Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 19990909


Dossier : IMM-6135-98



Entre :

     ALEXANDER STRIZHEVSKY,

     Partie demanderesse,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Partie défenderesse.




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la "section du statut"), selon laquelle le demandeur, citoyen d'Israël, n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur, né en 1976, est un citoyen d'Israël d'origine russe et de nationalité juive. Le 5 juin 1992, le demandeur et sa famille sont venus au Canada et y ont revendiqué le statut de réfugiés, demande qui fut refusée. Après avoir vécu au Canada trois ans et demi et reçu plusieurs avis le convoquant à son service militaire, le demandeur a quitté le Canada avec les autres membres de sa famille pour séjourner en Grèce.

[3]      Vers la fin de novembre 1996, le demandeur a quitté la Grèce et transité par la République Tchèque avant d'arriver au Canada où il a revendiqué, pour la seconde fois, le statut de réfugié.

[4]      Au soutien de sa revendication, le demandeur alléguait avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques et de sa nationalité. Le demandeur invoquait essentiellement qu'il serait contraire à ses convictions de servir dans l'armée israélienne qui commettrait des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Il alléguait qu'un retour en Israël impliquerait une accusation de désertion et une peine d'emprisonnement vu qu'il avait atteint l'âge de la conscription, qu'il était absent du pays et avait fait défaut de se présenter au bureau de la conscription malgré les avis de convocation qu'il aurait reçus pour faire son service militaire.

[5]      "Après avoir analysé toute la preuve, tant documentaire que testimoniale",1 la section du statut a conclu que la crainte éprouvée par le demandeur relativement au sort qui l'attend à son arrivée en Israël n'était pas fondée "car il peut demander une exemption d'un consulat israélien au Canada".2

[6]      Le demandeur plaide que la section du statut a erré en préférant la preuve documentaire sans motiver ce choix et sans tenir compte de ses explications.3 Il soutient également que le tribunal a erré dans l'appréciation des faits en ne tenant pas compte de toute la preuve qui lui a été présentée.4

[7]      Pour sa part, le défendeur soumet que, pas ses prétentions, le demandeur tente de substituer son opinion à celle du tribunal eu égard à l'appréciation de la preuve soumise à l'audience. Il ajoute que la section du statut a indiqué, dans son analyse, avoir pris en compte les explications que le demandeur a fournies lorsqu'il fut confronté à la preuve documentaire portant sur le service militaire obligatoire, les solutions de rechange, la désertion et les démarches possibles pour les personnes visées par ces questions.

[8]      J'estime qu'en l'espèce, l'intervention de la Cour est nécessaire et m'en explique.

[9]      Je rappelle d'abord que la raison essentielle de la conclusion, par la section du statut, que la crainte du demandeur n'était pas fondée tient à ce qu'il n'avait pas présenté une demande d'exemption du service militaire à un consulat israélien au Canada.

[10]      Lors de son témoignage, le demandeur a expliqué comment un de ses camarades, retourné en Israël, avait été emprisonné pour trois mois comme déserteur et obligé de faire son service militaire. Il a aussi expliqué pourquoi il n'avait pas fait une demande d'exemption: en se rapportant aux autorités israéliennes à Montréal pour obtenir une prolongation de délai ou une demande d'exemption au service militaire, il savait qu'on apposerait dans son passeport une note à l'effet qu'il était un revendicateur du statut de réfugié au Canada, de sorte qu'à son retour en Israël, il serait immédiatement ciblé non seulement comme déserteur mais également comme un traître ayant revendiqué le statut de réfugié à l'étranger. Il a d'ailleurs déposé, après l'audition, un exemple d'inscription5 faite par le Consulat général d'Israël à Montréal dans les passeports de personnes qui s'y adressent pour, par exemple, renouveler leur passeport et qui n'ont pas de statut légal au Canada. Le demandeur ne voulait et ne pouvait pas prendre un tel risque.

[11]      Or la section du statut n'a fait aucun commentaire sur ces explications du demandeur, pourtant jugé crédible, et qui vont au coeur même du refus de la demande de statut de réfugié. J'estime qu'en l'espèce, les propos du juge Evans dans l'affaire Cepeda-Gutierrez6 s'appliquent. Il y mentionnait en effet:

La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme.
(. . .)
Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.
Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]": Bains c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait."
(. . .)
Finalement je dois me demander si la section du statut a tiré cette conclusion de fait erroné "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]". À mon avis, la preuve était si importante pour la cause du demandeur que l'on peut inférer de l'omission de la section du statut de la mentionner dans ses motifs que la conclusion de faits a été tirée sans tenir compte de cet élément. Il est d'autant plus facile de tirer cette inférence parce que la Commission a traité dans ses motifs d'autres éléments de preuve indiquant que le retour à Mexico ne constituerait pas un préjudice indu. L'affirmation "passe-partout" selon laquelle la Commission a examiné l'ensemble de la preuve dont elle était saisie n'est pas suffisante pour empêcher de tirer cette inférence, compte tenu de l'importance de cette preuve pour la revendication du demandeur."
     (C'est mon soulignement.)


[12]      En l'espèce, dans la mesure où la section du statut a omis de considérer des éléments de preuve importants qui tentaient d'expliquer pourquoi le demandeur n'avait pas fait au Canada une demande d'exemption du service militaire en Israël, raison même du refus de sa demande de statut de réfugié, j'estime qu'elle a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait aux termes de l'alinéa 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.

[13]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n'y a pas, en l'espèce, matière à certifier une question sérieuse de portée générale, au sens du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.

                             _________________________

                             Juge


Ottawa (Ontario)

le 9 septembre 1999

__________________

     1      p. 1 de la décision du tribunal, reproduit à la p. 6 du dossier du demandeur.

     2      p. 3 de la décision du tribunal, reproduit à la p. 8 du dossier du demandeur.

     3      Okyere-Akosah c. M.E.I., (1992) 157 N.R. 387 (C.A.F.); Olschewsky c. M.E.I., (20 octobre 1993) A-1424-92 (C.F. 1re inst.).

     4      Owusu-Ansah c. M.E.I., (1989) 98 N.R. 312, 81 Imm.L.R. (2d) 106; Toro c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 652.

     5      "Remarque: La ci-dessus a présenté une demande de statut de réfugiée au Canada, 03/09/96" (p. 263-264 du dossier du tribunal).

     6      IMM-596-98, le 6 octobre 1998, [1998] F.C.J. No. 1425.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.