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Date : 20040402

Dossier : T-1557-01

Référence : 2004 CF 517

ENTRE :

                                                            JANOS SCHAEFLER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Monsieur Schaefler est un détenu à l'établissement correctionnel de Bath et président du Comité des détenus (le Comité). Le Comité a demandé la permission au commissaire du Service correctionnel du Canada d'acheter une licence de représentation publique qui permettrait de montrer des vidéocassettes, ou des DVD, à la population carcérale par diffusion en circuit fermé grâce au système de câblodistribution de l'établissement. Cette demande a été refusée et ce refus a mené à un grief national qui a été porté au troisième palier. La décision rendue à ce palier a confirmé le refus d'accorder la permission d'acheter la licence en question. Il appert que les magnétoscopes et les systèmes de lecture vidéo (et je suppose les lecteurs DVD) ne sont pas des articles que les détenus peuvent avoir dans leur cellule. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                La directive du commissaire 764 est au coeur de la question en litige. Elle porte le titre : « Accès au matériel et aux divertissements en direct » . Elle a entre autres objectifs d' « [a]ssurer l'accès et une présentation appropriée de tout genre de matériel incluant les publications, les vidéos, les enregistrements audio, les films et les programmes d'ordinateur ainsi que les divertissements en direct dans les établissements » . Certains types de matériel sont interdits d'accès, par exemple, ceux qui donnent des renseignements détaillés sur la fabrication d'armes ou la perpétration de crimes, ceux qui font la promotion de génocides ou de la haine de groupes de personnes identifiables par la couleur de leur peau, leur race, leur religion, leur origine ethnique, leur orientation sexuelle ou d'autres traits, ou encore ceux qui ont un caractère sexuel dont le contenu comporte de la violence ou met en scène des enfants.

[3]                Jusqu'en février 1998, le Service correctionnel du Canada (SCC) avait un contrat avec une société qui, sur paiement d'une licence, donnait à un établissement de SCC accès à sa collection vidéo. Ces vidéos étaient diffusés en circuit fermé grâce au système de câblodistribution de SCC. L'expérience s'est avérée coûteuse. Il fallait en plus prévisionner les vidéos pour s'assurer que leur contenu était acceptable. SCC a décidé de mettre fin au contrat et de plutôt fournir des divertissements en donnant accès à la télévision par câble et à des services par satellites.

[4]                SCC s'interroge sur la question des droits d'auteur. Si le Comité, qui n'est pas doté de la personnalité morale, omet de payer les droits d'auteur requis, la responsabilité de SCC à titre d'autorité du pénitencier et propriétaire du système de câblodistribution pourrait être engagée.

[5]                SCC a des réserves également en ce qui concerne la proposition selon laquelle les détenus seraient autorisés à avoir et à utiliser leur propre magnétoscope (sans dispositif d'enregistrement); là encore, il y a possibilité que les détenus enfreignent les règles en matière de droits d'auteur en échangeant entre eux les vidéos et que la responsabilité de SCC soit engagée.

[6]                Bien que non directement lié aux droits d'auteur, il existe un certain contentieux relativement au non-paiement de factures par des comités de détenus et la possibilité que la responsabilité de SCC soit engagée. Je n'ai pas besoin de fonder ma décision sur le droit d'auteur, et je ne le ferai pas.   

[7]                SCC affirme que la proposition du demandeur, si elle était acceptée, créerait d'autres problèmes de sécurité. SCC n'a pas les ressources suffisantes pour effectuer les prévisionnements des vidéos et s'assurer que leur contenu ne présente aucun danger. En outre, les vidéocassettes pourraient être utilisées comme moyen d'introduire de la contrebande dans l'établissement et elles nécessiteraient une inspection. C'est pour ces raisons que je rejette la demande.

[8]                Il faut d'abord déterminer si le refus d'autoriser la licence ou de permettre aux détenus d'avoir des magnétoscopes, des vidéocassettes et des DVD dans leur cellule empiète sur leurs droits fondamentaux. Je dis que non. Il faut ensuite se demander si SCC contrevient à sa propre directive du commissaire. Je crois que la décision ne contrevient pas à la directive 764, ou à la directive 090, qui traite des biens personnels des détenus. On permet normalement aux détenus de garder dans leur cellule certains articles, dont un poste de télévision et de radio, un lecteur de disques compacts et des disques, un phonographe et des disques, un lecteur de bande magnétique et des bandes. Les magnétoscopes et les DVD ne sont pas mentionnés. Il ne m'appartient pas de décider s'ils le devraient.


[9]                Je conclus donc que la décision faisant l'objet du contrôle était correcte sur le plan du droit. Cette décision, étant une décision administrative, doit ensuite être analysée en fonction de la norme de contrôle appropriée. Il est bien établi que les décisions administratives qui se rapportent à l'ordre public ne constituent pas un abus de pouvoir à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables. Par exemple, voir Martineau c. Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, et Kelly c. Canada (Service correctionnel), [1992] A.C.F. no 720 (Q.L.). L'affaire Kelly concernait une décision qui refusait à un prisonnier le « droit » d'être transféré d'une prison à une autre. Il a été jugé qu'il ne fallait pas intervenir dans les décisions administratives à moins que le décideur n'ait clairement manqué à son obligation d'agir équitablement ou qu'une grave injustice n'ait été commise. La décision dont je suis saisi n'était pas manifestement déraisonnable et aucune injustice n'a été commise. Les vidéos sont permis dans certaines circonstances où un contrôle est exercé, par exemple les visites de la famille, et les canaux de télévision par câble ou satellites sont aussi disponibles.

[10]            Bien que je rejette la demande, je n'adjuge pas de dépens.

« Sean Harrington »

                                                                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

2 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             T-1557-01

INTITULÉ :                                                                            JANOS SCHAEFLER

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    31 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                      LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                                           2 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Jérôme Parenteau                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Kaufman                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernier, Parenteau                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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