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Date : 20050926

Dossier : IMM-1107-05

Référence : 2005 CF 1316

Présent : L'honorable juge de Montigny

ENTRE :

AISSA IBOUDE

NAJIA NEGADI

   Parties demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Le 18 février 2005, les demandeurs, citoyens d'Algérie, ont déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 7 décembre 2004 par Mélanie Leduc, agente d'examen des risques avant renvoi (ERAR). L'agente a conclu que les demandeurs n'étaient pas sujets à un risque de persécution, de torture, de menace à la vie ou de traitements ou peines cruels et inusités dans l'éventualité d'un renvoi en Algérie.

[2]                Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[3]                Les demandeurs ont invoqué plusieurs motifs pour tenter de me convaincre que la décision de l'agente était erronée en fait et en droit; ils ont également soutenu que la demanderesse aurait dû avoir droit à une audition dans le cadre de la procédure ERAR, compte tenu du fait tout particulièrement qu'elle était inéligible à une audience devant la CISR. Je traiterai brièvement de ces deux prétentions dans l'ordre.

[4]                S'agissant d'abord des erreurs qu'aurait commises l'agente ERAR, on a soutenu qu'une importance trop grande avait été accordée à des éléments secondaires tels que des incompatibilités entre la fiche familiale soumise avec la demande ERAR et la fiche familiale d'état civil accompagnant le Formulaire de renseignements personnels, ainsi que des modifications qui paraissent avoir été faites à certaines photocopies de documents officiels.

[5]                Je suis d'avis que l'agente pouvait conclure à l'absence de valeur probante de ces documents. Le poids et la crédibilité d'une preuve relèvent de l'évaluation de l'agente ERAR, et les conclusions qu'elle tire ne m'apparaissent pas déraisonnables. À ce chapitre, il importe d'ailleurs de souligner que les demandeurs n'ont produit aucun document original au soutien de leur demande ERAR; l'agente ERAR pouvait certes accorder une certaine importance à ce facteur, d'autant plus que lors de son audition devant le CISR, le demandeur avait déclaré « ne pas avoir ramené » un rapport médical ou un rapport de police établissant la mort de sa soeur. Il n'était donc pas déraisonnable pour l'agente de s'attendre à ce que le demandeur dépose de tels documents au soutien de sa demande ERAR et de tirer une inférence négative de cette lacune.

[6]                Les demandeurs reprochent également à l'agente ERAR de ne pas avoir considéré la situation des femmes en Algérie dans son analyse de la preuve documentaire, et de ne pas avoir fait preuve de sensibilité face à la situation de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent les femmes victimes de violence familiale.

[7]                Une lecture attentive de la décision permet cependant de constater que l'agente était consciente du risque allégué par la demanderesse, ainsi que des agressions physiques et psychologiques que lui auraient fait subir ses frères, du fait de leur désaccord avec son mariage. Si l'agente n'a pas cru bon devoir examiner la preuve documentaire en Algérie, c'est qu'elle n'a pas prêté foi à ces prétentions à ce chapitre. Non seulement la preuve soumise n'était-elle pas concluante et souffrait même de certains vices, mais au surplus, l'agente était d'avis que les demandeurs pouvaient très bien aller s'établir ailleurs en Algérie et ainsi se soustraire à l'emprise de la famille de la demanderesse.

[8]                Enfin, on a soutenu que l'agente n'avait pas analysé la situation personnelle des demandeurs face à leur crainte de persécution par des terroristes armés, et que l'on n'avait pas tenu compte du fait qu'ils avaient déjà été la cible de ces terroristes.

[8]

[9]                Or, l'agente a d'abord constaté que les allégations des demandeurs avaient déjà été évaluées et rejetées parce que non crédibles par la CISR, et qu'aucune nouvelle preuve ne lui avait été soumise qui lui permette d'en arriver à une autre conclusion. Ceci étant dit, l'agente a quand même examiné la preuve documentaire et conclu que les demandeurs ne sont pas plus à risque que les autres citoyens de l'Algérie, que la situation politique s'était améliorée dans le pays, et qu'ils pouvaient se réfugier dans une grande ville et ainsi diminuer les risques qu'ils pourraient courir. L'agente ERAR a une très grande expertise sur ces questions, et rien ne me permet de conclure que ses conclusions étaient déraisonnables et ne pouvaient s'appuyer sur la preuve objective.

[10]            Bref, je suis d'avis que la décision de l'agente ERAR s'appuyait sur des motifs clairs et sur son évaluation que les demandeurs ne feraient pas face à un risque personnel de persécution s'ils devaient retourner en Algérie. Il est bien établi que ce genre de décisions relève de l'agente ERAR. Pour avoir gain de cause, les demandeurs devaient établir que la décision s'appuyait sur une erreur de droit manifestée ou était fondée sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire, ce qu'ils n'ont pas réussi à faire.

[11]            S'agissant de l'obligation de tenir une audition, les demandeurs prétendent que la demanderesse aurait dû être entendue par l'agente ERAR puisque sa crédibilité était en cause. Une audition lui aurait permis de dissiper les doutes formulés par l'agente eu égard à la validité de certains documents.

[12]            La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, à son article 113, établit clairement que le Ministre ou son délégué n'est pas tenu d'accorder une audience ou entrevue. La Cour suprême a reconnu dans l'arrêt Suresh c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 3, qu'une audition n'était pas requise dans tous les cas, et que la procédure prévue à l'article 113 était conforme aux principes de justice fondamentale énoncés dans la Charte canadienne; dans la très grande majorité des cas, il suffira que le demandeur ait eu l'occasion de faire valoir ses arguments par écrit.

[13]            Le Parlement a précisé, à l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227), les circonstances dans lesquelles une audition doit être tenue. Ce n'est que dans l'hypothèse où la crédibilité est au coeur de la décision et aurait un impact déterminant sur cette dernière qu'une audition est exigée. En l'occurrence, les demandeurs ont eu l'occasion de faire valoir leurs points de vue par le biais de représentations écrites, et l'agente ERAR avait raison de conclure qu'une audition n'était pas requise.

[14]            Il m'apparaît que l'agente ERAR n'a pas conclu à l'absence de crédibilité de la demanderesse, mais plutôt que les risques allégués n'avaient pas de fondement objectif à la lumière de la preuve documentaire qui lui avait été soumise. Les documents n'étaient pas tous compatibles les uns avec les autres, certains étaient raturés, aucun rapport officiel n'établissait le décès de la soeur du demandeur, l'ordonnance médicale n'établissait pas que la surdité de la demanderesse résultait d'une agression physique: tout cela permettait à l'agente de conclure que le risque allégué n'était pas corroboré par la preuve documentaire objective. Par conséquent, la crédibilité de la demanderesse était incidente, et il était loisible à l'agente ERAR d'apprécier la preuve et de conclure à son absence de valeur probante. Les explications a posteriori que voudrait faire valoir la demanderesse pour expliquer les lacunes de la preuve ne peuvent suffire à justifier sa demande d'audition.

[15]            Pour tous ces motifs, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, puisque les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que la décision de l'agente ERAR était manifestement déraisonnable. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

« Yves de Montigny »

JUGE

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1107-05

INTITULÉ :                                        AISSA IBOUDE et al. c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                le 30 août 2005      

MOTIFSDE L'ORDONNANCE: de Montigny J.

DATE DES MOTIFS :                       le 26 septembre 2005

COMPARUTIONS:

Me Mai Nguyen                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Cloutier                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

                                                                                         

Me Mai Nguyen                                                                 

Montréal, Québec                                                               POUR LE DEMANDEUR

M. John H. Sims, Q.C.

Sous-ministre de la Justice et sous-procureur général           

Ottawa, Ontario                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

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