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Date : 20051020

Dossier : IMM-590-05

Référence : 2005 CF 1428

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

BELA ATTILA BIRO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 21 décembre 2004, qui a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, expressions définies par les articles 96 et 97 de la Loi, et qui l'a déclaré exclu de la protection accordée aux réfugiés, en application de l'alinéa 1F)b) de la Convention relative au statut des réfugiés.

[2]                Le demandeur, un citoyen roumain, a allégué qu'il était persécuté et victime de discrimination en Roumanie parce qu'il est d'origine hongroise et qu'il a dénoncé des fonctionnaires corrompus.

[3]                En 1974, le demandeur s'est mis à apprendre le judo et, en 12 mois, il est devenu un champion national. Il dit cependant qu'il était victime de discrimination et qu'il a été ostracisé et persécuté en raison de son origine hongroise. L'un des incidents qu'il relate, c'est que, bien qu'il eût battu son adversaire au championnat national l'année suivante, les juges avaient décerné la médaille d'or à son adversaire. Il prétend aussi qu'il n'était pas autorisé à concourir en dehors de son pays.

[4]                Le demandeur dit aussi que, à l'armée, il a été prié de changer son patronyme pour un nom roumain et d'abandonner sa religion. Il affirme que, en raison de son refus, il a été affecté à un camp militaire dans les montagnes.

[5]                En 1991, il est devenu instructeur de judo et il a été l'entraîneur d'une équipe de judokas. Il allègue que, parce qu'il a contesté les conclusions des juges à propos de son équipe, il a été suspendu durant un an de ses fonctions d'entraîneur.

[6]                Le demandeur soutient qu'il a fait paraître dans les journaux des articles anonymes désignant des fonctionnaires corrompus impliqués dans une escroquerie pétrolière. Il affirme que l'on a appris qu'il était à l'origine des articles et que, en conséquence, l'entreprise pour laquelle il travaillait a été à maintes reprises condamnée à une amende. L'entreprise l'a finalement congédié afin d'éviter la faillite.

[7]                Il allègue aussi qu'il a reçu des lettres anonymes, ainsi que des menaces par téléphone, et que le pare-brise de sa voiture a été endommagé. En 1997, il a été agressé par cinq hommes qui ont menacé de le tuer et l'ont battu. Il a été poignardé à la poitrine et a subi une fracture des côtes et une commotion cérébrale. Il a été hospitalisé durant 22 jours. Il dit qu'il s'est rendu à la police avec le rapport médical, mais que rien n'a été fait.

[8]                Pour quitter la Roumanie, le demandeur a acheté un véhicule muni de plaques d'immatriculation étrangères, un faux passeport hongrois et un faux permis de conduire. Son véhicule a été intercepté par une patrouille policière et il a été accusé. En novembre 1997, il a été condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et à une probation pour faux, usage de faux et utilisation illégale d'un véhicule. Il prétend qu'en 1999 il a été faussement accusé de fraude.

[9]                En février 2002, le demandeur a été reconnu coupable et condamné en Roumanie pour fraude et faux en écriture privée.

[10]            Le demandeur allègue que son épouse et son père ont eux aussi eu des ennuis en raison des fausses accusations portées contre lui. Il a rencontré un vieil ami qui l'a aidé à se procurer de faux documents qui lui permettraient de quitter le pays. En France, un fonctionnaire canadien ne les a pas autorisés à embarquer dans l'avion qui partait pour le Canada, et il est donc retourné en Hongrie, où il est demeuré d'août 1999 à mai 2002.

[11]            Au printemps de 2002, il s'est rendu en Italie, puis de là au Mexique, après quoi il a traversé les États-Unis pour le Canada dans un camion et, le 4 juillet 2002, il présentait une demande d'asile, affirmant que, s'il retournait dans son pays, il serait injustement emprisonné, ou simplement liquidé.

[12]            La Commission a trouvé de sérieuses failles dans le témoignage du demandeur et, pour cette raison, le récit du demandeur était selon elle douteux et sujet à caution. Elle a aussi estimé que les prétentions du demandeur à propos des limites que lui auraient imposées les autorités publiques dans la pratique du judo étaient sans fondement. La Commission a trouvé que le récit du demandeur n'était pas crédible et qu'il reposait sur sa volonté d'échapper à des poursuites plutôt qu'à la persécution.

[13]            La Commission a également décidé, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n'avait pas été erronément reconnu coupable en Roumanie. Elle était convaincue que le demandeur avait bénéficié de l'application régulière de la loi dans les poursuites judiciaires engagées contre lui. Finalement, la Commission a conclu que l'alinéa 1F)b) était applicable au demandeur et que le demandeur était donc exclu de la protection accordée aux réfugiés.

[14]            La Commission a estimé aussi que le demandeur n'avait pas établi qu'il était une personne à protéger.

ANALYSE

            i)           La décision d'exclusion

[15]            La Commission a-t-elle commis une erreur en n'analysant pas correctement l'intégrité du système judiciaire de la Roumanie pour savoir si les condamnations prononcées contre le demandeur étaient le résultat d'un système judiciaire corrompu?

[16]            La Commission a clairement établi que le demandeur avait été reconnu coupable d'infractions pour lesquelles il serait emprisonné durant 12 ans à son retour en Roumanie.

[17]            La Commission a admis que la corruption était avérée, mais elle n'a pas admis que le demandeur n'avait pas bénéficié de l'application régulière de la loi. Au soutien de sa conclusion, la Commission a expliqué que le demandeur avait interjeté deux fois appel. Toutefois, la preuve montre que le premier appel a été jugé par le tribunal hors la présence du demandeur ou de son avocat. À mon avis, cela donne à penser que le processus judiciaire présentait de graves lacunes. Dans la procédure introduite en 2002, l'avocat du demandeur n'avait pas été autorisé à interroger les témoins qui avaient signé des dépositions écrites. Cette affaire concernait le présumé vol, par fraude, d'une quantité d'essence ayant une valeur d'environ 700 000 $CAN. Le fait de conduire un tel procès uniquement sur la base des dépositions écrites ne respecte pas à mon avis l'application régulière de la loi.

[18]            En bref, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a bénéficié de l'application régulière de la loi est manifestement déraisonnable. Selon moi, eu égard aux graves conséquences d'une exclusion en vertu de l'alinéa 1Fb) de l'article premier de la Convention, la Commission aurait dû se demander si, vu les circonstances de cette affaire, le non-respect de l'application régulière de la loi avait eu une incidence sur les condamnations prononcées contre le demandeur.

ii)                    La décision d'inclusion

[19]            La Commission a-t-elle commis une erreur en n'analysant pas séparément, en application de l'article 97 de la Loi, le risque d'emprisonnement auquel était exposé le demandeur en cas de retour en Roumanie?

[20]            Selon le demandeur, après avoir conclu qu'il avait été reconnu coupable d'infractions pour lesquelles il lui faudrait purger une peine d'emprisonnement de 12 ans en cas de retour en Roumanie, la Commission a négligé d'analyser séparément, en application de l'article 97, le risque auquel était exposé le demandeur en cas de retour en Roumanie.

[21]            La Cour a maintes fois jugé que l'analyse distincte prévue par l'article 97 n'est pas requise si aucun élément ne permet d'établir que l'intéressé est une personne à protéger : Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1540 (QL); Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 2013 (QL); Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 1711 (QL); Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1409 (QL); Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 1242 (QL).

[22]            Il s'ensuit que, lorsque des éléments permettraient d'établir que l'intéressé est une personne à protéger, la Commission est tenue de faire l'analyse prévue par l'article 97.

[23]            Dans la décision Soleimanian, précitée, le juge Mosley examinait la jurisprudence portant sur la nécessité d'une analyse distincte en vertu de l'article 97. Il s'exprimait ainsi, aux paragraphes 23 et 24 :

¶ 23 Dans la décision Bouaouni, précitée, il a été statué que la Commission a traité des documents dont elle disposait et qu'en raison de contradictions importantes dans la preuve du demandeur, les conclusions quant à la crédibilité défavorables qu'elle a tirées étaient fondées sur des éléments de preuve non crédibles et que, à part ceux-ci, « il n'y en avait pas d'autres » qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Par conséquent, dans cette affaire, même si la Commission a commis une erreur en omettant d'effectuer une analyse séparée de la demande suivant l'article 97 de la LIPR, la Cour a statué que, compte tenu de la preuve, la Commission pouvait tirer la conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas une « personne à protéger » suivant les alinéas 97(1)a) et b).

¶ 24 Dans la décision Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 245 F.T.R. 52 (1re inst.), j'ai conclu qu'il y avait certains éléments de preuve démontrant que, indépendamment de la décision à l'égard de la question de savoir s'il était un réfugié au sens de la Convention, le demandeur serait exposé à des traitements ou peines cruels ou inusités parce qu'il était un conscrit réfractaire. Dans la présente affaire, la Commission ne disposait pas d'autres éléments de preuve démontrant que M. Soleimanian avait la qualité de personne à protéger. Sa demande d'asile reposait entièrement sur son affirmation selon laquelle il serait persécuté du fait de son apostasie. Il n'y avait pas un autre fondement permettant de conclure que le demandeur avait la qualité de personne à protéger suivant l'article 97.

[24]            Dans l'affaire Soleimanian, précitée, la Commission avait conclu à la non-crédibilité du demandeur d'asile, et cela parce qu'elle n'avait constaté aucune preuve pouvant la conduire à décider que le demandeur d'asile était une personne à protéger. En revanche, dans la présente affaire, la conclusion de non-crédibilité à laquelle est arrivée la Commission se rapportait à l'origine hongroise du demandeur et à son affirmation selon laquelle, parce qu'il avait dénoncé des fonctionnaires corrompus et d'autres personnes, il avait été injustement poursuivi. La Commission n'a pas jugé que le témoignage du demandeur à propos des mauvais traitements subis dans les prisons roumaines n'était pas crédible.

[25]            Dans la décision Kilic, précitée, la Cour a jugé que la Commission n'avait pas cherché à savoir si le demandeur pouvait être une « personne à protéger » en cas de renvoi en Turquie, eu égard au risque qu'il courait de devoir purger une longue peine d'emprisonnement pour s'être soustrait au service militaire turc. Malgré la conclusion de non-crédibilité à laquelle était arrivée la Commission, une analyse distincte aurait pu la conduire à décider qu'il était une personne à protéger.

[26]            De même, ici, la Commission a constaté que le demandeur d'asile avait été reconnu coupable d'infractions pour lesquelles il serait emprisonné durant 12 ans. Il existait une preuve documentaire explicite qui attestait que les détenus des prisons roumaines subissaient de mauvais traitements. La Commission était donc tenue de considérer la preuve documentaire dans le contexte des dispositions de l'article 97 et de fournir une analyse raisonnée au soutien de sa décision. Je suis d'avis que cette erreur est substantielle dans la présente affaire.

[27]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Commission pour nouvelle décision.

[28]            L'avocat du demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :

Lorsque la Commission examine une exclusion suivant l'alinéa 1F)b) de l'article premier de la Convention, lui incombe-t-il de faire une analyse plus détaillée du système judiciaire de l'État concerné lorsque cet État n'est pas une démocratie établie et que l'entrave à la justice et la corruption de magistrats y sont avérés?

[29]            Je ne crois pas que la question proposée soit une question grave de portée générale. Aucune question ne sera donc certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  1. L'affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Commission pour nouvelle décision.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-590-05

INTITULÉ :                                        BELA ATTILA BIRO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 4 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 20 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Robert Moores

POUR LE DEMANDEUR

Catherine Vasilaros

                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Moores

Burlington (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                          POUR LE DÉFENDEUR

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