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Date : 20000721


Dossier : IMM-1165-99



ENTRE :


IVAN KAZIMIROVIC



demandeur


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL


[1]      Ayant reçu des renseignements qu'elle jugeait non crédibles à propos du service militaire du demandeur au sein de l'armée nationale de la Yougoslavie (l'ANY) en 1991 pendant le siège de la ville de Vukovar (Croatie), une agente des visas de l'ambassade canadienne à Belgrade a, dans une décision datée du 8 février 1999, rejeté la demande de résidence permanente du demandeur.

[2]      La preuve sur laquelle l'agente des visas a fondé sa décision se trouve dans les affidavits que le demandeur et elle-même ont respectivement présentés pour étayer la présente demande et y répondre.

[3]      Bien que les détails sur le service militaire du demandeur aient constitué l'objet principal des entrevues qui ont été menées en ce qui concerne la demande de résidence permanente, la description générale suivante que le demandeur a faite de son service militaire n'est pas contestée : il a complété une année de service militaire obligatoire en Yougoslavie en 1983; il a reçu le grade de deuxième lieutenant en 1986, ayant obtenu un diplôme universitaire; il n'a pas répondu à un avis qu'il a reçu en septembre 1991 lui enjoignant de se présenter pour faire son service militaire et, en conséquence, il a été escorté de force par des policiers civils jusqu'au casernement de l'ANY à Rakovica; il a été envoyé après deux semaines de recyclage en communications à Negoslavci, à environ 7,5 kilomètres de Vukovar et y a été posté pour une période d'environ six semaines jusqu'en novembre 1991, mois au cours duquel la ville a été investie par l'ANY, qui a déplacé les forces militaires croates; il a ensuite été démobilisé.

[4]      Un fait important qui a poussé l'agente des visas à examiner très attentivement la demande de résidence permanente du demandeur est que celle-ci avait des motifs de croire qu'à l'époque où le demandeur était posté tout juste à l'extérieur de Vukovar, des crimes de guerre ont été commis contre une grande partie de la population de cette ville; en effet, des personnes ont été interrogées, battues et, dans certains cas, assassinées et enterrées dans des fosses communes. En conséquence, l'agente des visas voulait absolument déterminer si le demandeur avait d'une quelconque façon pris part aux crimes qui ont été commis, car dans l'affirmative, il y aurait lieu, d'un point de vue juridique, de rejeter sa demande.

[5]      Voici la version généralement non contestée que l'agente des visas a exposée dans son affidavit au sujet de l'entrevue qu'elle a eue avec le demandeur à propos de son service militaire :

[TRADUCTION]
8.      Au début de l'entrevue, j'ai expliqué au demandeur que l'objectif de l'entrevue visait à établir s'il était admissible à immigrer au Canada. Je lui ai expliqué que je devais vérifier s'il avait mené des activités qui constituaient des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou encore des crimes de droit commun. Je lui ai dit que cela revêtait une importance particulière vu qu'il avait été posté près de Vukovar pendant la période de septembre à novembre 1991, une époque pendant laquelle des activités susceptibles de constituer de tels crimes avaient été menées.
9.      À l'entrevue, j'ai également expliqué au demandeur que l'entrevue qu'il avait déjà eue portait sur son évaluation en tant qu'éventuel immigrant indépendant et non sur son admissibilité à immigrer au Canada.
10.      À l'entrevue, le demandeur m'a remis un formulaire détaillé qu'il avait rempli sur les activités qu'il avait menées de septembre à novembre 1991, notamment celles qu'il avait menées dans le cadre de son service militaire. Le demandeur a également dit qu'il n'avait pris part à aucun combat et qu'il ne connaissait aucun des officiers qui se trouvaient dans la région où il était posté, sauf son superviseur immédiat, Sinisa Mikac.
11.      À l'entrevue, le demandeur m'a dit qu'il avait été « recruté de force » en septembre 1991 par l'armée nationale de la Yougoslavie (l'ANY) et qu'il avait reçu une formation d'officier en télécommunications, poste qu'il avait occupé au sein de l'ANY pendant le service militaire d'une année qu'il avait fait en 1983. Il a mentionné qu'après avoir reçu cette formation, il a été envoyé à Negoslavci, une ville qui se trouve à environ 7,5 kilomètres de Vukovar.
12.      À l'entrevue, le demandeur a indiqué qu'il était deuxième lieutenant dans la réserve et que pendant la période où il avait été mobilisé, il avait supervisé deux soldats. Il a également dit qu'il n'a jamais quitté le poste qu'il occupait à Negoslavci.
13.      À l'entrevue, je lui ai demandé s'il était au courant des activités des troupes qui occupaient la région où il se trouvait, étant donné qu'il était responsable de certains équipements de radio. Le demandeur m'a dit qu'il ne savait rien car il ne se servait jamais lui-même de la radio, cette tâche incombant aux soldats qu'il supervisait.
14.      À l'entrevue, je lui ai également demandé si ses subalternes lui faisaient part d'activités de guerre. Il m'a répondu qu'aucun rapport ne lui était présenté et qu'en outre, il ne présentait lui-même aucun rapport à ses supérieurs vu que rien d'important ne lui était signalé.
15.      À l'entrevue, j'ai également mentionné le nom de certains individus, notamment des officiers supérieurs de l'ANY, qui auraient commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité à Vukovar. Le demandeur a mentionné qu'il ne connaissait aucun de ces noms. Il a également dit qu'il avait eu des conversations avec ses subalternes, mais qu'il ne s'était jamais entretenu avec eux de combats ni d'événements liés à la guerre.
16.      À l'entrevue, je lui ai également demandé s'il avait déjà fait fonctionner la radio. Il m'a répondu par la négative. Je lui ai posé la même question de nouveau, compte tenu du fait qu'il avait reçu une mise à jour de ses connaissances sur le fonctionnement de la radio. Il m'a fourni la même réponse.
17.      À la fin de l'entrevue, j'ai dit au demandeur que je ne pouvais croire que compte tenu de la formation d'officier en télécommunications qu'il avait reçue pendant son service militaire obligatoire et du fait qu'il avait récemment bénéficié d'une mise à jour de ses connaissances dans ce domaine et qu'il était responsable d'une unité de télécommunications, il ne savait rien des événements de guerre survenus dans la région où il avait été posté.

[6]      Le paragraphe 18 de l'affidavit de l'agente des visas fournit le motif pour lequel la demande du demandeur a été rejetée :

[TRADUCTION]
18.      À la fin de l'entrevue, j'ai également expliqué au demandeur que compte tenu de ses études, de son rôle d'officier en télécommunications posté à Negoslavci, à moins de huit kilomètres de Vukovar, et de l'ampleur des événements survenus à Vukovar, j'estimais que sa prétention selon laquelle il n'avait jamais discuté avec quiconque du siège de la ville et qu'il n'était pas au courant des événements qui s'y produisaient n'était pas digne de foi. Je lui ai également expliqué que comme je n'estimais pas que ses déclarations au sujet des activités qu'il avait menées pendant la guerre étaient crédibles, je n'étais pas en mesure de conclure qu'il était admissible à immigrer au Canada. Je lui ai ensuite dit que comme des éléments de preuve établissaient que des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité avaient été commis dans la région où il était posté de septembre à novembre 1991, je ferais une dernière vérification auprès du tribunal des crimes de guerre de La Haye, mais qu'à moins qu'une preuve objective de cette source ne me convainquît que ses déclarations étaient dignes de foi, je n'aurais d'autre choix que de rejeter sa demande.

[7]      L'agente des visas a effectivement consulté le tribunal des crimes de guerre de La Haye, qui l'a informée qu'il n'avait pas de renseignements particuliers sur le demandeur, mais qu'il souhaitait l'interroger sur les événements survenus à Vukovar.

[8]      L'incapacité avouée de l'agente des visas de conclure que le demandeur était admissible à immigrer au Canada se fonde sur certaines dispositions de la Loi sur l'immigration (la Loi) : le par. 8(1) prévoit le fardeau d'établir que l'intéressé a le droit d'entrer au Canada ou que son admission n'irait pas à l'encontre de la Loi ou de son règlement d'application; le par. 9(4) permet à un agent des visas de délivrer un visa à une personne qui en fait la demande lorsqu'il est convaincu que cela n'irait pas à l'encontre de la Loi ou de son règlement d'application; et le par. 19(1) empêche l'intéressé d'entrer au Canada lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité1.

[9]      En l'espèce, n'ayant pas cru le récit du demandeur, l'agente des visas a conclu qu'il n'avait pas rempli le fardeau légal qui lui incombait. Le demandeur fait valoir que la conclusion de l'agente des visas en matière de crédibilité est une conclusion de droit et qu'il s'agit donc d'une conclusion susceptible de contrôle au regard de la norme de la décision correcte. Je n'accepte pas cet argument.

[10]      En effet, l'agente des visas a conclu que le récit du demandeur va contre le bon sens et qu'en conséquence, il lui est impossible d'accueillir sa demande. Il est vrai que le « bon » sens n'est peut-être pas le même pour tous, mais je comprends certainement comment l'agente des visas pouvait facilement et raisonnablement tirer la conclusion en matière de crédibilité à laquelle elle est parvenue. À mon avis, la présente affaire ne soulève pas de question de droit. Il incombait au demandeur de convaincre l'agente des visas qu'il avait les compétences voulues afin d'être admis au Canada en tant qu'immigrant, et comme il a exposé un récit au sujet de son service militaire qui, selon l'agente des visas, n'était pas digne de foi, il n'a tout simplement pas rempli le fardeau qui lui incombait.


[11]      À mon avis, l'agente des visas n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en prenant sa décision. En conséquence, la présente demande est rejetée.


« Douglas Campbell »

                                         juge


Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 21 juillet 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

     APPENDIX

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch.I-2, modifiée.


Burden of proof

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.

Charge de la preuve

8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

Issuance of visa

9. (4) Subject to subsection (5), where a visa officer is satisfied that it would not be contrary to this Act or the regulations to grant landing or entry, as the case may be, to a person who has made an application pursuant to subsection (1) and to the person's dependants, the visa officer may issue a visa to that person and to each of that person's accompanying dependants for the purpose of identifying the holder thereof as an immigrant or a visitor, as the case may be, who, in the opinion of the visa officer, meets the requirements of this Act and the regulations.


Délivrance de visas

9. (4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et

aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements.



Inadmissible persons

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

(j) persons who there are reasonable grounds to believe have committed an act or omission outside Canada that constituted a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsection 7(3.76) of the Criminal Code and that, if it had been committed in Canada, would have constituted an offence against the laws of Canada in force at the time of the act or omission.













Personnes non admissibles

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

...

j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




DOSSIER :                  IMM-1165-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ivan Kazimirovic

                     c.

                     MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 20 juillet

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE EXPOSÉS PAR M. LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :              21 juillet 2000


ONT COMPARU :

M. Aleksadar Stojicevic          Pour le demandeur
Mme Helen Park              Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCrea & Associates

Vancouver (C.-B.)              Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur

général du Canada              Pour le défendeur     
__________________

1      Les dispositions citées sont reproduites à l'annexe joint aux présents motifs.

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