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Date : 19990916


Dossier : IMM-5047-98


OTTAWA (ONTARIO), LE 16 SEPTEMBRE 1999.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LEMIEUX


ENTRE :



SEKOU SANOE,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



ORDONNANCE


     Pour les motifs que j"ai exposés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l"un ni l"autre avocat n"a proposé de question à certifier; aucune question n"est certifiée.


" François Lemieux "

                                         J U G E

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19990916


Dossier : IMM-5047-98


ENTRE :



SEKOU SANOE,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


LE CONTEXTE


[1]      Le demandeur, Sekou Sanoe, est un citoyen du Libéria qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de son appartenance à un groupe ethnique particulier, soit la tribu malinké. Il a exprimé sa crainte dans le contexte d"une guerre civile qui a duré sept ans et pris fin en 1996. La guerre civile était attisée par de l"animosité entre les tribus, animosité qui, dans le cas de la tribu malinké, était exacerbée du fait que cette tribu est largement musulmane.

[2]      Le demandeur dit que le National Patriotic Front of Liberia (le NPFL), gouvernement du président Charles Taylor, constitue l"agent de persécution qu"il craint, et il soutient que la tribu malinké est toujours persécutée. Monsieur Sanoe a témoigné que des membres de la tribu gio a, à la demande du NPFL, tué ses parents et son épouse en 1992, pendant la guerre civile. Il dit avoir quitté la capitale, Monrovia, afin de chercher refuge dans la région de la rivière Poor (à l"instar de nombreux Malinkés), que contrôlait le United Liberation Movement of Liberia for Democracy (les forces de l"ULIMO-K). Il a dit que pour être protégé, il est devenu partisan de l"ULIMO.

[3]      Après la fin de la guerre civile, en 1996, un gouvernement intérimaire a été installé. Monsieur Sanoe est retourné à la capitale, Monrovia. Des élections ont eu lieu en juillet 1997, élections que le NPFL de Charles Taylor a remportées. Monsieur Sanoe dit qu"à partir de ce moment-là, la situation des Malinkés a empiré. L"événement qui a précipité sa fuite du Libéria est survenu le 8 février 1998. Il était à la maison. Soudain, des inconnus s"y sont rendus tard un soir, ils ont frappé à la porte et ils l"ont appelé par son nom. Il a écrit dans son FRP qu"il savait que ces hommes ne pouvaient être ses amis, car ceux-ci ne s"aventuraient jamais dehors après minuit depuis que le pays était contrôlé par les " gars du NPFL " qui, bien que responsables de la sécurité, procédaient en secret à des exécutions. Il n"a pas ouvert la porte, mais il a demandé à qui il avait affaire. Les hommes ont refusé de s"identifier. Il s"est enfui cette nuit-là et il a trouvé refuge dans une maison qui, selon ses dires, était ouverte mais ne semblait pas habitée. Il a dit que dans cette maison, il a trouvé un passeport et des documents de voyage, sur un lit. Il a pris ces documents et s"est enfui au Sierra Leone, où il a fait modifier le passeport pour que sa photographie y paraisse. Il est arrivé au Canada le 18 février 1998.


LES CONCLUSIONS DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[4]      La Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 14 septembre 1998, que M. Sanoe n"était pas un réfugié au sens de la Convention. La SSR n"a pas douté de la crédibilité du revendicateur ni du fait que ce dernier avait une crainte subjective d"être persécuté. La formation a fondé sa conclusion sur le fait que M. Sanoe n"avait pas établi que sa crainte d"être persécuté avait un fondement objectif. Cette conclusion de la formation était fondée principalement sur des éléments de preuve documentaire tels les rapports de Human Rights Watch/Africa et les Country Reports on Human Rights Practices que le Department of State américain avait préparés pour l"année 1997. Ces éléments de preuve documentaire font état des changements survenus au Libéria. La SSR a mentionné les accords de paix de 1996, les élections de juillet 1997 réputées équitables et libres, l"élection de Charles Taylor par une grande majorité de Libériens, le début du processus de réconciliation, la création, au Libéria, d"une commission sur les droits de la personne devant être remplacée par une commission de réconciliation, la reconstitution de la Cour suprême, la démobilisation de 33 000 combattants au cours de la période allant de novembre 1996 à février 1997, la création d"une commission électorale permanente, et la reprise des activités de Independent Star Radio. La SSR a souligné que malgré certaines difficultés, particulièrement en ce qui concerne les minorités ethniques comme les Malinkés, le H.C.N.U.R. poursuivait la mise en oeuvre de son programme de rapatriement.

[5]      La SSR a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] La formation estime que bien qu"il y ait des tensions ethniques qui touchent particulièrement les Malinkés et d"autres tribus minoritaires, il n"y a pas suffisamment d"éléments de preuve permettant de conclure qu"un groupe ethnique en particulier est persécuté par les forces gouvernementales ou des organisations de guérilla au Libéria.

Le fondement de cette conclusion serait la pièce R-2, à la page 26, qui constitue en fait une réponse à une demande d"information présentée par la CISR.

[6]      La SSR, à la page 3 de sa décision, mentionne le fait que le revendicateur avait pu obtenir son certificat de naissance par l"entremise du Consulat général du Libéria à New York, et que cela contribuait à établir que le gouvernement de ce pays s"était engagé à traiter ses citoyens de façon équitable, sans faire de discrimination.

[7]      La SSR a également mentionné, de la façon suivante, qu"une grève de chauffeurs de taxi constituait un élément convaincant :

[TRADUCTION] En tirant sa conclusion que le revendicateur n"avait pas établi que sa crainte d"être persécuté était fondée malgré les épisodes tragiques qu"il avait vécus, la formation a trouvé convaincant l"incident, survenu le 16 janvier 1998, à l"occasion duquel un chauffeur de taxi malinké a été brutalement assassiné à Monrovia, de même que la réaction de ses collègues, dont la plupart sont des Malinkés. Rien n"indique que leur grève sauvage a été supprimée ni que les organisateurs et les participants en ont subi des répercussions défavorables.

L"ANALYSE


[8]      Comme il a déjà été souligné, la SSR a décidé de ne pas accorder le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur en concluant que sa crainte d"être persécuté n"avait pas de fondement objectif.

[9]      Dans l"arrêt Ward c. Canada , [1993] 2 R.C.S. 689, le juge La Forest, s"exprimant au nom de la Cour, a conclu que pour statuer sur une revendication du statut de réfugié, il fallait d"abord et avant tout se demander si le revendicateur avait une " crainte justifiée d"être persécuté ". Voilà le premier élément que le revendicateur doit établir. À la page 723, le juge La Forest dit :

     D"une façon plus générale, que doit faire exactement le demandeur pour établir qu"il craint d"être persécuté? Comme j"y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets: (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d"être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l"arrêt Rajudeen , précité, à la p. 134:
     L"élément subjectif se rapporte à l"existence de la crainte de persécution dans l"esprit du réfugié. L"élément objectif requiert l"appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.

[10]      Il ressort de la transcription que l"idée maîtresse du témoignage du demandeur portait sur les raisons pour lesquelles il avait une crainte subjective. Pour ce qui est de savoir si sa crainte était raisonnable sur le plan objectif, c.-à-d. si elle était fondée (Lai c. Canada (M.E.I.) , 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.)), M. Sanoe a mentionné le fait que des responsables de la sécurité procédaient en secret à des exécutions, même après l"élection de M. Taylor; il a parlé du décès du Dr Fofana, chef politique malinké, et il a fait référence à des bandes de jeunes garçons; il a fait le récit de l"incident du 8 février 1998, à l"égard duquel la SSR avait dit que le demandeur avait présumé que ses visiteurs appartenaient au NPFC.

[11]      À mon avis, les éléments de preuve qui ont été utilisés à l"égard du critère objectif étaient, en grande partie, les éléments de preuve documentaire suivants : les Country Reports on Human Rights Practices du State Departement des États-Unis, les rapports de Human Rights Watch/Africa et d"Amnistie Internationale, des renseignements tirés de la presse, et des mises à jour de renseignements par les services de recherche de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, à Ottawa.

[12]      Vu leur nature, de tels éléments de preuve documentaire sont plus généraux, car il arrive très souvent qu"ils ne sont pas précisément liés aux faits particuliers sur lesquels la revendication du statut de réfugié d"un demandeur est fondée. C"est la raison pour laquelle notre Cour a dit, dans un certain nombre de cas, que lorsque la Section du statut de réfugié préfère des éléments de preuve documentaire au témoignage d"un revendicateur, elle doit le signaler et dire pourquoi elle agit ainsi. L"avocat du demandeur se fonde à bon droit sur deux arrêts de la Cour d"appel fédérale pour étayer cette proposition, soit Kwame Okyere-Akosah c. Canada (M.E.I.) , A-92-91, 6 mai 1992, et Hilo c. M.E.I, A-260-90, 15 mars 1991.

[13]      Comme il a déjà été souligné, le demandeur a témoigné concernant sa crainte objective. Je suis d"accord avec la façon dont l"avocate du défendeur a considéré le témoignage à cet égard. Le témoignage était de nature générale; il n"établissait pas de distinction entre des événements de persécution et des incidents criminels; une certaine partie de ce témoignage renvoyait à des événements survenus en 1992 à une époque et dans des circonstances différentes; enfin, le demandeur s"est fondé sur l"opinion de son cousin qui vit aux États-Unis pour dire que le Libéria n"est pas un pays sécuritaire à l"heure actuelle.

[14]      Dans sa plaidoirie, l"avocat du demandeur a tenté d"étayer le témoignage général de son client en établissant des liens entre ce témoignage et la preuve documentaire. Par exemple, il a rattaché le témoignage du demandeur concernant des bandes de jeunes garçons à la preuve documentaire établissant que des enfants soldats avait été démobilisés.

[15]      Pour accepter cet argument, il me faudrait apprécier à mon tour le témoignage. Or, je ne peux tout simplement pas agir de la sorte dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire.

[16]      L"avocat du demandeur soutient que la SSR a omis de tenir compte de l"aspect du témoignage concernant la situation déplorable qui règne à l"heure actuelle au Libéria et qu"elle n"a pas analysé la preuve documentaire, se contentant de faire un examen sur dossier.

[17]      À mon avis, cette description des motifs de la SSR que le demandeur a faite doit être rejetée. La SSR, dans sa décision, a expressément reconnu que de graves questions en matière de droits de la personne n"avaient toujours pas été réglées et qu"une culture de la violence, des tensions ethniques et une certaine impunité avaient vu le jour. La SSR a expressément conclu qu"il y avait des tensions ethniques et que ces dernières touchaient particulièrement les Malinkés et d"autres minorités. Cependant, la formation a constaté que des changements positifs, qui ont déjà été mentionnés, étaient survenus.

[18]      Le demandeur a cité l"affaire Okyere-Akosah , précitée, pour étayer son point de vue. Dans cette affaire, il était question de discrimination pour des motifs de religion qu"avait subie le revendicateur, un marguillier qui avait témoigné directement relativement au fait que le gouvernement de Rawling avait interdit son église, que de nombreux membres de cette dernière avaient été arrêtés, et que lui-même avaient failli l"être aussi. La preuve documentaire mentionnait également la fermeture de deux autres églises. La Cour d"appel fédérale a conclu que le raisonnement sur lequel la Commission s"était fondée pour refuser de tenir compte du témoignage détaillé du revendicateur concernant les pratiques de son église était erroné, la Commission ayant exprimé des doutes sur le fondement de la preuve documentaire après avoir déjà décidé que le revendicateur était crédible. En outre, la Cour d"appel fédérale a conclu que la Commission avait omis de tenir compte de l"ensemble de la preuve dont elle disposait, et elle a donné plusieurs exemples de cela. À mon avis, cette affaire ne s"applique pas à l"espèce. Dans la présente affaire, le récit personnel du demandeur et la preuve documentaire n"étaient pas incompatibles. La SSR n"a pas omis de tenir compte du témoignage général du demandeur concernant le facteur de la crainte objective; à mon avis, elle a apprécié tous les éléments de preuve et elle est parvenue à une conclusion qu"elle pouvait raisonnablement tirer sur le fondement tant du témoignage du demandeur que de la preuve documentaire.

[19]      La décision que le juge Cullen a rendue dans l"affaire Ventura c. Canada (M.E.I.) , IMM-6061-93, le 5 octobre 1994, a également été citée par l"avocat du demandeur. À mon avis, cette décision ne peut non plus être invoquée par le demandeur au soutien de ses prétentions. Dans cette affaire, le demandeur avait témoigné directement qu"en tant que commandant au sein des forces policières du San Salvador, il était la cible de groupes de guérilla. En outre, contrairement à la présente affaire, la qualité du témoignage du revendicateur dans l"affaire Ventura en ce qui a trait au changement de la situation qui régnait au pays a mené la Cour à conclure que la Commission avait omis de tenir compte de la situation qui régnait alors au pays. En l"espèce, la SSR a tenu compte de la situation qui règne présentement au pays. Le témoignage du demandeur n"a pas convaincu la SSR qu"il satisfaisait au critère relatif à la crainte objective.

[20]      Enfin, la décision que le juge Muldoon a rendue à l"audience, le 5 février 1995, dans l"affaire Oblitas c. Canada (M.E.I.) , IMM-2489-94, a été citée. Cette affaire portait sur l"omission, de la part de la SSR, de tenir compte d"un témoignage direct et pertinent, ce qui n"est pas le cas en l"espèce.

[21]      Je mentionne deux éléments du raisonnement de la SSR qui permettent à peine de faire des inférences et qui, selon l"avocat du demandeur, justifient une conclusion selon laquelle la SSR a agi de façon déraisonnable et absurde. Les inférences que la SSR a faites sont fondées sur des conclusions de fait selon lesquelles le demandeur avait pu obtenir un certificat de naissance en s"adressant au Consulat général du Libéria, à New York, de même que sur l"incidence qu"une grève des chauffeurs de taxi à Monrovia avait eue sur la situation qui règne présentement au pays. La SSR a dit que ces deux conclusions établissaient que le gouvernement de Taylor entendait respecter les droits de la personne fondamentaux. Si la SSR ne s"était fondée que sur ces deux conclusions pour conclure que le demandeur n"avait pas établi qu"il avait une crainte objective d"être persécuté, j"aurais été enclin à annuler un tel résultat. Cependant, comme il a été souligné, la SSR disposait d"une preuve substantielle sur ce point. L"ensemble de la preuve permettait raisonnablement à la Commission de parvenir à la conclusion qu"elle a tirée (Hassan c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), 147 N.R. 317 (C.A.F.).


LE DISPOSITIF

[22]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l"un ni l"autre avocat n"a proposé de question à certifier; aucune question n"est certifiée.


" François Lemieux "

                                         J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 16 SEPTEMBRE 1999.





Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-5047-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sekou Sanoe c. M.C.I.


LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)


DATE DE L"AUDIENCE :              le 11 août 1999


MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX


EN DATE DU :                  16 septembre 1999



ONT COMPARU :


M. Jack C. Martin                          POUR LE DEMANDEUR


Mme Geraldine MacDonald                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Jack C. Martin                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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