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Date : 20200325


Dossier : IMM-4954-19

Référence : 2020 CF 411

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RONNIE BASILIO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’égard de la mesure d’expulsion prise contre lui. La SAI a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales annulant l’interdiction de territoire dont fait l’objet le demandeur pour grande criminalité.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Contexte

[3]  Le demandeur, Ronnie Basilio, est un citoyen des Philippines. Il est venu au Canada en décembre 2012 en tant que travailleur étranger temporaire. Son épouse et leurs quatre enfants l’ont rejoint le 28 juin 2017, date à laquelle ils sont tous devenus des résidents permanents du Canada.

[4]  Le 31 décembre 2016, le demandeur travaillait dans un hôtel en tant que nettoyeur et gardien d’enfants à temps partiel. Il était embauché par les invités de l’hôtel pour garder leurs enfants. Ce soir‑là, le demandeur a caressé à deux occasions les organes génitaux d’une fillette âgée de six ans pendant qu’elle était au lit. En septembre 2017, des accusations ont été portées contre lui, et le 28 mars 2018, il a plaidé coupable à des accusations de contacts sexuels et a été condamné en application de l’article 151 du Code criminel, LCR 1985, c C‑46. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois moins un jour, à une suramende compensatoire de 100 $ et à une période probatoire de 18 mois. Le 15 octobre 2018, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27(la LIPR). Il a interjeté appel à la SAI de la mesure de renvoi prise contre lui. La SAI a rejeté son appel le 16 juillet 2019. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Décision visée par le contrôle

[5]  La seule question soulevée en appel devant la SAI était de savoir si, dans les circonstances de l’affaire, des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants. La SAI a fait observer qu’elle peut surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi ou faire droit à un appel relatif à une mesure de renvoi si le demandeur établit que la prise de mesures discrétionnaires est justifiée dans son cas. Les facteurs dont la SAI doit tenir compte au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire sont ceux énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] IABD n4 (QL/Lexis) :

  • la gravité de l’infraction;
  • la possibilité de réadaptation;
  • la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement du demandeur;
  • le soutien dont il bénéficie au sein de sa famille et dans la collectivité;
  • les difficultés et les bouleversements que l’expulsion causerait à sa famille au Canada;
  • l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité, les Philippines.

[6]  La SAI a dit que la liste est indicative et non pas exhaustive, et que le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, par 40). En outre, la SAI doit aussi prendre en considération l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché par la décision et les objectifs de la loi applicable.

[7]  La SAI a ensuite présenté son analyse des facteurs pertinents.

  i.  La gravité de l’infraction

[8]  La SAI a exposé le contexte factuel dans lequel s’est déroulée l’infraction et a conclu que celle‑ci était très grave, d’autant plus qu’elle a été commise contre une jeune enfant, une personne vulnérable, alors que le demandeur était en situation de confiance. Le moment où elle a été commise est aussi important : elle a été commise alors que le demandeur était résident temporaire. Il a obtenu la résidence permanente trois mois avant d’être inculpé. Bien qu’il ait déclaré qu’il s’était senti très mal par rapport à l’infraction, il n’a pas communiqué avec la police, car il craignait de mettre en péril sa demande de résidence permanente. La SAI a conclu que l’infraction et la façon dont elle a été commise jouaient fortement contre la prise de mesures spéciales et qu’il devait exister des motifs d’ordre humanitaire importants et favorables pour rendre inopposable le motif de grande criminalité.

  ii.  Réadaptation et remords

[9]  La SAI a reconnu que le demandeur avait exprimé de la honte et des remords à l’égard de son comportement et qu’il avait déclaré qu’il acceptait l’entière responsabilité de son erreur. La SAI a jugé que ce facteur présentait plusieurs aspects positifs, soulignant que deux personnes de la collectivité avaient assisté à l’audience de la SAI pour témoigner en faveur du demandeur. L’une de ces personnes a déclaré qu’elle croyait que le demandeur était très désolé. Parmi les autres aspects positifs, la SAI a mentionné les aveux faits par le demandeur lors de son premier interrogatoire avec la police, le fait qu’il avait rapidement plaidé coupable, qu’il avait terminé certains programmes et fait du bénévolat pendant sa détention, qu’il avait respecté les exigences liées à son ordonnance de probation lorsqu’il a été mis en liberté, qu’il veillait à ce que son emploi et son bénévolat ne supposent pas la présence d’enfants, qu’il n’avait pas récidivé et n’avait pas d’autres antécédents criminels. Un autre facteur légèrement favorable était la lettre dans laquelle deux psychologues du Calgary Counselling Centre affirmaient que le stress était le principal facteur expliquant les comportements du demandeur et que ce dernier avait dit gérer son stress de manière plus efficace.

[10]  Toutefois, la SAI a fait observer que ni l’une ni l’autre des courtes lettres provenant du Calgary Counselling Centre et des Forensic Assessment and Outpatient Services ne donne une opinion quant aux possibilités de réadaptation du demandeur ou une évaluation quant au risque qu’il pose pour la société canadienne. La SAI a aussi fait mention d’une lettre provenant de l’agente de probation du demandeur dans laquelle celle-ci exprime son inquiétude relativement au fait que le demandeur continue de faire preuve de déresponsabilisation à l’égard de l’infraction. La SAI a observé que l’agente de probation est arrivée à cette conclusion après avoir travaillé avec le demandeur pendant près d’un an, et elle a accordé beaucoup de poids à la lettre. La SAI s’est dite inquiète de la compréhension qu’a le demandeur des facteurs qui ont contribué à son comportement criminel, parce qu’une appréciation insuffisante de ces facteurs aurait une incidence négative sur la possibilité de réadaptation. Plus particulièrement, le demandeur a déclaré que c’est le stress qui l’avait amené à commettre l’infraction et qu’il gère maintenant son stress en maintenant une alimentation saine et en exerçant des activités bénéfiques. Son plan de prévention de la récidive consiste en partie à imaginer ce qu’une victime potentielle vivrait ou encore que ses propres enfants seraient pris pour victimes. La SAI a conclu qu’il est difficile d’établir un lien entre la compréhension du demandeur de ce que la victime a subi et une véritable appréciation de ce qui a mené à son comportement délinquant.

[11]  La SAI a pris acte de la déclaration écrite du demandeur, mais a conclu que celle‑ci ainsi que les documents qu’il avait fournis ne permettaient pas de conclure que les schémas de pensée par lesquels le demandeur est tenté de se livrer à des activités sexuelles avec des mineurs ont été corrigés de quelque façon que ce soit. La SAI a exprimé des préoccupations quant au fait que l’objectif de prévention de la récidive d’infractions sexuelles à l’encontre de mineurs semble être de maintenir un mode de vie sain et de réduire le stress plutôt que de s’attaquer aux schémas de pensées eux‑mêmes. La SAI a conclu qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’il existe une possibilité raisonnable de réadaptation dans le cas du demandeur, ce qui, jumelé au manque de compréhension du demandeur à l’égard de son comportement criminel, constitue un facteur très défavorable.

[12]  Bien que le demandeur ait manifesté certains remords, la SAI a conclu, au vu de la preuve dont elle disposait, qu’il regrettait ses actes et les conséquences qui en ont découlé, mais qu’il ne ressentait pas nécessairement beaucoup de remords pour ces actes. Les remords qu’il a manifestés sont un facteur qui a milité légèrement en sa faveur.

  iii.  Période passée au Canada et degré d’établissement

[13]  La SAI a conclu qu’il s’agit d’un facteur neutre. Le demandeur vit au Canada depuis six ans, ce qui n’est pas une longue période compte tenu de son âge. Il n’a jamais eu recours à l’aide sociale. Il n’a pas non plus réussi à accumuler quelques actifs que ce soit, puisque la majorité de ses revenus servent à soutenir financièrement ses enfants.

  iv.  Conséquences sur la famille

[14]  La SAI a fait remarquer que le demandeur et son épouse se sont séparés quelques semaines avant la détermination de sa peine. Après sa sortie de prison, son épouse lui a permis d’avoir accès aux enfants deux fois par semaine. Or, en février 2019, à l’issue d’une procédure engagée par l’épouse, le tribunal a rendu une ordonnance empêchant le demandeur d’entrer en contact avec ses enfants et conférant à l’épouse un pouvoir décisionnel exclusif. Le demandeur a contesté l’ordonnance, mais au moment de l’audience de la SAI, il restait à voir s’il se verrait accorder à l’avenir un accès à ses enfants. La SAI a souligné que le demandeur a affirmé que les répercussions les plus importantes sur sa famille s’il était renvoyé du Canada seraient de nature financière. Il occupait deux emplois pour subvenir aux besoins de sa famille et il s’était assuré de continuer de la soutenir pendant son incarcération. Le demandeur craignait de ne pas être en mesure d’obtenir un emploi bien rémunéré aux Philippines pour continuer de subvenir aux besoins de ses enfants. La SAI a conclu que la relation du demandeur avec ses enfants et les répercussions financières que son renvoi entraînerait sont un facteur qui militait en faveur de l’appelant.

  v.  Soutien au sein de la famille et dans la collectivité

[15]  La SAI a conclu que le demandeur n’a pas d’autre famille au Canada que son épouse, dont il est séparé, et ses enfants, avec qui il lui est actuellement interdit de communiquer. Il bénéficie d’un certain soutien dans la collectivité, comme en témoigne la présence des deux personnes qui ont assisté à l’audience pour lui offrir leur soutien. La SAI a conclu qu’il s’agissait d’un facteur légèrement favorable.

  vi.  Intérêt supérieur des enfants

[16]  La SAI a fait remarquer que les quatre enfants du demandeur sont âgés de trois à quatorze ans et que, durant presque cinq années de leur vie, leur mère les a élevés seule pendant que leur père travaillait à l’étranger pour subvenir à leurs besoins. La SAI a reconnu que le demandeur est retourné deux fois aux Philippines au cours de cette période pour visiter sa famille et qu’il est resté en contact avec elle au moyen de Skype et d’appels téléphoniques quelques fois par semaine. La SAI a aussi mentionné que le demandeur a déclaré s’être intéressé de très près aux activités de ses enfants durant son absence, de même qu’à leurs conditions de vie depuis la séparation et l’ordonnance du tribunal lui interdisant de communiquer avec eux. Elle a souligné le témoignage du demandeur, notamment qu’il est le seul soutien de famille et qu’il ne pourra pas offrir le même soutien financier à ses enfants s’il est renvoyé du Canada. La SAI a conclu que le renvoi du demandeur aurait une incidence négative sur sa capacité de soutenir financièrement sa famille et qu’il s’agit d’un facteur militant en faveur du demandeur.

[17]  Même si le demandeur a déclaré qu’il était la principale personne‑ressource pour tous les besoins de ses enfants, puisque son épouse n’était pas capable de s’acquitter de ce genre d’obligations, la SAI a fait remarquer que son épouse avait été la seule parente du ménage pendant cinq ans aux Philippines et qu’elle avait démontré sa capacité de traiter avec les autorités canadiennes. La SAI a reconnu que le demandeur a entretenu une étroite relation avec ses enfants et qu’il s’est acquitté activement et avec dévouement de son rôle de parent aux Philippines. Cependant, elle a conclu qu’il n’est pas le principal fournisseur de soins de ces enfants et qu’il ne l’a pas été durant une part importante de leur vie. En outre, on ne sait pas encore si le demandeur sera autorisé à entrer en contact avec ses enfants à l’avenir. La SAI a conclu qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants que le demandeur reste au Canada et continue de les soutenir financièrement dans une plus grande mesure, et que sa capacité de le faire serait sérieusement compromise s’il était renvoyé. Il s’agit d’un facteur favorable en l’espèce.

  vii.  Difficultés causées par le renvoi du Canada

[18]  La SAI a fait observer que le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve relatif à la situation actuelle du marché du travail aux Philippines et a conclu qu’il pourrait s’y établir à nouveau et trouver un travail semblable à celui qu’il avait avant de quitter le pays. La SAI a reconnu que les perspectives d’emploi et de revenu du demandeur aux Philippines seraient probablement moins bonnes que celles qu’il a au Canada, ce qui est un facteur légèrement favorable. Elle a aussi reconnu que le demandeur ressentirait une perte sur le plan affectif s’il était séparé de ses enfants. Toutefois, de manière générale, la SAI a conclu que les épreuves affectives et les difficultés financières ne permettaient pas de conclure que le demandeur subirait des difficultés importantes s’il était renvoyé aux Philippines.

[19]  La SAI a conclu son analyse en soulignant qu’il est possible d’annuler une mesure d’expulsion par la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, mais que l’existence de tels motifs ne suppose pas automatiquement que la mesure d’expulsion sera annulée. Elle a conclu que le demandeur avait été déclaré coupable d’une infraction grave, que ses perspectives de réadaptation étaient douteuses et qu’il ne se heurterait pas à des difficultés importantes s’il était renvoyé. Certes, le rejet de l’appel causerait des difficultés au demandeur et à ses enfants, mais cela ne l’emporte pas sur les facteurs défavorables. Après avoir apprécié la preuve et tenu compte des facteurs applicables, dont l’intérêt supérieur des enfants, la SAI a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.

Questions en litige et norme de contrôle

[20]  Selon moi, la présente affaire soulève une question préliminaire et une question justifiant un contrôle sur le fond :

  1. Question préliminaire : Le nouvel élément de preuve joint en pièces à l’affidavit du demandeur daté du 27 août 2019 et présenté à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire est‑il admissible?

  2. Question en litige : La décision de la SAI est‑elle raisonnable?

[21]  Les parties font valoir, et je suis d’accord avec elles, que la décision de la SAI selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire ne suffisaient pas pour justifier la prise de mesures spéciales doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov)). Dans l’arrêt Vavilov, il est établi que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative. (Vavilov, par 16, 23 et 25).

[22]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême s’intéresse également à la façon dont la cour de révision doit procéder au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (par 73‑145). À cet égard, elle conclut que la cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc « se demander si la décision possède des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par 15, 99). Lorsqu’une décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, la norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov, par 85).

QUESTION PRÉLIMINAIRE : Le nouvel élément de preuve est‑il admissible?

Position du demandeur

[23]  Le demandeur reconnaît qu’il est bien établi qu’un contrôle judiciaire doit être fondé sur les éléments de preuve qui étaient à la disposition du décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par 19 (Association des universités et collèges); Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, par 41 (Henri); Mohitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1393, par 8). Toutefois, le demandeur cherche à faire verser au dossier comme pièce « A » de son affidavit, une ordonnance de parentage provisoire de la cour provinciale de l’Alberta (ordonnance de parentage provisoire), laquelle remplace une ordonnance antérieure datée du 7 février 2019 et accorde au demandeur une période de parentage et de partage des responsabilités liée aux enfants, avec l’accord de leur mère. L’affidavit du demandeur indique que l’ordonnance datée du 7 février 2019 ne lui accorde aucune période de parentage et qu’il en était de même deux jours avant l’audience relative à l’appel devant la SAI, qu’il a reçu la nouvelle ordonnance par la poste trois semaines après l’audience, et qu’il n’a pas pu obtenir une copie de l’ordonnance avant l’audience relative à l’appel.

[24]  Le demandeur fait valoir que ce nouvel élément de preuve, qui démontre son engagement soutenu auprès de ses enfants, est important et touche au cœur de l’appel, soit l’intérêt supérieur des enfants et les difficultés subies par les enfants. En outre, il allègue que le nouvel élément de preuve n’existait pas au moment de l’audience et qu’il doit être admis et considéré comme faisant partie de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Dans sa réplique, le demandeur soutient que cet élément de preuve s’inscrit dans le contexte général de la question visée par le contrôle judiciaire.

Position du défendeur

[25]  Le défendeur soutient que la Cour ne doit pas accepter la demande par laquelle le demandeur cherche à faire admettre un nouvel élément de preuve parce que l’ordonnance de parentage provisoire ne concerne pas le contexte général antérieur à la décision de la SAI. En outre, on ne sait pas vraiment en quoi l’admission de cette ordonnance aurait une incidence sur les conclusions de la SAI, la SAI ayant conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants du demandeur que ce dernier soit autorisé à rester au Canada et que l’intérêt supérieur des enfants était un facteur favorable en l’espèce. De plus, le demandeur n’a pas démontré que l’ordonnance de parentage aurait une incidence importante sur l’analyse des difficultés effectuée par la SAI. Le demandeur ne satisfait à aucune des exceptions au principe voulant qu’aucun nouvel élément de preuve ne soit admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire et la Cour n’a pas besoin de cet élément pour examiner la demande de contrôle judiciaire.

Analyse

[26]  La jurisprudence est sans équivoque : en règle générale, le dossier de preuve dont dispose la cour de révision se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur.

[27]  Dans l’arrêt Association des universités et collèges, le juge Stratas a souligné que, pour se prononcer sur l’admissibilité d’un affidavit à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire, il faut garder à l’esprit les rôles différents joués par la Cour et par le décideur administratif. Le législateur a conféré au décideur administratif – et non à la Cour – le pouvoir de trancher certaines questions sur le fond (Association des universités et collèges, par 17). En raison de ces rôles distincts, la Cour ne peut s’autoriser à devenir une tribune de recherche des faits qui intéressent le fond. Par conséquent, la règle générale est que le dossier de preuve dont dispose la cour de révision se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur (Association des universités et collèges, par 19). Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui touchent au fond de l’affaire ne sont pas admissibles, à quelques exceptions près.

[28]  Il est reconnu qu’échappe à ce principe l’affidavit : qui contient des renseignements généraux qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui sont pertinentes pour le contrôle judiciaire, sans aller au‑delà en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le décideur administratif; qui porte à l’attention de la cour de révision des vices de procédure qui n’apparaissent pas dans le dossier de preuve du décideur administratif, de sorte que la Cour peut ainsi s’acquitter de sa tâche d’examiner les questions d’équité procédurale; et qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion donnée (Association des universités et collèges, par 20); Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, par 19‑25 (Bernard); Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par 45 (Delios); Henri, par 41).

[29]  J’estime que, dans ses observations, le demandeur confond les exceptions limitées qui rendent admissible la nouvelle preuve par affidavit présentée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et l’admission de nouveaux éléments de preuve que le tribunal doit prendre en considération lors d’une nouvelle audience. En outre, l’ordonnance de parentage provisoire n’est pas visée par l’exception relative aux renseignements généraux.

[30]  À cet égard, dans l’arrêt Bernard, le juge Statas a réexaminé la règle générale et s’est attardé sur les trois exceptions reconnues. En ce qui a trait à l’exception relative aux renseignements généraux, il a dit ce qui suit :

[23]  L’exception des renseignements généraux existe parce qu’elle s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. Elle respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs. Les renseignements généraux exposés dans l’affidavit ne représentent pas de nouveaux renseignements sur le fond. Ils se bornent à résumer la preuve dont était saisi le juge du fond, c’est-à-dire le décideur administratif. Rien n’incite le juge de révision à s’immiscer dans le rôle du décideur administratif en tant que juge du fond, rôle assigné à celui‑ci par le législateur. Ajoutons que l’exception des renseignements généraux facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche.

[31]  Dans l’arrêt Delios, le juge Stratas a dit ce qui suit :

[44]  Selon cette exception, une partie peut déposer un affidavit contenant « des informations générales qui sont susceptibles d’aider [la cour de révision] à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

[45]  L’exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position – rôle de l’exposé des faits et du droit –, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.

[46]  Toutefois, « [o]n doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

[32]  Dans l’arrêt Henri, la Cour d’appel fédérale a mentionné ce qui suit :

[39]  Il est bien établi que le contrôle judiciaire quant au fond d’une affaire doit être instruit selon la preuve dont le décideur initial disposait (Association des universités et des collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 19, [2012] A.C.F. no 93).

[40]  Bien que la preuve par affidavit qui vise à présenter des renseignements contextuels en vue d’aider la Cour puisse être admissible dans certaines circonstances et que le juge LeBlanc ait omis de reconnaître cette règle de manière expresse, la Cour a formulé l’avertissement selon lequel la preuve en question ne doit pas contenir davantage que des renseignements contextuels et qu’elle ne doit pas se rapporter au fond de l’affaire (ibidem, au paragraphe 20). La Cour fédérale a conclu que l’affidavit dont M. Henri proposait la production se rapportait au bien-fondé de la décision (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 22). M. Henri ne soulève aucun motif convaincant pour modifier cette appréciation de l’affidavit.

[41]  La justification générale à l’appui de l’interdiction de présenter une nouvelle preuve portant sur le fond continue de s’appliquer en l’espèce. L’examen de faits dont ne disposait pas le décideur éloignerait l’attention de la Cour de la décision visée par l’examen et l’approcherait d’un examen de novo sur le fond. Ce n’est jamais la fonction du contrôle judiciaire et ce serait complètement incompatible avec un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. C’est à bon droit que la Cour fédérale a exclu du dossier la nouvelle preuve présentée par M. Henri.

[33]  Il ne fait donc aucun doute que l’affidavit qui fournit des renseignements généraux peut, en tant qu’exception à la règle générale, être admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais qu’il ne peut faire plus. Il ne peut porter sur le fond de l’affaire dont était saisi le décideur administratif. En l’espèce, si je comprends bien, le demandeur fait valoir que la nouvelle ordonnance de parentage provisoire est pertinente pour ce qui est de l’examen de l’intérêt supérieur des enfants et des facteurs relatifs aux difficultés auquel s’est livrée la SAI en vue de déterminer, sur le fond, si les motifs d’ordre humanitaire suffisaient pour justifier la prise de mesures spéciales et annuler la mesure de renvoi. Par conséquent, l’ordonnance de parentage provisoire n’est pas admissible. Il ne s’agit pas de renseignements généraux. Il s’agit d’une information que le demandeur cherche à invoquer pour contester le bien‑fondé de l’analyse de la SAI, même si cette dernière n’avait pas à sa disposition l’ordonnance de parentage provisoire au moment de rendre sa décision. Admettre cet élément de preuve aurait pour effet de détourner l’attention de la Cour de la décision de la SAI de façon qu’elle procède à un nouvel examen de l’intérêt supérieur de l’enfant et des facteurs relatifs aux difficultés, ce qui ne lui appartient pas de faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Henri, par 41).

[34]  Bien que cela soit suffisant pour trancher la question, j’ajouterai que la SAI a reconnu dans ses motifs qu’on s’attendait à ce qu’une nouvelle ordonnance de parentage soit rendue au moment de l’audience. Or, rien au dossier ne permet de croire que le demandeur a demandé l’autorisation de présenter la nouvelle ordonnance pour examen par la SAI lorsque celle‑ci a été rendue et avant que la SAI ne rende sa décision.

QUESTION EN LITIGE : La décision de la SAI est-elle raisonnable?

[35]  Le demandeur reconnaît que le pouvoir de la SAI de prendre une mesure discrétionnaire est exceptionnel et que son pouvoir de faire droit à un appel est hautement discrétionnaire et commande la déférence. Toutefois, le demandeur soutient que, lorsqu’elle est examinée dans son ensemble, la décision de la SAI n’est pas raisonnable.

[36]  Le défendeur affirme que les observations du demandeur ne permettent pas d’établir que la SAI a commis une erreur susceptible de révision. La SAI est habilitée à décider de la vraisemblance, de la crédibilité et du poids des témoignages, et, dans la mesure où ses conclusions portent raisonnablement sur ces aspects, la Cour ne devrait pas intervenir. La décision de la SAI montre que celle‑ci a soupesé et évalué les éléments de preuve au dossier et que ses conclusions sont fondées sur la preuve et appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[37]  Je ferai d’abord observer que la SAI peut faire droit à un appel portant sur une mesure de renvoi si, aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, il y a « des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ». Les mesures peuvent être prises dans des circonstances exceptionnelles. Il s’agit également d’une décision hautement discrétionnaire qui commande la déférence (voir Santiago c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, par 27‑28).

[38]  J’ai examiné ci‑dessous chacun des motifs pour lesquels le demandeur prétend que la décision est déraisonnable.

  i.  Gravité de l’infraction

[39]  Le demandeur fait valoir que, s’agissant de la gravité de l’infraction, il est déraisonnable que la SAI n’ait pas tenu compte du fait qu’il est un délinquant primaire et qu’il n’a pas récidivé.

[40]  Toutefois, je constate qu’au moment d’évaluer les chances de réadaptation et les remords du demandeur, la SAI a explicitement reconnu que ce dernier n’avait pas d’antécédents criminels et qu’il n’avait pas commis d’infraction depuis sa première infraction, ce qui était selon elle un aspect favorable. Je ne suis pas convaincue que ces faits sont vraiment liés à la gravité de l’infraction. En fait, la SAI les a à juste titre examinés dans le contexte de la réadaptation. Le fait que la SAI n’a pas mentionné ces faits au moment d’évaluer la gravité de l’infraction n’est pas une erreur et ne fait pas en sorte que la décision est déraisonnable.

  ii.  Réadaptation et remords

[41]  En ce qui a trait à ses chances de réadaptation et à ses remords, le demandeur affirme que la Cour a défini ce que sont des remords dans la décision Pu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 600, par 20 (Pu) (qui cite en fait la décision Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CanLII 26505 (CA CISR), par 51). Se fondant sur cette définition, à savoir que le remords s’entend d’un profond regret ou d’un sentiment de culpabilité pour avoir mal agi et d’un sentiment de regret pour avoir fait quelque chose de mal ou pour un tort passé, le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il avait plus de regrets que de remords.

[42]  Selon moi, le demandeur s’accroche à une phrase du paragraphe 24 des motifs de la SAI à savoir que, compte tenu de la preuve dont elle dispose, il semble que le demandeur puisse regretter ses actes et les conséquences qui en ont découlé, sans ressentir nécessairement beaucoup de remords pour les avoir posés. Le demandeur ne conteste pas la conclusion tiré par la SAI quant à ses chances de réadaptation. Dans ses observations, il omet de dire que la SAI traite en détail de la question de ses chances de réadaptation et de ses remords aux paragraphes 14 à 24 de sa décision. Comme je l’ai mentionné plus haut, la SAI a reconnu que le demandeur avait exprimé de la honte et du regret pour son comportement. Elle a aussi examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait, tant favorables que défavorables. Elle a conclu que les lettres du Calgary Counselling Centre et du Forensic Assessment and Outpatient Services confirmaient que le demandeur avait participé à des séances de counseling et à d’autres programmes, mais ne contenaient aucune opinion ou évaluation du risque quant à sa réadaptation. La SAI a accordé beaucoup de poids à la lettre rédigée par l’agente de probation du demandeur, étant donné que cette dernière était toujours préoccupée par la déresponsabilisation du demandeur à l’égard de son infraction, et ce, même après avoir travaillé avec lui pendant près d’un an. La SAI s’est dite très inquiète de ce que le demandeur ne comprenne pas bien les facteurs ayant contribué à son comportement criminel. Il a attribué ses actes au stress et ne s’est pas penché sur les schémas de pensée par lesquels il était tenté de se livrer à des activités sexuelles avec des mineurs. La SAI a conclu qu’il s’agissait d’un facteur très défavorable en l’espèce.

[43]  La SAI a aussi fait mention d’éléments de preuve qui confirmaient que le demandeur éprouvait des remords, notamment les lettres d’excuses qu’il a adressées à la victime et à ses parents. Toutefois, la lettre de l’agente de probation indiquait que le demandeur avait exprimé du mécontentement devant l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels et que ses remords semblaient [traduction] « axés sur lui‑même ». Le demandeur s’est également plaint d’être en période de probation et de devoir assister à des séances de counseling, s’inquiétant que ces séances puissent avoir une incidence sur sa situation d’emploi. La lettre rédigée par l’agente de probation vient confirmer la préoccupation exprimée par la SAI, à savoir que le demandeur regrettait les conséquences négatives de sa condamnation sur sa vie, en ce qui a trait à l’emploi et à son statut de délinquant sexuel.

[44]  En résumé, je ne vois aucune erreur dans la façon dont la SAI a traité la preuve portant sur les remords et les chances de réadaptation du demandeur. Le demandeur ne fait état d’aucun élément de preuve qui n’aurait pas été examiné, et quoi qu’il en soit, la SAI a conclu que les remords du demandeur étaient un facteur ne militant que légèrement en sa faveur. En définitive, le demandeur conteste tout simplement le poids accordé à ce facteur.

  iii.  Intérêt supérieur des enfants

[45]  En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, la seule observation du demandeur est que la SAI a insisté sur le rôle qu’il joue dans la vie de ses enfants plutôt que sur les besoins spécifiques de ces derniers. Le demandeur n’explique pas en quoi il s’agit là d’une erreur susceptible de révision.

[46]  Selon l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, la SAI était tenue d’évaluer l’intérêt supérieur des enfants. Et, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 :

[35]  L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [. . .] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11; Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, par. 20). Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), [2009] 2 R.C.S. 181, par. 89). Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas à l’étude.

[47]  Plus loin dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada dresse une liste des facteurs liés au bien‑être émotionnel, social, culturel et physique de l’enfant que les décideurs devraient prendre en considération (par 40).

[48]  En l’espèce, la SAI a souligné l’âge des enfants du demandeur et a mentionné que, pendant une grande partie de leur vie, presque cinq ans, leur mère les avait élevés seule pendant que leur père travaillait à l’étranger. Au cours de cette période, les enfants communiquaient avec le demandeur quelques fois par semaine au moyen de Skype ou d’appels téléphoniques. La SAI a fait remarquer que les enfants ont aussi vécu séparés de leur père au cours de l’année ayant précédé l’audience de la SAI. Celle-ci a aussi retenu le témoignage du demandeur qui a déclaré être le seul soutien de famille et que son renvoi du Canada aura une incidence négative sur sa capacité d’assurer un soutien financier à sa famille. La SAI a aussi estimé que le rôle financier que joue le demandeur dans la vie des membres de sa famille constituait un facteur favorable en l’espèce.

[49]  Même si le demandeur fait valoir que la SAI n’a pas tenu compte des intérêts ou des besoins particuliers des enfants, il ne renvoie à aucun élément du dossier que la SAI aurait omis de mentionner. Je conviens avec le défendeur que les motifs de la SAI montrent que celle‑ci a bien examiné la déclaration écrite et le témoignage du demandeur et qu’elle n’en a pas fait abstraction. La déclaration écrite indique seulement que le demandeur fait partie de la vie de ses enfants, qu’il passe du temps avec eux, surtout pendant les fins de semaine, et qu’ils vont au centre commercial et dîner ou souper ensemble. On peut aussi y lire que le demandeur leur achète des vêtements, des jouets, des fournitures scolaires et des médicaments, comme le démontrent les reçus versés au dossier, et que les enfants ont besoin de soutien émotionnel et de conseils de la part de leurs parents. La transcription du témoignage du demandeur devant la SAI ajoute peu à la déclaration écrite.

[50]  Ainsi, il ressort du dossier que le demandeur joue un rôle financier dans la vie de ses enfants, ce que la SAI a constaté. Le demandeur ne renvoie à aucun élément du dossier qui n’aurait pas été pris en considération et concernerait sa présence future dans la vie de ses enfants ou leurs besoins particuliers. Par exemple, il n’y a rien au dossier qui porte sur la santé ou l’éducation des enfants ou sur d’autres considérations propres aux enfants qui auraient été relevées, sans être examinées par la SAI. Par conséquent, à mon avis, il était raisonnable pour la SAI d’axer son analyse sur la dépendance financière des enfants envers le demandeur et sur le peu de rapports qu’ils ont avec lui. Il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve utiles quant à l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’espèce, les éléments de preuve dont disposait la SAI à cet égard étaient extrêmement limités (Fouda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1176, par 35, 39). En résumé, eu égard à la preuve limitée présentée par le demandeur, l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants à laquelle s’est livrée la SAI tenait compte des besoins des enfants du demandeur (Louisy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 254, par 9-11).

[51]  Encore une fois, il est révélateur que la SAI ait conclu que l’intérêt supérieur des enfants était un facteur favorable en l’espèce. En effet, le demandeur fait valoir que la SAI aurait dû, dans son analyse, accorder davantage de poids à l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’elle a soupesé tous les facteurs en jeu. Toutefois, la Cour ne peut intervenir dans une décision parce qu’un demandeur estime que davantage de poids aurait dû être accordé aux facteurs qui le favorisent (McCurvie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 681, par 71). En outre, bien que l’intérêt supérieur des enfants soit un facteur important, il n’est en général pas déterminant en soi et doit être soupesé avec les autres facteurs (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 772, par 48).

  iv.  Difficultés

[52]  En ce qui concerne l’analyse des difficultés, le demandeur fait valoir que la SAI a axé son analyse sur les difficultés que lui occasionnerait son renvoi, mais n’a rien dit au sujet des conséquences dévastatrices qu’il aurait sur les enfants, tant sur le plan financier qu’émotionnel. Par ailleurs, il soutient que la SAI a minimisé ou écarté les difficultés que son renvoi occasionnerait aux enfants et qu’elle ne s’est montrée ni attentive ni sensible à l’intérêt supérieur des enfants et aux difficultés auxquelles ils se heurteraient si le demandeur était renvoyé.

[53]  Selon moi, le demandeur confond l’évaluation des difficultés et l’examen de l’intérêt supérieur des enfants, dont il a été question plus haut. Il ne cite par ailleurs aucun des éléments de preuve qu’il a présentés à la SAI à propos des conséquences dévastatrices sur le plan émotionnel que pourrait avoir son renvoi du Canada pour étayer son observation selon laquelle la SAI a commis une erreur dans son traitement de cet élément de preuve.

[54]  La SAI a examiné l’observation du demandeur selon laquelle il aurait des difficultés à trouver un emploi aux Philippines, mais elle a conclu qu’il serait bien placé pour s’y établir de nouveau et trouver un emploi semblable à celui qu’il avait avant de venir au Canada. La SAI a reconnu que ses perspectives d’emploi et de revenus seraient probablement moins bonnes que celles qu’il aurait au Canada – ce que le demandeur a lié à sa capacité de subvenir aux besoins de ses enfants – et a conclu qu’il s’agissait d’un facteur militant légèrement en sa faveur. La SAI a aussi reconnu que le demandeur ferait face à des épreuves affectives et à certaines difficultés financières, mais a conclu qu’il ne s’agissait pas de difficultés importantes. J’estime qu’il n’y a aucune erreur susceptible de révision dans l’évaluation par la SAI des difficultés. Je ne vois aucune erreur dans le traitement de la preuve ou dans l’analyse de la SAI.

Conclusion

[55]  En définitive, le demandeur conteste le poids accordé aux facteurs évalués par la SAI. Toutefois, comme l’a mentionné la SAI, le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas. En l’espèce, la SAI était très préoccupée par la gravité de l’infraction et a précisé qu’il fallait des motifs d’ordre humanitaire importants et favorables pour rendre inopposable le motif de grande criminalité. La SAI était également grandement préoccupée par la déresponsabilisation du demandeur et son manque de compréhension à l’égard des facteurs qui ont contribué à son comportement criminel et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’il existe une possibilité raisonnable de réadaptation. Il s’agit d’un facteur très défavorable. Elle a soupesé ces facteurs en fonction d’autres facteurs plus favorables, notamment l’intérêt supérieur des enfants, mais elle a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables et que, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[56]  La décision de la SAI a été prise à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait et était justifiée compte tenu de ces éléments de preuve. Il convient de faire preuve de déférence à son égard, et la Cour n’interviendra pas dans sa décision de soupeser les facteurs comme elle l’a fait. Ce n’est pas le rôle de la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par 61). Enfin, et même si le demandeur a affirmé le contraire lorsqu’il a comparu devant moi, les motifs de la SAI étaient clairs et fondés sur un raisonnement cohérent et justifié. La décision de la SAI est raisonnable.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4954‑19

LA COUR STATUE :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.  Aucuns dépens ne seront adjugés;

3.  Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juin 2020.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4954‑19

 

INTITULÉ :

RONNIE BASILIO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

La juge Strickland

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 25 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Nicolaas G.J. Breed

 

pour le demandeur

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nota Bene Law

Calgary (Alberta)

 

POUR le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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