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Date : 20010716

Dossier : IMM-3705-00

                                       Référence neutre : 2001 CFPI 797

Ottawa (Ontario), le lundi 16 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

Entre :

                               TONY GOLOMAN

                                                                 demandeur

                                      - et -

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 M. Tony Goloman demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 juin 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) par laquelle cette dernière a refusé au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Devant la SSR, M. Goloman a affirmé qu'il était un citoyen du Soudan, qu'il avait 31 ans, qu'il revendiquait le statut de réfugié parce qu'il était un chrétien du Soudan méridional et qu'il s'était enfui de l'Armée de libération du peuple soudanais ( « ALPS » ) après avoir été forcé par celle-ci de joindre ses rangs pour lutter contre le Nord dans la guerre civile en cours.

[3]                 La SSR a conclu que M. Goloman n'avait pas établi son identité et sa nationalité et que, par conséquent, elle n'avait pas été saisie d'une preuve crédible permettant de conclure que M. Goloman était un réfugié au sens de la Convention.

La question en litige

[4]                 Au cours des plaidoiries, il a été généralement reconnu au nom de M. Goloman que la question déterminante était de savoir si la SSR avait tiré la conclusion défavorable quant à sa crédibilité sans tenir compte de la preuve dont elle était saisie.

La décision de la SSR

[5]                 L'analyse de la SSR était brève et, dans l'ensemble, se présentait comme suit :

On a posé plusieurs questions au demandeur dans le but de prouver son identité et sa nationalité, étant donné qu'il n'a pas fourni de pièces d'identitépermettant de corroborer sa prétention à la citoyenneté du Soudan. Le demandeur a indiqué au tribunal qu'il est né dans une région de l'Équatoria oriental du Soudan et qu'il appartient à la tribu Itema. Quand on lui a demandé de parler de sa famille, il en a dit des généralités, affirmant qu'il avait peu de souvenirs de son passé, puisqu'il n'avait que 14 ans quand sa famille entière a été tuée par les rebelles. [¼] Il avait l'air normal, était éloquent au moment où il a fourni des renseignements qu'on ne lui avait pas nécessairement demandé de fournir. Le tribunal trouve que le demandeur a été très vague dans ses réponses et que s'est montré évasif lorsqu'on l'a interrogé sur ses antécédents familiaux.

[¼]


Quand on a demandé à l'intéresséquelle faction de rebelles l'avait arrêté en 1996, il a étéincapable de répondre. Ce qu'il connaissait du conflit et des parties impliquées dans le conflit au Soudan oriental indique qu'il en savait bien peu sur le sujet et que toute personne lisant des journaux pouvait facilement en savoir plus que lui sur ce conflit. En 1996, le demandeur avait 25 ans et le tribunal est d'avis qu'on pourrait s'attendre à ce qu'il puisse se souvenir de certains détails sur les personnes qui l'auraient capturé. Il n'a pu fournir aucun détail sur son voyage en avion du Soudan au Kenya, se contentant de dire qu'il était allé àMombassa. On lui a demandé de préciser le nom du bateau sur lequel il aurait apparemment voyagé de Mombassa pour se rendre en Italie et à quel port il aurait débarqué en Italie, mais une fois de plus, il a étéincapable de répondre. Il a indiqué qu'il ne pouvait se souvenir du nom du bateau à bord duquel il avait voyagé, ajoutant qu'il avait débarqué près de Rome. On lui a demandé où se trouvaient les pièces d'identité qui lui avait étéremises par les autorités en Suisse, où il avait présenté une demande d'asile, et il a répondu qu'il avait laissé ses papiers en Suisse, étant donné que les autorités suisses étaient à sa recherche afin de l'expulser du pays. La preuve documentaire indique que le demandeur a présenté en Suisse une revendication du statut de réfugié qui a été rejetée. Une copie des pièces d'identitéconsignées à la pièce M-1 indique que la nationalité du demandeur était inconnue. Le tribunal est d'avis que le fait que les réponses vagues données par le demandeur aux questions susmentionnées laisse supposer qu'il a délibérément essayé de camoufler la vérité sur sa situation. Ses allégations sont fabriquées de toutes pièces pour enjoliver sa revendication qui, autrement, n'aurait aucun fondement.

D'après l'analyse de la preuve, le tribunal est d'avis que le demandeur n'a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, son identité et sa nationalité. Le tribunal ne croit pas qu'il soit citoyen du Soudan, pas plus qu'il ne trouve crédibles ses allégations concernant son arrestation et sa fuite au Soudan méridional. À la lumière de ces renseignements, le tribunal est d'avis qu'il n'existe aucune preuve crédible permettant d'en arriver à la conclusion qu'il existe une possibilité que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner au Soudan. [notes de bas de page omises]

La norme de contrôle

[6]                 Il est de droit constant que, dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut substituer sa propre décision à celle de la SSR, particulièrement lorsque la SSR a tiré une conclusion en matière de crédibilité après avoir entendu et vu le témoignage du revendicateur.

[7]                 La Cour ne peut annuler une conclusion relative à la crédibilité que si elle est convaincue que la SSR a tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

Analyse

[8]                 Les principes qui suivent s'appliquent à l'évaluation par la SSR de la crédibilité d'un revendicateur du statut de réfugié :


·            Quand un revendicateur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter : Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.).

·            Le tribunal doit tenir compte de l'ensemble de la preuve, aussi bien verbale que documentaire, et ne peut se fonder sur des parties choisies de cette preuve : Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.).

·            Si la revendication est rejetée pour cause de manque de crédibilité du revendicateur, la SSR doit justifier sa décision à cet égard en termes clairs et explicites : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).

[9]                 Dans l'arrêt Hilo, précité, à la page 238, la Cour d'appel fédérale a examiné la conclusion suivante de la SSR :

Le témoignage du revendicateur était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Ce dernier a souvent étéincapable de répondre aux questions et a parfois semblé peu intéressé à le faire. Cela peut être dû en parti à son jeune âge, mais le tribunal n'a pas étépleinement convaincu de sa crédibilité en tant que témoin.

[10]            La Cour a conclu, à la page, 238 que :


[¼] la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. [¼] L'évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l'appelant est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l'incapacité de l'appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.

[11]            Pour ce qui est des motifs énoncés en l'espèce par la SSR, elle en a énuméré six qui l'ont amenée à conclure que M. Goloman n'avait pas établi la preuve de son identité et de sa nationalité. Ces motifs sont :

i)           M. Goloman a dit des généralités lorsqu'il décrivait sa famille; il a rabâché des généralités et s'est montré évasif lorsqu'on lui a posé des questions directes concernant ses antécédents familiaux.

ii)          M. Goloman a été incapable de nommer la faction armée rebelle qui l'avait arrêté en 1996 et il a été incapable de se souvenir de rien au sujet de ses prétendus ravisseurs.

iii)          Ce que M. Goloman connaissait du conflit et des parties impliquées dans le conflit au Soudan méridional était si superficiel que quiconque pouvait facilement en connaître autant en lisant des informations générales sur le conflit.

iv)         M. Goloman a été incapable de fournir des détails sur sa fuite du Soudan au Kenya, se contentant de dire qu'il était allé à Mombassa.

v)          M. Goloman a été incapable de se rappeler le nom du bateau à bord duquel il s'était rendu, selon ses affirmations, en Italie et a seulement pu dire qu'il avait débarqué près de Rome.

vi)         La pièce d'identité remise à M. Goloman par les autorités suisses indiquait que sa nationalité était inconnue.

[12]            D'après la preuve dont la SSR était saisie, deux de ces motifs sont incorrects.


[13]            D'abord, en ce qui concerne la deuxième conclusion énoncée ci-dessus, M. Goloman a témoigné qu'il avait été capturé par des soldats rebelles de l' « Armée de libération du peuple du Sud » . Pour ce qui est de ses ravisseurs, M. Goloman s'est rappelé et a témoigné qu'ils sont venus dans cinq camions peut-être et qu'ils avaient capturé 25 personnes environ d'une classe à l'église de M. Goloman pour les conduire au camp militaire. Les personnes très âgées avaient été laissées derrière. Les rebelles étaient venus avec des fusils et portaient [Traduction] « du vert sur du vert » .

[14]            Ensuite, en ce qui concerne la quatrième conclusion ci-dessus, M. Goloman n'a pas affirmé seulement qu'il s'était rendu à Mombassa. Il a témoigné qu'il s'était caché dans un camion dans le camp militaire où il avait été amené et que, après quatre heures de route, il s'était dévoilé au conducteur, lequel avait accepté de l'aider à entrer au Kenya. M. Goloman a décrit comment il avait pu se cacher dans le camion après avoir aidé à le décharger et comment le camion s'était retrouvé dans le camp militaire.

[15]            En ce qui concerne les première et troisième conclusions ci-dessus, la SSR n'a pas expliqué, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de M. Goloman. Selon les propos tenus par la Cour d'appel dans l'arrêt Hilo, précité, ces motifs sont lacunaires parce qu'ils sont exposés en termes vagues et généraux.

[16]            Non seulement la SSR n'a-t-elle pas explicité les lacunes qu'elle percevait dans le témoignage de M. Goloman, mais l'examen de la transcription de l'audience ne permet pas de les constater.


[17]            Selon la transcription, M. Goloman a répondu aux questions à lui posées par son conseil et par la SSR concernant sa famille, y compris leurs noms; il a dit que sa mère et sa soeur avaient péri à un marché dans un bombardement et que son père se trouvait à la ferme [Traduction] « et ils l'ont pris, (inaudible), tout s'est terminé là » . Il a répondu aux questions qu'on lui a posées concernant le Soudan, dont des questions concernant les tribus du Soudan, le nom du chef de l'ALPS, les noms des groupes rebelles au Sud, les noms des dirigeants politiques, et a expliqué comment le président du Soudan avait accédé au pouvoir. Dans ses motifs, la SSR ne met pas en doute l'exactitude de ces réponses.

[18]            En ce qui concerne la sixième conclusion ci-dessus qui se rapportait à une pièce d'identité suisse, la SSR a apparemment fait référence à une carte d'identité délivrée par les autorités de la Confédération helvétique. Cependant, deux cartes du genre se trouvaient dans la preuve déposée devant la SSR, qui semblaient s'appliquer à des périodes de validité différentes en Suisse. Selon une des cartes, M. Goloman était citoyen du Soudan. La SSR a été sélective dans la façon dont elle s'est fiée à un seul document. Elle n'a pas expliqué pourquoi, à son avis, le document qui indiquait que M. Goloman était de nationalité inconnue était plus fiable que celui qui indiquait qu'il était citoyen soudanais.

[19]            En fin de compte, sur les six motifs énoncés par la SSR à l'appui de sa conclusion que ni l'identité ni la nationalité n'avaient été établies, une seule, soit sa conclusion selon laquelle M. Goloman ne pouvait nommer le bateau à bord duquel il s'était rendu en Italie, est étayée par la preuve. Cette conclusion ne se rapportait pas à une question déterminante pour la revendication du statut de réfugié de M. Goloman. En conséquence, ce motif ne justifie pas à lui seul que la décision de la SSR soit maintenue.

[20]            Il était évidemment loisible à la SSR de conclure que M. Goloman n'est pas un réfugié au sens de la Convention, mais les motifs qu'elle a invoqués n'appuient pas cette conclusion. Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et que l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour réexamen.

[21]            Les avocats n'ont proposé aucune question à certifier et aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

[22]            LA COUR ORDONNE :

La décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 20 juin 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour réexamen.

« Eleanor R. Dawson »                                                                                                                                                        

Juge

  

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschêches


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-3705-00

INTITULÉ :                                                        TONY GOLOMAN c. MCI

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 25 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                     Le 16 juillet 2001

COMPARUTIONS :

Tina McKay                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Brad Hardstaff                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Berlin McKay                                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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