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Date : 20040621

Dossier : IMM-2292-03

Référence : 2004 CF 877

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH                                    

ENTRE :

                                                 JEAN PAUL MASSAMBA KAPITA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Jean Paul Massamba Kapita est citoyen de la République démocratique du Congo. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d'asile estimant que M. Kapita n'avait pas fourni des éléments de preuve dignes de foi au soutien de sa prétention selon laquelle il était persécuté du fait de ses opinions politiques. M. Kapita sollicite maintenant l'annulation de la décision de la Commission en affirmant que ses conclusions quant à la vraisemblance et quant à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables.


Les faits

[2]                M. Kapita a témoigné qu'il vivait avec sa famille dans la région du Sud-Kivu au Congo, où lui et son père ont démarré une entreprise de vente de fruits et de vêtements. La famille avait en outre établi une plantation et élevait du bétail. M. Kapita a pris l'entreprise en charge après le décès de son père en février 2000.

[3]                Selon M. Kapita, le Sud-Kivu est occupé tant par des rebelles congolais (le Rassemblement congolais pour la démocratie ou le RCD) que par des Rwandais. Cette occupation avait des conséquences pour la conduite de l'entreprise de M. Kapita. À partir de 2000, il n'a plus été capable d'acheter sa marchandise à Bukavu (la plus grande ville du Kivu) en raison de la présence de bandits armés dans les rues.

[4]                En juin 2001, des membres du RCD se sont rendus au lieu d'affaires de M. Kapita. Les rebelles demandaient de l'argent et l'un des membres du RCD, après que M. Kapita eut refusé de leur donner de l'argent, l'a frappé à la tête. M. Kapita leur a alors donné un peu d'argent. Après cette agression, M. Kapita a parlé avec d'autres marchands locaux et ils ont formé une association afin de dénoncer les activités du RCD. Le 20 juillet 2001, le secrétaire de cette nouvelle association a été enlevé et peu après M. Kapita lui-même a été enlevé, interrogé et torturé par des membres du RCD.

[5]                M. Kapita a expliqué que durant la nuit du 31 juillet 2001, il a été enlevé chez lui et conduit dans la brousse où il a vu de nombreux cadavres d'hommes et de femmes. Il était évident que le RCD utilisait l'endroit pour procéder à des exécutions. M. Kapita a témoigné qu'en voyant directement de ses yeux l'exécution d'une personne, il s'est immédiatement enfui. Bien qu'il ait entendu des coups de feu retentir pendant qu'il courait vers la forêt, M. Kapita a pu s'échapper même s'il n'était pas armé.

[6]                M. Kapita déclare qu'après avoir passé la nuit dans la forêt, il est parti le lendemain vers la Tanzanie en pirogue. Après être arrivé en Tanzanie, un ami nommé Kassira Pierre l'a aidé à se rendre au Royaume-Uni et finalement au Canada.   

La décision de la Section de la protection des réfugiés

[7]                La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d'asile présentée par M. Kapita estimant que plusieurs aspects de son récit étaient invraisemblables. Malgré que la Commission lui ait demandé de le faire, M. Kapita n'avait fourni aucun document qui aurait pu démontrer l'existence de son entreprise. Bien que M. Kapita ait fourni son acte de naissance et qu'il ait pu obtenir une photocopie de son certificat d'études par son épouse, qui se trouvait apparemment au Gabon au moment de l'audience, il a omis de fournir une photocopie de l'enregistrement de son entreprise ou d'autres documents, comme des factures ou des reçus, qui auraient démontré l'existence de son entreprise.

[8]                La Commission a conclu que le récit de M. Kapita à l'égard de son enlèvement et à l'égard du fait qu'il avait fui la bande de rebelles du RCD était invraisemblable. En particulier, la Commission a mentionné la prétention de M. Kapita selon laquelle il avait réussi à s'enfuir en courant vers la forêt et à s'échapper après que l'autre individu eut été tué devant ses yeux. Selon la Commission, il était invraisemblable que les rebelles qui avaient conduit M. Kapita dans la brousse pour le tuer l'aient simplement laissé s'enfuir. Étant donné que les rebelles se tenaient soi-disant debout près de M. Kapita quand il a commencé à courir, la Commission estimait incroyable qu'il n'ait pas été tiré et tué, ou à tout le moins blessé, lorsqu'il a essayé de s'échapper. Le récit de M. Kapita à l'égard de sa fuite était simplement « rocambolesque » , selon la Commission, c'est-à-dire trop fantastique pour être cru.

[9]                La Commission a en outre refusé d'accepter le récit de M. Kapita à l'égard de son départ de la Tanzanie. Selon la Commission, M. Kapita a témoigné qu'un parfait inconnu a offert d'organiser et de payer son voyage au Canada. M. Kapita ne savait pas combien coûtait le voyage ni si celui qui avait payé ce voyage s'attendait à être remboursé. Selon la Commission, un tel scénario était totalement invraisemblable.

La question en litige

[10]            La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que M. Kapita n'était pas digne de foi.


La norme de contrôle

[11]            La Cour doit exercer une retenue importante à l'égard des conclusions de fait tirées par la Commission et elle ne devrait pas intervenir à l'égard de ces conclusions à moins qu'elles soient manifestement déraisonnables (voir à cet égard l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) ou, pour utiliser le langage de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, que la conclusion tirée par le tribunal ait été « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il dispose » .      

[12]            Cela dit, lorsque la Commission conclut qu'un récit présenté par un demandeur d'asile est invraisemblable, la Cour peut procéder au contrôle de la conclusion à cet égard avec un plus grand soin et une plus grande minutie. La Cour est souvent tout aussi capable que la Commission de décider si les faits d'un récit particulier ou les événements décrits par le demandeur peuvent raisonnablement s'être produits : voir la décision Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 653, [2002] A.C.F. no 875 (QL) (1 re inst.).      

Analyse


[13]            La Commission a rejeté la demande d'asile présentée par M. Kapita, en partie, parce que bien que M. Kapita ait pu obtenir une photocopie de son certificat d'études par son épouse au Gabon, il a omis de fournir tout document qui aurait corroboré le fait qu'il était propriétaire d'une entreprise de vente au détail dans le Sud-Kivu. L'avocat de M. Kapita affirme que la conclusion de la Commission à cet égard est manifestement déraisonnable étant donné que l'épouse de M. Kapita n'était plus au Congo. En outre, la région du Sud-Kivu avait fait l'objet d'occupations par de nombreuses différentes factions rebelles et l'accès à la région était limité. L'avocat affirme que dans ces circonstances, il était manifestement déraisonnable de s'attendre à ce que M. Kapita puisse fournir un élément de preuve documentaire à l'égard de la propriété de son entreprise.

[14]            Toutefois, il appartient à M. Kapita de démontrer qu'il est une personne qui craint avec raison d'être persécutée au Congo. Malgré l'agitation au Sud-Kivu, et le fait qu'elle était au Gabon, l'épouse de M. Kapita a pu obtenir une photocopie du certificat d'études de M. Kapita. Aucune explication n'a été fournie quant aux raisons pour lesquelles elle n'avait pu obtenir des éléments de preuve au soutien de la prétention de M. Kapita selon laquelle il avait été le propriétaire d'une entreprise au Sud-Kivu. La conclusion de la Commission à cet égard n'était pas manifestement déraisonnable.


[15]            Selon l'avocat de M. Kapita, il était irrationnel pour la Commission de rejeter le récit de M. Kapita à l'égard du fait qu'il s'était enfui devant les rebelles du RCD. Il ressort clairement du témoignage de M. Kapita qu'il y avait de nombreux prisonniers, de même que de nombreux rebelles, dans la brousse la nuit en question. Bien que M. Kapita ait témoigné qu'il avait entendu des coups de feu alors qu'il commençait à s'enfuir, il n'est pas clair que les coups de feu étaient dirigés contre lui. L'avocat affirme que le fait que M. Kapita n'ait pas été blessé ou tué n'est pas déterminant quant au manque de vraisemblance de son récit. Après tout, c'était la nuit et il est possible que les rebelles aient pu avoir de la difficulté à voir M. Kapita alors qu'il s'enfuyait.

[16]            M. Kapita a effectivement témoigné que c'était la nuit quand il a été conduit dans la brousse pour y être exécuté. Néanmoins, selon son propre témoignage, il faisait suffisamment clair pour qu'il ait vu les cadavres à cet endroit et pour qu'il soit témoin de l'exécution d'une personne devant ses yeux. Il est par conséquent surprenant que M. Kapita ait pu s'enfuir indemne au milieu d'un groupe de soldats rebelles armés qui avaient l'intention de le tuer. La conclusion quant à l'invraisemblance tirée par la Commission à cet égard n'est pas manifestement déraisonnable.

[17]            L'avocat du défendeur reconnaît que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a déclaré que M. Kapita prétendait qu'un parfait inconnu avait facilité son départ de la Tanzanie. En fait, M. Kapita a témoigné que son voyage au Canada avait été organisé et payé par un ami. Néanmoins, il est quand même invraisemblable qu'une personne ait accepté de payer un voyage de l'Afrique au Canada sans qu'il y ait eu de discussions quant à la question de savoir si elle s'attendait à être remboursée.

                                                                                              

Conclusion

[18]            Pour les motifs précédemment énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Certification

[19]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question aux fins de la certification et aucune telle question n'est soulevée en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs précédemment énoncés, la présente demande est rejetée;

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2292-03

INTITULÉ :                                        JEAN PAUL MASSAMBA KAPITA

demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE MERCREDI 16 JUIN 2004   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 21 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                            POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                   POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

166, rue Pearl, bureau 100

Toronto (Ontario)

M5H 1L3                                              

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                     

Sous-procureur général du Canada   

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                             


COUR FÉDÉRALE

                                                                                                                              Date : 20040621

                                  Dossier : IMM-2292-03

ENTRE :

JEAN PAUL MASSAMBA KAPITA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                 


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