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Date : 20040824

Dossier : IMM-5998-03

Référence : 2004 CF 1169

ENTRE :

                                                    FABIAN HUMBERTO MERLO

                                                  MARIA EMILIA RUIZ DE MERLO

                                           NICOLAS FEDERICO (FEDERIC) MERLO

                                                      MARIA AGUSTINA MERLO

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                Les membres de la famille Merlo ont fondé leur demande d'asile sur les opinions politiques de M. Merlo ou les opinions politiques qu'on lui imputait. M. Merlo a prétendu qu'il dénonçait les malversations de hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral de l'Argentine et du gouvernement de la province de Mendoza.

[2]                La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Merlo ne craignait pas subjectivement ni objectivement d'être persécuté. La Commission a jugé qu'il n'était pas un témoin crédible ou digne de foi. Subsidiairement, la Commission a conclu que même si le récit de M. Merlo était véridique, il n'y avait pas de lien avec l'un des motifs prévus par la Convention

[3]                M. Merlo travaillait à l'université. Entre autres tâches qui lui étaient assignées, il était responsable d'organiser une série de concerts, connue sous le nom de Mozarteum, mettant en scène des vedettes nationales et internationales. Son employeur, diverses entreprises argentines et le gouvernement provincial de Mendoza finançaient les concerts. M. Merlo a prétendu que le gouverneur, M. Lafalla, avait accepté de fournir au Mozarteum de l'espace de concert ainsi qu'une somme de 4 000 $ par mois pour la période de mars à septembre 1999. Selon les allégations, le gouverneur n'a pas respecté son engagement et M. Merlo l'a dénoncé dans le Diario Una (un journal). Le gouverneur est maintenant sénateur.


[4]                M. Merlo a affirmé qu'en raison de ses actions, il a été harcelé au travail et il a été forcé à remettre sa démission en décembre 1999. Il n'a pas pu obtenir d'autre emploi. Il a soutenu que le gouvernement exerçait des pressions sur les entreprises pour qu'elles n'appuient pas les activités culturelles qu'il avait organisées et qu'il se sentait responsable envers les artistes impayés. Il a soutenu également avoir reçu des appels de menace. À l'occasion d'une rencontre avec l'administrateur financier de l'Institut de la culture ayant mal tourné, l'administrateur lui a intimé de tenir sa langue en raison des dommages politiques qu'il causait. Il a reçu davantage d'appels de menace par la suite.

[5]                M. Merlo est venu à deux reprises au Canada - en mai 2000 (six mois après avoir dénoncé le gouverneur dans un journal) et en novembre 2000 (à l'invitation de Radio-Canada). Son épouse aurait continué de recevoir des appels de menace durant son absence. Il a attendu que sa femme et ses enfants quittent l'Argentine en mars 2001 avant de déposer les demandes d'asiles.

[6]                La SPR a noté que certains des faits importants dont M. Merlo avait fait état dans son témoignage ne figuraient pas dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Elle a conclu qu'il s'agissait d'enjolivements. La Commission n'a pas accepté l'argument de M. Merlo suivant lequel, bien qu'il n'y ait aucune mention de la corruption dans le journal, celle-ci était sous-entendue. Elle a jugé non plausible que quelqu'un ayant autant d'autorité que le gouverneur Lafalla ait été dérangé par les commentaires de M. Merlo à un point tel qu'il aurait fait en sorte que ses employeurs éventuels refusent de l'embaucher. Le fait que M. Merlo n'ait pas réussi à trouver d'emploi tient plutôt vraisemblablement à la situation économique en Argentine.


[7]                La Commission a jugé non plausible la partie du récit relative aux appels téléphoniques. Elle a ajouté que, même si celle-ci était véridique, ces appels n'équivalaient pas à de la persécution. Elle s'est demandée pourquoi Mme Merlo avait attendu si longtemps avant de fuir l'Argentine, si elle se sentait si menacée. On n'a pas essayé d'empêcher la famille de quitter le pays. Pour ce qui est du lien, la Commission a conclu que la demande reposait sur un litige unique et particulier portant sur une question d'argent et de blessure d'amour-propre.

[8]                Les demandeurs contestent les conclusions de non-crédibilité et de non-plausibilité tirées par la Commission, ainsi que sa définition de la corruption et son application du critère relatif à la persécution. Pour ce qui est du lien, ils insistent sur le fait que la dénonciation par M. Merlo de M. Lafalla constituait une expression d'opinions politiques, et que sa dénonciation de la corruption lui permettait de se réclamer de l'appartenance à un groupe social.

[9]                À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions qu'elle a tirées. Les conclusions relatives aux contradictions entre le FRP et le témoignage oral étaient claires et sans équivoques, et les motifs exposés par la Commission pour expliquer pourquoi elle n'avait pas cru M. Merlo étaient intelligibles et suffisants. Pour ce qui est des omissions relevées, la SPR n'a tout simplement pas cru la majeure partie du contenu du témoignage oral qui ne figurait pas dans le FRP.


[10]            La Commission a cru la partie du témoignage portant sur le Mozarteum, malgré le fait que M. Merlo n'en avait pas fait mention dans son FRP. Toutefois, bien qu'elle ait aidé à clarifier la situation, cette partie du témoignage n'a pas fait avancer la demande. Il n'était pas nécessaire d'interroger expressément le demandeur sur l'omission - il suffisait de lui poser des questions générales sur les activités de l'organisme.

[11]            En ce qui a trait à l'argument relatif à la corruption, même si je n'aurais peut-être pas utilisé la définition du dictionnaire retenue par la SPR, la SPR était néanmoins autorisée à conclure que les allégations contenues dans le journal n'étaient pas des allégations de corruption - quelle que soit la définition que l'on donne à ce terme - mais des plaintes relatives à un conflit découlant d'une promesse non tenue. Cette conclusion n'était pas déraisonnable.

[12]            Il n'était pas irrégulier pour la Commission de se référer aux observations de l'agent de protection des réfugiés. La Commission explique suffisamment dans ses motifs les conclusions de non-plausibilité tirées - ainsi que leur incidence sur la décision dans son ensemble - pour que ses motifs soient considérés intelligibles. Les demandeurs ont soumis une preuve suivant laquelle la presse argentine décrivait la corruption en termes explicites. La Commission n'a pas omis de prendre en compte la preuve fournie par M. Merlo quant aux plaintes continuelles de malhonnêteté; elle l'a écartée au motif qu'elle était non crédible. Il était loisible à la Commission de se fonder sur le bon sens et de conclure, sur le vu des faits, que M. Lafalla n'avait aucune raison de menacer une personne relativement peu connue qui avait fait une seule condamnation publique.

[13]            La Commission était saisie d'amplement d'éléments de preuve lui permettant de conclure que M. Merlo voulait quitter l'Argentine pour des raisons économiques. M. Merlo a prétendu qu'il avait un revenu confortable et de bonnes relations en Argentine. Parallèlement, il a soutenu que son épouse et ses enfants avaient été obligés de rester en Argentine pendant quelques mois parce qu'ils n'avaient pas les moyens de faire le voyage immédiatement. Il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que l'allégation suivant laquelle Mme Merlo était restée en Argentine pour des raisons économiques n'était pas plausible, si Mme Merlo craignait véritablement pour sa vie.

[14]            Les demandeurs ne m'ont pas convaincue qu'il existait une erreur justifiant mon intervention relativement aux conclusions de non-crédibilité et de non-plausibilité tirées. La Commission a compétence pour évaluer la crédibilité et pour tirer les inférences qui s'imposent. Dans la mesure où les inférences que la Commission tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[15]            Bien que cela soit suffisant pour trancher la demande, j'ajouterais que je ne vois aucune erreur dans le raisonnement suivi par la Commission relativement à la persécution ou au lien. En ce qui a trait à la persécution, la Commission était tenue d'analyser minutieusement la preuve et de soupeser comme il convient les divers éléments de la preuve : Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.). C'est exactement ce qu'elle a fait, et sa conclusion que l'allégation relative aux appels téléphoniques était non plausible et que de toute façon, ces appels ne constituaient pas de la persécution, ne peut être considérée comme abusive ou déraisonnable.

[16]            Pour ce qui est du lien, la conclusion tirée était une conclusion subsidiaire. Dans l'analyse de cette question, la SPR a présumé que le récit de M. Merlo était véridique. À première vue, il semble que la Commission ait pu revenir à sa conclusion antérieure suivant laquelle il n'y avait pas eu de dénonciation de la corruption. Un examen attentif révèle toutefois que, dans le contexte du lien, la Commission a jugé qu'il n'y avait pas eu de dénonciation de la corruption qui aurait permis à M. Merlo de se réclamer de l'appartenance à un groupe social.

[17]            La SPR a jugé que la plainte de M. Merlo ne reposait que sur un seul motif. Elle a conclu que le litige avait un caractère trop personnel pour que M. Merlo puisse se réclamer de l'appartenance à un groupe social, à savoir les personnes opposées à la corruption politique. Parler du caractère particulier du litige aurait peut-être mieux décrit la situation, mais la conclusion tirée par la Commission est néanmoins raisonnable.


[18]            En ce qui concerne les opinions politiques, la décision relative au lien découlait de la conclusion suivant laquelle la « dénonciation » de M. Merlo ne serait pas considérée comme telle par M. Lafalla et le gouvernement. La Commission n'a vu aucune « subtilité » dans l'article de journal, lequel ne condamnait pas la corruption gouvernementale ni même M. Lafalla de façon générale. Il s'agissait plutôt d'un conflit unique et particulier portant sur une question d'argent et de blessure d'amour-propre. En conséquence, la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de lien avec les opinions politiques. Cette conclusion n'est pas déraisonnable.

[19]            Les demandeurs me demandent d'apprécier de nouveau la preuve afin d'obtenir un résultat favorable quant à leur demande. Ce n'est pas mon rôle. Mon examen du dossier m'amène à conclure que les conclusions de la SPR étaient raisonnables. Mon intervention n'est pas justifiée.

[20]            Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier. Aucune question n'est certifiée.

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

Le 24 août 2004

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5998-03

INTITULÉ :                                                    FABIAN HUMBERTO MERLO ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 12 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 24 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Cynthia Mancia                                                 POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mancia and Mancia                                           POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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