARLES ANKAMAH

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                                                           


[1]                Le demandeur est un citoyen du Ghana, âgé de 42 ans et originaire du village de Baano. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion et de son appartenance à un groupe social, soit sa famille. Il craint d'être persécuté par les habitants de son village et les membres de sa famille en raison de son refus d'accepter la charge de féticheur. Il affirme aussi craindre pour sa vie ou courir le risque de subir des traitements ou des peines cruels et inusités pour les mêmes motifs.

[2]                Le demandeur affirme que les membres de sa collectivité étaient convaincus que les dieux l'avaient choisi lorsqu'il avait environ 18 ans pour être le successeur du féticheur du village. Il a reçu une formation donnée par les aînés du temple qui devait lui permettre de prendre la place du féticheur en exercice lorsqu'il mourrait.

[3]                En 1998, le demandeur s'est converti au christianisme et a exprimé l'intention de refuser de jouer le rôle de féticheur. En décembre 2001, le demandeur devait être intronisé nouveau féticheur, mais il n'était pas présent à la cérémonie. En avril 2002, la famille du demandeur et les aînés ont de nouveau tenté de procéder à l'intronisation, mais le demandeur s'y est refusé et une émeute s'en est suivie. D'autres altercations ont eu lieu au cours des semaines qui ont suivi cette deuxième tentative d'intronisation.


[4]                Craignant pour sa vie et pour la sécurité des autres membres de sa congrégation chrétienne, le demandeur a quitté le village et, de juin à août, s'est rendu à Drobo, Kwamebikrom et Accra. Cependant, le demandeur a témoigné que les dieux savaient où il se trouvait : ils laissaient des signes qu'ils avaient découvert les différents lieux où il s'était caché (par exemple, des plumes et du sang de poulet, des oeufs brisés). Le demandeur a aussi affirmé qu'il croyait que les aînés pourraient le trouver n'importe où au Ghana et, bien qu'il ne craignît pas les dieux, il craignait cependant que les aînés veuillent le punir en le tuant, vu son refus de servir de médiateur entre les dieux et sa collectivité.

[5]                En août, le demandeur est arrivé au Canada en passant par Israël et il a demandé l'asile. Le 26 mai 2003, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger parce que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Accra, au Ghana. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

LA QUESTION EN LITIGE

[6]                La question principale dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Accra, au Ghana.

[7]                La norme de contrôle

[8]                Les parties conviennent, en se fondant sur Chorny c. Canada (M.C.I.),[2003] A.C.F. no 1263, que la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle qui s'applique.


ANALYSE

[9]                La Commission a reconnu que le demandeur avait une crainte subjective d'être persécuté et qu'il craignait que le groupe qu'il appelait les aînés des dieux le tuerait pour avoir refusé de devenir féticheur. Elle a cependant conclu que le demandeur n'avait pas établi de manière objective qu'il n'avait aucune possibilité de refuge intérieur.

[10]            Lorsque la Commission examine la possibilité d'un refuge intérieur, elle doit se demander si cette possibilité existe de manière objective et raisonnable ou si le demandeur subirait des épreuves indues en cherchant à s'en prévaloir. Dans Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589, paragraphe 14, le juge Linden a décrit le critère de la façon suivante :

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer.

[11]            Dans Rasaratnam c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 C.F. 706, au paragraphe 10, le juge Mahoney a affirmé (dans le cas d'un réfugié du Sri Lanka) que, pour conclure qu'il existait une possibilité de refuge intérieur :

[...] la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.


[12]            Par conséquent, pour être en droit de rejeter une demande d'asile au motif que le demandeur a une possibilité de refuge intérieur, la Commission doit être convaincue que le demandeur peut, sans subir d'épreuves indues, déménager dans la région qui constitue ce refuge et qu'il y sera à l'abri de la persécution. Il revient au demandeur d'établir suivant la prépondérance de la preuve qu'il existe un grave risque qu'il soit persécuté dans la région censée offrir une possibilité de refuge intérieur.

[13]            En l'espèce, la Commission a expliqué pourquoi Accra serait une possibilité de refuge intérieur objective et raisonnable. Accra est une grande ville (plus d'un million de personnes) située à bonne distance du village du demandeur (150 milles).

[14]            Si d'une part la Commission acceptait que le demandeur avait une crainte subjective d'être persécuté, par contre le demandeur ne l'a pas convaincue objectivement qu'il serait persécuté à Accra. Bien que le demandeur ait témoigné que les aînés des dieux le tueraient s'ils le trouvaient (Dossier du tribunal, page 12), la preuve documentaire établit plutôt que (Rapport de la Commission, à la page 165 du Dossier du tribunal) :

[traduction] Lorsqu'une personne refuse de devenir prêtre ou prêtresse, il se peut qu'elle soit ostracisée socialement. Bien que la personne ne soit pas en danger de mort, elle peut croire qu'il en est ainsi, surtout si elle a une forte croyance dans les pouvoirs surnaturels. [Non souligné dans l'original.]

[15]            Vu la preuve écrite et orale présentée par le demandeur, la conclusion tirée par la Commission n'était pas manifestement déraisonnable. Par conséquent, pour les motifs que j'ai mentionnés à l'audience, la Cour ne peut pas accueillir la demande de contrôle judiciaire.

La certification d'une question

[16]            Le demandeur demande la certification de la question grave de portée générale suivante :

[traduction] Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne traite que d'une menace pour le demandeur en tout lieu du pays et n'ajoute rien relativement au « caractère raisonnable » , caractère que la Cour a maintes fois considéré être un élément nécessaire de la possibilité de refuge intérieur. Cela revient-il à dire que la jurisprudence sur la question de la possibilité de refuge intérieur ne s'applique plus à l'évaluation du risque que court une personne à protéger?

[17]            Cette question tire son origine de l'extrait suivant du raisonnement de la Commission (Dossier du tribunal, page 06) :

En ce qui concerne la crainte d'une menace à la vie du demandeur ou le risque de traitements ou peines cruels et inusités, le tribunal se fonde sur la même analyse pour conclure qu'il n'existe pas de possibilité sérieuse d'une telle menace ou d'un tel risque pour lui à Accra. En outre, le tribunal prend note de la preuve documentaire indiquant qu'il existe une liberté de mouvement au Ghana et conclut que Accra lui est raisonnablement accessible. Toutefois, il ne peut pas examiner les autres aspects du caractère raisonnable d'une possibilité de refuge intérieur àAccra pour les motifs suivants. Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne traite que d'une menace pour le demandeur en tout lieu de ce pays. Il n'ajoute pas dlément relatif au caractère raisonnable, un élément ayant fait l'objet d'interprétations exhaustives de la part de la Cour fédérale dans le contexte des demandes d'asile de réfugiés au sens de la Convention. Comme le tribunal est convaincu, d'après l'analyse qui précède, que le demandeur a un accès raisonnable à Accra, et qu'il ne ferait pas face à une possibilité sérieuse de menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Accra, le tribunal conclut que le demandeur a accès à une possibilité de refuge intérieur à Accra. [Non souligné dans l'original.]

[18]            L'avocat de la Couronne a admis que la partie soulignée de la citation qui précède est clairement inexacte. Il s'agit cependant d'une erreur sans conséquence. La Commission avait déjà tiré une conclusion sur la possibilité d'un refuge intérieur au regard de l'article 96 de la LIPR et toute analyse au regard de l'article 97 devait arriver à la même conclusion. Par conséquent, cette erreur n'invalide pas la décision et elle ne nécessite pas non plus la certification de la question énoncée par le demandeur.

[19]            Par conséquent, pour ces motifs, la Cour ne peut pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                        « K. von Finckenstein »            

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-4398-03

INTITULÉ :               CHARLES ANKAMAH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                                      LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE :                       LE 15 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent                                               POUR LE DEMANDEUR

Laura Dunham                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darwent Law Office

Calgary (Alberta)                                               POUR LE DEMANDEUR

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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