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Date : 20050106

Dossier : T-307-04

Référence : 2005 CF 9

ENTRE :

                 BIOVAIL PHARMACEUTICALS INC., GLAXOSMITHKLINE INC. et

                                       THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                          MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

                                                        NOVOPHARM LIMITED

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Novopharm souhaite développer et commercialiser une drogue contenant un médicament pour traiter la dépression. Elle doit obtenir à cette fin l'approbation de Santé Canada. Sa demande ne comporte pas de revendication portant qu'il s'agit d'une drogue nouvelle, de sorte que sa démarche s'en trouve simplifiée. Au contraire, elle compare la drogue qu'elle propose au Wellbutrin® SR, un médicament à l'égard duquel Biovail et les autres demanderesses détiennent des droits de propriété ainsi que d'autres intérêts juridiques. Étant donné que le Wellbutrin® SR a déjà été approuvé et commercialisé au Canada, sur le plan de l'administration des aliments et drogues, il suffit que Novopharm démontre que la drogue nouvelle est bioéquivalente.

[2]                Les demanderesses, généralement désignées Biovail, demandent à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (AC) à Novopharm. Elles avaient soumis une liste de brevets relatifs au Wellbutrin® SR, laquelle figure au registre tenu par le ministre. Elles prétendent que les activités de Novopharm contreferaient ces brevets.

[3]                Le WellbutrinMD SR est un médicament à base de chlorhydrate de bupropion. Il se présente sous la forme de comprimés de 100 mg et de 150 mg pour administration par voie orale. Pour que le médicament soit libéré dans l'organisme progressivement, plutôt que sur-le-champ, le comprimé contient également de l'hydroxypropylméthylcellulose (HPMC), qui assure une libération contrôlée ou prolongée.

[4]                Le médicament de Novopharm est également à base de chlorhydrate de bupropion, ce qui ne pose pas problème car les brevets associés au chlorhydrate de bupropion sont expirés. Pour obtenir le résultat souhaité, à savoir la libération du médicament sur une certaine période, Novopharm propose d'utiliser l'hydroxypropylcellulose (HPC). L'hydroxypropylméthylcellulose est-il plus ou moins identique à l'hydroxypropylcellulose? Voilà la principale question sur laquelle repose la présente instance.


CONTEXTE

[5]         Les brevets en cause sont deux brevets canadiens portant les numéros 1,321,754 (le brevet 754) et 2,142,320 (le brevet 320). Au départ, les demanderesses avaient invoqué un troisième brevet portant le numéro 2,168,364, mais elles ont reconnu depuis que les activités que Novopharm se propose d'entreprendre ne contreferaient pas ce brevet. En termes très simples, le brevet 754 revendique une composition à libération contrôlée sous forme de comprimé qui doit être pris par la bouche et qui comprend du chlorhydrate de bupropion dans un véhicule solide à libération prolongée. Le brevet 320 revendique une composition à libération contrôlée sous forme de comprimé à prendre par la bouche, contenant du chlorhydrate de bupropion et de l'HPMC, lequel peut en soi être un véhicule solide à libération prolongée.


[6]                La demanderesse, The Wellcome Foundation Limited, est propriétaire des deux brevets en cause. Glaxosmithkline Inc. a soit obtenu une licence en vertu de ces brevets, soit obtenu le consentement de The Wellcome Foundation Limited pour les inclure dans la liste des brevets. En décembre 2002, Biovail a fait l'acquisition des produits Wellbutrin® SR et des brevets y afférents. Lorsqu'une deuxième personne, comme Novopharm en l'espèce, dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle en vue d'obtenir un avis de conformité et qu'elle compare sa drogue à celle de la première personne - qui l'a inscrite au registre tenu par le ministre - pour en démontrer la bioéquivalence, elle doit déclarer qu'elle accepte que l'avis de conformité ne soit pas délivré avant l'expiration des brevets ou encore alléguer que la première personne a fait de fausses déclarations dans la liste des brevets qu'elle a soumise au ministre, que le brevet a expiré, qu'il n'est pas valide ou qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites « advenant l'utilisation la fabrication, la construction ou la vente [...] de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité » .

[7]                Novopharm fait valoir que les brevets ne sont pas valides et que de toute façon ils ne seraient pas contrefaits. Elle devait en application du paragraphe 5(3) du Règlement pertinent (le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié) signifier à Biovail un avis d'allégation comprenant un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde.

[8]                En l'espèce, contrairement à ce qui est normalement le cas dans une instance ordinaire, c'est Novopharm qui, dans son avis d'allégation, a défini les questions en litige. En tant que demanderesse, Biovail doit faire une preuve négative. Ainsi, elle doit démontrer que les allégations portant qu'elle ne contrefera pas un brevet valide ne sont pas fondées. Comme l'a dit si justement la juge Layden-Stevenson et comme il ressort de la jurisprudence sur laquelle elle s'appuie dans Fournier Pharma Inc. et Laboratoires Fournier S.A. c. Le ministre de la Santé et Cipher Pharmaceuticals Limited, 2004 CF 1718, aux paragraphes 8 et 9, le recours prévu par le Règlement ne permet pas de décider de la validité d'un brevet ou de décider s'il y a contrefaçon. Il vise plutôt à faire déterminer si le ministre peut délivrer l'AC demandé.


Le Règlement autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. Le recours prévu à l'article 6 ne fait pas appel à la fonction juridictionnelle et la décision qui en résulte n'a pas l'autorité de la chose jugée. Le breveté n'est aucunement privé des recours qui lui sont normalement ouverts en vue de faire respecter ses droits. Si un examen au fond des questions de validité ou de contrefaçon est nécessaire, il pourra procéder suivant la voie ordinaire en introduisant 'une action.

[9]                Les paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement sont reproduits ci-dessous :

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

(2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

QUESTIONS EN LITIGE - MÉTHODE D'ANALYSE

[10]       La seule question qui se pose est de savoir si la Cour devrait rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Novopharm avant l'expiration de l'un ou des deux brevets en cause. Sous réserve du commentaire que j'ai formulé précédemment en ce qui concerne la portée restreinte du recours, la Cour doit nécessairement, pour rendre une ordonnance d'interdiction, arriver à la conclusion que les allégations de Novopharm ne sont pas fondées ou, autrement dit, conclure que les brevets sont valides et que Novopharm les contreferaient. La Cour doit statuer sur ces deux points. À l'inverse, pour refuser de rendre une ordonnance d'interdiction, la Cour doit arriver à la conclusion que Novopharm ne contreferait pas les brevets ou que ceux-ci ne sont pas valides. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire qu'elle statue sur les deux points.


[11]            Je vais d'abord examiner la question de la contrefaçon et puis, si nécessaire, celle de la validité des brevets. Je crois qu'il y a lieu d'examiner le brevet 320, qui est plus pertinent et qui expire en 2013, avant d'examiner le brevet 754 qui expire en juillet 2005.

FARDEAU DE LA PREUVE

[12]       Le fardeau de la preuve en matière de validité de brevets a fait l'objet de nombreuses analyses. Il incombe à Biovail de réfuter les assertions que contient l'avis d'allégation de Novopharm. Comme tout autre demandeur ou requérant, Biovail a la charge générale de la preuve. Toutefois, étant donné que l'objet de la demande de Biovail consiste à réfuter les allégations de Novopharm plutôt que de prouver ses propres allégations, Novopharm a, en tant que défenderesse, l'obligation de faire entrer « en jeu » les questions énoncées dans son avis d'allégation. Manifestement, elle sait mieux que Biovail ce qu'elle a l'intention de faire et comment elle entend procéder. Il existe également une présomption réfutable selon laquelle le brevet est valide. Voir, par exemple, Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1994] 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), et le récent commentaire fait au sujet de cet arrêt par le juge Mosley dans Janssen - Ortho Inc. et al. c. Novopharm Ltd., et al., 2004 CF 1631, aux paragraphes 13 et suivants, ainsi que celui de la juge Sharlow dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 402, [2004] A.C.F. no 2033 (QL), au paragraphe 8.

[13]            Ce n'est que si la preuve soumise à l'attention de la Cour ne lui permet pas de tirer des conclusions de fait appropriées qu'il faudra tenir compte du fardeau de la preuve. Comme l'a dit le juge Devlin (tel était alors son titre) dans Waddle c. Wallsend Shipping Company Ltd., [1952] 2 Lloyd's Rep. 105, à la page 139 :

[traduction] Dans une affaire où l'essentiel des faits a été mis au jour, il est sans aucun doute légitime de plaider qu'il faut trouver une cause quelconque, et que donc la cause qui paraît la mieux établie devrait être choisie. Lorsqu'on peut dire à juste titre que toutes les causes possibles ont été examinées à fond, c'est la plus forte qui doit l'emporter. Mais dans un cas où il n'existe aucune preuve directe, il n'y a pas de raison de dire que la conjecture la plus plausible doit nécessairement être la bonne explication. Il se peut bien qu'on doive constater qu'on n'en connaît pas assez au sujet des circonstances du sinistre pour permettre à celui qui enquête de dire comment c'est arrivé. Tout ce qu'il peut dire c'est qu'aucune théorie proposée n'a pu trouver suffisamment d'appui dans les faits pour rendre plus probable que cela est arrivé de cette façon et non d'une autre [...]

Ce n'est que si aucun autre élément n'est mis en preuve que la présomption prima facie interviendra. Dès que d'autres éléments de preuve sont produits, le demandeur doit établir le bien-fondé de sa cause à partir de l'ensemble de la preuve.

[14]            Je suis d'avis que la preuve présentée par les parties en ce qui concerne les moyens invoqués dans l'avis d'allégation, qui repose sur l'opinion de témoins experts, permet à la Cour de statuer sur les questions que soulève la présente instance.

PRINCIPAUX PRINCIPES D'INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS


[15]       Pour décider de la validité d'un brevet et se prononcer sur la contrefaçon, il faut, comme condition préalable, prendre en compte le libellé des revendications figurant dans le brevet. Le mieux à faire, dans une instance relative à un avis de conformité, est d'adopter la même approche en gardant à l'esprit l'objet restreint du recours. Dans deux arrêts récents, rendus le même jour, la Cour suprême a grandement clarifié les principes d'interprétation applicables en matière de revendications et largement contribué à leur codification : Free World Trust c. Électro-Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067. Dans ces deux arrêts les motifs ont été rédigés par le juge Binnie. Les principes suivants sont particulièrement pertinents en l'espèce :

1.         Un brevet est considéré comme un marché conclu entre l'inventeur et le public. En contrepartie de la divulgation de l'invention, l'inventeur se voit accorder un monopole temporaire lui permettant d'exploiter l'invention pour une période restreinte.

2.         La Loi exige que la demande de brevet renferme un mémoire descriptif « définissant distinctement et en des termes explicites l'objet de l'invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » . Le mémoire descriptif doit être rédigé en des termes complets, clairs, concis et exacts « qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention » (Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et ses modifications, art. 27).

3.         Le brevet s'adresse, en théorie, à une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu'il a été rendu public. (Il sera davantage question de cette personne versée dans l'art plus loin dans ces motifs.)

4.         Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet pour assurer le respect de l'équité et la prévisibilité, et pour cerner les limites du monopole. « [L]'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité » (Free World Trust, par. 31 et 32).

5.         La partie du mémoire descriptif dans laquelle figurent les revendications prévaut sur la partie dans laquelle la divulgation est effectuée, c'est-à-dire que l'on se servira de la divulgation pour comprendre le sens d'un mot utilisé dans les revendications « mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle [est] écrite et, ainsi, interprétée » (Whirlpool, par. 52).


6.         Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques que l'inventeur prétend être essentielles qui constituent ce qu'on appelle l' « essence » de la revendication. « L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments essentiels de son invention » (Whirlpool, par. 45).

7.         Certains des éléments de l'invention visée par la demande sont essentiels alors que d'autres ne le sont pas compte tenu des connaissances usuelles que détenaient les personnes oeuvrant dans le domaine concerné à l'époque où le brevet a été publié ou compte tenu de l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications. Ce point est au coeur de la position de Biovail selon laquelle l'allégation de Novopharm portant qu'elle ne contrefera pas le brevet 320 est fausse. Autrement dit, était-il manifeste à l'époque de la publication que l'emploi d'une variante ferait une différence?

8.         Il est fatal de revendiquer plus que nécessaire. Par ailleurs, si les revendications de l'inventeur sont d'une portée trop limitée, le tribunal ne pourra pas accroître l'étendue du monopole en invoquant « l'esprit de l'invention » . Cela se produit souvent, comme c'est le cas en l'espèce, lorsque l'inventeur recourt à différents niveaux de revendications dont les restrictions sont destinées à servir d'éventuels filets protecteurs de sorte que, si une revendication plus large devait être rejetée, le monopole puisse en partie subsister sur la base d'une autre revendication de moins grande portée.

9.         Un brevet n'est toutefois pas un écrit ordinaire. Il est visé par la définition de « règlement » qui figure dans la Loi d'interprétation et il faut l'interpréter de manière compatible avec la réalisation de son objet. « [L]'interprétation des revendications est une question de droit qu'il appartient au juge de trancher, et celui-ci avait parfaitement le droit de donner aux revendications une interprétation différente de celle préconisée par les parties » (Whirlpool, par. 61).

RÔLE DU TÉMOIN EXPERT


[16]       La preuve d'expert soumise à un tribunal devrait être le fruit du travail indépendant de l'expert, sans qu'il n'ait été influencé, sur le plan de la forme et du contenu, par les exigences qu'un procès comporte. Le rôle du témoin expert consiste à éclairer le tribunal en lui donnant son avis objectif (National Justice Companion Riviera SA c. Prudential Assurance Co. Ltd., [1993] 2 Lloyd's Rep. 68, infirmé pour d'autres motifs, [1995] 1 Lloyd's Rep. 455, et Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc. et Le ministre de la Santé, 2004 F.C. 567, au paragraphe 16).

ATTRIBUTS DES TÉMOINS EXPERTS

[17]       Chacune des parties a fait appel à deux témoins. Biovail a fait témoigner Mme Kathryn Uhrich et M. Paul Maes. Mme Kathryn Uhrich est professeure agrégée au département de chimie et de chimie biologique de l'Université Rutgers. Gagante de plusieurs prix pour ses recherches, elle est l'inventrice ou la co-inventrice désignée de dix brevets américains délivrés ou accordés dans le domaine de la chimie des polymères. Ses recherches actuelles portent sur la synthèse et les caractéristiques des polymères biocompatibles pour application dans les domaines médical et dentaire, notamment en ce qui concerne l'administration des médicaments et le génie tissulaire. Novopharm avance que Mme Uhrich qui a commencé ses études universitaires dans les années 1980 est trop jeune pour agir à titre de témoin expert. Bien qu'il soit possible qu'une personne oeuvrant dans un certain secteur d'activité à une époque donnée ait une connaissance directe de la question, Mme Uhrich a une connaissance approfondie de la documentation publiée à l'époque pertinente. J'admets donc Mme Urich comme témoin expert dans le cadre de la présente instance.


[18]            Paul Maes, vice-président, technologie pharmaceutique, chez Biovail, est le deuxième témoin de la demanderesse. Détenteur de deux maîtrises, il a une formation en analyse pharmaceutique et possède une expérience appréciable dans le développement, l'évaluation et la commercialisation de formulations pharmaceutiques faisant appel à des méthodes de libération prolongée. Il est certainement cet homme ordinaire ou ce monsieur tout-le-monde du domaine des brevets qualifié pour les lire et il possède des connaissances pratiques concernant la préparation de comprimés. Invoquant les incidences financières qu'aura pour lui l'issue du litige, Novopharm met en doute son objectivité. J'aurais pu, pour ce motif, accorder moins de poids à son témoignage, mais je suis d'avis qu'il a été objectif et éclairant. J'admets donc M. Paul Maes comme témoin expert.

[19]            M. Joseph Schwartz et M. Metin Çelik sont les témoins experts de Novopharm. M. Schwartz est professeur Burrows-Wellcome de pharmacie et directeur de la recherche en pharmacie industrielle au College of Pharmacy de Philadelphie. Pendant plus de 35 ans, il a participé au développement et à la formulation de produits pharmaceutiques et, à son collège, il supervise actuellement les laboratoires contractuels. Il est très actif dans le domaine pharmaceutique, plus particulièrement dans le domaine de la technologie des formes posologiques et des techniques de libération contrôlée.


[20]            M. Çelik préside sa propre société, Pharmaceutical Technologies International Inc., qui fournit des services de consultation notamment à des sociétés pharmaceutiques et des cabinets d'avocats. Il donne le cours de fabrication de produits pharmaceutiques au département de génie industriel de l'Université Rutgers à titre de chargé de cours à temps partiel. Il participe depuis longtemps, et ce, sur une base régulière, à l'élaboration et à la formulation de produits pharmaceutiques. J'admets MM. Schwartz et Çelik comme témoins experts.

[21]            Biovail a critiqué le mandat confié à MM. Schwartz et Çelik. On leur avait demandé de commenter les documents joints à l'avis d'allégation pour étayer la prétention selon laquelle les brevets ne sont pas valides et ne seraient de toute façon pas contrefaits. Dans la documentation en question figurent plus de 100 références relatives à des brevets canadiens et américains et aux demandes y afférentes ou à des livres, monographies, articles et publicités décrits comme [traduction] « autre art » . MM. Schwartz et Çelik n'ont pas mener de recherches pour élaborer la liste des documents. On leur a demandé de [traduction] « de donner leur opinion sur la validité des arguments avancés par Novopharm dans l'AC en ce qui concerne les brevets 754 et 320 » . Bien qu'il faille toujours user de circonspection à l'égard des analyses a posteriori, force est de constater que Novopharm a, compte tenu du libellé de son avis d'allégation, fait entrer « en jeu » le sujet. Ce sont les allégations de Novopharm qui circonscrivent l'instance. De plus, les témoins ont fait preuve d'objectivité et de professionnalisme. Par exemple, vu son expérience pratique et académique, M. Schwartz s'est jugé apte à fournir des compléments d'information sur les documents mis à sa disposition et, de sa propre initiative, il a consulté le Physician's Desk Reference.


[22]            Nous devons déterminer les attributs d'une personne versée dans l'art dont relèvent les brevets 320 et 754. La personne à qui s'adresse le brevet possède des qualités particulières. Il s'agit d'un travailleur ordinaire, spécialisé dans le domaine dont relève l'invention. Ce n'est pas un nullard, mais plutôt une personne peu imaginative et qui, néanmoins, se tient au courant de la documentation et qui, vu ses qualifications, est en mesure de lire un brevet, non seulement en fonction de son objet, mais aussi en tant que document juridique. Il lit les brevets accordés par la juridiction concernée, canadienne ou autre, comme il l'aurait fait le jour où ils ont été rendus publics, mettant de côté tout ce qu'il a appris depuis cette date.

[23]            M. Schwartz a raison de dire qu'en l'espèce la qualité essentielle de la personne versée dans l'art réside dans sa formation et son expérience pratiques dans le domaine des formulations pharmaceutiques. S'il se peut qu'une telle personne n'ait pas fait d'études liées au domaine pharmaceutique, il est préférable qu'elle ait des antécédents académiques dans ce domaine. Bien que M. Maes remplisse ces critères, les autres personnes qui ont souscrit un affidavit en tant qu'experts sont également en mesure d'éclairer la Cour compte tenu de leur expérience dans l'enseignement et en laboratoire, expérience touchant les sujets en cause. Ainsi, si un mémoire descriptif était rédigé en vue d'être lu par un constructeur de maisons, il n'y aurait pas lieu de refuser le statut de témoin expert à un architecte.

LE BREVET 320


[24]       Novopharm allègue que le brevet 320 n'est pas valide, mais que de toute manière il ne serait pas contrefait. À l'appui de cette dernière allégation, Novopharm soutient qu'un des éléments essentiels de toutes les revendications de ce brevet est que le comprimé à libération prolongé renferme à la fois du chlorhydrate de bupropion et de l'HPMC. Or, bien qu'il soit prévu que le comprimé de Novopharm contiendra du chlorhydrate de bupropion, il ne contiendra pas de l'HPMC, mais plutôt de l'HPC, qui sera utilisé en tant qu'agent de libération prolongé.

[25]            Dans son mémoire descriptif, Novopharm indique que le chlorhydrate de bupropion (Wellbutrin) a d'abord été commercialisé en tant qu'antidépresseur sous forme de comprimé à libération immédiate. Des convulsions ont été associées à cette formulation chez 0,4 pour cent des patients traités avec des doses maximales de 450 mg par jour. La libération contrôlée du chlorhydrate de bupropion aurait notamment pour effet de diminuer la fréquence des convulsions. Novopharm indique également que l'invention serait plus facile à fabriquer que les inventions déjà divulguées dans des brevets américains et que sa durée de conservation serait supérieure à un an.

[26]            La plus cruciale des 21 revendications est la première, qui concerne un comprimé à libération prolongée contenant du chlorhydrate de bupropion et de l'HPMC dans une gamme de ratios capables de libérer dans l'eau certains pourcentages de chlorhydrate de bupropion en une heure, en quatre heures et en huit heures. Les revendications 2 à 18 dépendent de la première.


[27]            Les revendications 19 et 20 ont trait à des comprimés à libération prolongée qui renferment non seulement des quantités précises de chlorhydrate de bupropion et d'HPMC, mais également du chlorhydrate de cystéine ou du chlorhydrate de glycine. Enfin, la revendication 21 concerne un comprimé à libération prolongée conforme à n'importe laquelle des revendications 1 à 20 pour le traitement de la dépression chez l'humain.

[28]            Je conviens, comme l'a soutenu Novopharm, que les 21 revendications ont un point en commun : elles s'appliquent à des comprimés à libération prolongée qui contiennent du chlorhydrate de bupropion et de l'HPMC dans une gamme précise de ratios.

[29]            Novopharm déclare qu'il n'y aura pas contrefaçon du brevet 320 parce que l'un des éléments essentiels des 21 revendications de ce brevet est la présence d'HPMC dans les comprimés. Les comprimés de Novopharm renfermeraient de l'HPC. Ces deux composés font partie du groupe des éthers de cellulose.

[30]            La réponse ne tient pas au fait que l'HPMC et l'HPC sont différents ou qu'ils sont apparentés. Il s'agit plutôt de déterminer si l'HPMC est un élément crucial ou « essentiel » au fonctionnement de l'invention revendiqué ou si :

[...] l'inventeur peut envisager que des variantes puissent aisément être employées ou substituées sans que cela ne modifie substantiellement le fonctionnement de l'invention, et la personne versée dans l'art qui prend connaissance de la teneur de la revendication peut le constater. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l'essentiel et le non-essentiel [...]

[Free World Trust, précité, par. 15]

[31]            Bien que le comprimé de Novopharm ne contrefasse pas de la revendication de Biovail dans sa teneur littérale, il faut déterminer si la « substance » de la revendication a été violée. Comme il a été dit dans Free World Trust :

L'application purement textuelle des revendications permettrait à une personne versée dans l'art d'apporter à l'appareil des modifications légères et sans importance et de s'approprier ainsi l'essentiel de l'invention en copiant l'appareil tout en échappant au monopole.

[paragraphe 29]

Le système d'octroi de brevets est conçu de façon à ce qu'il soit juste et que son fonctionnement soit prévisible.

[32]            Les experts ne sont pas tout à fait du même avis sur la question du moment où le brevet devrait être réputé s'adresser à un lecteur averti, mais il ne s'agit pas d'un facteur déterminant.

[33]            Les experts reconnaissent tous que l'HPMC et l'HPC ont une structure chimique similaire et que dans les deux cas, la libération, pour reprendre les termes de Mme Uhrich, est contrôlée par :

[TRADUCTION] [...] une action sur la diffusion du médicament à travers la barrière d'hydrogel.

L'HPMC et l'HPC sont tous les deux des éthers de cellulose hydrosolubles non ioniques qui sont utiles comme polymères formant un hydrogel dans des formulations à libération prolongée. Ils sont tous les deux dérivés du polymère naturel, la cellulose [...]

Se fondant sur l'état des connaissances, elle a fait la déclaration suivante et les autres se sont dits plus ou moins dans les mêmes termes d'accord avec elle :


[TRADUCTION] À la date de la publication du brevet 320, soit semble-t-il le 3 mars 1994, une personne versée dans l'art de la formulation des médicaments aurait compris que d'autres polymères formant un hydrogel comme l'HPC, qui est inclus dans la formulation de Novopharm, pourraient exercer la même fonction [...]

[34]            Elle a cependant dit en contre-interrogatoire : [traduction] « [O] ne pourrait probablement pas procéder à une substitution directe gramme pour gramme de l'HPC par l'HPMC. » Il n'y a aucune preuve au sujet des expériences nécessaires pour en arriver à utiliser l'HPC au lieu de l'HPMC selon les divers ratios de libération revendiqués dans le brevet.

[35]            Les experts tirent des conclusions diamétralement opposées à partir de ce qui constitue en l'espèce les connaissances usuelles de la personne versée dans l'art dont relèvent les brevets. Étant donné qu'un préparateur de produits pharmaceutiques, pour paraphraser M. Schwartz, aurait été au courant de l'existence des éthers de cellulose, notamment de l'HPMC et de l'HPC, et aurait été conscient que l'un ou l'autre jouerait un rôle utile dans une formulation de chlorhydrate de bupropion à libération prolongée, l'intention des inventeurs devaient être d'englober uniquement l'HPMC. Il justifie son opinion en disant qu'une méthode de libération prolongée était essentielle, qu'il était uniquement fait mention de l'HPMC, et ce, dans chaque revendication, alors que l'HPC n'était mentionnée dans aucune des revendications ni dans la divulgation.


[36]            M. Maes indique que différents grades d'HPMC peuvent avoir des propriétés qui diffèrent sensiblement les unes des autres, mais que l'HPMC d'un certain grade peut avoir des propriétés très analogues à celles de l'HPC d'un certain grade. Bien que l'HPMC soit le seul polymère formant un hydrogel dont il est fait mention, [traduction] « une personne versée dans l'art de la formulation des médicaments aurait compris que d'autres polymères formant un hydrogel tels que l'HPC [...] pourraient exercer la même fonction » .

[37]            Les inventeurs comptaient-ils ou non revendiquer l'HPMC en tant qu'exemple du groupe des polymères formant un hydrogel?

[38]            La décision Improver Corp. c. Remington Consumer Products Limited, [1990] F.S.R. 181, figure parmi la jurisprudence que cite la Cour suprême dans Free World Trust. Le juge Hoffmann (maintenant lord Hoffman) y a mis de l'avant, à la page 189, les lignes directrices suivantes en ce qui concerne les variantes :

[traduction] Si la question en litige est celle de savoir si une caractéristique visée par la présumée contrefaçon qui échappe à la signification principale, littérale ou contextuelle d'une expression ou d'un mot descriptif contenu dans la revendication (une « variante » ) était néanmoins légitimement visé par son libellé, suivant une interprétation acceptable, le tribunal doit se poser les trois questions suivantes :

(1) La variante a-t-elle un effet appréciable sur l'exploitation de l'invention? Si la réponse est affirmative, la variante n'est pas visée par la revendication. Si non?

(2) Ce fait (c.-à-d. le fait que la variante n'ait aucun effet appréciable) aurait-il été évident à la date de publication du brevet pour une personne versée dans la technique? Si la réponse est négative, la variante n'est manifestement pas visée par la revendication. Si oui?

(3) La personne versée dans la technique aurait-elle néanmoins compris, à la lecture de la revendication, que le titulaire du brevet voulait qu'une stricte adhésion à la signification principale constitue une condition essentielle de l'invention? Si la réponse est affirmative, la variante n'est pas visée par la revendication.


En revanche, une réponse négative à la dernière question amènerait à la conclusion que le titulaire du brevet voulait que le mot ou l'expression ait un sens figuré, pas un sens littéral, ce qui évoque une catégorie de choses qui comprenait la variante et le sens littéral, ce dernier constituant peut-être l'exemple le plus parfait, le plus connu et le plus frappant de la catégorie.

[39]            Lord Hoffmann a eu l'occasion de revenir sur la question de l'interprétation des revendications dans Kirin-Amgen Inc. and others c. Hoechst Marion Roussel Limited and others, [2004] U.K.H.L. 46.

[40]            Je conclus, à la lumière des témoignages des experts, en particulier celui de M. Schwartz, que pour les inventeurs l'HPMC était un élément essentiel et qu'ils n'avaient pas en vue une variante comme l'HPC. Par conséquent, les assertions de Biovail portant sur l'absence de fondement des allégations qui figurent dans l'avis d'allégation de Novopharm ne peuvent être retenues.

[41]            Selon M. Schwartz, si les inventeurs du brevet 320 désiraient revendiquer des agents de remplacement de l'HPMC, ils auraient pu facilement le faire. Il a fait référence à sept brevets américains antérieurs et à un brevet canadien qui énumèrent l'HPMC et l'HPC, ainsi que d'autres variantes comme l'hydroxyéthylcellulose (HEC). Je n'ai pas été impressionné par l'argument de Biovail selon lequel ces formulations ne contenaient pas de chlorhydrate de bupropion. Ainsi, non seulement un brevet pour le chlorhydrate de bupropion existait-il, mais même les experts de Biovail étaient d'accord quant à l'état des connaissances, concluant cependant que les inventeurs considéreraient l'HPC comme une variante acceptable.


[42]            Une fois que la Cour a examiné les opinions des experts, la décision lui revient étant donné qu'en définitive « l'interprétation des revendications est une question de droit qu'il appartient au juge de trancher [...] » (Whirlpool, par. 61).

[43]            Une interprétation littérale du libellé des revendications exclurait l'HPC comme variante acceptable. Toutefois, si on les interprète en fonction de l'objet, les deux paragraphes suivants de la divulgation revêtent une importance particulière :

[TRADUCTION] La présente invention concerne un comprimé à libération prolongée qui contient du chlorhydrate de bupropion et de l'hydroxypropylméthylcellulose, la quantité d'hydroxypropylméthylcellulose par rapport à la quantité de chlorhydrate de bupropion étant de 0,19:1 à 1,1:1, respectivement, et le comprimé étant capable de libérer dans l'eau de 20 à 60 p. 100 de la quantité totale de chlorhydrate de bupropion en une heure, de 50 à 95 p. 100 de la quantité totale de chlorhydrate de bupropion en quatre heures et pas moins de 75 p. 100 de la quantité totale de chlorhydrate de bupropion en huit heures. Le chlorhydrate de cistéine est préférable au chlorhydrate de glycine, parce qu'il cause, contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre, une moins grande décoloration du noyau du comprimé. La quantité de chlorhydrate de bupropion dans chaque comprimé est habituellement de 25 mg à 500 mg, la dose contenue dans le comprimé étant plus souvent de 500 mg, de 100 mg ou de 150 mg.

MethocelMD est le nom de marque de l'hydroxypropylméthylcellulose (HPMC) de Dow Chemical. D'autres entreprises fabriquent également de l'HPMC.


[44]            Suivant les lignes directrices énoncées par lord Hoffmann dans Improver Corp., précité, je conclus de manière préliminaire, en réponse à la première question, que la variante (HPC) n'a pas un effet appréciable sur l'exploitation de l'invention. Je dis qu'il s'agit d'une conclusion préliminaire parce nous ne savons pas s'il faudrait procéder à des expérimentations prolongées pour déterminer dans quelle proportion l'HPC et le chlorhydrate de bupropion devraient être utilisés pour assurer la libération prolongée voulue. Sous réserve de ce qui précède, pour ce qui est de la deuxième question, il aurait été évident pour un lecteur averti, à la date de la publication du brevet, que la variante n'avait aucun effet appréciable sur l'exploitation de l'invention. Néanmoins, une personne versée dans l'art dont relève l'invention aurait compris, à la lecture de la revendication, qu'une stricte adhésion à la revendication constituait pour les brevetés une condition essentielle de l'invention. La variante n'est par conséquent pas visée par les revendications.

[45]            Le juge Binnie a également examiné la question des « variantes » au paragraphe 31 de l'arrêt Free World Trust :

31. Le présent pourvoi soulève donc la question fondamentale de la démarche qui s'impose pour arbitrer « contrefaçon textuelle » et « contrefaçon de l'essentiel du brevet » de façon à obtenir un résultat juste et prévisible. D'innombrables débats ont eu lieu à ce sujet au Canada et ailleurs dans le monde; j'en ferai état brièvement à l'appui des propositions suivantes :

[...]

e)             Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

(i)            en fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention;

(ii)           à la date à laquelle le brevet est publié;

(iii)          selon qu'il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l'emploi d'une variante d'un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l'invention; ou

(iv)          conformément à l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu'un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

(v)           mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l'intention de l'inventeur.


f)             Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

[Non souligné dans l'original.]

[46]            À cet égard, il y lieu de signaler l'emploi de la conjonction disjonctive « ou » entre les alinéas 31e)(iii) et 31e)(iv). Je conclus que, pour l'inventeur, l'HPMC constituait un élément essentiel et par conséquent que l'HPC n'est pas visé par les revendications.

[47]            Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire de traiter de la question de la validité du brevet 320.

UN ARRÊT AMÉRICAIN PERTINENT


[48]            Novopharm a soumis à mon attention la décision de la Cour d'appel des États-Unis dans Glaxo Wellcome Inc. c. Impax Laboratories Inc. (2004), 356 F. (3d) 1348. Glaxo Wellcome avait interjeté appel d'un jugement sommaire ayant conclu à l'absence de contrefaçon des revendications de son brevet relatif à une formulation à libération prolongée contrôlée de chlorhydrate de bupropion et d'HPMC. L'agent de libération prolongée dans la composition proposée d'Impax était l'HPC. Comme dans la présente instance, le dossier montrait qu'à l'époque en question, l'HPMC comme l'HPC étaient connus comme étant des polymères formant un hydrogel à libération prolongée. L'appel a été rejeté. Cet arrêt présente un intérêt non pas du fait que le juge de première instance est arrivé à la même conclusion que moi, mais plutôt parce qu'il illustre l'approche quelque peu différente qu'ont adoptée les tribunaux américains en ce qui concerne l'interprétation des revendications, approche permettant, contrairement aux règles applicables au Canada, la prise en compte de la correspondance échangée avec l'examinateur du brevet.

LE BREVET 754

[49]       Les revendications relatives au brevet 754 ont une portée très large. Novopharm allègue non seulement que ce brevet ne sera pas contrefait, mais aussi qu'il n'est pas valide parce que les revendications énoncent une vérité d'évidence et sont d'une portée plus étendue que l'invention faisant l'objet de la divulgation. Elle ajoute que le brevet est ambigu, incomplet et qu'il s'agit d'une redélivrance irrégulière d'un brevet antérieurement octroyé sous le numéro 1,239,034 (le brevet 034). Bien que le brevet 754 ait été délivré en 1993, il est reconnu qu'en ce qui concerne l'état des connaissances il faut, s'agissant d'une redélivrance, se reporter au mois d'août 1984, la date de la publication du brevet 034.


[50]            Le brevet 754 est décrit comme un système d'administration dont les inventeurs ont déclaré qu'il concernait [traduction] « une nouvelle composition qui assure, de façon contrôlée, une libération continue d'un ingrédient actif, la préparation d'une telle composition, et son utilisation dans le domaine médical, vétérinaire et dans d'autres domaines » . Les inventeurs ont divulgué un système de pression osmotique qui « assure, de façon contrôlée, une libération continue d'une solution d'un ingrédient actif [...] l'invention concerne plus particulièrement une composition à libération contrôlée contenant du chlorhydrate de bupropion [...] » . Quinze revendications sont présentées, la plus générale étant la revendication 7 qui se lit comme suit :

[TRADUCTION] Une composition pharmaceutique adaptée pour administration par voie orale qui contient du chlorhydrate de bupropion comme principe actif, ce principe actif étant formulé avec un véhicule pharmaceutique solide qui permet la libération continue du principe actif de façon contrôlée.

[51]            Les 14 autres revendications concernent toutes une composition renfermant du chlorhydrate de bupropion dans un véhicule pharmaceutique solide à libération prolongée et décrivent la libération comme étant mesurée dans un « tampon gastrique artificiel » . Certaines revendications ont trait à un pH spécifique et à une certaine température, alors que d'autres n'en font pas mention.

[52]            Bien que la divulgation et le résumé décrivent une membrane semi-perméable entourant la formulation ainsi que la création d'un gradient de pression osmotique, le libellé des revendications, en particulier de la revendication 7, semble englober toute composition pouvant être administrée par voie orale qui contient du chlorhydrate de bupropion comme principe actif associé à un véhicule pharmaceutique solide permettant la libération continue de cet ingrédient de façon contrôlée. Une interprétation littérale des revendications, indépendamment du reste du brevet, donne à penser que le comprimé de Novopharm contreferait, dans la mesure où il est valide, le brevet 754.

[53]            En 1984, les formulateurs savaient qu'il y avait plus d'une façon de préparer des compositions à libération contrôlée. M. Schwartz a fait référence à un texte de 1972 qui décrit neuf méthodes différentes. Il fait mention de systèmes de diffusion, de systèmes de dissolution, de systèmes osmotiques, de résines échangeuses d'ions et de promédicaments. Les formulations d'hydrogels comme celles qui contiennent de l'HPMC ou de l'HPC sont des formulations matricielles, un type de système de diffusion. La formulation dont il est question dans la divulgation du brevet 754, constituée d'une membrane semi-perméable et de composés porogènes, est un type de système osmotique. Selon M. Schwartz, le système par pression osmotique fonctionne d'une façon bien différente.

[54]            Pour sa part, Mme Uhrich (et je ne lui tiens pas rigueur du fait qu'elle n'était alors qu'étudiante universitaire de première année) a convenu que diverses méthodes étaient connues de la personne qui à l'époque en cause était versée dans l'art de formuler des médicaments à libération prolongée. En particulier, elle a fait référence à un mécanisme osmotique et à une matrice polymérique, habituellement connue sous le nom de polymères formant un hygrogel, l'HPMC et l'HPC en étant deux exemples.

[55]            Bien qu'elle ait affirmé :

[TRADUCTION] [...] au moment de l'invention, plusieurs méthodes pour obtenir une libération contrôlée des agents actifs étaient connues; ces méthodes ne se limitaient pas à la technique enseignée dans le brevet 754. À mon avis, l'allégation de Novopharm suivant laquelle l'objet de la revendication du brevet 754 a une portée plus large que l'invention produite et divulguée n'est donc pas correcte [...]


elle a conclu :

[TRADUCTION] À mon avis, les revendications du brevet 754, qui visent des compositions à libération contrôlée contenant du chlorhydrate de bupropion dans un véhicule pharmaceutique solide à libération prolongée pour la libération contrôlée du chlorhydrate de bupropion englobent toute formulation qui utilise un véhicule solide à libération prolongée en association avec du chlorhydrate de bupropion pour obtenir des profils de libération comme ceux revendiqués dans le brevet 754.

[56]            M. Schwartz a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] 73. Selon moi, bien que la divulgation du brevet 754 paraisse révéler une façon de formuler un comprimé de chlorhydrate de bupropion à libération contrôlée, les revendications ne se limitent pas à cette formulation, mais engloberaient toute formulation à libération contrôlée, même lorsque ces formulations sont déjà bien connues et qu'il aurait été simple de les adapter pour les utiliser avec le chlorhydrate de bupropion.

74. Malgré la portée assez large des revendications du brevet 754, les inventeurs de ce brevet n'ont pas fourni d'information au formulateur expérimenté en ce qui concerne quelles formulations à libération contrôlée sur la liste du formulateur pourraient fonctionner avec le chlorhydrate de bupropion ni comment on pourrait effectivement produire des formulations qui seraient visées par les revendications.

[57]            Ayant pris en compte l'avis des experts et interprété les revendications en fonction de l'objet en cherchant à déterminer ce que l'expression « composition à libération contrôlée » signifiait pour les inventeurs, j'estime qu'ils ne songeaient qu'à un système par pression osmotique. Comme le juge Binnie l'a dit au paragraphe 32 de Free World Trust :

[...] l'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité.


[58]            Le juge Binnie a également déclaré dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2002), 21 C.P.R. (4th) 499, au par. 83 : « les revendications du brevet doivent être étayées par la divulgation » . J'ai déjà cité une partie du paragraphe 32 de la décision Free World Trust, où le juge a déclaré : « l'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir » , ce à quoi il ajoute : « la portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité. Il n'est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d'un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n'importe quel moyen d'obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet. »

[59]            La divulgation, y compris les exemples qui y sont donnés, vise un seul mécanisme de libération, soit un procédé osmotique. Tous les experts reconnaissent que ce procédé de libération prolongée diffère grandement d'un procédé basé sur un hydrogel, et ce, que l'on utilise l'HPC ou l'HPMC. Étant donné que Novopharm n'aurait pas recours à un procédé osmotique, elle ne contrefait pas le brevet.

[60]            Par contre, si l'on ne peut interpréter les revendications de cette façon, il s'ensuit, selon moi, que le brevet est invalide pour cause de visées trop ambitieuses.

[61]            Si l'inventeur revendique plus qu'il ne le devrait, il perd tout.

La délimitation doit être claire afin de donner l'avertissement nécessaire, et seule la propriété de l'inventeur doit être clôturée.


[Le président Thorsen dans Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l'É. 306, à la page 52, citée dans Free World Trust, précité, par. 14]

La divulgation ne nous renseigne pas sur la libération prolongée au moyen d'un procédé utilisant un hydrogel, soit le procédé employé par Novopharm.

[62]            Bien que cela ne soit pas absolument nécessaire, je choisis de commenter l'allégation de Novopharm portant sur le caractère trop vague du terme « tampon gastrique artificiel » . Même si MM. Schwartz et Celik ne connaissaient pas le terme, ils auraient pu en rechercher la définition. L'information se trouvait certainement dans la documentation sur laquelle les experts de Biovail se sont appuyés. Peut-être n'était-il pas dans l'intérêt de Novopharm de savoir ce qu'est un « tampon gastrique artificiel » , mais la Cour, elle, aurait eu intérêt à le savoir. Néanmoins, je suis d'avis que, par son témoignage, M. Schwartz a établi que les traités du début des années 1970 décrivaient différents procédés pour préparer des compositions à libération contrôlée. À la lumière ce qui précède, mais contrairement à M. Schwartz, je suis arrivé à la conclusion que, pour les inventeurs du brevet 754, le « véhicule pharmaceutique solide » ne visait qu'un procédé de fabrication basé sur un système de pression osmotique.

LE BREVET 364

[63]       Comme je l'ai signalé au tout début, Biovail ne prétend plus que le comprimé de Novopharm contreferait ce brevet.


CONCLUSION ET DÉPENS

[64]       La présente demande qui concerne les comprimés de chlorhydrate de bupropion en doses de 100 mg a été entendue en même temps que l'affaire Glaxosmithkline Inc. et The Wellcome Foundation Limited c. Le ministre de la Santé et Novopharm Limited, T-503-03, qui concerne des comprimés en doses de 150 mg. Il a été convenu que les documents produits dans le cadre d'une instance pourraient servir dans l'autre instance, et vice-versa, et que l'issue serait la même dans les deux affaires. Pour les motifs susmentionnés, la demande par laquelle Biovail sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limited en ce qui concerne le médicament chlorhydrate de bupropion en comprimés de chlorhydrate de bupropion en doses de 100 mg et de 150 mg, avant l'expiration des brevets canadiens nos 1,321,754, 2,142,320 et 2,168,364, sera rejetée avec dépens.

[65]            Novopharm n'a pas sollicité d'ordonnance spéciale au sujet des dépens. Aucuns dépens ne sont adjugés en ce qui concerne le brevet 364. Elle aura droit aux dépens d'une seule audience.


[66]            Étant donné que le ministre n'a pas participé à l'instance, il n'y aura pas d'adjudication de dépens pour ou contre lui.

_ Sean Harrington _

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

6 janvier 2005

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-307-04

INTITULÉ :                                        BIOVAIL PHARMACEUTICALS INC., GLAXOSMITHKLINE INC. et THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

et

MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et NOVOPHARM LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LES 23 ET 24 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 6 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Douglas N. Deeth

Heather E.A. Watts                               POUR LES DEMANDERESSES

Jonathan Stainsby

Andrew Skokyn                                    POUR LA DÉFENDERESSE Novopharm

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deeth Williams Wall s.r.l.

Toronto (ONTARIO)                            POUR LES DEMANDERESSES

Heenan Blaikie s.r.l.

Toronto (ONTARIO)                            POUR LA DÉFENDERESSE Novopharm

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE MINISTRE DÉFENDEUR


Date : 20050106

Dossier : T-307-04

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

BIOVAIL PHARMACEUTICALS INC., GLAXOSMITHKLINE INC. et

               THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

                                                                                  demanderesses

                                                     et

               LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

                                NOVOPHARM LIMITED

                                                                                          défendeurs

                                        ORDONNANCE

SAISIE d'une demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limited en ce qui concerne le médicament chlorhydrate de bupropion en comprimés de chlorhydrate de bupropion en doses de 100 mg et de 150 mg, avant l'expiration des brevets canadiens nos 1,321,754, 2,142,320 et 2,168,364;


ET visant à obtenir une ordonnance déclarant que l'avis d'allégation de Novopharm, daté du 24 décembre 2003 et signifié le 29 décembre 2003, concernant le chlorhydrate de bupropion, n'est pas valide et qu'il est par conséquent nul;

LA COUR ORDONNE QUE :

La demande soit rejetée avec dépens. Toutefois, aucuns dépens ne sont adjugés pour ou contre le Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

   _ Sean Harrington _

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B.


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