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Date : 20011213

Dossier : IMM-5054-00

Référence neutre : 2001CFPI 1376

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

HARPAL SINGH

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Nature de la procédure


[1]                 Le demandeur, Harpal Singh, cherche à obtenir le contrôle judiciaire d'une décision défavorable rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) en date du 7 septembre 2000. Le demandeur est un agriculteur de Mandi, dans le district de Jalandhar, au Panjab, en Inde. Il a témoigné qu'un terroriste a été abattu sur la ferme de la famille le 29 juin 1998. Son père, son frère ainsi que lui-même ont couru vers le poste de pompage où vingt policiers les ont appréhendés. Ils sont restés en détention pendant deux nuits, où on les a interrogés séparément et on les a torturés. Le demandeur soutient que les policiers l'ont frappé sur la plante des pieds, ont étiré ses jambes, l'ont frappé sur tout le corps, l'ont pendu par les pieds et ont frappé sa tête contre le mur. On les a libérés à la suite du versement d'un pot-de-vin.

[2]                 Le 6 juin 1999, on a arrêté le demandeur et son père et on les a accusés de travailler avec des militants liés à une opération prévoyant d'utiliser le cyanure pour tuer un grand nombre de personnes. Le demandeur a été de nouveau torturé et a reçu des chocs électriques et, selon lui, il en ressent encore aujourd'hui les effets. Le 14 août 1999, le demandeur a été convoqué pour être interrogé au poste de police où il a été détenu et torturé de nouveau. Il prétend qu'il a dû consentir à être un informateur de la police pour obtenir sa libération. Selon lui, on lui a donné un mois pour fournir des informations ou être tué. À sa libération, il a décidé de fuir et il affirme qu'à la fin des trente jours, les policiers ont rendu visite à sa mère et l'ont frappée pour essayer de trouver où il se cachait. Elle a donné aux policiers une fausse adresse et la maison correspondant à cette adresse a fait l'objet d'une descente policière. C'est à ce stade que le demandeur a pris conscience que tôt ou tard il serait arrêté s'il ne quittait pas l'Inde. Il a déménagé à New Delhi avant de se rendre au Canada. Il est arrivé au Canada le 5 novembre 1999, où il a demandé son statut de réfugié.

[3]                 Le 7 septembre 2000, la SSR a déclaré que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et en outre a constaté l'absence de minimum de fondement de la revendication selon le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. La SSR a estimé qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour pouvoir décider qu'il existait des possibilités sérieuses que le demandeur serait persécuté pour un des motifs de la Convention s'il retournait en Inde. À la page 3 de ses motifs, la SSR déclare :


Compte tenu du témoignage vague du revendicateur, d'importantes contradictions quant à sa torture, de la situation qui prévaut à l'heure actuelle et de la non-intervention de la famille intégrale en matière de politique, le tribunal conclut que le revendicateur n'est pas crédible lorsqu'il affirme que la police le cherchera partout en Inde parce qu'il est réputé s'être joint à des terroristes. Cela est invraisemblable. Le revendicateur n'a pas le profil d'un terroriste et, comme nous l'avons dit sans ménagement au revendicateur, la police ne peut pas croire qu'il aurait des renseignements sur les militants.

Norme de contrôle

[4]                 La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable. Pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi ou les questions de droit, il convient d'appliquer celle de la décision correcte. [Voir Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. no 300; Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.]


[5]                 Le demandeur soutient que la SSR a appuyé sa décision sur des conclusions de fait erronées, qui ont été tirées de façon abusive ou arbitraire. Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle le manque de spontanéité du demandeur lors de l'audience prouve le bien-fondé d'une conclusion défavorable sur la crédibilité des faits. Le demandeur prétend que le rapport d'interview diagnostique explique de façon raisonnable pourquoi le demandeur avait des difficultés pour se rappeler certains événements et pour les décrire dans son FRP, tels que le fait qu'il a été brûlé lorsqu'on le torturait. Le rapport explique qu'il est normal que la personne subissant la torture développe des mécanismes de protection, ce qui rend plus difficile pour elle de se souvenir des incidents les plus cruels. Le demandeur soutient également que la SSR a tort de conclure qu'il était peu plausible que les autorités policières puissent penser qu'il pourrait fournir des renseignements sur les militants, étant donné qu'il n'avait guère de profil politique. Finalement, le demandeur prétend que l'observation de la SSR selon laquelle « les mains du revendicateur [...] sont très fines et douces; il ne s'agit pas des mains d'un ouvrier ou d'un agriculteur » est excessive, car une telle conclusion est fondée sur une observation à distance de ses mains.

[6]                 L'affaire devant moi porte essentiellement sur des conclusions touchant la crédibilité, la plausibilité et les faits. Les motifs du juge Décary dans Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317, au paragraphe 4, peuvent s'appliquer :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer des interférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


Selon les motifs du juge Décary, c'est au demandeur qu'il incombe de démontrer que les inférences tirées par la Section du statut de réfugié ne pouvaient pas raisonnablement l'être. En ce qui concerne le manque de spontanéité lors de l'audience, le demandeur s'appuie exclusivement sur le rapport d'interview diagnostique de M. Woodbury. L'opinion du défendeur est que la SSR a apprécié ce rapport à sa juste valeur. Son auteur est un conseiller en orientation et non un psychologue clinicien possédant la compétence nécessaire pour donner un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique, ce dont le demandeur prétend souffrir. La preuve montre que la SSR a tenu compte du rapport. Il est évident que les motifs donnent peu de poids à ce rapport. Étant donné que l'auteur ne pouvait pas donner une opinion d'expert quant au syndrome de stress post-traumatique dont le demandeur prétend souffrir, je trouve que les motifs de la SSR ne sont pas déraisonnables en ce qui concerne la façon dont elle a traité de ce rapport.

[7]                 Quant aux conclusions de la SSR concernant le profil politique du demandeur et de sa famille, il convient de constater que les motifs ont bien tenu compte de cette question. Le demandeur a témoigné qu'aucun membre de sa famille n'est intéressé par la politique; aucun mandat n'a été émis contre le demandeur; son frère et lui-même n'ont pas fait l'objet de poursuites judiciaires; il n'existe pas de preuve matérielle que son frère fréquentait des groupes de militants. La SSR a aussi constaté que les réponses du demandeur aux questions n'étaient ni spontanées ni franches. Il n'y a aucun élément de preuve pour appuyer la prétention du demandeur que la SSR a écarté ou interprété de façon erronée le fait que son frère se cachait et que les autorités policières le harcelait pour le retrouver.

[8]                 Un examen de tous les éléments de preuve, y compris la preuve documentaire sur laquelle la SSR s'est appuyée, me mène à conclure qu'il était raisonnablement loisible au tribunal de tirer les conclusions qu'il a tirées. De cette décision concernant la crédibilité et des interférences tirées quant à la plausibilité des faits, je conclus en conséquence que les motifs de la SSR sont donnés en des termes clairs et non équivoques, et qu'ils ne sont pas si déraisonnables qu'ils justifient une intervention de la Cour. À mon avis, les conclusions de la SSR dans l'affaire ne donnent pas droit à un contrôle judiciaire.


[9]                 Pour les motifs ci-dessus, le contrôle judiciaire sera rejeté.

[10]            Ayant eu la possibilité de le faire, les parties n'ont pas demandé que je certifie une question grave de portée générale comme le prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration. En conséquence je n'ai pas l'intention de certifier une question grave de portée générale.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.                    La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »             

                                                                                                                                                                  Juge                      

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

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