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     Date : 19981211

     Dossier : IMM-5501-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

Entre

     NATHALIA ALIFANOVA,

     RODION ALIFANOV,

     YEVGHENIA ALIFANOVA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     ORDONNANCE

     Par les motifs pris en l'espèce, les demandeurs sont déboutés de leur recours en contrôle judiciaire.

     Signé : Max M. Teitelbaum

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19981211

     Dossier : IMM-5501-97

Entre

     NATHALIA ALIFANOVA,

     RODION ALIFANOV,

     YEVGHENIA ALIFANOVA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge TEITELBAUM

[1]      Par ce recours en contrôle judiciaire introduit contre la décision en date du 25 novembre 1997 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié jugeait qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, les demandeurs concluent à ordonnance portant annulation de cette décision et renvoi de l'affaire pour nouvelle instruction par la Commission.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Les faits de la cause sont résumés de façon fidèle dans la décision en date du 25 novembre 1997 de la Commission, comme en conviennent les parties. La demanderesse Nathalia Alifanova et ses enfants Rodion et Yevghenia, qui viennent du Kazakhstan, ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 16 mars 1997. Selon la demanderesse, ils souffraient au Kazakhstan de discrimination de la part d'hommes kazakhs, au lieu de travail comme à l'école. À l'hôpital où elle travaillait, un docteur kazakh a essayé de violer sa fille. Après que son mari eut ouvert un commerce, il a été victime d'extorsion de la part d'hommes kazakhs qui exigeaient le paiement d'une somme d'argent chaque mois. La demanderesse et son mari ont été agressés deux semaines après, et informés qu'il s'agissait là d'un second avertissement. Elle fait encore savoir qu'après que son mari eut demandé la protection de la police, ils ont reçu des menaces de mort au téléphone pendant les semaines qui suivirent. Le 28 août 1996, l'immeuble où se trouvait le commerce a été complètement détruit. Une nouvelle plainte fut suivie d'autres menaces de mort. La demanderesse témoigne que sa famille n'avait d'autre choix que de déménager chez des amis. Craignant pour ses enfants, elle a quitté en leur compagnie le Kazakhstan le 29 décembre 1996, et ils ont séjourné en Hollande, au Mexique et aux États-Unis avant de parvenir à la frontière canadienne le 16 mars 1997.

La décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

[3]      S'appuyant sur les preuves testimoniales et documentaires produites, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Elle ne voyait aucun rapport entre leur crainte de persécution et les motifs reconnus par la Convention, savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques et l'appartenance à un certain groupe social. Malgré les allégations, faites par les demandeurs, de persécution pour cause de nationalité, la Commission a conclu qu'ils avaient été victimes d'associations de malfaiteurs au Kazakhstan, mais n'avaient pas été persécutés en raison de leur nationalité. Et aussi que les preuves produites ainsi que l'article 50 du Code pénal du Kazakhstan n'étaient pas suffisants pour engager à conclure qu'il est raisonnablement probable qu'ils seraient persécutés une fois de retour dans leur pays d'origine.

L'ARGUMENTAIRE DES PARTIES

[4]      Voici les conclusions des demandeurs. En premier lieu, la Commission n'a pas motivé ses conclusions comme il faut. En deuxième lieu, elle a commis une erreur de droit en concluant qu'il n'y avait aucun rapport entre la crainte de persécution chez les demandeurs et les motifs reconnus par la Convention. La Commission ne se rend pas compte que la plupart des actes de persécution sont de nature criminelle, que la persécution commise par des individus sur une minorité ethnique de nationalité différente tombe dans le champ d'application de la Convention, et que ceux qui ont exercé leurs activités criminelles contre les demandeurs sont des kazakhs alors que les demandeurs sont originaires de Russie. En troisième lieu, la Commission a commis une erreur de droit en tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité en s'appuyant sur des considérations capricieuses ou arbitraires. La constatation faite par la Commission que les demandeurs ne revendiquaient pas le statut de réfugié en Hollande ou aux États-Unis avant d'arriver au Canada n'a rien à voir avec le fond de leur revendication. Même sous l'angle de la crédibilité, ce facteur n'était pas important au point de réduire à néant leur crainte subjective de persécution. En quatrième lieu, la Commission a commis une erreur de droit faute d'avoir considéré comme il faut toutes les preuves dont elle était saisie. Le fait que le mari n'a plus de difficultés à l'heure actuelle n'est pas un facteur et ne réduit pas à néant les activités criminelles dont ont souffert les demandeurs ni n'allège leur crainte. La Commission n'a pas pris en considération ni n'a analysé la discrimination institutionnalisée à laquelle les Russes d'origine sont en proie au Kazakhstan. La conclusion par la Commission que les demandeurs ne seraient probablement pas persécutés une fois de retour dans leur pays, conclusion basée sur l'article 50 du Code pénal du Kazakhstan, n'est pas suffisante pour les rassurer que le rapatriement n'aura aucune suite fâcheuse dans les faits. Cette dernière conclusion n'a pas été présentée avec force.

[5]      Le ministre défendeur soutient que selon la Commission, les agissements dont se plaignaient les demandeurs étaient de nature criminelle et ne valaient pas persécution. La Commission a conclu que ces agissements criminels ne se rapportaient à aucun des motifs reconnus par la Convention, faute de preuve établissant que ceux qui agressaient les demandeurs les prenaient pour cible pour la seule raison qu'ils étaient d'origine russe. Le fait que les criminels fussent kazakhs et les demandeurs, russes, n'est pas la preuve qu'il y a un rapport entre la persécution subie et les motifs reconnus par la Convention. Toujours selon le ministre, il ressort de la réponse faite par la demanderesse à la question no 37 du formulaire de renseignements personnels que les agissements criminels en question ne tenaient pas à leur nationalité, mais à ce que son mari avait un commerce florissant. En ce qui concerne l'argument de discrimination institutionnalisée, le ministre rappelle que selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, publié en janvier 1992 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, discrimination n'est pas persécution au sens de la Convention et ne vaudrait persécution que dans certains cas particuliers. Les demandeurs n'ont pas fait la preuve que la discrimination institutionnalisée dont ils se plaignaient pouvait avoir de graves conséquences néfastes. Le ministre soutient encore que la paix dont jouit maintenant le mari n'est pas une considération étrangère à l'affaire. Si les criminels avaient pris les demandeurs pour cible en raison de leur nationalité, il est probable qu'ils auraient continué à le faire bien qu'il n'exploite plus un commerce et essaie d'éviter le contact avec les Kazakhs.

[6]      En ce qui concerne le défaut par les demandeurs de revendiquer le statut de réfugié en Hollande et aux États-Unis, le ministre soutient qu'il est de droit constant que le défaut de revendiquer ce statut dès la première occasion est un facteur dont la Commission peut tirer une conclusion défavorable. En l'espèce, les demandeurs ont séjourné près de trois mois aux États-Unis avant de revendiquer le statut de réfugié. En ce qui concerne l'interprétation de l'article 50 du Code pénal du Kazakhstan, la Commission s'est fondée sur des informations sérieuses et objectives données dans un document intitulé Country Report on Human Rights Practices for 1996, publication annuelle dont la Cour a reconnu la valeur dans Hassan c. M.E.I. (1993), 152 N.R. 215 (C.A.F.).

LES POINTS LITIGIEUX

[7]      Il s'agit d'examiner si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention relative au statut des réfugiés.

[8]      Il s'agit d'examiner si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire faute de s'être prononcée, dans la partie de sa décision consacrée à l'analyse de la situation des demandeurs, sur l'ensemble ou la majeure partie des faits allégués par ces derniers.

ANALYSE

[9]      Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'y a aucun rapport entre la persécution dont ils se disent les victimes au Kazakhstan et les motifs de persécution reconnus par la Commission.

[10]      Pour se voir reconnaître le statut de réfugié, tout demandeur doit établir le lien entre la persécution qu'il appréhende et l'un des motifs énumérés dans la Convention; v. Rizkallah c. Canada (M.E.I.) (6 mai 1992) A-606-90 (C.A.F.). En l'espèce, la Commission a conclu que la persécution commise par des Kazakhs sur les demandeurs était le fait de malfaiteurs et n'avait rien à voir avec l'un quelconque des motifs énumérés dans la Convention.

[11]      Le ministre cite les précédents suivants qui portent sur des faits semblables : Sokolov c. Canada (M.C.I.), IMM-3853-97, C.F. 1re inst., 16 septembre 1998; Karaseva c. Canada (M.C.I.), IMM-4683-96, C.F. 1re inst., 26 novembre 1997; et Vestoshkin c. Canada (M.C.I.), IMM-4902-94, C.F. 1re inst., 9 juin 1995.

[12]      À mon sens, la jurisprudence invoquée par les demandeurs n'est pas, dans l'ensemble, applicable aux faits de la cause.

[13]      Dans Sokolov c. Canada, précité, le juge Blais s'est prononcé en ces termes aux paragraphes 6, 7, 8 et 9, aux pages 2 et 3 :

     Comme le soulève très justement dans ses prétentions le procureur du défendeur, la Section du statut n'a tiré aucune conclusion négative quant à la crédibilité des demandeurs. La Section du statut a cru que les demandeurs avaient été victimes des tentatives d'extorsion. Toutefois, elle a jugé que ces tentatives d'extorsion ne pouvaient soutenir une crainte bien fondée de persécution pour l'un des cinq motifs prévus à la Convention.         
     Le procureur du défendeur souligne justement qu'aucun élément de preuve ne démontre que ces actes criminels perpétrés contre les demandeurs étaient motivés, par leurs auteurs, pour des raisons nationalistes.         
     Afin de réussir dans leur revendication, les demandeurs se devaient d'établir un lien entre leur crainte de persécution et l"un des motifs prévus à la Convention:         
         To succeed, refugee claimants must establish a link between themselves and persecution for Convention reason.                 
     La conclusion de la Section du statut concernant l'absence de lien entre la crainte alléguée des demandeurs et l'un des cinq motifs prévus à la Convention n'est manifestement pas déraisonnable.         

[14]      Dans Karaseva, précité, les demandeurs qui étaient de nationalité russe se disaient persécutés par des Kazakhs. J'ai tiré la conclusion suivante aux paragraphes 17 et suivants :

     C'est à la page 3 de sa décision que la section a tiré la conclusion suivante :         
         Chacune des revendicatrices, selon le tribunal, a vécu un événement davantage associé à un acte criminel plutôt qu'à un événement relié à de la persécution pour un des cinq motifs définis à la convention.                 
     Le défendeur soutient que la conclusion de la section, voulant qu'il n'y ait pas eu de persécution, est compatible avec le contexte et les circonstances entourant les incidents en question. Je suis entièrement d'accord avec cette conclusion. À l'appui de son argument, le défendeur cite la décision du juge Wetston dans l'affaire Chkliar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1995] F.C.J. No. 96 (IMM-2991-94) lorsqu'il dit :         
         La conclusion selon laquelle ceux-ci craignaient des actes criminels plutôt que de la persécution n'est pas contraire à l'évaluation de la situation générale au Kazakhstan effectuée par la Commission.                 
     En l'espèce, la section ne s'est pas vraiment prononcée sur les conditions actuelles au Kazakhstan. Toutefois, la preuve documentaire des conditions au Kazakhstan qui se trouvait devant la section lors de l'audition concorde avec la conclusion de la section sur ce point (voir en particulier le rapport du " International Helsinki Federation for Human Rights " aux pages 88 et 89 du dossier préparé par la section du statut en vertu de la règle 17 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration .         
     Bien que la section aurait pu mieux étayer son raisonnement, il appert de sa décision qu'elle a accordé plus de valeur à la preuve documentaire relative aux conditions au Kazakhstan qu'aux inférences des requérantes sur le pourquoi de ces incidents. La section était certainement libre de raisonner ainsi et rien ne laisse croire, eu égard à l'ensemble de la preuve, que sa conclusion sur ce point était déraisonnable.         

[15]      De même, dans Vetoshkin, précité, le juge Rothstein s'est prononcé en ces termes aux pages 1 et 2 :

     Il suffit de se demander si la persécution a eu lieu parce que le requérant était un Russe habitant la Tchétchénie. La seule preuve attestant que sa nationalité était la source de ses difficultés avait trait à la première fois où ses assaillants ont communiqué avec sa famille au début de 1990. La formation a jugé qu'il était démontré que le requérant était la cible d'extorsions constantes et autres agissements criminels, mais qu'aucun élément ne permettait de rattacher de tels agissements au fait qu'il était de nationalité russe.         
     Le requérant, qui exploitait une entreprise, était un marin en mesure d'obtenir des devises fortes. La formation a jugé que c'est pour cela que ses assaillants le soumettaient à des extorsions. À cet égard, la présente affaire ressemble à l'espèce Karpounin c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 10 mars 1995, IMM-7368-93 (Cour fédérale, Section de première instance), le juge en chef adjoint Jerome (décision non encore publiée). À la page 4, le juge en chef adjoint s'exprime ainsi :         
         En l'espèce, cependant, les faits sont différents de ceux de l'affaire Aranguiz. La Commission a conclu que les ennuis éprouvés par le requérant ne découlaient pas de son refus d'aider le KGB, mais plutôt de " la simple et unique raison qu'il avait beaucoup d'argent ". Par conséquent, ce n'était pas le défaut du requérant d'établir l'existence d'une opinion politique qui a amené la Commission à rejeter sa réclamation. Les éléments de preuve dont disposait la Commission ne lui permettaient pas d'inférer que le " gouvernement en place au pays considère que sa conduite est de nature politique ". Cela allait au coeur même de sa décision. Même si le requérant n'acceptait pas cette conclusion, la Commission pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait en se fondant sur l'ensemble de la preuve dont elle disposait.                 
     Dans la présente affaire, je suis moi aussi d'avis que, vu la preuve produite, la formation était fondée à conclure que le requérant n'était pas persécuté pour un motif se rapportant à la définition de " réfugié au sens de la Convention ".         

[16]      En l'espèce, les demandeurs témoignaient que leurs tortionnaires étaient des hommes kazakhs qui les prenaient pour cible à cause de leur nationalité russe. La Commission a pris acte que la crainte de persécution alléguée par les demandeurs était fondée sur leur nationalité. Mais elle a examiné les actes d'extorsion, les menaces et la destruction de leur commerce, que faisaient valoir les demandeurs, et a conclu que ces actes étaient le fait de malfaiteurs, et n'avaient rien à voir avec leur nationalité. Au cours de son témoignage, la demanderesse Nathalia Alifanova s'est vu poser la question suivante (Dossier du tribunal, page 239) :

     Q. Les gens qui vous menaçaient et qui vous demandaient de l'argent, se sont-ils identifiés à un groupe quelconque, politique, social, criminel pour les identifier?         
     R. Je pense que c'était plutôt un groupe criminel, mais ce sont mes propres conclusions.         

[17]      Les demandeurs reprochent aussi à la Commission de s'être fondée sur le fait que le mari de la demanderesse n'a plus de difficultés au Kazakhstan pour parvenir à la conclusion qu'elle a tirée en l'espèce. Le ministre soutient que ce fait prouve que si la persécution dont se plaignent les demandeurs s'expliquait vraiment par leur nationalité, le mari aurait continué à avoir des difficultés malgré la fermeture de son commerce.

[18]      Il appert que la Commission a conclu de ces incidents qu'ils ne présentaient aucun rapport avec les motifs de persécution reconnus par la Commission. Il lui est loisible de tirer ses propres conclusions des preuves dont elle est saisie; v. Hercules c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 854, et Karaseva précité. Vu les preuves produites devant la Commission, je ne suis pas convaincu que ses inférences et conclusions soient déraisonnables et justifient que j'infirme sa décision.

[19]      Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité du défaut de leur part de revendiquer le statut de réfugié en Hollande ou aux États-Unis durant les trois mois qui précédaient leur arrivée au Canada.

[20]      Le défendeur réplique que la Commission était fondée à tirer une inférence ou conclusion défavorable sur le sérieux de la crainte de persécution exprimée par les demandeurs, du fait qu'ils n'avaient pas revendiqué le statut de réfugié à la première occasion en Hollande ou aux États-Unis.

[21]      L'argument du défendeur est fondé au regard de la jurisprudence en la matière. Dans Ccanto c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 149, le juge Cullen a fait l'observation suivante :

     Ainsi que l'avocate de l'intimé l'a souligné, le Tribunal a conclu que les faits relatés par le requérant étaient peu plausibles et a poursuivi en décrivant le voyage en Italie, l'escale de quatre heures au Canada et le fait que le requérant a attendu que son visa expire pour revendiquer le statut de réfugié. De plus, le Tribunal a conclu que l'inquiétude exprimée par le requérant au sujet de ses parents était peu plausible, parce que les membres de sa famille étaient en mesure de se rendre en Italie et de rentrer ensuite chez eux. Le Tribunal s'est montré sceptique au sujet du la prétendue préoccupation exprimée par le requérant au sujet du manque de sécurité en Italie. En fait, le requérant a bel et bien obtenu un passeport au Pérou en payant un pot-de-vin - ce qui, admet-il avec franchise, est la coutume - et il a obtenu le passeport en se présentant en personne. Le Tribunal a pris note de ce fait. La crainte est donc peu plausible parce que, si les autorités étaient à sa recherche, la dernière chose qu'elles permettraient est la délivrance d'un passeport lui permettant de quitter le pays. Qui plus est, son passeport a été renouvelé par la suite.         
     Si le requérant avait une crainte subjective, il n'y a aucun élément de preuve qui l'appuie, ainsi que le démontre le fait qu'il s'est déplacé d'un pays à l'autre sans demander le statut de réfugié en Italie et qu'il a attendu plusieurs mois avant de présenter sa demande au Canada.         

[22]      Dans Wey c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] A.C.F. no 286, (1995) 91 F.T.R. 229, aux pages 232 et 233, le juge Gibson s'est prononcé en ces termes :

     Quant à la deuxième question, ayant examiné assez longuement les éléments de preuve dont elle disposait, ayant analysé l'explication par le requérant de son omission de revendiquer plus tôt le statut de réfugié au sens de la Convention dans l'un quelconque des pays où il avait vécu ou séjourné, et ayant brièvement examiné les conditions qui prévalaient au Nigeria relativement à la situation des journalistes, la SSR a conclu que la crainte de persécution du requérant était dépourvue d'un fondement objectif. Encore une fois, je suis convaincu que cette conclusion était celle qu'il lui était raisonnablement loisible de tirer.         
     La dernière question se rapporte à l'omission par le requérant de revendiquer plus tôt le statut de réfugié au sens de la Convention dans l'un des pays où il avait vécu ou séjourné après avoir quitté le Nigeria. La SSR a trouvé que l'explication du requérant " n'était pas satisfaisante ". Dans l'arrêt Heer c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration , le juge Heald s'est exprimé en ces termes au nom de la Cour d'appel fédérale :         
         Bien qu'étant d'avis que la Commission d'appel de l'immigration a peut-être indûment insisté sur l'importance du retard dans la présentation de la revendication du statut de réfugié en l'espèce, nous convenons toutefois avec la Commission qu'une telle circonstance est un important facteur dont elle peut tenir compte en examinant une revendication du statut de réfugié.                 
     En l'espèce, la SSR n'a pas, telle est ma conclusion, " indûment insisté " sur l'importance du retard. Elle a considéré le retard comme simplement un facteur dans l'examen de la revendication du requérant. Ce faisant, elle n'a commis, à mon avis, aucune erreur susceptible de contrôle.         

[23]      En l'espèce, la Commission a pris en considération les raisons données par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle n'avait pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis, a trouvé cette explication insatisfaisante, et en a tiré une conclusion défavorable. La demanderesse Nathalia Alifanova a expliqué qu'elle n'avait pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis parce qu'elle voulait s'établir au Canada, qui est un beau pays et où le taux de criminalité est plus faible (Dossier du tribunal, page 244). À mon avis, la Commission n'a pas attaché une importance exagérée au retard mis par les demandeurs à revendiquer le statut de réfugié, et elle était fondée à se prononcer comme elle l'a fait. Il m'est impossible de conclure qu'elle a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire pour avoir décidé comme elle l'a fait.

[24]      En dernier lieu, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur faute d'avoir pris en compte la discrimination institutionnalisée dont souffrent les Russes d'origine au Kazakhstan. Le défendeur réplique que ce n'est que dans des cas exceptionnels que la discrimination institutionnalisée vaut persécution au sens de la Convention, citant à ce sujet le paragraphe 54 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, que voici :

     54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécution. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.         

[25]      Le défendeur soutient encore que les demandeurs n'ont pas fait la preuve que la discrimination institutionnalisée dont ils se plaignaient avait des conséquences gravement préjudiciables. En l'espèce, la Commission n'a été saisie d'aucune preuve de discrimination institutionnalisée et je ne peux conclure qu'elle a commis à ce sujet une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[26]      Je tiens à faire une observation sur l'argument des demandeurs (ou de leur avocat) que les actes de persécution sont pour la plupart de nature criminelle. J'en reconnais le bien-fondé. Néanmoins, tous les agissements criminels ne peuvent pas être considérés comme des actes de persécution.

[27]      C'est ce qui se dégage des faits de la cause. L'extorsion est un crime. La menace de coups et blessures est un crime. Que ces crimes soient commis par des Kazakhs contre des Russes n'en fait pas des actes de persécution.

CONCLUSION

[28]      À mon avis, la Commission n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en décidant que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Ses inférences et conclusions étaient raisonnables à la lumière des preuves et des faits dont elle était saisie.

[29]      La Cour déboute les demandeurs de leur recours en contrôle judiciaire.

     Signé : Max M. Teitelbaum

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 11 décembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-5501-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Nathalia Alifanova et al.

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté
                     et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :      8 décembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

LE :                      11 décembre 1998

ONT COMPARU :

M. Ethan A. Friedman          pour la demanderesse
Mme Marie-Claude Demers          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Westmount (Québec)              pour la demanderesse
M. Morris Rosenberg          pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada

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