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Date : 20050106

Dossier : IMM-9797-03

Référence : 2005 CF 4

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                               SHAFIUL ALAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Shafiul Alam a vu sa demande d'asile rejetée par un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il a soutenu qu'il avait été persécuté pour des raisons politiques au Bangladesh, mais la Commission a jugé que la preuve qu'il avait présentée n'était pas crédible.

[2]                M. Alam fait valoir que la Commission a commis une grave erreur en lui imposant un fardeau de la preuve plus lourd que celui qu'exige la loi. Il ajoute que cette erreur a incité la Commission à tirer des conclusions de fait non fondées.

[3]                À mon avis, la Commission a commis une erreur. En conséquence, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'une nouvelle audience.

I. La question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en formulant de façon inappropriée ce qu'est le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d'asile?

II. Analyse

a) La norme de preuve

[4]                La Commission a conclu son analyse de la situation de M. Alam par les remarques suivantes : « Le demandeur ne s'est pas suffisamment acquitté du fardeau de la preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande d'asile est bien fondée » .

[5]                Bien que le fardeau de la preuve du demandeur soit bien connu et largement accepté, il est très difficile de l'exprimer en termes simples. Le juge Mark MacGuigan a énoncé le critère applicable dans Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, [1989] A.C.F. no 67 (C.A.) (QL) :

Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire

[...]


Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité. (À la page 683.)

[6]                La norme de preuve n'est pas facile à énoncer. La Cour fédérale a reconnu que différentes expressions de cette norme sont acceptables, pour autant qu'il appert de l'ensemble des motifs de la Commission que le fardeau de la preuve imposé au demandeur n'est pas excessif. Ainsi, la juge Carolyn Layden-Stevenson a conclu que la Commission s'était bien exprimée lorsqu'elle a dit ce qui suit : « Dans la preuve qui m'a été soumise, rien n'indique que selon la prépondérance des probabilités, la mère du demandeur principal serait exposée si elle rentrait en Albanie à une possibilité sérieuse d'être la cible d'actes de persécution » (Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 635, [2004] A.C.F. no 771 (QL), au paragraphe 11). Dans la même veine, le juge Pierre Denault a conclu que les commentaires suivants étaient acceptables :

[TRADUCTION] En se fondant sur la preuve, le tribunal conclut que selon la prépondérance des probabilités, la crainte subjective de la demanderesse n'a aucun fondement objectif, et qu'il n'y a aucune « possibilité raisonnable » que la demanderesse de statut soit persécutée pour aucun des motifs énumérés dans la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention dans la Loi sur l'immigration si elle retournait en Russie. (Seifelmlioukova c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1163 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 3)


[7]                En revanche, dans les cas où la Commission a semblé imposer un fardeau de la preuve excessif au demandeur, la Cour a ordonné la tenue d'une nouvelle audience. Ainsi, le juge en chef Julius Isaac a conclu que la Commission avait commis une erreur lorsqu'elle a mentionné qu'elle n'était pas convaincue « [que le demandeur] court un risque raisonnable d'être persécuté en raison de ses opinions politiques s'il retourne en Bulgarie » (Chichmanov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 832 (C.A.) (QL); voir également Mirzabeglui c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 50 (C.A.) (QL)). Dans l'arrêt Adjei, susmentionné, le juge MacGuigan n'a pas approuvé la façon dont la Commission avait formulé la norme de preuve en disant que les éléments de preuve qui lui avaient été présentés « ne lui permettent pas de conclure qu'il y a des raisons suffisantes de penser que M. Adjei serait persécuté... » .

[8]                Ce qu'il faut retenir de l'arrêt Adjei, c'est que la norme de preuve applicable réunit la norme civile habituelle et un seuil spécial qui s'applique uniquement dans le contexte des demandes d'asile. Bien entendu, les demandeurs doivent prouver les faits sur lesquels ils se fondent et la norme de preuve civile constitue la bonne façon d'apprécier la preuve qu'ils présentent à l'appui de leurs assertions de fait. Dans la même veine, les demandeurs doivent convaincre la Commission en bout de ligne qu'ils risquent d'être persécutés. Il s'agit encore là d'une norme de preuve civile. Cependant, étant donné qu'ils doivent démontrer uniquement l'existence d'un risque de persécution, il ne convient pas d'exiger d'eux qu'ils prouvent que la persécution est probable. En conséquence, ils doivent simplement prouver qu'il existe « une possibilité raisonnable » , « davantage qu'une possibilité minime » ou « de bonnes raisons de croire » qu'ils seront persécutés.


[9]                Il appert des décisions susmentionnées que, lorsque la Commission a articulé l'essentiel de la norme de preuve applicable (c'est-à-dire la combinaison de la norme de preuve civile et du concept de la « possibilité raisonnable » ), la Cour fédérale n'est pas intervenue. En revanche, dans les cas où il a semblé que la Commission avait rehaussé la norme de preuve, la Cour est passée à un examen où elle s'est demandé si une nouvelle audience était nécessaire. De plus, si la Cour ne peut déterminer la norme de preuve qui a été appliquée, une nouvelle audience sera peut-être nécessaire : Begollari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1340, [2004] A.C.F. no 1613 (QL).

[10]            Lorsque la Commission impose un fardeau de la preuve excessif, il se peut qu'une demande d'asile rejetée eût pu par ailleurs être accueillie. Cependant, dans certains cas, l'erreur serait purement théorique, notamment lorsque la preuve du demandeur est faible au point où elle ne pourrait pas satisfaire même à la norme de la « possibilité raisonnable » : décision Brovina, précitée.

[11]            En conséquence, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire dans des circonstances de cette nature, la Cour doit se demander si la Commission a appliqué la norme de preuve qui convenait. Dans la négative, la Cour doit ensuite décider si l'erreur nécessite une nouvelle audience.

b) La décision de la Commission

[12]            Tel qu'il est mentionné plus haut, la Commission s'est exprimée comme suit : « Le demandeur ne s'est pas suffisamment acquitté du fardeau de la preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande d'asile est bien fondée » .

[13]            M. Alam avait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il avait de bonnes raisons de craindre d'être persécuté. Cependant, la Commission ne s'est pas demandé s'il existait une « possibilité raisonnable » ou « davantage qu'une possibilité minime » . Si elle avait simplement mentionné que M. Alam n'avait pas réussi à démontrer l'existence d'une possibilité raisonnable qu'il soit persécuté, aucune erreur ou ambiguïté n'aurait pu être invoquée. Cependant, l'absence de mots indiquant que la Commission a appliqué la norme appropriée donne à penser qu'elle a demandé à M. Alam de prouver la persécution selon la prépondérance des probabilités. Il s'agit là d'une erreur manifeste et d'ailleurs, le défendeur admet que la Commission a commis une erreur sur ce point.

[14]            La prochaine question qui se pose est donc de savoir si l'erreur de la Commission nécessite une nouvelle audience. La Commission a conclu que M. Alam n'avait pas réussi à prouver les faits sous-jacents à sa demande :

Après un examen du comportement du demandeur, son choix de modifier son exposé circonstancié afin qu'il cadre avec les lettres en preuve, l'incohérence concernant le lieu où l'enlèvement s'est produit et l'absence totale de compréhension du contenu des réunions du groupe dont il était membre me convainquent que la preuve du demandeur n'est pas crédible.

[15]            M. Alam allègue que l'erreur de la Commission n'est pas théorique en l'occurrence. Plus précisément, il fait valoir qu'étant donné que la Commission n'a pas appliqué la norme de preuve qui convenait, elle n'a peut-être pas tenu compte de la valeur de la preuve documentaire qu'il a fournie au soutien de sa demande. La Commission n'a fait allusion à aucun de ces documents dans ses motifs.


[16]            À mon avis, lorsque la Commission a commis une erreur de droit au sujet d'une question aussi fondamentale que la norme de preuve applicable, la Cour devrait généralement ordonner la tenue d'une nouvelle audience, à moins qu'il ne soit évident que la demande ne pourra être accueillie. Compte tenu de la façon dont la Commission a traité la preuve documentaire, je ne puis avoir la certitude que l'énoncé erroné qu'elle a formulé n'a eu aucun effet sur le résultat. En conséquence, je me vois contraint d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différent de la Commission.

[17]            Aucune des parties n'a proposé de question de portée générale à faire certifier et aucune question de cette nature n'est formulée.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une nouvelle audience est ordonnée.

2.          Aucune question de portée générale n'est formulée.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »                   

                                                                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9797-03

INTITULÉ :                                        SHAFIUL ALAM c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONT.)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 17 novembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                       le 6 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                   POUR LE DEMANDEUR

A. Leena Jaakimainen                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHAEL CRANE                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ont.)

MORRIS ROSENBERG

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ont.)                                                   POUR LE DÉFENDEUR


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