Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980603


Dossier : T-1171-97

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 3 JUIN 1998

DEVANT : MADAME LE JUGE McGILLIS

ENTRE


LA BRITISH COLUMBIA HYDRO AND POWER AUTHORITY,


demanderesse,


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS,


défendeurs.


JUGEMENT

         La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. L'ordonnance relative au débit minimum que le ministre des Pêches et Océans (le ministre) a rendue le 2 mai 1997 par l'entremise de mandataire, Alan Lill, est annulée, sous réserve du droit du ministre, ou d'un mandataire autre qu'Alan Lill, de rendre une autre ordonnance en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches conformément aux motifs du jugement.

                                        D. McGillis

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19980503


Dossier : T-1171-97

ENTRE


LA BRITISH COLUMBIA HYDRO

AND POWER AUTHORITY,


demanderesse,


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS,


défendeurs,


et


LA STEELHEAD SOCIETY OF BRITISH COLUMBIA,


intervenante.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McGILLIS,

INTRODUCTION

[1]      Le 2 mai 1997, le ministre des Pêches et des Océans (le ministre), par l'entremise de son mandataire Alan Lill, a rendu une ordonnance relative au débit minimal en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, dans sa forme modifiée, établissant un calendrier d'apport d'eau destiné à assurer la sécurité des poissons et des oeufs dans la Cheakamus, en Colombie-Britannique. La British Columbia Hydro and Power Authority (B.C. Hydro) a contesté, par voie de contrôle judiciaire, la délivrance de ladite ordonnance. Comme motif de révision, B.C. Hydro a notamment allégué que le mandataire du ministre avait violé l'obligation relative à l'équité procédurale.

LES FAITS

[2]      B.C. Hydro est une société d'État de la Colombie-Britannique, maintenue en vertu de la Hydro and Power Authority Act, R.S.B.C. 1996, ch. 212. Elle est entre autres choses autorisée par la loi à produire et à fournir de l'énergie électrique, et notamment de l'énergie hydroélectrique, ainsi qu'à aménager des emplacements et des centrales. Dans le cadre de ces aspects du mandat qui lui est conféré par la loi, B.C. Hydro exploite plusieurs barrages ici et là dans la province.

[3]      Au début de l'année 1953, le prédécesseur de B.C. Hydro, British Columbia Electric Co. Ltd. (B.C. Electric) a commencé à étudier la possibilité de produire de l'énergie hydroélectrique sur la Cheakamus. En temps et lieu, B.C. Electric a élaboré une proposition en vue d'emmagasiner l'eau de Daisy Lake à l'aide d'un barrage, à soixante kilomètres au nord de Vancouver, sur la Cheakamus, en amont du point de jonction de la Cheakamus et de la Squamish. En mai 1954, B.C. Electric a mis le ministère des Pêcheries (le ministère fédéral), comme ce ministère s'appelait alors, au courant du projet. Peu de temps après, le ministère fédéral a fourni à B.C. Electric des renseignements au sujet des frayères de saumon en aval du barrage projeté, et au sujet des effets préjudiciables que le barrage pourrait avoir sur le poisson et son habitat.

[4]      En septembre 1954, B.C. Electric a demandé au contrôleur provincial des eaux (le contrôleur des eaux) de lui accorder les permis de construction et d'exploitation nécessaires à l'égard du barrage de Daisy Lake (le barrage). Un mois plus tard, le ministère fédéral s'est opposé à la demande. En déposant les oppositions, le ministère fédéral cherchait à protéger la pêche en s'assurant que le débit en aval du barrage soit suffisant. Le ministère fédéral a par la suite retiré ses oppositions, à condition qu'on effectue l'apport d'eau, en aval du barrage, qu'il jugeait nécessaire à la préservation de la pêche.

[5]      En décembre 1954, B.C. Electric a obtenu du contrôleur des eaux des permis lui permettant d'emmagasiner 45 000 acres-pieds d'eau derrière le barrage et de 700 000 acres-pieds d'eau détourner chaque année de la Cheakamus et de son affluent en aval, le Rubble Creek, aux fins de la production d'énergie électrique. Les permis renfermaient une condition selon laquelle le contrôleur des eaux devait rendre, le 1er juin 1956, une ordonnance prévoyant [TRADUCTION] " [...] la quantité d'eau qui devait passer par le barrage-réservoir aux fins du maintien, dans la Cheakamus, du débit nécessaire à la reproduction du poisson ainsi que les moments où il devait ainsi y avoir apport d'eau ". La délivrance de l'ordonnance a été reportée au 1er juin 1957. À ce jour, aucune ordonnance n'a été rendue à ce sujet.

[6]      Le barrage, qui a été construit entre 1955 et 1958, permet d'emmagasiner l'eau de Daisy Lake. L'eau nécessaire aux fins de la production d'électricité est détournée du réservoir de Daisy Lake au moyen d'un tunnel de onze kilomètres jusqu'à la centrale située sur la Squamish. La centrale peut produire environ 155 mégawatts d'électricité à plein rendement. Le réservoir de Daisy Lake a une capacité de détournement autorisée beaucoup plus grande que sa capacité de stockage. Il serait possible de le vider en dix jours, à supposer que la centrale fonctionne à plein rendement, si toute l'eau était détournée jusqu'à la centrale et s'il n'y avait pas d'eau qui coulait dans le réservoir. À cause des limites de stockage, il faut déverser de l'eau tous les ans.

[7]      Le barrage et sa centrale, qui forment le projet hydroélectrique de la Cheakamus, ont un rôle très important dans le système électrique intégré de B.C. Hydro. Étant donné que le projet est situé à proximité de Vancouver, où la demande en électricité est la plus forte en Colombie-Britannique, les pertes électriques sont plus faibles pendant la transmission, les lignes de transmission exigent moins d'entretien, et la tension est maintenue dans le système. En outre, le projet aide à répondre à la demande en électricité aux périodes de pointe quotidiennes que l'on connaît en hiver, période pendant laquelle les besoins sont particulièrement élevés.

[8]      Pendant de nombreuses années, B.C. Hydro et son prédécesseur, B.C. Electric, ont détourné une plus grande quantité que les 700 000 acres-pieds annuels autorisés, mais les frais et droits versés au contrôleur des eaux étaient fondés sur les quantités d'eau réellement utilisées plutôt que sur les montants stipulés dans les permis. L'eau était détournée en fonction de la demande en électricité. Ainsi, une plus grande quantité d'eau était détournée en hiver en vue de répondre à la demande particulièrement élevée.

[9]      En 1982 ou à peu près à ce moment-là, B.C. Hydro s'est rendu compte qu'elle avait détourné une plus grande quantité d'eau que la quantité autorisée et qu'elle n'était pas autorisée à exploiter la centrale à plein rendement, comme elle l'avait fait pendant de nombreuses années.

[10]      En 1990, le ministère fédéral a reconnu qu'il fallait rassembler des renseignements au sujet des effets des projets hydroélectriques sur les ressources halieutiques en Colombie-Britannique. Il a donc retenu les services d'un expert, M. S. M. Hirst, pour préparer pareil rapport.

[11]      Vers le milieu ou à la fin de l'année 1990, B.C. Hydro et le ministère fédéral ont entamé des pourparlers au sujet du débit minimum nécessaire dans la Cheakamus aux fins de la pêche. Ils n'ont pas réussi à s'entendre sur le régime d'écoulement minimum approprié, et ils ont décidé de commander une étude. En 1991, B.C. Hydro a retenu les services de Triton Environmental Consultants Ltd. à cette fin.

[12]      Le 6 juin 1991, M. Hirst a présenté son rapport, intitulé : [TRADUCTION] " Effets de l'exploitation des projets hydroélectriques existants sur les ressources halieutiques en Colombie-Britannique " (le rapport Hirst). L'auteur du rapport Hirst faisait entre autres choses remarquer que l'[TRADUCTION] " [e]xploitation du projet hydroélectrique de la Cheakamus influe sur les habitats du saumon, mais pour prendre des mesures en vue de tenter de remédier à la situation, il faut d'abord déterminer dans quelle mesure il le fait ". L'auteur du rapport recommandait que plusieurs rivières, dont la Cheakamus, [TRADUCTION] " [...] viennent en priorité sur le plan des budgets et des conditions d'écoulement optimales [...] ".

[13]      En 1992, B.C. Hydro a entamé des pourparlers officiels avec le contrôleur des eaux au sujet du caractère adéquat des permis et au sujet du fait qu'elle voulait utiliser la centrale à plein rendement, comme elle le faisait depuis de nombreuses années.

[14]      En 1993, le gouvernement de la Colombie-Britannique a demandé à B.C. Hydro d'étudier, dans le cadre de l'examen du fonctionnement du système électrique, les effets de ses activités sur le système électrique intégré. Les effets du barrage ont été analysés dans le cadre de cet examen. Par la suite, le gouvernement a demandé à B.C. Hydro, entre autres choses, de mettre au point un programme d'apport d'eau pour la Cheakamus.

[15]      En septembre 1993, Triton Environmental Consultants Ltd. a soumis un rapport provisoire à divers organismes fédéraux et provinciaux, et notamment au ministère fédéral et au Ministry of Environment, Lands and Parks (le ministère provincial). À la suite de l'examen de ce rapport provisoire, le ministère fédéral et le ministère provincial ont décelé plusieurs problèmes à l'égard des débits recommandés et ont remis en question la validité du rapport. Triton a reconnu qu'il y avait certaines lacunes et a fait savoir que la question serait étudiée plus à fond. Le ministère fédéral et le ministère provincial ont décidé d'examiner des solutions de rechange en vue de déterminer les débits appropriés. M. Stephen Macfarlane, du ministère fédéral, et M. Marvin Rosenau, du ministère provincial, ont donc commencé à élaborer une nouvelle proposition.

[16]      Le 16 février 1994, le ministère provincial a demandé au contrôleur des eaux de lui accorder un permis à l"égard de la quantité d"eau provenant de la Cheakamus non visée par les permis initialement accordés à B.C. Hydro. Le ministère provincial faisait remarquer que la demande visait à assurer la [TRADUCTION] " conservation du poisson ", pour [TRADUCTION] " le frayage et l'élevage du poisson ".

[17]      Le 4 mai 1994, les représentants de B.C. Hydro, du ministère fédéral et d'autres organismes se sont rencontrés pour discuter des régimes d'écoulement appropriés pour la Cheakamus. Ils ont convenu d'entamer des pourparlers au sujet du débit nécessaire pour le poisson et son habitat.

[18]      Par une lettre datée du 19 mai 1994, B.C. Hydro a demandé des renseignements additionnels destinés à lui permettre de se préparer aux fins des pourparlers au sujet du débit.

[19]      Au cours des mois suivants, les scientifiques du ministère fédéral ont établi un calendrier d'apport d'eau indiquant la quantité d'eau nécessaire aux fins de la conservation du poisson dans la Cheakamus ainsi que les moments où il devait y avoir apport d'eau. Le 18 septembre 1994, le ministère fédéral a remis à B.C. Hydro un énoncé des avantages halieutiques, intitulé : [TRADUCTION] " Projet d'entente concernant le débit de la Cheakamus ".

[20]      Par une lettre datée du 9 janvier 1995, Stephen Macfarlane, du ministère fédéral, et M. Marvin Rosenau, du ministère provincial, ont recommandé un nouveau régime d'écoulement, fondé sur la prémisse selon laquelle le débit en aval du barrage devait ressembler à l'hydrogramme de l'écoulement naturel (soit une représentation graphique de l'évolution du débit de la rivière en fonction du temps) afin de préserver le poisson et son habitat. Étant donné qu'il était impossible d'avoir un hydrogramme de l'écoulement naturel parce que l'eau était détournée du système aux fins de la production d'énergie, les biologistes du ministère fédéral ont mis au point un hydrogramme modifié destiné à imiter l'écoulement naturel de la Cheakamus. La recommandation que MM. Macfarlane et Rosenau avaient faite a été transmise à B.C. Hydro au moyen d'un nouvel énoncé des avantages halieutiques intitulé : [TRADUCTION] " Étude de gestion de l'écoulement des eaux de la Cheakamus : (Calendrier provisoire d'apport d'eau ") (le rapport Macfarlane-Rosenau). Dans la lettre qu'ils avaient jointe au rapport, les auteurs informaient B.C. Hydro qu'à leur avis, le calendrier provisoire, selon lequel 45,906 p. 100 du débit entrant dans Daisy Lake devait être évacué dans la Cheakamus, et ce, en tout temps, était [TRADUCTION] " [...] sensé sur le plan biologique et contribuerait énormément à rétablir les ressources halieutiques de la Cheakamus à son niveau passé sans trop porter atteinte aux droits d'usage d'eau que possède [B.C. Hydro] à l'heure actuelle [...] " en vertu des permis d'exploitation hydraulique.

[21]      Pendant de longues périodes chaque hiver depuis 1957, le débit de la Cheakamus n'était pas comparable à son débit naturel parce que B.C. Hydro détournait une grande quantité d'eau jusqu'à la centrale aux fins de la production d'énergie. Afin de corriger ce problème, les auteurs du rapport Macfarlane-Rosenau recommandaient un débit cinq fois plus élevé en hiver que certains des débits réellement enregistrés à la suite de la construction du barrage et demandaient à B.C. Hydro de consentir à un apport d'eau continuel correspondant à 45,9 p. 100 du débit entrant dans Daisy Lake, de façon que le débit, en aval, ressemble à l'hydrogramme de l"écoulement naturel. À cet égard, le calendrier provisoire d'apport d'eau prévoyait notamment ceci :

     [TRADUCTION]         
     À notre avis, le régime d'écoulement envisagé devrait ressembler à l'hydrogramme de l"écoulement naturel afin de mieux répondre aux exigences en ce qui concerne le débit pendant les diverses étapes du cycle de vie du poisson qui utilise la Cheakamus. Nous nous fondons sur l'hypothèse selon laquelle les sept espèces de salmonidés et d'autres poissons dans la Cheakamus sont génétiquement adaptés à un régime d'écoulement naturel.         
     [...]         
     Il a été déterminé que la quantité d'eau moyenne évaluée chaque mois dans la Cheakamus en aval du barrage de Daisy Lake pendant la période de pointe du mois de juin correspondait à 45,906 p. 100 du débit entrant dans le réservoir de Daisy Lake. Nous supposons que le reste du débit entrant sera détourné par le tunnel jusqu'à la centrale près de la Squamish. [...]         
     La quantité d'eau que nous nous proposons d'évacuer dans la Cheakamus, au barrage, pendant tous les autres mois de l'année est calculée dans la même proportion par rapport au débit total entrant dans le réservoir pour les mois correspondants, c'est-à-dire que 45,906 p. 100 du débit entrant dans Daisy Lake passerait par le barrage ou par-dessus le barrage pour se déverser dans la Cheakamus inférieure à tout moment de l'année.         

[22]      Les auteurs du rapport Macfarlane-Rosenau disaient également que la mise en oeuvre du calendrier provisoire d'apport d'eau permettrait à B.C. Hydro d'utiliser 97,4 p. 100 de la quantité d'eau pouvant être détournée en vertu des permis d'exploitation hydraulique.

[23]      En ce qui concerne le " calcul des avantages halieutiques ", les auteurs du rapport Macfarlane-Rosenau faisaient remarquer que le barrage était la principale cause de la diminution des populations de saumon dans la Cheakamus. En particulier, ils ont dit ceci :

     [TRADUCTION]
     La valeur économique des populations de saumon de la Cheakamus devrait être fondée sur la valeur de production possible de la rivière étant donné qu'un calendrier approprié d'apport d'eau et un programme de reconstitution et d'augmentation qui auront pour effet de ramener les populations aux niveaux passés peuvent être mis en oeuvre. Nous ne pouvons supposer que les populations actuelles de saumon sont stables et l'expérience, aux États-Unis, a démontré que les populations de saumon peuvent diminuer sur un certain nombre de décennies à cause des effets de projets hydroélectriques qui peuvent finalement entraîner l"extinction des populations. Les effets progressifs peuvent s'accumuler avec le temps.         
     Les populations naturelles de saumon rose et de saumon royal dans la Cheakamus ont probablement fortement chuté et les populations de saumon kéta et de saumon coho sauvages sont soutenues à l'heure actuelle par des efforts importants de restauration de l'habitat effectués par le [ministère fédéral]. Les populations de saumon kéta dans la Cheakamus semblent stables, mais les populations voisines ont augmenté de beaucoup au cours des dernières années à cause d'une meilleure gestion [du ministère], qui a permis d'atteindre la limite d'échappement visée. Cela laisserait entendre que les populations de saumon kéta dans la Cheakamus continuent à être moins nombreuses.         
     Le retour de la plupart des saumons royaux, des saumons roses, et dans une moindre mesure des saumons coho, dans la Cheakamus à l'heure actuelle peut être attribué à l'écloserie Tenderfoot. Les populations de saumons Steelhead sembleraient avoir grandement diminué depuis que le barrage a été construit et semblent encore diminuer.         
     Toutes ces baisses de populations ne peuvent pas être attribuées au seul projet hydroélectrique, mais le projet a probablement néanmoins eu un effet majeur sur ce système et si l'on y joute les autres activités exercées dans le bassin hydrographique, les effets cumulatifs ont précipité l'instabilité de la population.         
     La valeur économique attribuée à un nouvel accord devrait être fondée sur le pire scénario possible, à savoir que si aucune mesure n'est prise, les populations continueront à baisser au point où elles deviendront non viables. Cela m'amène à conclure qu'au lieu d'estimer les légers avantages que comportent certains scénarios, il est préférable de considérer l'accord comme un programme visant à mettre fin à la baisse des populations et à permettre de ramener les populations aux niveaux de productivité passés.         

[24]      Par une lettre datée du 9 février 1995, B.C. Hydro a fait savoir qu'elle était en train d'évaluer la proposition formulée dans le rapport Macfarlane-Rosenau. Au cours des quatre mois suivants, le ministère fédéral a demandé à plusieurs reprises à B.C. Hydro de lui faire part de ses commentaires.

[25]      Le 26 juin 1995, les représentants de B.C. Hydro, du ministère fédéral et du ministère provincial ont assisté à une réunion au cours de laquelle B.C. Hydro a présenté un diagramme indiquant quatorze débits possibles. Au cours de la discussion qui a suivi, B.C. Hydro et le ministère fédéral ont déclaré qu'ils préféraient des débits possibles différents pour la Cheakamus.

[26]      Par une lettre datée du 27 juillet 1995, B.C. Hydro a rejeté le calendrier d'apport d'eau proposé dans le rapport Marfarlane-Rosenau, pour les raisons suivantes :

     [TRADUCTION]         
     Nous croyons comprendre que votre proposition est fondée sur l'idée selon laquelle le régime d'écoulement naturel est celui qui comporte le plus d'avantages pour les pêches. Il est vrai que ce régime comporte les plus grands avantages marginaux pour le poisson, mais il ne satisfait pas aux critères différentiels minimums pendant la saison du frai et la période d'incubation, et il ne garantit pas des débits minimums stables pendant la période d'élevage. Les biologistes qui ont évalué la santé des populations de poisson dans la rivière ne s'entendent pas pour dire que le fait d'imiter un hydrogramme d"écoulement naturel, correspondant à 45,9 p. 100 du débit annuel entrant dans le réservoir de Daisy Lake, fournira un milieu approprié aux fins d'une bonne reconstitution de toutes les espèces de poisson.         
     Le ministère provincial a demandé à B.C. Hydro d'évaluer les solutions de rechange et de prendre des décisions en se fondant sur l'avantage social net pour les gens de la Colombie-Britannique; dans ce cas-ci, les principales considérations se rapportent à l'énergie électrique, au poisson et à la régularisation des crues. Votre proposition comporte un avantage marginal de 500 000 $ sur le plan des ressources halieutiques (selon votre analyse du 9 janvier et selon l'estimation de Triton de la valeur des ressources existantes), et un coût, sur le plan de l'énergie, de 8 millions de dollars. Les coûts de mise en oeuvre de cette proposition devraient être payés au moyen d'une augmentation de 0,4 p. 100 des frais exigés de nos clients, augmentation que la B.C. Utilities Commission n'approuvera probablement pas, ou au moyen d'une réduction des dividendes versés à la province de la Colombie-Britannique. Par conséquent, nous ne pouvons pas retenir votre proposition et les effets qu'elle comporte pour nos clients et pour la province.         

[27]      Dans sa lettre, B.C. Hydro disait en outre que la difficulté apparente lorsqu'il s'agit d'en arriver à une entente sur le débit était en partie attribuable [TRADUCTION] " [...] à l'absence d'initiatives de gestion établies [...] " pour la Cheakamus. Elle a donc proposé certains objectifs de gestion, mais elle a refusé de proposer un calendrier d'apport d'eau tant qu'un [TRADUCTION] " cadre décisionnel " n'était pas élaboré. Voici ce qu'elle a dit à ce sujet dans sa lettre :

     [TRADUCTION]         
     La difficulté à laquelle nous faisons face à l'heure actuelle lorsqu'il s'agit de conclure une entente sur le débit peut être en partie attribuée à l'absence d'objectifs de gestion établis à l'égard de la rivière. Au cours de la rencontre, il a été proposé que des objectifs de gestion sur le plan halieutique et hydraulique, soient établis et que pareils objectifs soient approuvés par tous les intéressés. Nous proposons les objectifs suivants, qui s'appliqueraient idéalement aux responsables de la gestion des pêches, aux producteurs d'électricité, aux experts en loisirs, aux résidents locaux et aux autres organismes gouvernementaux :         
         1.      L'observation des exigences réglementaires.         
         2.      L'attribution et l'utilisation optimales des eaux de façon qu'il soit possible d'obtenir les avantages marginaux économiques et sociaux nets annuels les plus grands tant du point de vue de la production d'électricité que de la pêche commerciale, sportive et autochtone ainsi que des autres utilisations à des fins récréatives et commerciales.         
         3.      L'établissement et le maintien de systèmes de gestion adéquats destinés à promouvoir la conservation des populations de poisson à perpétuité dans la Cheakamus.         
         Lors de la rencontre du 26 juin, vous nous avez demandé de proposer un scénario d'apport d'eau qui nous conviendrait. Toutefois, nous hésitons à formuler une proposition précise tant que B.C. Hydro et vos organismes ne se seront pas entendus sur un cadre décisionnel qui, selon nous, devrait être fondé sur le principe de l'évaluation des comptes multiples (l'ÉCM) que le gouvernement provincial impose à B.C. Hydro ainsi que sur des objectifs de gestion précis pour la Cheakamus. Lorsque vous aurez eu l'occasion d'examiner la documentation que nous avons fournie lors de la rencontre du 26 juin ainsi que les objectifs de gestion que nous proposons, je vous propose une nouvelle rencontre destinée à nous permettre de discuter de l'élaboration d'un cadre décisionnel et de la façon dont toute entente relative au débit serait liée à un fonds d'exploitation qui pourrait être établi en vue de donner suite aux recommandations que le gouvernement provincial a faites à la suite de l'examen de l'exploitation du système électrique de B.C. Hydro.         

[28]      Le 29 août 1995, B.C. Hydro a présenté une demande au contrôleur des eaux en vue d'obtenir un autre permis d'exploitation hydraulique pour la Cheakamus. À ce jour, le contrôleur des eaux n'a pas pris de décision à ce sujet ou au sujet de la demande que le ministère provincial a soumise le 16 février 1994 à l'égard de l'utilisation des eaux de la Cheakamus.

[29]      En février 1996, Triton Environmental Consultants Ltd., dont les services avaient été retenus par B.C. Hydro en 1991 pour effectuer une étude au sujet du débit minimum nécessaire dans la Cheakamus aux fins de la pêche, a soumis son rapport final, intitulé : [TRADUCTION] " Étude des ressources halieutiques de la Cheakamus 1991-1993 " (le rapport Triton). Dans leurs recommandations, les auteurs du rapport Triton faisaient remarquer qu'ils n'avaient pas pu en arriver à un régime d'écoulement convenant tant à B.C. Hydro qu'aux organismes de réglementation. Ils n'ont donc pas recommandé un régime d'écoulement unique. Toutefois, les débits recommandés dans le rapport Triton étaient à peu près les mêmes que ceux qui avaient été recommandés dans la version préliminaire du rapport soumis en 1993, dont la validité avait été contestée par le ministère fédéral et par le ministère provincial. Par conséquent, ni le ministère fédéral ni le ministère provincial n'appuyaient les recommandations formulées dans le rapport Triton.

[30]      En avril 1996, B.C. Hydro a modifié les modalités d'exploitation du barrage de façon à s'assurer qu'elle faisait uniquement dériver la quantité d'eau autorisée, soit 700 000 acres-pieds d'eau par année, jusqu'à la centrale.

[31]      En juin 1996, Ward et associés ont soumis un rapport (le rapport Ward) au sujet des pratiques de B.C. Hydro, en ce qui concerne l'eau dérivée au barrage. C'étaient le ministère fédéral et le ministère provincial qui avaient commandé le rapport Ward. Les auteurs du rapport concluaient que la quantité d'eau dérivée excédait presque toujours de beaucoup la quantité autorisée depuis 1960. En particulier, ils faisaient remarquer que B.C. Hydro avait détourné une quantité d'eau excédant en moyenne de 19 à 27 p. 100 la quantité autorisée au cours de 33 des 38 années enregistrées. Les auteurs faisaient également remarquer qu'en 1995, on avait enregistré le plus grand écart, la quantité d'eau détournée représentant 51 p. 100 de plus que la quantité autorisée.

[32]      En juillet 1996 ou à peu près à ce moment-là, le gouvernement de la Colombie-Britannique a établi le groupe de travail intergouvernemental sur la gestion des ressources halieutiques et hydroélectriques, chargé d'examiner les permis d'exploitation hydraulique délivrés à B.C. Hydro.

[33]      Dans une lettre datée du 22 août 1996, B.C. Hydro transmettait au ministère fédéral une copie d'un communiqué de presse qu'elle avait publié au sujet de l'apport d'eau provisoire dans la Cheakamus. Dans cette lettre, B.C. Hydro faisait savoir, entre autres choses, que [TRADUCTION] " [l]e régime d'apport d'eau provisoire a été adopté en vue d'assurer un régime d'écoulement favorisant davantage favorable à l'habitat du poisson dans la rivière pendant que le processus de consultation publique relatif à l'élaboration d'un programme d'utilisation de l'eau de la rivière est en cours ". Dans son communiqué de presse, B.C. Hydro précisait le débit minimum qu'elle maintiendrait dans la Cheakamus pendant la saison du frai automnale. Elle a en outre dit ce qui suit :

     [TRADUCTION]          
     Le régime d'écoulement est fondé sur les études scientifiques effectuées à ce jour et constitue l'une des solutions examinées avec le [ministère fédéral] et le [ministère provincial] à la suite de l'examen concernant l'exploitation du système électrique en 1994. Un programme final d'apport d'eau sera mis sur pied par consultation publique au cours de l'élaboration du programme d'utilisation de l'eau.          

[34]      Avant de publier son communiqué de presse, B.C. Hydro n'avait pas informé le ministère fédéral de sa décision de mettre en oeuvre le régime d'apport d'eau provisoire en question.

[35]      Au début du mois de novembre 1996, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé qu'un examen serait effectué dans toutes les installations de B.C. Hydro en vue d'élaborer des programmes d'utilisation de l'eau et d'apporter les révisions nécessaires aux permis d'exploitation hydraulique. Le barrage était inclus dans une liste des installations devant faire l'objet d'un examen sur une période de trois ans. Dans le communiqué de presse annonçant l'examen, le gouvernement indiquait, entre autres choses, qu'il [TRADUCTION] " [...] collaborer[ait] avec B.C. Hydro, le public, les Premières nations et d'autres intéressés pour élaborer des programmes d'utilisation de l'eau dans lesquels il serait tenu compte des besoins, tant en ce qui concerne la production d'électricité que de la protection du poisson et de son habitat ". Il a en outre fait savoir que les programmes définitifs d'utilisation de l'eau indiqueraient les conditions que chaque installation de B.C. Hydro devrait remplir. Le groupe de travail interprovincial créé en juillet 1996 a entrepris ses travaux dans le cadre d'un processus d'examen de l'utilisation de l'eau. B.C. Hydro participait au processus à titre de membre du groupe de travail.

[36]      À la réunion du 13 novembre 1996, le groupe de travail intergouvernemental a rédigé son premier ensemble préliminaire de lignes directrices en vue de la mise sur pied d'un programme d'utilisation de l'eau. L'année suivante, il a élaboré diverses autres lignes directrices provisoires.

[37]      Lors des réunions qui ont eu lieu entre le mois de novembre 1996 et le mois d'avril 1997, le groupe de travail intergouvernemental a examiné la possibilité de rendre des ordonnances provisoires, en vertu des dispositions de la Water Act, R.S.B.C. 1996, ch. 483, à l'égard de plusieurs rivières, dont la Cheakamus. B.C. Hydro a participé à ces réunions, et elle savait également qu'une ordonnance pouvait être rendue par le ministre des Pêches et Océans (le ministre) en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches en vue de protéger le poisson et les oeufs.

[38]      Dans l'intervalle, Barry Chilibeck, du ministère fédéral, et M. Rosenau, du ministère provincial, ont préparé un autre rapport sur la Cheakamus (le rapport Chilibeck-Rosenau), portant sur les effets du barrage et sur les besoins des poissons et des oeufs de poisson, en ce qui concerne l'écoulement des eaux dans la Cheakamus.

[39]      Le 11 mars 1997, un représentant de B.C. Hydro a dit à un fonctionnaire du ministère fédéral qu'il [TRADUCTION] " [...] avait entendu dire que [le ministère fédéral] envisageait de rendre une ordonnance concernant le débit minimum de la Cheakamus ". Le représentant du ministère l'a informé [TRADUCTION] " [...] qu'à ce stade, [le ministère fédéral] n'avait pas pris de décision à ce sujet, mais qu'il était toujours possible qu'une ordonnance soit rendue ".

[40]      Le 8 avril 1997, Stephen Macfarlane, l'un des auteurs du rapport Macfarlane-Rosenau, a rencontré Alan Lill, directeur régional intérimaire de la région du Pacifique du ministère fédéral, pour le mettre au courant des discussions qui étaient en cours avec B.C. Hydro au sujet de la quantité d'eau qui devait être déversée du barrage afin de protéger le poisson et les oeufs dans la Cheakamus. Au cours de cette rencontre, M. Macfarlane a fait savoir que le ministère fédéral avait tenté pendant deux ans de régler l'affaire avec B.C. Hydro. Il a en outre fait savoir que B.C. Hydro proposait un débit minimum qui était inadéquat, à son avis, pour protéger le poisson et les oeufs dans la Cheakamus.

[41]      Le rapport Chilibeck-Rosenau a été rendu public le 22 avril 1997; un calendrier d'apport d'eau semblable à celui qui avait été proposé dans le rapport Macfarlane-Rosenau y était recommandé. En particulier, le régime proposé dans le rapport Chilibeck-Rosenau était fondé sur l'hydrogramme de l"écoulement naturel, et exigeait que près de la moitié du débit naturel entrant dans Daisy Lake soit évacué dans la Cheakamus sur une base régulière. En outre, les débits ne devaient jamais être inférieurs à un niveau minimum déterminé, destiné à correspondre à peu près au débit naturel minimum de la rivière. De 1984 à 1995, les quantités d'eaux évacuées étaient de beaucoup inférieures au débit naturel minimum, sauf pour les déversements. Le ministère fédéral croyait que le régime d'écoulement proposé permettrait à B.C. Hydro de continuer à détourner, en moyenne, 97 p. 100 de la quantité d'eau mentionnée dans les permis d'exploitation hydraulique. Toutefois, le moment où l'eau était détournée et la nature des dérivations changeraient énormément et priveraient B.C. Hydro de la possibilité de produire une quantité suffisante d'électricité pendant les périodes de pointe, en hiver. Le sommaire du rapport Chilibeck-Rosenau disait notamment ceci :

     [TRADUCTION]         
     1.      Par le passé, la Cheakamus produisait énormément de salmonidés, en particulier, du saumon rose (les prises plus les échappées représentaient, selon les estimations, un million de poissons) dans des conditions hydrologiques et fluviales naturelles. Les organismes chargés des pêches soutiennent qu'afin d'atteindre la production passée de saumon et de truite dans cette rivière, les conditions et le régime d'écoulement naturel doivent être rétablis dans la Cheakamus.         
     2.      B.C. Hydro évacuera de l'eau de Daisy Lake dans la Cheakamus, de façon que l'évacuation quotidienne représente 45 p. 100 du débit entant quotidien antérieur.         
     3.      Le débit entrant quotidien de 55 p. 100 servant à la production d'électricité correspond à la quantité d'eau détournée par le passé en vertu des permis, soit 700 000 acres-pieds par année.         
     4.      Le réservoir de Daisy Lake sera géré de façon que l'apport d'eau dans la Cheakamus n'excède pas en moyenne 45 p. 100 des débits entrants annuels totaux et que les déversements soient minimisés au moyen d'un tampon, dans le réservoir.         
     5.      La quantité d'eau attribuée aux fins de la production d'électricité représentera la quantité moyenne annuelle autorisée de 700 000 acres-pieds fondée sur les quantités passées. Par conséquent, au cours d'une année donnée, B.C. Hydro détournera une quantité inférieure ou supérieure aux 700 000 acres-pieds d'eau. Toutefois, avec le temps et compte tenu des enregistrements passés qui continueront à être mis à jour, B.C. Hydro se verra attribuer proportionnellement la quantité d'eau autorisée par le permis.         
     6.      Selon le modèle proposé dans ce document, les quantités d'eau relativement importantes qui sont déversées depuis le réservoir de Daisy Lake, lesquelles, croit-on, nuisent au poisson et à son habitat, seront diminuées, c'est-à-dire que le ratio évacuation minimale-évacuation maximale sera bien inférieur à ce qu'il est actuellement. [...]         

[42]      Le 25 avril 1997, le ministère fédéral a transmis le rapport Chilibeck-Rosenau à B.C. Hydro.

[43]      Peu de temps après, B.C. Hydro a remis au ministère fédéral un rapport daté du 4 avril 1997, intitulé : [TRADUCTION] " Débit entrant dans la Cheakamus : proposition relative au régime d'écoulement provisoire " (le rapport de B.C. Hydro). Ce rapport indiquait que treize propositions relatives au débit avait été évaluées, [TRADUCTION] " [...] compte tenu du fait qu"elles pouvaient satisfaire aux critères relatifs à la protection du poisson et aux possibilités de production accrue ainsi qu'aux critères économiques ". Les auteurs du rapport ont rejeté onze propositions pour le motif qu'elles ne satisfaisaient pas à certaines lignes directrices relatives à la protection du poisson. En ce qui concerne les deux autres propositions, ils ont adopté la proposition qui comportait [TRADUCTION] " [...] les coûts les plus faibles pour la société, tout en satisfaisant aux critères relatifs à la protection du poisson, et qui offrait une légère possibilité d'amélioration de la population ". Les auteurs du rapport faisaient en outre remarquer ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     La proposition qui semblait la plus prometteuse, en ce qui concerne l'augmentation de la quantité de poissons, était celle qui était avancée [dans le rapport Macfarlane-Rosenau]. Toutefois, cette conclusion était fondée sur des estimations d'augmentation de la population (de p lus de 600 p. 100) qui ne pouvaient pas être confirmées à l'aide des données disponibles. On estimait que cette proposition coûtait plus de 6,5 millions de dollars, au point de vue de la diminution de la quantité d'électricité produite.         

[44]      À la fin du mois d'avril 1997, les représentants du ministère fédéral et de B.C. Hydro ont informé M. Lill, directeur général régional intérimaire, qu'ils prévoyaient se réunir le 29 avril 1997. Le ministère fédéral espérait qu'il arriverait à régler les divergences d'opinions qui existaient avec B.C. Hydro au sujet du débit minimum nécessaire, ou qu'il prendrait du moins des mesures en vue de la conclusion d'un accord.

[45]      Le 29 avril 1997, les représentants de B.C. Hydro, du ministère fédéral, du ministère provincial et d'autres organismes de réglementation se sont rencontrés pour discuter des détails techniques des diverses propositions qui avaient été faites dans le rapport de B.C. Hydro et dans le rapport Chilibeck-Rosenau, en vue d'élaborer une ordonnance provisoire en vertu de la Water Act relativement aux quantités d'eau qui devaient être évacuées depuis le barrage. Une facilitatrice était présente pour aider les participants. Le but de la réunion, tel qu'il était exprimé dans les ébauches de notes de la réunion, était le suivant :

     [TRADUCTION]         
     But de la réunion :         
     .      Étudier la question au point de vue des sciences biologiques de façon que les participants s'entendent sur les problèmes qui se posent;         
     .      Se concentrer sur les premières mesures destinées à améliorer les débits de façon à avoir le moins de répercussions possibles sur la production d'électricité; des solutions optimales seront élaborées dans le cadre du processus de planification de l'utilisation de l'eau;         
     .      Éviter un débat sur les questions d'ordre juridique.         

[46]      Au cours de la réunion, le ministère fédéral et B.C. Hydro ont présenté des exposés dans lesquels ils indiquaient leurs positions respectives. Au cours de la discussion générale qui a suivi, le ministère fédéral et le ministère provincial ont rejeté l'approche [TRADUCTION] " minimaliste " proposée par B.C. Hydro à l'égard du débit pour le motif que cela [TRADUCTION] " [...] comporterait peu d'avantages pour les ressources halieutiques ". Ils ont affirmé qu'il [TRADUCTION] " [...] était maintenant temps de gérer le projet selon un nouveau régime pendant une période prolongée en vue de déterminer si l'habitat et la production allaient s'améliorer ". En ce qui concerne le projet de B.C. Hydro de déverser de l'eau au printemps afin de se conformer à ses permis, ils ont fait remarquer que [TRADUCTION] " [l]es effets environnementaux précis du déversement [étaient] inconnus, [...] mais [que] la chose aurait probablement un effet préjudiciable sur le poisson ". B.C. Hydro a produit une copie d'une lettre datée du 22 avril 1997 adressée au directeur de la gestion des eaux, montrant qu'elle observerait les conditions énoncées dans ses permis d'exploitation hydraulique. La lettre disait notamment ceci :

     [TRADUCTION]        
     Dans l'intervalle, nous envisageons de faire passer au plus 700 000 acres-pieds (10 000 cmd) par les turbines de la Cheakamus au cours de la présente année civile de façon à continuer à nous conformer au permis d'exploitation hydraulique. Jusqu'à ce jour, nous avons utilisé environ 2 150 cmd. Nous prévoyons limiter la dérivation pendant les crues du printemps et de l'été (soit de la fin du mois d'avril jusqu'au début du mois de septembre), de façon à nous assurer d'être en mesure d'utiliser la turbine à plein rendement en vue de régulariser les crues, de satisfaire aux demandes du système en novembre et en décembre et d'utiliser l'eau de la façon la plus économique possible. Cela veut dire que tout le débit entrant dans Daisy Lake en sus de ce qui est nécessaire aux fins de la production prévue sera déversé dans la Cheakamus. Le graphique ci-joint montre les débits entrants prévus pour l'année 1997, la capacité de dérivation de la Cheakamus et la quantité d'eau qui doit être détournée en 1997. Afin de minimiser l'effet des déversements sur le saumon Steelhead qui fraye, nous tenterons de régulariser le déversement, en utilisant le réservoir comme tampon pour absorber les différences horaires et quotidiennes entre le débit entrant et le débit sortant.        

[47]      À la fin de la réunion, B.C. Hydro a déclaré qu'elle n'avait pas terminé son évaluation détaillée des deux rapports du ministère fédéral, soit le rapport Macfarlane-Rosenau et le rapport Chilibeck-Rosenau et qu'il lui faudrait au moins deux mois pour mener cette tâche à bonne fin. À la demande du ministère fédéral et du ministère provincial, B.C. Hydro a convenu d'analyser le rapport Chilibeck-Rosenau qui venait d'être présenté [TRADUCTION] " [...] afin de déterminer les coûts [...] au point de vue de la diminution de production d'électricité ". Le ministère fédéral a offert d'embaucher un conseiller pour aider B.C. Hydro, au cas où elle ne pouvait pas effectuer son analyse en temps opportun. Les ébauches de notes préparées à la suite de la réunion montrent ce qui suit dans la section 4 :

     [TRADUCTION]         
     4.      Mesures à prendre par suite de la réunion         
     .      À la demande du [ministère fédéral] et du [ministère provincial], B.C. Hydro a convenu d'analyser la proposition [Chilibeck-Rosenau] en utilisant ses capacités de modélisation interne de façon à déterminer quels seraient les coûts sur le plan de la diminution de production d'électricité. Il a été question de la nécessité d'effectuer une analyse de sensibilité à l'égard des effets qu'ont sur le poisson les écoulements inférieurs et les écoulements supérieurs à 45 p. 100. [Le ministère fédéral] a offert d'embaucher un conseiller pour effectuer l'analyse si B.C. Hydro ne peut pas s'en charger en temps opportun.         
         Graeme Matthews [de B.C. Hydro] doit communiquer avec Denise [la facilitatrice] pour lui donner des détails au sujet de l'étendue du travail et du temps nécessaire pour l'effectuer.         
     .      James Bruce [de B.C. Hydro] a convenu de faire des recherches dans la littérature afin de trouver des renseignements sur d'autres cours d'eau dont l'hydrologie est similaire afin de trouver un cours d'eau de référence approprié.         
     .      Tous les participants doivent examiner les documents de B.C. Hydro [le rapport et les documents du ministère fédéral et du ministère provincial] et faire part de leurs commentaires à Denise [la facilitatrice].         
     .      Le contrôleur doit examiner la question des déversements estivaux possibles susceptibles de nuire au poisson.         

[48]      Peu de temps après la réunion, les représentants du ministère fédéral et du ministère provincial ont conclu que les débits existants et envisagés, ainsi que le [TRADUCTION] " retard " de B.C. Hydro étaient [TRADUCTION] " inacceptables ". En particulier, ils ont conclu que la proposition figurant dans le rapport de B.C. Hydro entraînerait des [TRADUCTION] " débits très élevés et soudains pendant la période des crues ", au printemps et en été, ce qui aurait un effet défavorable sur le saumon Steelhead qui restait dans la rivière au moment de la migration de reproduction. Ils ont en outre conclu que [TRADUCTION] " [...] l'effet sur les autres espèces de salmonidés qui doivent retourner frayer au début et à la fin de l'automne serait fort important étant donné la réduction soudaine et importante du débit plus tard pendant l'année ". Enfin, en ce qui concerne le débit hivernal, ils ont conclu que la réduction du débit aurait pour effet de diminuer de beaucoup l'étendue de l'habitat des salmonidés adultes qui retournaient dans la rivière et influerait sur cet habitat. Ils ont donc conclu qu'il était opportun de solliciter une ordonnance du ministre, en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches , en vue de s'assurer que le débit nécessaire pour la sécurité du poisson et des oeufs déposés dans les frayères soit maintenu dans la Cheakamus.

[49]      Le 1er mai 1997, les représentants du ministère fédéral qui avaient assisté à la réunion du 29 avril 1997, soit Stephen Macfarlane, Barry Chilibeck et Kim West, ont préparé une note d'information à l'intention du directeur général au sujet de la délivrance d'une ordonnance, en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches, concernant l'évacuation de l'eau du barrage dans la Cheakamus. Cette note se lit comme suit :

     [TRADUCTION]         
     HISTORIQUE :         
     .      On trouve dans la Cheakamus le saumon royal, le saumon kéta, le saumon coho, le saumon rose, le saumon rouge, le saumon Steelhead et le Dolly Varden.         
     .      À la suite de l'aménagement de la Cheakamus aux fins de la production d"énergie hydroélectrique, les populations de saumon et de truite ont énormément baissé.         
     .      B.C. Hydro est titulaire d'un permis l'autorisant à détourner chaque année 700 000 acres-pieds d'eau. Par le passé, la quantité d'eau détournée aux fins de la production d'électricité était supérieure à la quantité autorisée. La centrale a principalement été exploitée aux périodes de pointe, mais elle n'est pas exploitée d'une façon continue lorsque les débits entrants sont élevés.         
     .      En janvier 1995, [le ministère fédéral] et le [ministère provincial] ont conjointement transmis à B.C. Hydro un calendrier provisoire d'écoulement des eaux dans la Cheakamus. On proposait que 46 p. 100 des débits entrants quotidiens soient évacués aux fins des ressources halieutiques, le reste servant à la production d'électricité. Compte tenu des données passées, B.C. Hydro disposerait en moyenne de 700 000 acres-pieds d'eau par année en vue de produire de l'électricité. B.C. Hydro n'a pas répondu à cette proposition.         
     .      La quantité moyenne d'eau qu'il faut évacuer à l'heure actuelle, au barrage de Daisy Lake, est de 1,7 cm, ce qui doit fournir au moins 14 cm pendant la saison du frai (du 15 mars au 31 décembre) et 10 cm pendant la période d"incubation (du 1er janvier au 14 mars), selon les mesures prises à Brackendale (situé à environ 25 kilomètres en aval du barrage). Les organismes responsables des pêches ne considèrent pas ces débits comme adéquats aux fins de la protection du poisson dans la Cheakamus.         
     .      La quantité d'eau évacuée, à Daisy Lake, est parfois passée d'un minimum de 1,7 cm à plus de 400 cm en 48 heures. Ces changements brusques et massifs ont eu des effets néfastes sur les pêches.         
     SITUATION ACTUELLE :         
     .      B.C. Hydro, [le ministère provincial], la direction de la gestion des eaux et la direction des pêches, le Ministry of Employment and Investment, et [le ministère fédéral] se sont rencontrés le 29 avril 1997 pour discuter de la question du débit de la Cheakamus. [Le ministère fédéral et le ministère provincial] et B.C. Hydro ont présenté leurs propositions respectives à cet égard.         
     .      La rencontre visait à permettre de mettre au point de gré à gré un régime d'écoulement en vue de la délivrance d'une ordonnance provisoire conformément à la Water Act. Ce serait la première étape d'une gestion améliorée de toutes les installations de B.C. Hydro, reconnaissant les besoins tant en ce qui concerne les ressources halieutiques que les autres ressources. Il est devenu évident lors de la rencontre que B.C. Hydro essayait de retarder la délivrance de l'ordonnance provisoire, et qu'elle avait l'intention de continuer à faire comme par le passé en matière d'exploitation.         
     .      B.C. Hydro ne veut pas procéder à l'évacuation des quantités d'eau non visées par le permis d'une façon compatible avec le régime hydrologique naturel, que [le ministère fédéral] juge nécessaire en vue de protéger le poisson et son habitat. B.C. Hydro propose le régime d'écoulement actuel de 10 et 14 cm, à Brackendale, que [le ministère fédéral] juge inadéquat. Le [ministère fédéral et le ministère provincial] proposaient d'évacuer dans la Cheakamus 45 p. 100 du débit quotidien antérieur entrant dans Daisy Lake.         
     .      Lors de la réunion du 29 avril 1997, on a présenté une lettre (ci-jointe) datée du 22 avril 1997, que Paul Adams, de B.C. Hydro, avait envoyée à P. Khare, directeur, Gestion des eaux [ministère provincial]. B.C. Hydro y déclare que pour assurer la conformité, elle fera passer par les turbines une quantité d'eau représentant au plus 700 000 acres-pieds. Toutefois, B.C. Hydro a l'intention de gérer les débits de façon à maximiser le revenu tiré de la production d'électricité plutôt que d'assurer un régime d'écoulement avantageux pour les ressources halieutiques. À cette fin, elle a décidé de conserver la quantité d'eau autorisée en déversant tout le débit entrant à compter du 1er mai 1997.         
     .      [Le ministère fédéral] se préoccupe de l'effet immédiat du déversement sur le saumon Steelhead qui fraye. Les renseignements les plus récents sur la situation des populations montrent que les saumons Steelhead qui reviennent dans le système sont fort peu nombreux. Il est encore possible que B.C. Hydro réduise soudainement les débits pendant la saison du frai et la période d"incubation du saumon Steelhead afin de produire de l'électricité.         
     .      [Le ministère] se préoccupe également de ce qu'au fur et à mesure que les débits entrants diminueront vers la fin de l'été, le débit de la Cheakamus baissera à environ 1,7 cm, par suite de la dérivation des eaux aux fins de la production d'électricité. Selon la stratégie d'exploitation actuelle de B.C. Hydro, ces débits minimums continueront en hiver. B.C. Hydro envisage d'utiliser la quantité d'eau qu'elle est autorisée à détourner uniquement lorsque le prix de l'électricité et la demande seront élevés. Ce régime d'écoulement a un effet préjudiciable sur toutes les espèces de saumon du système.         
     .      [Le ministère fédéral] estime que l'exploitation actuelle de l'installation située sur la Cheakamus, en ce qui concerne la quantité d'eau évacuée pour les ressources halieutiques au barrage de Daisy Lake est inadéquate et qu'elle nuit au poisson et à son habitat.         
     RECOMMANDATION :         
     .      Il devrait être ordonné à B.C. Hydro et à la Power Authority, conformément au paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches, d'évacuer du barrage de Daisy Lake dans la Cheakamus une quantité d"eau correspondant à au moins 45 p. 100 du débit qui est entré au cours des journées précédentes dans Daisy Lake, l'écoulement minimum quotidien devant être de 5 cm.         

[50]      La position du ministère fédéral, telle qu'elle est résumée dans les notes d'information, a évolué sur une période de deux ans, avant qu'il soit décidé de demander la délivrance d'une ordonnance ministérielle en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches.

[51]      Le 2 mai 1997, le ministère fédéral a poursuivi le processus d"examen environnemental préalable qui avait déjà commencé dans le contexte des deux rapports préparés par le ministère. Afin de se conformer aux dispositions de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale , L.C. 1992, ch. 37, le ministère fédéral a communiqué avec des représentants supérieurs de divers ministères fédéraux au sujet des effets environnementaux, le cas échéant, de l'ordonnance qu'on se proposait de rendre en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches. Aucun des ministères fédéraux consultés n'a pu constater d'effets environnementaux préjudiciables importants. Le ministère fédéral a donc préparé les formulaires et rapports nécessaires en vue de mener à bonne fin le processus d"examen préalable nécessaire en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.

[52]      Le 2 mai 1997, M. Lill, directeur général régional intérimaire, a rencontré divers représentants ministériels, dont Barry Chilibeck et Kim West, qui avaient assisté à la réunion du 29 avril 1997 avec B.C. Hydro et d'autres personnes. M. Lill était mandataire du ministre aux fins de la délivrance d'une ordonnance en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches. Les fonctionnaires du ministère ont informé M. Lill que les discussions avec B.C. Hydro [TRADUCTION] " [...] en étaient arrivées à une impasse et qu'il y avait peu d'espoir ou [qu"] il n'y avait pas d'espoir [...] " qu'on arrive à régler le problème en temps opportun. Ils lui ont fourni la note d'information afin d'expliquer les questions concernant le débit nécessaire pour la sécurité du poisson et des oeufs dans la Cheakamus. Ils lui ont également fourni des copies du rapport Macfarlane-Rosenau ainsi que la lettre du 5 janvier 1995 qui y était jointe, adressée à B.C. Hydro, le rapport Ward qui avait été rendu public en juin 1996, le rapport de B.C. Hydro daté du 4 avril 1997, le rapport Chilibeck-Rosenau daté du 22 avril 1997, et la lettre datée du 22 avril 1997 que B.C. Hydro avait envoyée au directeur de la gestion des eaux.

[53]      Au cours de la réunion, les représentants du ministère ont présenté des observations orales à M. Lill à l'appui de la délivrance de l'ordonnance demandée. En particulier, ils ont examiné avec M. Lill chacun des points qui étaient soulevés dans la note d'information et ont répondu aux questions de celui-ci. Ils ont également examiné avec M. Lill la proposition du ministère fédéral, telle quelle était énoncée dans le rapport Macfarlane-Rosenau et dans le rapport Chilibeck-Rosenau, et la proposition de B.C. Hydro, telle qu'elle était énoncée dans le rapport de cette dernière. Ils ont informé M. Lill que la proposition du ministère fédéral permettait à B.C. Hydro d'utiliser presque toute la quantité d'eau attribuée, mais qu'elle l'obligeait à changer les moments où l'eau était évacuée ainsi que les quantités ainsi évacuées. En outre, ils ont informé M. Lill que la situation était " urgente ", en ce sens que les populations de saumon Steelhead dans la Cheakamus étaient menacées d'une façon immédiate par la quantité d'eau évacuée par B.C. Hydro. En particulier, l'écoulement de l'eau aurait pour effet de déplacer les saumons Steelhead qui frayaient et causeraient un affouillement des nids de frai ou des nids d'oeufs récemment déposés. Enfin, ils ont informé M. Lill que les fonctionnaires et les scientifiques du ministère provincial approuvaient les principes biologiques et techniques sur lesquels la proposition du ministère fédéral formulée dans le rapport Chilibeck-Rosenau était fondée.

[54]      M. Lill connaissait depuis de nombreuses années les fonctionnaires du ministère qui l'avaient informé, et il [TRADUCTION] " [...] avai[t] fort confiance en leurs compétences et en leur jugement; l'étendue de la connaissance qu'ils avaient des effets environnementaux qu'avaient les projets hydroélectriques en général et des problèmes qui se posaient dans la Cheakamus en particulier, [l']impressionnaient ".

[55]      À la fin de la réunion, M. Lill savait que l'ordonnance relative au débit minimum proposée dans la note d'information aurait un effet sur la production d'électricité par B.C. Hydro et que la chose pouvait également avoir des répercussions sur les recettes de cette dernière. Toutefois, il était convaincu, compte tenu des renseignements qui lui avaient été fournis, que la proposition du ministère fédéral [TRADUCTION] " [...] était nécessaire à la protection du poisson et des oeufs de poisson ". En particulier, il a conclu que la proposition du ministère fédéral [TRADUCTION] " [...] était nécessaire en vue de protéger le frai, l'incubation et l'élevage de toutes les espèces de saumon qui utilisent la Cheakamus en aval [du barrage] ". Il a en outre déterminé que la proposition du ministère fédéral [TRADUCTION] " [...] satisfaisait au besoin de protéger les populations menacées de saumon Steelhead, le frai dans la rivière et les populations de saumon royal qui frayaient qui utiliseraient la rivière aux cours des mois à venir ainsi que les oeufs qui seraient déposés par ces poissons ". Enfin, il était convaincu que la proposition de B.C. Hydro [TRADUCTION] " [...] entraînerait des écoulements d'eau insuffisants pour protéger le poisson et les oeufs en aval [du barrage] ".

[56]      Après avoir examiné tous les renseignements qui lui avaient été fournis, M. Lill a conclu, en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches, que :

     [TRADUCTION]         
     [...] la quantité d'eau suffisante pour assurer la sécurité du poisson et pour inonder les frayères de façon qu'elles soient à la profondeur voulue pour assurer la sécurité des oeufs qui y sont déposés exigeaient que la quantité d'eau évacuée [du barrage] dans la Cheakamus corresponde à au moins 45 p. 100 des débits quotidiens antérieurs qui étaient entrés dans Daisy Lake, et qu'au moins 5 cm d'eau soient évacués du réservoir de Daisy Lake.         

[57]      Par une lettre datée du 2 mai 1997 adressée à B.C. Hydro, M. Lill, agissant à titre de mandataire du ministre, a rendu l'ordonnance relative au débit minimum suivante, en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches (l'" ordonnance relative au débit minimum ") :

     [TRADUCTION]         
     Le ministère des Pêches et Océans accorde une importance primordiale à la protection et à la reconstitution des populations de saumon en Colombie-Britannique, et a pris des mesures importantes de conservation et de restauration afin d'augmenter la production de saumon dans les rivières de la Colombie-Britannique. Les systèmes de la Cheakamus et de la Squamish sont des bassins hydrographiques prioritaires, et au cours des dernières années, le ministère des Pêches et Océans et plusieurs autres partenaires, dont B.C. Hydro, ont travaillé ensemble et investi des ressources importantes en vue de protéger et de rétablir le saumon dans ces systèmes.         
     Après un long examen, le ministère fédéral a établi pour la Cheakamus en aval du barrage de Daisy Lake un calendrier d'apport d'eau qui est suffisant pour protéger le poisson et les frayères en aval. Nous aimerions donc vous informer qu'à compter du 2 mai 1997, à 16 h, HNP, conformément au paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches, je vais ordonner que l'eau du barrage de Daisy Lake situé sur la Cheakamus et exploité par B.C. Hydro et par la Power Authority soit évacuée de la façon ci-après décrite. La quantité d'eau quotidienne évacuée du barrage dans la Cheakamus correspondra à au moins 45 p. 100 du débit qui est entré dans Daisy Lake aux cours des journées précédentes et sera d'au moins 5 m3/s.         
     Ces mesures sont nécessaires pour la sécurité entre autres des populations menacées de saumon Steelhead qui frayent à l'heure actuelle dans la rivière, des populations de saumon royal qui frayent et qui utiliseront cette rivière au cours des mois à venir des oeufs qui seront déposés par ces poissons, et du frai, de l'incubation et de l'élevage de toutes les espèces de saumon qui utilisent la Cheakamus en aval du barrage de Daisy Lake.         
     Cette ordonnance aura effet tant qu'elle n'aura pas été modifiée par une autre ordonnance rendue par le ministère des Pêches et Océans.         

[58]      Avant que cette ordonnance relative au débit minimum soit rendue, les fonctionnaires du ministère fédéral n'ont pas informé B.C. Hydro qu'ils cherchaient à obtenir une ordonnance du ministre en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches. B.C. Hydro ne savait donc pas que M. Lill, en sa qualité de mandataire du ministre, examinait la documentation et les observations des fonctionnaires du ministère relatives à la délivrance de pareille ordonnance. M. Lill n'a pas avisé B.C. Hydro qu'il envisageait de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 22(3). En outre, il n'a pas donné à B.C. Hydro la possibilité de lui présenter des observations avant que l'ordonnance en question soit rendue.

[59]      Du point de vue de B.C. Hydro, l'ordonnance relative au débit minimum a pour effet de réduire considérablement la capacité de produire de l'électricité en hiver, période pendant laquelle la demande en électricité est la plus forte. Au cours d'une année donnée, le débit entrant dans le réservoir est généralement à son niveau le plus bas en hiver, et à son niveau le plus élevé pendant la fonte des neiges, au printemps et en été. L'ordonnance relative au débit minimum oblige B.C. Hydro à produire plus d'électricité pendant la fonte des neiges, au printemps et en été, à une époque de l'année où la demande en électricité est relativement faible, afin d'utiliser les 700 000 acres-pieds annuels autorisés. En d'autres termes, l'ordonnance relative au débit minimum prive B.C. Hydro de la possibilité de produire de l'électricité en fonction des fluctuations de la demande et de s'assurer qu'il y a de l'électricité pour les consommateurs au besoin. En outre, l'électricité ne peut pas être emmagasinée après qu'elle a été produite; elle doit être utilisée. Toutefois, l'électricité ne peut même pas être produite s'il n'y a pas de demande, étant donné que la production d'une trop grande ou d'une trop petite quantité d'électricité poserait des problèmes majeurs pour le système électrique intégré de B.C. Hydro. Étant donné qu'il s'agit d'un système intégré, toute augmentation ou diminution de la production d'électricité dans une centrale doit être compensée par un changement correspondant dans le sens contraire dans une autre centrale, à supposer que la demande en électricité demeure constante. B.C. Hydro estime que, pour se conformer à l'ordonnance relative au débit minimum, il lui en coûterait à peu près 2 000 000 $ par année comparativement à ce qu'il lui en coûte si elle se conforme strictement aux conditions de ses permis d'exploitation hydraulique. L'ordonnance relative au débit minimum a pour effet de rendre théorique la demande que B.C. Hydro a présentée en vue d'obtenir un permis additionnel, étant donné que cette ordonnance vise toute la quantité d'eau non régie par un permis dans la Cheakamus en amont du barrage.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[60]      Les questions à trancher dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire sont ci-après énoncées, à savoir :

     i)      si le ministre a violé l'obligation d'équité procédurale qui lui incombe envers B.C. Hydro;
     ii)      si le ministre a excédé sa compétence et a commis une erreur de droit en fondant sa décision, en totalité ou en partie, sur des considérations non pertinentes;
     iii)      si le ministre a commis une erreur de droit en interprétant d'une façon erronée l'étendue du pouvoir qui lui est conféré par le paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches;
     iv)      si le ministre a commis une erreur de droit en omettant de se conformer aux dispositions de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.

ANALYSE

     i)      La Cour peut-elle examiner une décision ministérielle prise en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches et, dans l'affirmative, pour quels motifs?

[61]      Avant d'examiner les questions qui se posent en l'espèce, il faut déterminer si la Cour peut examiner une décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches et, dans l'affirmative, les motifs lui permettant de le faire.

[62]      L'article 22 de la Loi sur les pêches est l'une des nombreuses dispositions législatives qui permettent au ministre de prendre des décisions afin de protéger le poisson et son habitat. En particulier, l'article 22 confère au ministre le pouvoir de prendre diverses décisions dans ces circonstances où il existe un " obstacle " sur l'eau. Le mot " obstacle " est défini à l'article 2 de la Loi sur les pêches comme suit : " [...] Barrage, glissoir ou toute autre chose faisant obstacle au passage du poisson. " Le paragraphe 22(1) permet au ministre, lorsqu'il " [...] le juge [...] ", nécessaire d'exiger que le propriétaire ou l'occupant d'un obstacle " s"assure d"un débit d"eau suffisant au-dessus du déversoir ou de la crête et de l"existence de biefs d"écoulement dans la rivière afin de permettre au poisson de descendre sans danger et sans difficulté. ". Le paragraphe 22(2) traite de la phase de construction d'un obstacle, et exige que le propriétaire ou l'occupant prenne " [...] les dispositions que le ministre juge nécessaires pour le libre passage du poisson migrateur, tant à sa montaison qu"à sa dévalaison, pendant la construction de ces ouvrages. [...] ". Le paragraphe 22(3), en vertu duquel le propriétaire ou l'occupant d"un obstacle doit veiller à ce qu"il y ait suffisamment d'eau dans le lit de la rivière en aval de l'obstacle, prévoit ceci :

         22(3) Le propriétaire ou l'occupant d'un obstacle veille à l'écoulement, dans le lit de la rivière en aval de l'obstacle, de la quantité d'eau qui, de l'avis du ministre, suffit à la sécurité du poisson et à la submersion des frayères à la profondeur nécessaire, selon le ministre, pour assurer la sécurité des oeufs qui y sont déposés.         

[63]      Les avocats des parties ont exprimé des opinions divergentes au sujet de la nature du pouvoir décisionnel conféré au ministre en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches. L'avocat du procureur général du Canada a soutenu que la décision ministérielle envisagée par le paragraphe 22(3) était une décision législative ou une décision stratégique, qui n'est pas normalement assujettie au contrôle de la Cour1. De son côté, l'avocat de B.C. Hydro a soutenu qu'il s'agissait d'une décision administrative discrétionnaire, assujettie au contrôle de la Cour, pour le motif que le décideur avait fait preuve de mauvaise foi, avait commis une erreur de droit, ou s'était fondé sur des considérations non pertinentes1.

[64]      Dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, la Cour suprême du Canada s"est demandée si une décision que le ministre prend dans l"exercice de ses pouvoirs discrétionnaires qui lui sont conférés en vertu de la Loi sur les pêches est susceptible d"examen à l'égard de l'article 7, qui prévoit que le ministre, " à sa discrétion ", octroie des baux, des permis et des licences. Dans cette décision, le juge Major, au nom de la majorité, a dit ceci, aux pages 25 et 26, à l'égard de la nature de la décision prise par le ministre en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches et des motifs d"examen :

         Je suis d'avis que le pouvoir discrétionnaire d'autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l'art. 7, est, à l'instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l'exigence de justice naturelle, étant donné qu'il n'y a actuellement aucun règlement applicable. Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l'arbitraire et agir de bonne foi. Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T-113-84, 29 février 1984.                 
         Cette interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire du Ministre est conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches. Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l'obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l'intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l'arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l'accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d'imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d'autres aspects de la pêche commerciale.                 
         En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a aussi le pouvoir d'ouvrir et de fermer des pêcheries (al. 43a)), d'identifier et de poursuivre les personnes qui détériorent ou détruisent l'habitat du poisson (art. 35 à 40), d'ordonner la construction de passes migratoires dans les cours d'eau où fraie le poisson (art. 20 à 22) ou de prendre des mesures pour améliorer les cours d'eau où fraie le poisson (al. 43h) et i)).                 

[65]      À la page 29, le juge Major a également fait remarquer que le ministre n'exerçait pas une fonction législative, mais plutôt un vaste pouvoir discrétionnaire " [...] en fonction du besoin de répondre aux préoccupations de politique immédiates touchant les pêches ".

[66]      En résumé, le juge Major a conclu que l'article 7 de la Loi sur les pêches conférait au ministre un pouvoir étendu lui permettant de prendre une décision administrative discrétionnaire, susceptible d'examen, pour le motif que le décideur avait fait preuve de mauvaise foi, avait commis une erreur de droit ou avait agi sur la base de considérations non pertinentes.

[67]      Dans l'arrêt Carpenter Fishing Corporation et al. v. Canada (Minister of Fisheries and Oceans), (1997), 221 N.R. 372 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a examiné diverses questions qui avaient été soulevées à l'égard de l'adoption par le ministre d'une politique établissant des quotas pour la pêche au flétan et de l'imposition d'un système de quotas à l'égard des titulaires de licences. Le juge Décary, au nom de la Cour, a conclu que la politique des quotas, que le ministre avait élaborée dans l'exercice des obligations générales que lui imposait la Loi sur les pêches, était une décision législative ou une décision stratégique. Il a illustré l'effet réciproque qui existe entre pareille décision stratégique générale étendue et une décision discrétionnaire précise prise par le ministre en vertu de la Loi sur les pêches, en disant ceci, aux pages 379 et 380 :

         La mise en oeuvre d'une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d'un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d'un permis ne sont pas des règlements; elles n'ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada de la Cour suprême du Canada et de la décision Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) de cette Cour que le ministre est libre d'indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l'arrêt Maple Lodge Farms, à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l'application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi.                 
         Une fois que le ministre, par l'entremise de son Ministère, a défini des lignes directrices stratégiques, il doit, pour délivrer un permis, concentrer son attention sur le requérant et acquérir la conviction que ces lignes directrices peuvent être appliquées équitablement à ce dernier. Dans la mesure où le ministre élabore la politique dans le cadre de l'exercice des pouvoirs généraux que lui confère la Loi sur les pêches et dans la mesure où il n'applique pas cette politique aveuglément dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis particulier, la mesure consistant à délivrer le permis, bien que de nature administrative et par ailleurs susceptible de contrôle judiciaire, ne peut être contestée en vertu des règles générales applicables aux mesures administratives pour ce qui touche à son élément stratégique, c'est-à-dire la mise en oeuvre de la politique en matière de quotas par le ministre. Les cours de révision saisies de la contestation d'une mesure administrative, soit la délivrance d'un permis, dont un élément est une mesure législative, soit l'élaboration d'une politique en matière de quotas, devraient prendre soin de ne pas appliquer à l'élément législatif la norme de contrôle applicable aux fonctions administratives. La distinction est peut-être ténue, mais chaque fois qu'une personne conteste indirectement une politique en matière de quotas en contestant directement la délivrance d'un permis, les tribunaux devraient isoler la contestation indirecte et l'assujettir aux normes applicables au contrôle d'une mesure législative qui ont été définies dans l'arrêt Maple Lodge Farms.                 
         [Notes de bas de page omises.]                 

[68]      En appliquant les principes énoncés dans les arrêts Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), supra, et Carpenter Fishing Corporation et al. v. Canada (Minister of Fisheries and Oceans), supra, j'ai conclu qu'il n'existe absolument aucune distinction, à toutes fins utiles, entre la nature du pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 7 de la Loi sur les pêches et celui qui est conféré au paragraphe 22(3). En d'autres termes, il n'existe aucune différence réelle entre les expressions " à sa discrétion " et " de l'avis du ministre " figurant respectivement à l'article 7 et au paragraphe 22(3), le ministre se voyant dans les deux cas conférer le pouvoir discrétionnaire de prendre une décision1. J'ai donc conclu qu'une décision prise en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches est une décision administrative discrétionnaire prise en réponse à une situation précise. Cette décision est donc assujettie au contrôle si le décideur a fait preuve de mauvaise foi, a commis une erreur de droit ou a agi sur la base de considérations non pertinentes. Le fait que des questions de politique peuvent influer directement sur la façon dont le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il prend une décision précise en vertu du paragraphe 22(3) n'influe pas sur la nature fondamentale de la décision, qui est une décision administrative discrétionnaire.

     ii) L'applicabilité de l'équité procédurable

[69]      Puisque j'ai déterminé la nature de la décision et les motifs d"examen, il reste maintenant à savoir si le ministre est tenu d'observer les principes d'équité procédurale dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire administratif qui lui est conféré en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches.

[70]      Dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a examiné diverses questions se rapportant au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée, qui prive certaines personnes du droit de faire appel devant la section d'appel si le ministre décide qu"une personne constitue un danger pour le public au Canada. En considérant la question de savoir si les exigences de justice naturelle ou d'équité procédurable s'appliquent à la prise d'une décision administrative discrétionnaire, le juge Strayer, au nom de la Cour, a dit ceci, à la page 678 :

         Selon moi, il est juste de présumer que les exigences de "justice naturelle" sont subsumées dans la catégorie générale de l'"équité", particulièrement en ce qui a trait à une décision administrative comme celle qui nous intéresse. Il est indiscutable que les exigences en matière d'équité varient selon la gravité de la décision qui est prise.                 
[...]                 
         Le processus décisionnel autorisé par le paragraphe 70(5) n'est pas un processus judiciaire ou quasi-judiciaire qui, par nature, comporte l'application de principes juridiques pré-existants à des décisions factuelles précises, mais réside plutôt dans la formation d'un avis de bonne foi basé sur les probabilités perçues par le ministre au moyen d'un examen des documents pertinents et sur une évaluation de l'acceptabilité du risque probable. Dans de telles circonstances, les exigences en matière d'équité sont minimes et ont sûrement été respectées pour des motifs identiques à ceux que j'ai donnés pour conclure que les exigences de justice fondamentale, le cas échéant, ont été respectées.                 

[71]      À mon avis, l'approche que le juge Strayer a prise s'applique en l'espèce. Dans ces conditions, j'ai conclu que le ministre avait une obligation minimale d'équité envers B.C. Hydro lorsqu'il a pris sa décision discrétionnaire en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches.

     iii) Le ministre a-t-il satisfait aux exigences minimales en matière d'équité procédurale?

[72]      L'avocat du procureur général du Canada a conclu, entre autres choses, que B.C. Hydro avait eu un certain nombre de possibilités de faire part de son point de vue au ministère fédéral dans le cadre des discussions continues qui avaient eu lieu depuis 1990. Il a donc soutenu que le ministre avait satisfait à toute obligation minimale relative à l'équité procédurale.

[73]      L'examen de la preuve versée au dossier montre que B.C. Hydro, en sa qualité de propriétaire du barrage, avait entamé des discussions continues avec le ministère fédéral, avec le ministère provincial et avec d'autres organismes de réglementation entre 1990 et le moment où l'ordonnance relative au débit minimal a été rendue, le 2 mai 1997. Au fil des ans, plusieurs études avaient été effectuées, par B.C. Hydro ou en son nom, par le ministère fédéral et par le ministère provincial; des rapports avaient été préparés et des réunions avaient eu lieu en vue de tenter d'en arriver à un consensus qui établirait l'équilibre entre les intérêts contradictoires en ce qui concerne les ressources halieutiques et les ressources en électricité. Lors d'une réunion présidée par une facilitatrice, le 27 avril 1997, B.C. Hydro, le ministère fédéral et le ministère provincial ont examiné diverses questions, et notamment le rapport de B.C. Hydro du 4 avril 1997 et le rapport Chilibeck-Rosenau du 22 avril 1997.Au cours de cette réunion, les participants ont convenu d'accorder à B.C. Hydro un délai supplémentaire afin de lui permettre d'analyser les effets du rapport Chilibeck-Rosenau qui avait récemment été rendu public. Ils ont en outre convenu d'examiner tous les rapports et de faire part de leurs commentaires à la facilitatrice. Dans les trois jours qui ont suivi cette réunion, les fonctionnaires du ministère fédéral, qui avaient convenu d'accorder un délai à B.C. Hydro, ont unilatéralement conclu que la proposition que B.C. Hydro venait de faire et que le [TRADUCTION] " retard " étaient [TRADUCTION] " inacceptables ". Malgré les mesures dont il avait été convenu à la réunion, ils ont décidé de ne pas aviser B.C. Hydro qu'ils avaient changé d'idée, et ils ont procédé à la prise des mesures nécessaires en vue d'obtenir l'ordonnance ministérielle en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches. Le mandataire du ministre a rendu l'ordonnance relative au débit minimum le 2 mai 1997, trois jours après que les fonctionnaires du ministère eurent convenu de donner à B.C. Hydro un délai supplémentaire pour examiner les effets du rapport Chilibeck-Rosenau qui venait d"être soumis. Le mandataire du ministre n'a jamais avisé B.C. Hydro qu'il envisageait de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches , et il ne lui a pas donné la possibilité de lui présenter des observations.

[74]      À mon avis, étant donné les discussions continues et le fait que les fonctionnaires du ministère fédéral avaient convenu d'accorder à B.C. Hydro un délai supplémentaire pour analyser les effets du rapport Chilibeck-Rosenau, le mandataire du ministre était tenu, conformément à une exigence minimale d'équité, d'aviser B.C. Hydro et de lui donner la possibilité de lui présenter des observations par écrit, avant de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches. Même si les fonctionnaires du ministère fédéral avaient apparemment décidé, à la suite de la réunion, que la situation était devenue urgente, le mandataire du ministre aurait néanmoins pu demander à B.C. Hydro de lui présenter ses observations sans délai. De fait, les ministres et les autres décideurs respectent régulièrement cette exigence minimale d'équité procédurale avant de prendre des décisions administratives discrétionnaires, et ce, sans que la chose leur cause des inconvénients indus, même dans les cas où le délai fixé est une condition essentielle. J'ai donc conclu que, compte tenu des circonstances particulières de la présente espèce, le mandataire du ministre a violé l'obligation minimale d'équité qu'il avait envers B.C. Hydro.

[75]      Étant donné que j'ai conclu qu'il y a eu violation de l'obligation minimale d'équité qui existait envers B.C. Hydro, il est inutile d"examiner les autres questions soulevées dans l'instance.

DÉCISION

[76]      Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire avec dépens. L'ordonnance relative au débit minimum qui a été rendue le 2 mai 1997 par le mandataire du ministre, Alan Lill, est annulée, sous réserve du droit du ministre, ou d'un mandataire autre qu'Alan Lill, de rendre une autre ordonnance en vertu du paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches conformément aux présents motifs de jugement.

                                        D. McGillis

                                 Juge

OTTAWA

le 3 juin 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :      T-1171-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      British Columbia Hydro and Power Authority c. le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et Océans
    

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 19 mai 1998

MOTIFS DU JUGEMENT de Madame le juge McGillis en date du 3 juin 1998

ONT COMPARU :

Leneord Doust/Warren Millman      POUR LA DEMANDERESSE

McCarthy Tétrault

Vancouver (Colombie-Britannique)

Harry Wruck/Michael Hewitt      POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

Randy Christensen      POUR L'INTERVENANTE

Sierra Legal Defence Fund

Vancouver (Colombie-Britannique)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leneord Doust/Warren Millman      POUR LA DEMANDERESSE

McCarthy Tétrault

Vancouver (Colombie-Britannique)

Harry Wruck/Michael Hewitt      POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

Randy Christensen      POUR L'INTERVENANTE

Sierra Legal Defence Fund

Vancouver (Colombie-Britannique)

__________________

     Voir Martineau v. Matsqui Institution Disciplinary Board (No. 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et al. [1980] 2 R.C.S. 735, 753-754; Procureur général du Canada et al. c. l'Association canadienne des importateurs et al., [1994] 2 C.F. 247, 259 (C.A.F.); Hunt (David) Farms Ltd. v. Canada (Minister of Agriculture) (1994), 74 F.T.R. 270, 283 (1re inst.), conf. (1994), 170 N.R. 75 (C.A.) (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée); Kohl v. Canada (Minister of Agriculture) (1995), 185 N.R. 149, 153-155 (C.A.F.).

     Voir par exemple Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S., 2, 7-8; Williams c. Canada, [1997] 2 C.F. 646, 678 (C.A.).

     Voir Everett v. Canada (Minister of Fisheries and Oceans) (1994), 169 N.R. 100 (C.A.F.), où le juge MacGuigan, dans un jugement concordant, a dit, à la page 105, que le mot " absolute " figurant dans la version anglaise de l'article 7 de la Loi sur les pêches était redondant.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.