Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051021

Dossier : T-1026-05

Référence : 2005 CF 1429

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL ROULEAU

ENTRE :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, en son propre nom et au nom de LA BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON, et LA BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON

demandeurs

et

DARREL REGAN BRUNO et DARWIN SOOSAY et

LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE DE LA NATION CRIE DE SAMSON

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Cette demande de contrôle judiciaire a été présentée à la Cour à Edmonton (Alberta) le 13 octobre 2005 pour décision sur le fond. Les demandeurs sollicitaient plus précisément le contrôle de deux décisions rendues le 8 juin 2005 par la Commission d'appel en matière électorale de la Nation crie de Samson.

[2]                L'affaire a été instruite le 10 juin 2005, date à laquelle une injonction interlocutoire a été demandée, qui a été examinée par la Cour le 21 juin 2005; la Cour a ordonné que la décision de la Commission d'appel en matière électorale portant la date du 8 juin 2005, qui invalidait l'élection des 12 conseillers de la bande élus le 19 mai 2005 et qui ordonnait la tenue d'une nouvelle élection des conseillers de la bande le 23 juin 2005, soit annulée jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit instruite et qu'il en soit disposé. La Cour suspendait aussi sa décision sur la question de savoir si l'élection de Larron Northwest devrait être invalidée au motif qu'il ne s'était pas conformé aux conditions de l'article 4 de la Samson Cree Nation Election Law (la Loi électorale).

[3]                Les élections de la Nation crie de Samson sont régies par un code officiel qui concerne l'établissement et l'élection du chef et des conseillers.

[4]                La régularité de l'avis de l'assemblée de mise en candidature pour l'élection du chef et du conseil de la Nation crie de Samson n'est pas contestée, ni d'ailleurs l'assemblée elle-même de mise en candidature dont il s'agit ici. Les élections ont eu lieu le 19 mai 2005 conformément à la procédure décrite dans la Loi électorale. À la date des élections, il y avait environ 3 163 électeurs inscrits, et 12 membres de la bande qui étaient éligibles et qui avaient posé leurs candidatures à l'élection des conseillers de la bande furent élus. Quelque 86 membres de la bande s'étaient présentés aux élections. Après les élections, deux membres de la bande, Darrel Regan Bruno et Darwin Soosay (les défendeurs), tous deux candidats défaits, ont contesté les résultats électoraux en invoquant deux moyens. D'abord, selon eux, l'un des candidats proposés et élus devrait être réputé inéligible et disqualifié en application du sous-alinéa 4b)(i) de la Loi électorale, ainsi formulé :

[TRADUCTION]

4. Un membre de la Nation crie de Samson n'est pas admissible à la charge de chef ou de membre du conseil de la Nation crie de Samson :

                [...]

b) si son casier judiciaire fait état d'un acte criminel à la date d'entrée en vigueur de la présente disposition :

(i) à moins que ce membre n'ait obtenu un pardon au cours d'une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la Nation crie de Samson qui a été reconnu à cette fin par le chef et le conseil,

[5]                Le second moyen invoqué concernait l'interprétation préconisée par Darrel Regan Bruno à propos du processus électoral. Selon lui, le processus était [traduction] « vicié pour les raisons suivantes » : la période prévue pour la tenue des élections allait de 9 h à 18 h; les portes du bureau de scrutin ont été fermées à 18 h, mais les électeurs faisant encore la queue qui avaient été admis dans l'édifice abritant les bureaux de vote avaient été autorisés à déposer leurs bulletins après 18 h; environ 300 électeurs inscrits avaient voté après 18 h; la surveillante électorale avait outrepassé son pouvoir en permettant que cela se produise et, en conséquence, le résultat des élections était faussé.

[6]                Les obligations de la surveillante électorale sont exposées ainsi dans l'article 16 de la Loi électorale :

[TRADUCTION]

16. Le surveillant électoral est reconnu comme la personne autorisée à veiller à l'entière administration et au processus de l'élection. Le surveillant électoral s'acquitte notamment des responsabilités suivantes :

a)             planifier et préparer l'élection;

b)             assigner des tâches et donner des directives à ses assistants;

c)              assurer une surveillance, présenter des rapports d'avancement et rester en contact au besoin avec le conseil de la Nation crie de Samson et les membres intéressés de la Nation crie de Samson;

d)             obtenir les renseignements et documents requis de l'administration tribale de la Nation crie de Samson;

e)              dresser une liste des électeurs de Samson et d'autres listes pour les afficher comme il se doit;

f)               connaître toutes les dispositions de la Loi électorale.

[7]                Sur réception de ces plaintes, la Commission d'appel en matière électorale, composée de trois membres, fut convoquée. Les trois membres, dont la candidature avait déjà été proposée conformément à l'article 78 de la Loi électorale, sont régis par les articles 82 à 90 de cette loi. Ces articles sont ainsi formulés :

[TRADUCTION]

82. Dans un délai de sept (7) jours après la date d'une élection, tout candidat à l'élection qui a des motifs raisonnables de croire :

a)     que l'élection a été entachée d'actes de corruption,

b)     qu'une personne proposée comme candidat à l'élection était inéligible, ou

c)      qu'il y a eu un autre manquement aux usages et que ce manquement a pu modifier le résultat de l'élection,

peut faire appel en signifiant au président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale une lettre exposant sa plainte et les moyens qu'il entend faire valoir.

83. Si l'appelant demande un recomptage, le recomptage a lieu immédiatement après le dépouillement final selon ce que prévoient les paragraphes 60 à 63; cependant, la personne qui demande le recomptage devra payer le droit requis de deux cents (200 $) dollars applicable aux appels.

84. Dès la réception d'une lettre introduisant d'appel, accompagnée du droit requis, le président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale informe le surveillant électoral qu'un appel a été introduit.

85. Dès réception de cet avis, le surveillant électoral doit immédiatement transmettre au président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale l'enveloppe renfermant tous les bulletins, la liste des électeurs éligibles et tout autre document que lui demandera le président.

86. Dans un délai de quatorze (14) jours à compter de la date d'introduction d'un appel, la Commission d'appel de Samson en matière électorale se réunira et statuera sur la validité de la plainte.

87. La Commission d'appel de Samson en matière électorale pourra :

a)     déclarer que la plainte n'est pas valide et rejeter l'appel;

b)     déclarer que la plainte est valide selon ce que prévoit l'alinéa 82c), mais rejeter l'appel parce que le manquement aux usages n'est pas un manquement qui aurait modifié le résultat de l'élection; ou

c)      déclarer que la plainte est valide et ordonner qu'une nouvelle élection ait lieu dans un délai de deux (2) semaines après la décision de la Commission.

88. Si la tenue d'une nouvelle élection est ordonnée, l'élection aura lieu d'une manière conforme aux usages mentionnés dans la présente loi, sous réserve cependant des autres exigences, conditions ou directives que pourra imposer la Commission afin d'éviter une répétition du manquement reproché.

89. Après avoir rendu sa décision, la Commission communiquera au chef et au conseil de Samson, au surveillant électoral et au plaignant les motifs écrits de sa décision, avec indication des éléments de preuve justifiant cette décision.

90. La décision de la Commission d'appel de Samson en matière électorale est définitive et contraignante.

[8]                Une séance fut convoquée, puis déclarée ouverte à 17 h 30 le 8 juin 2005, et deux des décisions de la Commission d'appel en matière électorale sont contestées dans la demande de contrôle judiciaire.

[9]                S'agissant de la prolongation de la période de scrutin, la Commission d'appel a confirmé qu'avant 18 h, heure à laquelle le scrutin devait prendre fin, beaucoup de gens attendaient pour voter; elle a confirmé que, à 18 h, les portes de l'entrée du gymnase où avait lieu le scrutin ont été fermées à clé et que les électeurs qui formaient une queue et avaient été admis dans l'édifice avant 18 h avaient eu la possibilité de voter. La Commission a examiné la preuve du plaignant ainsi que celle de la surveillante électorale et a confirmé que la surveillante avait fermé les portes à 18 h après avoir demandé au personnel de la sécurité d'accompagner les électeurs à l'intérieur de l'édifice : le bureau de scrutin avait été fermé à 18 h, mais les électeurs présents qui avaient été escortés à l'intérieur de l'édifice avant 18 h et ceux qui se trouvaient à l'intérieur du bureau de scrutin avaient été autorisés à voter.

[10]            La Commission d'appel en matière électorale a conclu que la pratique qui avait été observée par la Nation crie de Samson au cours d'élections antérieures était de renvoyer les gens qui n'avaient pas voté à 18 h, et cela même s'ils attendaient en file de pouvoir voter. Cette pratique avait été suivie lorsque Albert Angus était surveillant électoral au cours des élections de 2003. La Commission d'appel en matière électorale a conclu que le nombre important de personnes qui avaient été autorisées à voter après 18 h avait incontestablement modifié le résultat des élections.

[11]            Selon la Commission, la surveillante électorale était bien intentionnée, mais, agissant ainsi, elle s'était arrogé un pouvoir discrétionnaire dont elle n'était pas investie et elle avait agi illégalement; la Loi électorale limite le pouvoir discrétionnaire du surveillant électoral, qui doit observer rigoureusement l'article 16 de la Loi électorale; si les rédacteurs de la Loi électorale avaient voulu que le surveillant électoral ait le pouvoir de garder ouverts les bureaux de scrutin après 18 h, ils auraient inséré ce pouvoir dans l'article 16 du texte. La Commission d'appel écrivait ensuite : [traduction] « La Commission d'appel ne substituera pas sa sagesse collective à celle des élus. » Puis elle concluait que la plainte était valide et ordonnait la tenue de nouvelles élections le 23 juin 2005, conformément à l'alinéa 87c) de la Loi électorale.

[12]            Une autre décision rendue par la Commission d'appel en matière électorale portait sur la disqualification d'un candidat en raison de son casier judiciaire. Se fondant sur le [traduction] « consentement à la communication du casier judiciaire » de M. Larron Northwest, communication datée du 28 avril 2005 et transmise au bureau de la GRC à Hobbema, la Commission a relevé que le document ne dit pas qu'il n'a pas de casier judiciaire. Il indique simplement qu' [traduction] « il est possible que M. Northwest n'ait pas de casier judiciaire » . La Commission est arrivée à la conclusion que les dispositions de l'article 4 de la Loi électorale avaient été transgressées et qu' [traduction] « aucun pardon n'a été accordé, que ce soit à la faveur d'une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la Nation crie de Samson reconnu à cette fin par le chef et le conseil, ou que ce soit en application d'un autre système juridique » . En conséquence, la Commission a annulé l'élection du conseiller de bande Larron Northwest.

[13]            Dans son dernier paragraphe, la Commission d'appel en matière électorale écrivait que l'éventail des redressements qu'elle pouvait accorder en application de la Loi électorale était restreint; elle avait le pouvoir de faire l'une ou l'autre de deux choses : rejeter l'appel ou ordonner la tenue de nouvelles élections dans un délai de deux semaines. Elle a donné à entendre que, eût-elle été investie de pouvoirs plus étendus, elle aurait pu ordonner à M. Northwest de corriger les irrégularités et de rendre sa candidature conforme aux dispositions de l'article 4 de la Loi électorale.

[14]            Il convient de noter que la Commission d'appel en matière électorale de la Nation crie de Samson a fondé la totalité de sa délibération sur le seul rapport écrit de la surveillante électorale; les parties intéressées n'ont pas comparu, aucune autre preuve n'a été demandée et les parties intéressées n'ont pas fait connaître leurs vues.

[15]            L'injonction interlocutoire, qui a été accordée le 30 juin 2005 jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit instruite au fond, suspendait la décision de la Commission d'appel ordonnant la tenue de nouvelles élections dans un délai de 14 jours, c'est-à-dire le 24 juin 2005, et suspendait la destitution du conseiller élu, M. Northwest. La Cour était d'avis qu'il existait une question sérieuse à juger, étant donné que les parties intéressées avaient été privées de l'occasion de présenter leurs vues, ce qui contrevenait aux principes de justice naturelle. La Cour estimait aussi que la tenue de nouvelles élections dans un délai de 14 jours, ainsi que l'avait ordonné la Commission d'appel en matière électorale, faisait fi de l'article 8 de la Loi électorale, qui prévoit qu'une assemblée de mise en candidature doit avoir lieu au moins 14 jours après une vacance au sein du conseil de bande de la Nation crie de Samson. Finalement, la Cour a jugé que l'annulation de l'élection de l'ensemble des conseillers de la bande aurait pour effet d'enlever à la Nation crie de Samson les moyens de se gouverner et de gérer ses affaires jusqu'à l'issue de la procédure de contrôle judiciaire.

[16]            Une conférence téléphonique a eu lieu entre les parties le 21 juin 2005, au cours de laquelle l'avocate représentant la Commission d'appel en matière électorale de la Nation crie de Samson a demandé l'autorisation de devenir partie défenderesse à la présente instance, et c'est ce que la Cour a ordonné le 30 juin 2005, ce qui a eu pour effet de modifier ainsi l'intitulé de la cause :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, en son nom et au nom de LA BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON, et LA BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON

demandeurs

et

DARREL REGAN BRUNO et DARWIN SOOSAY et

LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE DE LA NATION CRIE DE SAMSON

défendeurs

[17]            Les dossiers de requête de toutes les parties intéressées ont été signifiés et déposés conformément aux Règles de la Cour fédérale (1998).

[18]            Ultérieurement, par lettre datée du 8 septembre 2005, les avocats des demandeurs ont déposé un avis de requête et des conclusions priant la Cour d'ordonner la radiation des affidavits de Geraldine Hill, Darrel Strongman et Tony Mindy, déposés le 26 août 2005 avec le dossier de requête de la défenderesse la Commission d'appel en matière électorale.

[19]            La Cour a indiqué dans une directive que la requête en radiation des affidavits serait examinée à l'ouverture de la procédure de contrôle judiciaire à Edmonton le 13 octobre 2005.

[20]            Selon les demandeurs, les affidavits déposés par les défendeurs devraient être radiés parce qu'ils n'ont pas été soumis à la Commission d'appel et qu'ils ne devraient donc pas être portés à la connaissance de la Cour. L'unique document que la Commission d'appel avait eu devant elle était le rapport de la surveillante électorale.

[21]            Les demandeurs disent que, dans l'arrêt Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union, [2000] 1 C.F. 135, le juge Rothstein, alors juge de la Cour, avait limité l'utilisation de preuves extrinsèques aux cas où est alléguée une question de compétence (aux paragraphes 12 et 13). Les demandeurs observent aussi qu'en l'absence de questions de compétence, seule la preuve que la Commission avait devant elle sera étudiée par la Cour. Dans le jugement Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. n ° 835, le juge Dubé écrivait, au paragraphe 5 :

Selon de nombreux arrêts, seuls les éléments de preuve dont le décideur initial disposait devraient être examinés par la Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Ces décisions sont fondées sur l'idée selon laquelle le contrôle judiciaire ne vise pas à permettre de déterminer si la décision de l'office en question est absolument correcte, mais plutôt si l'office avait raison, compte tenu du dossier dont il disposait. La Cour d'appel fédérale a statué que lorsque l'affidavit est clairement irrégulier, il doit être radié si une requête est présentée avant l'audience relative au contrôle judiciaire.

[22]            Je suis d'avis que les auteurs des affidavits sont d'honorables citoyens, et je n'aurais en principe aucune hésitation à étudier leurs arguments; le critère exposé par le juge Dubé dans la décision Chopra est de savoir si les affidavits sont clairement irréguliers, et je dois conclure qu'ils le sont.

[23]            S'agissant des opinions exprimées par les déposants, les membres de la Commission d'appel n'étaient pas mieux placés que la Cour pour interpréter le texte législatif. Ainsi que l'écrivait le juge Russell dans la décision Okeymow c. Nation crie Samson, [2003] A.C.F. n ° 940, aux paragraphes 25 à 33, la Commission d'appel n'est pas, en matière d'interprétation des lois, le dépositaire d'une spécialisation qui puisse commander un niveau élevé de retenue à l'endroit de ses décisions. L'article 78 de la Loi électorale a été analysé clairement par le juge Russell dans la décision Okeymow, où il écrivait, au paragraphe 28, que l'article 78 (aujourd'hui l'article 80) ne laisse apparaître ni ne requiert aucune spécialisation de la part de la Commission d'appel dans le domaine de l'interprétation des lois. L'article 80 de la Loi électorale prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION]

QUALITÉS REQUISES DES MEMBRES

80. Toute personne nommée à la Commission d'appel de Samson en matière électorale devra avoir vingt-cinq (25) ans révolus, ne pas être membre de la Nation Samson et jouir d'une bonne réputation.

[24]            Je ne m'oppose pas à ce que les affidavits en cause demeurent, mais j'ai des réserves relativement à deux aspects pour lesquels j'ai été convaincu que les affidavits sont clairement irréguliers. D'abord, s'agissant des parties des affidavits préconisant une interprétation de la Loi électorale, la Cour n'accordera aucun poids ni aucun effet aux méthodes proposées d'interprétation. Pour ce qui concerne l'interprétation proposée du texte législatif, les affidavits sont clairement irréguliers.

[25]            Si la Cour devait tenir compte des faits rapportés dans les affidavits et attestant les pratiques électorales coutumières observées à la clôture des bureaux de scrutin, alors la preuve donne à entendre que, à une reprise lors d'élections antérieures, l'ancien surveillant électoral avait décidé de fermer les bureaux de scrutin à 18 h et refusé de laisser voter les électeurs qui attendaient encore en file à 18 h, étant donné qu'ils n'avaient pas pénétré dans les bureaux de scrutin. Cette mention sera prise en compte par la Cour, mais une décision discrétionnaire isolée ne suffit pas à établir ce que sont les pratiques électorales coutumières de la Nation crie de Samson.

[26]            Un incident isolé qui a donné lieu à la décision discrétionnaire d'un ancien surveillant électoral ne suffit pas à établir que le renvoi d'un groupe d'électeurs à 18 h est une coutume ou une tradition de la Nation crie de Samson. Dans la mesure où les affidavits se rapportent à la fermeture des bureaux de scrutin comme s'il s'agissait d'une coutume ou tradition de la Nation crie de Samson, coutume ou tradition non confirmée ni appuyée par une quelconque autre preuve si ce n'est une référence aux élections de 2003, alors les affidavits sont clairement irréguliers.

[27]            Il est bien établi en droit que la Cour doit s'en remettre au principe du « sens ordinaire » en matière d'interprétation des lois, un principe exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, où est cité avec approbation, au paragraphe 21, l'ouvrage d'Elmer Driedger intitulé Construction of Statutes (2e édition) :

[TRADUCTION]

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[28]            Compte tenu des indications de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo, et vu la norme reconnue d'interprétation des lois, la Cour peut entreprendre d'interpréter la loi électorale en se fondant sur son sens ordinaire et sur les décisions rendues par la Commission d'appel.

[29]            S'agissant de la première décision de la Commission annulant les élections, je suis d'avis que la décision est erronée dans la mesure où elle néglige de prendre en compte le pouvoir discrétionnaire conféré au surveillant électoral par l'article 16 de la Loi électorale. Cette disposition a été interprétée par la Cour comme une disposition donnant au surveillant un vaste pouvoir général pour veiller à l'entière administration et au processus de l'élection. Dans la décision Bande indienne de Samson c. Cutknife, 2003 CFPI 721, le juge Martineau s'exprimait ainsi sur ce point, aux paragraphes 18 et 19 :

En conséquence, le superviseur des élections, agissant en vertu de l'article 16 de la Loi électorale, exactement comme dans la présente affaire, dispose d'un vaste pouvoir général qui ne se limite pas aux six exemples cités dans cet article, pour veiller à l'entière administration et au processus de l'élection. Les pouvoirs comprennent : prendre des décisions administratives relatives à l'application effective des dispositions procédurales de la Loi électorale à des situations qui émergent durant l'élection et à l'application effective des dispositions procédurales de la Loi électorale à l'assemblée de mise en candidature, et prendre des décisions administratives pour reporter l'assemblée de mise en candidature à des fins administratives particulières.

Le texte de l'article 16 qui dispose que « [l]e superviseur des élections s'acquitte notamment des responsabilités suivantes [...] » n'est manifestement pas exhaustif en ce qui concerne les responsabilités du superviseur des élections.

[30]            À mon avis, ce raisonnement est également applicable à la présente affaire et je suis d'avis que l'article 16 de la Loi électorale autorisait la surveillante électorale (ou superviseure des élections), après la fermeture des portes à 18 h, à exercer son pouvoir discrétionnaire et à laisser voter les électeurs qui avaient déjà été admis au bureau de scrutin avant 18 h. Si l'on considère qu'il n'y avait que trois isoloirs et que les bulletins n'étaient pas d'un abord facile puisqu'ils renfermaient 86 noms ainsi que des photographies, et cela pour l'avantage des membres de la bande qui ne savaient pas lire, alors il n'est pas surprenant que le processus électoral ait pris du retard.

[31]            Interpréter d'une manière aussi restrictive l'article 16 de la Loi électorale serait contraire au principe d'interprétation des lois exposé dans l'arrêt Rizzo, précité, puisqu'une telle interprétation ne s'accorderait pas avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur, intention qui est d'assurer des élections libres et sans entrave.

[32]            Je passe maintenant à la décision de la Commission qui déclarait invalide l'élection de Larron Northwest au motif qu'il n'avait pas rempli les conditions d'éligibilité d'un candidat à la charge de conseiller, conditions exposées dans l'article 4 de la Loi électorale de la Nation crie de Samson. Dans ses motifs, la Commission d'appel concluait que les redressements qu'elle pouvait prononcer étaient restreints, donnant même à entendre que, [traduction] « eût-elle été investie de pouvoirs plus étendus, elle aurait pu ordonner à M. Northwest ou à tout autre candidat de corriger les irrégularités et de rendre sa candidature conforme aux dispositions de la Loi électorale » .

[33]            Comme je l'ai dit lorsque j'ai accordé l'injonction intérimaire, la Commission d'appel, comme tout autre tribunal administratif, est liée par les principes de justice naturelle et par l'obligation d'équité. Ici, M. Northwest avait signé un [traduction] « affidavit de mise en candidature » attestant qu'il remplissait les conditions requises pour se présenter aux élections. Le fait est que, en mai 1999, un ancien avait conduit une cérémonie traditionnelle et culturelle crie qui lui avait accordé un pardon. Cela n'est pas contesté. Toutefois, la Commission d'appel, n'ayant pas la preuve du pardon, a simplement conclu que M. Northwest ne remplissait pas cette condition, et cela sans lui donner l'occasion de présenter des arguments contraires. Il s'agit là d'un manquement à la justice naturelle et à l'équité, et donc d'une erreur susceptible de contrôle qui justifie l'annulation de la décision de la Commission d'appel.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La décision rendue le 8 juin 2005 par la Commission d'appel en matière électorale de la Nation crie de Samson est annulée.

2.                   La plainte du défendeur Darrel Regan Bruno fondée sur l'article 58 de la Loi électorale de la Nation crie de Samson n'est pas valide, et il n'y a pas eu violation de l'article 58 lorsque la surveillante électorale a fait fermer les portes du bureau de scrutin à 18 h le 19 mai 2005, tout en laissant voter l'ensemble des électeurs déjà présents et ceux qui se trouvaient alors dans le bureau de scrutin.

3.                   La plainte du défendeur Darwin Soosay fondée sur le sous-alinéa 4b)(i) de la Loi électorale de la Nation crie de Samson n'est pas valide et, le 19 mai 2005, Larron Northwest remplissait les conditions d'éligibilité d'un candidat à la charge de conseiller, en application de l'article 4 de la Loi électorale de la Nation crie de Samson.

« Paul Rouleau »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1026-05

INTITULÉ :                                                    LE CHEF VICTOR BUFFALO ET AL.

                                                                        c.

                                                                        DARREL REGAN BRUNO ET DARWIN SOOSAY ET LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE DE LA NATION CRIE DE SAMSON

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 13 octobre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               le juge Paul Rouleau

DATE DES MOTIFS :                                   le 21 octobre 2005

COMPARUTIONS :

M. Molstad et M. Rolf                                       POUR LES DEMANDEURS

M. Glancy                                                         POUR LES DÉFENDEURS

                                                                        (Darrel Regan Bruno et Darwin Soosay

Mme Hanly                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                        (La Commission d'appel en matière électorale de la Nation crie de Samson)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP                                         POUR LES DEMANDEURS

Edmonton (Alberta)

Royal McCrum, Duckett & Glancy                    POUR LES DÉFENDEURS

Edmonton (Alberta)                                           (Darrel Regan Bruno et Darwin Soosay

Hanly Law Offices                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Sylvan Lake (Alberta)                                       (La Commission d'appel en matière électorale de la Nation crie de Samson)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.