Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020814

Dossier : T-710-01

Référence neutre : 2002 CFPI 852

Ottawa (Ontario), le mercredi 14 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                       LAURA CHRISTINE DE LIMA

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La Cour statue sur l'appel d'une décision en date du 14 mars 2001 par laquelle un juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté canadienne présentée par la demanderesse au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

[2]         Aux termes de cet alinéa, la demanderesse doit remplir trois conditions pour pouvoir obtenir la citoyenneté :


            a)         elle a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent;

b)          elle n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration;

c)          elle a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout (1 095 jours), la durée de sa résidence étant calculée selon la formule prescrite prévue à cet article.

[3]         Il est acquis aux débats que la demanderesse remplit les deux premières conditions. Toutefois, au cours de la période de quatre ans en cause, elle a été physiquement présente au Canada pendant 419 jours et a été absente en tout pendant 728 jours, de sorte qu'il lui manquait 676 jours sur les 1 095 jours requis pour satisfaire aux conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, si l'on suppose que cette disposition exige la présence physique. Cette interprétation a été fortement préconisée par le juge Muldoon (anciennement de notre Cour), dans les arrêts Pourghasemi (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 232, et Canada (M.C.I.) c. Opoka, [2001] A.C.F. no 281. Le juge Nadon, dans l'arrêt Canada (M.C.I.) c. Cheung, [1998] A.C.F. no 813, et le juge Pinard, dans Affaire intéressant Chow, [1997] A.C.F. no 7, plaident par ailleurs en faveur d'une interprétation conservatrice en ce qui concerne les exceptions au principe de la présence physique; ils exigent une présence permanente quelconque au Canada avant que les périodes d'absence puissent entrer dans le calcul.


[4]         Le juge de la citoyenneté n'a pas fondé son refus sur le fait que la demanderesse n'avait pas été physiquement présente au Canada pendant au moins 1 095 jours. Il semble qu'elle aurait été prête à compter les absences de la demanderesse du Canada (ou du moins une partie de ces absences) si la demanderesse avait élu domicile au Canada en y centralisant son mode de vie avant les absences en question :

[TRADUCTION]

J'en suis arrivée à la conclusion que vous ne remplissez pas les conditions de résidence. L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige que celui qui demande la citoyenneté canadienne ait résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.

Or, suivant la preuve qui a été versée au dossier et qui m'a été présentée à l'audience, vos périodes d'absence du Canada totalisent 728 jours au cours des quatre ans qui ont précédé la date de votre demande de citoyenneté (13 mai 1999). Au cours de cette période, vous avez été physiquement présente au Canada pendant 419 jours. Dans ces conditions, vous deviez me convaincre, pour satisfaire aux conditions de résidence, que vos absences du Canada (ou du moins une partie d'entre elles) devaient être comptées comme des périodes de résidence au Canada.

La Cour fédérale exige que, pour élire domicile, l'intéressé démontre que, tant dans sa pensée que dans les faits, il a centralisé son mode de vie au Canada. S'il fait cette preuve, ses absences du Canada n'ont pas d'incidences sur sa résidence au Canada à condition qu'il démontre qu'il n'a quitté le Canada que dans un but temporaire et qu'il a conservé au Canada une forme de résidence concrète et tangible. J'ai par conséquent attentivement examiné votre cas pour déterminer si vous aviez élu domicile au Canada avant vos périodes d'absence de manière à pouvoir malgré tout tenir compte de ces absences dans le calcul des périodes de résidence.

Après avoir examiné les éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance tant sous forme de témoignages que de documents, il m'est impossible de conclure que vous avez élu domicile au Canada par suite du fait que vous avez centralisé votre mode de vie au Canada au cours des quatre années précédant votre demande de citoyenneté canadienne.


[5]         Pour déterminer si l'intéressée a élu domicile au Canada en raison du fait qu'elle y a centralisé son mode de vie, on répond le plus souvent aux questions posées par le juge Reed dans l'arrêt Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), conformément au raisonnement suivi en l'espèce par le juge de la citoyenneté :

  • 1.                    Le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?
  • 2.                    Où résident la famille proche (et la famille élargie) et les personnes à charge du requérant?
  • 3.                    La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu'il n'est qu'en visite?
  • 4.                    Quelle est l'étendue des absences physiques?
  • 5.                    L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire?
  • 6.                    Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qu'il a avec un autre pays?

[6]         Il y a lieu de souligner que, dans l'arrêt Koo, supra, la Cour n'attribue pas une valeur relative aux divers facteurs, mais qu'elle cherche plutôt à évaluer la résidence imputée. Ces indices devraient par conséquent être examinés globalement. À cet égard, je conclus que les faits relatés par le juge de la citoyenneté dans le document intitulé [TRADUCTION] « Motifs de la décision relative à la citoyenneté » et dans les notes qui l'accompagnent sont certainement susceptibles d'appuyer la conclusion du juge suivant laquelle la demanderesse n'a pas élu domicile au Canada en raison du fait qu'elle y aurait centralisé son mode de vie au cours des quatre années précédant sa demande.

[7]         Suivant la preuve versée au dossier, la demanderesse est entrée au Canada à titre de résidente permanente le 26 mars 1996 et elle a demandé la citoyenneté le 13 mai 1999. En l'espèce, la demanderesse n'a passé que 20 jours au Canada avant d'aller rejoindre, le 13 avril 1996, son mari qui était en voyage d'affaires à Dubai. Elle n'est revenue au Canada que le 16 juillet 1996. Environ un mois plus tard, elle s'est absentée une fois de plus du Canada et cette fois-ci, elle a passé presqu'une année complète à l'étranger. Elle n'est rentrée au Canada que le 3 juillet 1997. Deux mois plus tard, le 2 septembre 1997, elle a quitté le Canada pour la troisième fois. Elle n'est revenue au Canada que le 21 juillet 1998, c'est-à-dire quelque onze mois plus tard. Ses enfants d'âge scolaire l'accompagnaient au cours de ces séjours prolongés à l'étranger. Le mari de la demanderesse, qui était lui aussi entré au Canada en tant que résident permanent le 26 mars 1996, s'est absenté du Canada pour des raisons professionnelles pendant 983 jours au cours de la période de calcul. Compte tenu de la durée de ses séjours à l'étranger, des périodes de temps relativement brèves qu'il a passées au Canada avant le mois de juillet 1998 et du fait que les filles ont accompagné leurs parents à l'étranger, la forme de présence physique de la demanderesse au Canada dénote que la demanderesse n'était qu'en visite au Canada et non qu'elle revenait dans son pays.


[8]         Dans le cas qui nous occupe, les absences de la demanderesse sont prolongées et couvrent la presque totalité de la période de temps qui s'est écoulée depuis qu'elle est arrivée au Canada à titre de résidente permanente. Il n'y a aucune circonstance atténuante. La demanderesse affirme qu'elle s'est absentée dans le seul but d'accompagner son mari au cours de ses voyages d'affaires. Les voyages d'affaires de son mari sont cependant constants. La demanderesse n'a pas allégué que son mari était absent pour exercer, pour un employeur canadien, un emploi temporaire à l'extérieur du Canada. La demanderesse affirme en outre qu'elle n'a aucun lien avec d'autres pays que le Canada depuis qu'elle a quitté la Malaisie en 1984. Il est toutefois illogique de supposer qu'au cours de la période de quatre ans en cause, la demanderesse avait des liens plus forts avec le Canada qu'avec Dubai où elle passait le plus clair de son temps.

[9]         Il est vrai qu'au cours de la période de quatre ans en cause, la demanderesse et son mari ont ouvert des comptes bancaires au Canada, qu'ils étaient titulaires de comptes de cartes de crédit, qu'ils ont obtenu un permis de conduire et des cartes d'assurance-maladie de l'Ontario, qu'ils ont acheté de l'assurance-vie, qu'ils se sont abonnés à une bibliothèque, qu'ils ont acheté une maison et une fourgonnette et qu'ils ont produit des déclarations de revenus. J'estime que le juge de la citoyenneté a apprécié correctement ces indices passifs.

[10]       Ainsi que le juge Joyal l'affirme dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Nakhjavani, (1987), 13 F.T.R. 107, aux paragraphes 14 à 17 :


L'appelant reconnaît que la jurisprudence a élargi la portée des dispositions relatives à la résidence figurant à l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Dans l'affaire In re la Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, le juge en chef adjoint Thurlow, tel était alors son titre, a conclu, après avoir analysé en détail les exigences de la loi et l'interprétation du mot « résidence » faite par les tribunaux, que ce concept ne se limite pas à la présence effective dans un lieu déterminé. Il peut comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Le juge a dit à la page 214 :

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question.

L'affaire Papadogiorgakis n'a pas nécessairement court-circuité les conditions de résidence prévues dans la Loi sur la citoyenneté du Canada, mais elle a fait disparaître la difficulté que cette loi soulève lorsqu'il s'agit de calculer si un requérant a effectivement résidé ou non au Canada pendant les trois quarts d'une période de quatre ans. Elle a imposé aux cours l'obligation d'examiner à la fois l'intention et les faits, aucun de ces éléments n'étant déterminant lorsqu'il est pris individuellement. Une déclaration d'intention à caractère subjectif n'aurait donc que peu de poids à moins d'être étayée par des faits objectifs constituant une expression concrète de cette intention, c.-à-d. la possession d'une résidence, l'immatriculation d'une voiture, des comptes en banque, l'adhésion à un club ou à une association et, en particulier, la présence continuelle au Canada des membres de la famille d'une personne qui vient les y rejoindre à l'occasion, même si ce n'est que pour de brèves périodes.

Dans le même ordre d'idées, il est possible que des faits objectifs ne soient pas concluants lorsqu'ils indiquent simplement une forme de présence au Canada, mais qu'il devient évident que la personne n'a pas l'intention de s'y établir. Ce serait le cas, par exemple, d'un requérant qui a obtenu le droit d'établissement au Canada, loue un local et y installe un lit, ouvre une agence, engage quelqu'un pour s'occupe de celle-ci et retourne dans son pays d'origine pour y vivre avec sa famille et ses amis et vaquer à ses affaires habituelles. Si de tels faits devaient ressortir d'une enquête, il serait logique de conclure que le requérant n'a pas satisfait au critère principal de résidence que la loi impose. Une telle personne pourrait constituer un très bon immigrant admis, mais cela ne lui donnerait pas le droit d'obtenir la citoyenneté quatre ans plus tard.


Je voudrais souligner que, dans les cas où l'on soulève la question d'absences prolongées du Canada, il faut toujours tenir compte de la distinction qui existe entre le statut conféré à un immigrant admis en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 et l'octroi de la citoyenneté conformément à la Loi sur la citoyenneté. Un immigrant admis conserve le droit d'être réadmis au Canada tant qu'il respecte les dispositions de l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976. L'octroi de la citoyenneté est tout autre chose. La citoyenneté confère un statut spécial à une personne. statut qui est reconnu et respecté partout dans le monde. Elle est attribuée non seulement à la personne mais également à ses descendants. Elle confère une identité particulière, qui est perpétuelle et incontestable.

(Non souligné dans l'original.)

  

[11]       La résidence doit d'abord être établie avant de pouvoir être maintenue (voir l'arrêt Chan c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. 376, au paragraphe 16, le juge Pelletier). Selon la preuve versée au dossier en l'espèce, il semble que la demanderesse se soit installée en permanence au Canada et qu'elle y ait centralisé son mode de vie depuis son dernier retour au Canada au milieu de l'été 1998. En fait, les filles de la demanderesse ont été inscrites, en septembre 1998, à l'école catholique Sainte-Anne de Richmond Hill (Ontario), où la famille possède une maison. La demanderesse est également devenue une bénévole active à l'école, et les membres de la famille se sont inscrits comme membres d'une église locale. Mais, le simple fait que la demanderesse a établi des liens solides au Canada au cours de la période de dix mois précédant sa demande de citoyenneté ne constitue pas une raison suffisante pour tenir compte de ses périodes antérieures d'absence pour déterminer si elle remplit les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, en l'absence d'éléments de preuve convaincants démontrant qu'elle avait effectivement élu domicile au Canada avant juillet 1998. Dans ces conditions, le caractère prématuré de la demande présentée en mai 1999 ne fait pas obstacle à la présentation d'une nouvelle demande et, en conséquence, il est possible de tenir compte du temps de résidence précité lors de la présentation d'une nouvelle demande et de l'ajouter à tout autre temps de résidence de la demanderesse au Canada au cours de la période de quatre ans en cause.


[12]       En conclusion, malgré les arguments solides de l'avocat de la demanderesse, et après avoir pris connaissance de la décision du juge de la citoyenneté, et notamment de son document intitulé [TRADUCTION] « Motifs de la décision relative à la citoyenneté » et des notes qui l'accompagnent (dossier du Tribunal, aux pages 32 à 35), je n'ai décelé aucune erreur grave, mauvaise interprétation ou entorse à la méthode suivie par la Cour dans l'affaire In re la Loi sur la citoyenneté etIn re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), aux pages 213 et 214 ou dans l'arrêt Koo, supra, aux pages 293 et 294, qui constituerait une erreur de droit ou rendrait la décision du juge de la citoyenneté déraisonnable, indépendamment du critère utilisé (voir les arrêt Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 1693, et Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 492).

ORDONNANCE

1.         Pour les motifs qui précèdent l'appel interjeté de la décision rendue le 14 mars 2001 par le juge de la citoyenneté est rejeté.

  

                                                                                     « Luc Martineau »       

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-710-01

INTITULÉ :                                           LAURA CHRISTINE DE LIMA

demanderesse

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MARDI 6 AOÛT 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                        LE MERCREDI 14 AOÛT 2002

COMPARUTIONS:

Stephan W. Green                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Greg George                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Green & Spiegel                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20020814

Dossier : T-710-01

Référence neutre : 2002 CFPI 852

Ottawa (Ontario), le mercredi 14 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                             LAURA CHRISTINE DE LIMA

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La Cour statue sur l'appel d'une décision en date du 14 mars 2001 par laquelle un juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté canadienne présentée par la demanderesse au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

[2]         Aux termes de cet alinéa, la demanderesse doit remplir trois conditions pour pouvoir obtenir la citoyenneté :


            a)         elle a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent;

b)          elle n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration;

c)          elle a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout (1 095 jours), la durée de sa résidence étant calculée selon la formule prescrite prévue à cet article.

[3]         Il est acquis aux débats que la demanderesse remplit les deux premières conditions. Toutefois, au cours de la période de quatre ans en cause, elle a été physiquement présente au Canada pendant 419 jours et a été absente en tout pendant 728 jours, de sorte qu'il lui manquait 676 jours sur les 1 095 jours requis pour satisfaire aux conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, si l'on suppose que cette disposition exige la présence physique. Cette interprétation a été fortement préconisée par le juge Muldoon (anciennement de notre Cour), dans les jugements Pourghasemi (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 232, et Canada (M.C.I.) c. Opoka, [2001] A.C.F. no 281. Le juge Nadon, dans le jugement Canada (M.C.I.) c. Cheung, [1998] A.C.F. no 813, et le juge Pinard, dans Affaire intéressant Chow, [1997] A.C.F. no 7, plaident par ailleurs en faveur d'une interprétation conservatrice en ce qui concerne les exceptions au principe de la présence physique; ils exigent une présence permanente quelconque au Canada avant que les périodes d'absence puissent entrer dans le calcul.


[4]         Le juge de la citoyenneté n'a pas fondé son refus sur le fait que la demanderesse n'avait pas été physiquement présente au Canada pendant au moins 1 095 jours. Il semble qu'elle aurait été prête à compter les absences de la demanderesse du Canada (ou du moins une partie de ces absences) si la demanderesse avait élu domicile au Canada en y centralisant son mode de vie avant les absences en question :

[TRADUCTION]

J'en suis arrivée à la conclusion que vous ne remplissez pas les conditions de résidence. L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige que celui qui demande la citoyenneté canadienne ait résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.

Or, suivant la preuve qui a été versée au dossier et qui m'a été présentée à l'audience, vos périodes d'absence du Canada totalisent 728 jours au cours des quatre ans qui ont précédé la date de votre demande de citoyenneté (13 mai 1999). Au cours de cette période, vous avez été physiquement présente au Canada pendant 419 jours. Dans ces conditions, vous deviez me convaincre, pour satisfaire aux conditions de résidence, que vos absences du Canada (ou du moins une partie d'entre elles) devaient être comptées comme des périodes de résidence au Canada.

La Cour fédérale exige que, pour élire domicile, l'intéressé démontre que, tant dans sa pensée que dans les faits, il a centralisé son mode de vie au Canada. S'il fait cette preuve, ses absences du Canada n'ont pas d'incidences sur sa résidence au Canada à condition qu'il démontre qu'il n'a quitté le Canada que dans un but temporaire et qu'il a conservé au Canada une forme de résidence concrète et tangible. J'ai par conséquent attentivement examiné votre cas pour déterminer si vous aviez élu domicile au Canada avant vos périodes d'absence de manière à pouvoir malgré tout tenir compte de ces absences dans le calcul des périodes de résidence.

Après avoir examiné les éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance tant sous forme de témoignages que de documents, il m'est impossible de conclure que vous avez élu domicile au Canada par suite du fait que vous avez centralisé votre mode de vie au Canada au cours des quatre années précédant votre demande de citoyenneté canadienne.


[5]         Pour déterminer si l'intéressée a élu domicile au Canada en raison du fait qu'elle y a centralisé son mode de vie, on répond le plus souvent aux questions posées par le juge Reed dans le jugement Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), conformément au raisonnement suivi en l'espèce par le juge de la citoyenneté :

1.                    Le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2.                    Où résident la famille proche (et la famille élargie) et les personnes à charge du requérant?

3.                    La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu'il n'est qu'en visite?

4.                    Quelle est l'étendue des absences physiques?

5.                    L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire?

6.                    Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qu'il a avec un autre pays?


[6]         Il y a lieu de souligner que, dans le jugement Koo, précité, la Cour n'attribue pas une valeur relative aux divers facteurs, mais qu'elle cherche plutôt à évaluer la résidence imputée. Ces indices devraient par conséquent être examinés globalement. À cet égard, je conclus que les faits relatés par le juge de la citoyenneté dans le document intitulé [TRADUCTION] « Motifs de la décision relative à la citoyenneté » et dans les notes qui l'accompagnent sont certainement susceptibles d'appuyer la conclusion du juge suivant laquelle la demanderesse n'a pas élu domicile au Canada en raison du fait qu'elle y aurait centralisé son mode de vie au cours des quatre années précédant sa demande.

[7]         Suivant la preuve versée au dossier, la demanderesse est entrée au Canada à titre de résidente permanente le 26 mars 1996 et elle a demandé la citoyenneté le 13 mai 1999. En l'espèce, la demanderesse n'a passé que 20 jours au Canada avant d'aller rejoindre, le 13 avril 1996, son mari qui était en voyage d'affaires à Dubai. Elle n'est revenue au Canada que le 16 juillet 1996. Environ un mois plus tard, elle s'est absentée une fois de plus du Canada et cette fois-ci, elle a passé presqu'une année complète à l'étranger. Elle n'est rentrée au Canada que le 3 juillet 1997. Deux mois plus tard, le 2 septembre 1997, elle a quitté le Canada pour la troisième fois. Elle n'est revenue au Canada que le 21 juillet 1998, c'est-à-dire quelque onze mois plus tard. Ses enfants d'âge scolaire l'accompagnaient au cours de ces séjours prolongés à l'étranger. Le mari de la demanderesse, qui était lui aussi entré au Canada en tant que résident permanent le 26 mars 1996, s'est absenté du Canada pour des raisons professionnelles pendant 983 jours au cours de la période de calcul. Compte tenu de la durée de ses séjours à l'étranger, des périodes de temps relativement brèves qu'il a passées au Canada avant le mois de juillet 1998 et du fait que les filles ont accompagné leurs parents à l'étranger, la forme de présence physique de la demanderesse au Canada dénote que la demanderesse n'était qu'en visite au Canada et non qu'elle revenait dans son pays.


[8]         Dans le cas qui nous occupe, les absences de la demanderesse sont prolongées et couvrent la presque totalité de la période de temps qui s'est écoulée depuis qu'elle est arrivée au Canada à titre de résidente permanente. Il n'y a aucune circonstance atténuante. La demanderesse affirme qu'elle s'est absentée dans le seul but d'accompagner son mari au cours de ses voyages d'affaires. Les voyages d'affaires de son mari sont cependant constants. La demanderesse n'a pas allégué que son mari était absent pour exercer, pour un employeur canadien, un emploi temporaire à l'extérieur du Canada. La demanderesse affirme en outre qu'elle n'a aucun lien avec d'autres pays que le Canada depuis qu'elle a quitté la Malaisie en 1984. Il est toutefois illogique de supposer qu'au cours de la période de quatre ans en cause, la demanderesse avait des liens plus forts avec le Canada qu'avec Dubai où elle passait le plus clair de son temps.

[9]         Il est vrai qu'au cours de la période de quatre ans en cause, la demanderesse et son mari ont ouvert des comptes bancaires au Canada, qu'ils étaient titulaires de comptes de cartes de crédit, qu'ils ont obtenu un permis de conduire et des cartes d'assurance-maladie de l'Ontario, qu'ils ont acheté de l'assurance-vie, qu'ils se sont abonnés à une bibliothèque, qu'ils ont acheté une maison et une fourgonnette et qu'ils ont produit des déclarations de revenus. J'estime que le juge de la citoyenneté a apprécié correctement ces indices passifs.

[10]       Ainsi que le juge Joyal l'affirme dans le jugement Canada (Secrétaire d'État) c. Nakhjavani, (1987), 13 F.T.R. 107, aux paragraphes 14 à 17 :


L'appelant reconnaît que la jurisprudence a élargi la portée des dispositions relatives à la résidence figurant à l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Dans l'affaire In re la Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, le juge en chef adjoint Thurlow, tel était alors son titre, a conclu, après avoir analysé en détail les exigences de la loi et l'interprétation du mot « résidence » faite par les tribunaux, que ce concept ne se limite pas à la présence effective dans un lieu déterminé. Il peut comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Le juge a dit à la page 214 :

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question.

L'affaire Papadogiorgakis n'a pas nécessairement court-circuité les conditions de résidence prévues dans la Loi sur la citoyenneté du Canada, mais elle a fait disparaître la difficulté que cette loi soulève lorsqu'il s'agit de calculer si un requérant a effectivement résidé ou non au Canada pendant les trois quarts d'une période de quatre ans. Elle a imposé aux cours l'obligation d'examiner à la fois l'intention et les faits, aucun de ces éléments n'étant déterminant lorsqu'il est pris individuellement. Une déclaration d'intention à caractère subjectif n'aurait donc que peu de poids à moins d'être étayée par des faits objectifs constituant une expression concrète de cette intention, c.-à-d. la possession d'une résidence, l'immatriculation d'une voiture, des comptes en banque, l'adhésion à un club ou à une association et, en particulier, la présence continuelle au Canada des membres de la famille d'une personne qui vient les y rejoindre à l'occasion, même si ce n'est que pour de brèves périodes.

Dans le même ordre d'idées, il est possible que des faits objectifs ne soient pas concluants lorsqu'ils indiquent simplement une forme de présence au Canada, mais qu'il devient évident que la personne n'a pas l'intention de s'y établir. Ce serait le cas, par exemple, d'un requérant qui a obtenu le droit d'établissement au Canada, loue un local et y installe un lit, ouvre une agence, engage quelqu'un pour s'occupe de celle-ci et retourne dans son pays d'origine pour y vivre avec sa famille et ses amis et vaquer à ses affaires habituelles. Si de tels faits devaient ressortir d'une enquête, il serait logique de conclure que le requérant n'a pas satisfait au critère principal de résidence que la loi impose. Une telle personne pourrait constituer un très bon immigrant admis, mais cela ne lui donnerait pas le droit d'obtenir la citoyenneté quatre ans plus tard.


Je voudrais souligner que, dans les cas où l'on soulève la question d'absences prolongées du Canada, il faut toujours tenir compte de la distinction qui existe entre le statut conféré à un immigrant admis en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 et l'octroi de la citoyenneté conformément à la Loi sur la citoyenneté. Un immigrant admis conserve le droit d'être réadmis au Canada tant qu'il respecte les dispositions de l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976. L'octroi de la citoyenneté est tout autre chose. La citoyenneté confère un statut spécial à une personne. statut qui est reconnu et respecté partout dans le monde. Elle est attribuée non seulement à la personne mais également à ses descendants. Elle confère une identité particulière, qui est perpétuelle et incontestable.

(Non souligné dans l'original.)

  

[11]       La résidence doit d'abord être établie avant de pouvoir être maintenue (voir le jugement Chan c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. 376, au paragraphe 16, le juge Pelletier). Selon la preuve versée au dossier en l'espèce, il semble que la demanderesse se soit installée en permanence au Canada et qu'elle y ait centralisé son mode de vie depuis son dernier retour au Canada au milieu de l'été 1998. En fait, les filles de la demanderesse ont été inscrites, en septembre 1998, à l'école catholique Sainte-Anne de Richmond Hill (Ontario), où la famille possède une maison. La demanderesse est également devenue une bénévole active à l'école, et les membres de la famille se sont inscrits comme membres d'une église locale. Mais, le simple fait que la demanderesse a établi des liens solides au Canada au cours de la période de dix mois précédant sa demande de citoyenneté ne constitue pas une raison suffisante pour tenir compte de ses périodes antérieures d'absence pour déterminer si elle remplit les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, en l'absence d'éléments de preuve convaincants démontrant qu'elle avait effectivement élu domicile au Canada avant juillet 1998. Dans ces conditions, le caractère prématuré de la demande présentée en mai 1999 ne fait pas obstacle à la présentation d'une nouvelle demande et, en conséquence, il est possible de tenir compte du temps de résidence précité lors de la présentation d'une nouvelle demande et de l'ajouter à tout autre temps de résidence de la demanderesse au Canada au cours de la période de quatre ans en cause.


[12]       En conclusion, malgré les arguments solides de l'avocat de la demanderesse, et après avoir pris connaissance de la décision du juge de la citoyenneté, et notamment de son document intitulé [TRADUCTION] « Motifs de la décision relative à la citoyenneté » et des notes qui l'accompagnent (dossier du Tribunal, aux pages 32 à 35), je n'ai décelé aucune erreur grave, mauvaise interprétation ou entorse à la méthode suivie par la Cour dans l'affaire In re la Loi sur la citoyenneté etIn re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), aux pages 213 et 214 ou dans le jugement Koo, précité, aux pages 293 et 294, qui constituerait une erreur de droit ou rendrait la décision du juge de la citoyenneté déraisonnable, indépendamment du critère utilisé (voir les jugements Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 1693, et Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 492).

ORDONNANCE

1.         Pour les motifs qui précèdent l'appel interjeté de la décision rendue le 14 mars 2001 par le juge de la citoyenneté est rejeté.

  

                                                                                     « Luc Martineau »       

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-710-01

INTITULÉ :                                           LAURA CHRISTINE DE LIMA

demanderesse

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MARDI 6 AOÛT 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                        LE MERCREDI 14 AOÛT 2002

COMPARUTIONS:

Stephan W. Green                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Greg George                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Green & Spiegel                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.