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Date : 20200417


Dossier : IMM-3876-19

Référence : 2020 CF 531

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2020

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

SURINDER SINGH, BANSAL

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Cette affaire porte sur une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre de la décision rendue le 20 mai 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. La SAR a refusé la demande d’asile du demandeur, affirmant ainsi la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 15 août 2017 que le demandeur n'avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger en vertu de l’article 97. Selon la SAR et la SPR, il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI] soit à Delhi, à Mumbai ou à Calcutta, en Inde. Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II.  Faits pertinents

[2]  M. Bansal est un citoyen de l’Inde de la région du Punjab. Il craint la police de son village et le frère de son ex-fiancée qui vise à le tuer par voie de meurtre d’honneur. Il prétend qu’il a commencé à fréquenter son ex-fiancée le 2 février 2013. Ils voulaient se marier, mais vu qu’ils n’étaient pas de la même caste, leurs parents ont refusé de donner permission à leur union. Par contre, après avoir rencontré M. Bansal en l’automne 2013, les parents de son ex-fiancée l’ont finalement accepté comme partenaire pour leur fille. Une cérémonie de fiançailles eu lieu en février 2014. En mars 2015, le frère de l’ex-fiancée est revenu du Dubaï, d’où il travaillait. Il n’a pas approuvé le mariage. M. Bansal affirme qu'il était le sujet de menaces du frère de l’ex-fiancée et que ce dernier et ses amis l’ont attaqué de telle sorte qu’il a dû aller à l’hôpital. Aussi, il prétend que le frère l’accusait d’avoir enlevé l’ex-fiancée et d’être militant.

[3]  Après que M. Bansal ait quitté l’hôpital, il a déposé une plainte auprès de la police locale. La police a encouragé les deux (2) familles à régler leurs différends à l’amiable. Les familles ont atteint un règlement de leurs différences le 23 mars 2015. Bien que M. Bansal n’ait jamais entendu de son ex-fiancée après cette date, le frère de celle-ci a continué à le menacer. La police refusait de l’aider. M. Bansal soutient que la police est venue chez lui le 30 avril 2015. Ils l’ont arrêté, l’accusant à tort de s’associer à des militants, et l’ont torturé. Une fois libéré, M. Bansal est venu au Canada par voie de visa de visiteur pour visiter sa sœur. Après que ses demandes de prorogation de son visa au Canada et une demande d’un visa pour aller aux États-Unis furent refusées, il a demandé l’asile au Canada le 25 mai 2015.

[4]  M. Bansal soutient que ses parents l’ont informé depuis son départ de l’Inde que la police de son village continue de le chercher. Son père aurait même été arrêté, interrogé et battu. La police harcèle toujours ses parents et demande des pots-de-vin chaque trois (3) à quatre (4) mois, toujours accusant, à tort, M. Bansal de s’associer aux militants. Le frère de l’ex-fiancée harcèle et menace également ses parents, jusqu’à même laisser entendre que M. Bansal aurait enlevé sa sœur (l’ex-fiancée).

III.  Décision en contrôle judiciaire

[5]  La SPR a conclu que M. Bansal était crédible et que son récit des évènements était véridique. Néanmoins, elle a conclu que ses problèmes se trouvaient seulement dans son village à Punjab, et donc qu’il existait une PRI à Delhi, à Mumbai ou à Calcutta en Inde.

[6]  La SAR a rejeté l’appel. D’abord, la SAR a noté que le critère pour déterminer s’il existe une PRI est à deux (2) volets. Premièrement, il ne doit y avoir aucune possibilité sérieuse que l’individu soit persécuté dans la partie du pays identifiée comme un PRI ou qu’il ne soit pas, selon la prépondérance des probabilités, personnellement soumis à un danger de torture ou à un risque pour sa vie ou à un risque de traitements ou de sanctions cruels et inusités dans cette partie du pays. Deuxièmement, les conditions doivent être telles qu'elles ne soient pas objectivement déraisonnables dans toutes les circonstances, y compris celles particulières à l’individu, pour que l’individu y trouve refuge : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF); Rasaratnam c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF). Puisque je conclus que la décision de la SAR a été déraisonnable en ce qui concerne le premier volet du critère, il n’est pas nécessaire que j’entreprenne une analyse du deuxième volet.

[7]  Par rapport au premier volet et à la crainte de M. Bansal de la police, la SAR a conclu que la preuve documentaire était divisée et pouvait être interprétée de deux (2) façons. D’une part, certaines sources affirmaient que la police ne communiquerait, et n'effectuerait des perquisitions interétatiques qu'en cas de crimes graves. D’autre part, d'autres sources affirmaient que les motivations de telles fouilles peuvent être simplement pour des raisons financières ou d’une vendetta personnelle. Par conséquent, selon la SAR, la seule façon d'analyser correctement une PRI était de considérer toutes les informations provenant de différentes sources dans les rapports de recherche du cartable national de documentation, puis de les appliquer à la situation personnelle de l’individu quant à la preuve. En l’espèce, la SAR a conclu qu’il semble que les forces de police en Inde soient encore déconnectées et qu’il est très peu probable qu'elles communiqueraient entre elles afin de chercher des personnes qui ne sont pas recherchées pour des accusations sérieuses. De plus, la SAR a conclu que M. Bansal n’a pas établi que la police de son village natal s'intéresse suffisamment à lui pour le rechercher à l'extérieur du village ni que la police de Delhi, Mumbai ou Calcutta soit en contact avec la police de son village. Similairement, par rapport à la crainte de M. Bansal du frère de son ex-fiancée, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi que ce dernier fasse tout de son possible pour rechercher M. Bansal dans d'autres régions de l'Inde. La SAR a noté que les fiançailles avaient été publiquement approuvées par les parents de l’ex-fiancée de M. Bansal qui l’avaient assuré que le frère était simplement en colère et qu'il finirait par s'en remettre.

IV.  Dispositions pertinentes

[8]  Les dispositions pertinentes du LIPR sont l’article 96 et le paragraphe 97(1), lesquelles sont énoncées à l’annexe ci-dessous.

V.  Question en litige

[9]  Cette affaire soulève la question en litige suivante : est-ce que la SAR a raisonnablement conclu qu’il existe une PRI à Delhi, à Mumbai ou à Calcutta, en Inde ? Cette question est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 ; Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 503 au para 13; Verma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 404 au para 14). Lorsqu’une cour révise une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle « doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » : Vavilov, au para 15.

VI.  Analyse

[10]  Je considère que la SAR a commis trois (3) erreurs qui minent la raisonnabilité de sa décision. D’abord, la SAR a conclu que les communications interétatiques entre les forces policières sont réservées aux accusations sérieuses. Même si la SAR a peut-être raison en concluant ceci, elle a tort d’avoir conclu que les accusations contre M. Bansal ne sont pas sérieuses. Le frère de l’ex-fiancée, et/ou quelqu’un d’autre, accusait M. Bansal d’être militant et d’avoir enlevé quelqu’un (l’ex-fiancée). La SAR a conclu que M. Bansal a été crédible concernant ses accusations de torture aux mains des policiers et sa prétention que le frère de son ex-fiancée l’accusait de l’enlèvement et d’être militant. Il me semble que ces deux (2) accusations (l’enlèvement et être militant) sont parmi les plus sérieuses. Deuxièmement, la preuve démontre que le frère de l’ex-fiancée a des contacts auprès des forces policières et qu’il a utilisé ceux-ci pour persécuter M. Bansal et sa famille. À la lumière des conclusions de la SAR quant à la crédibilité de M. Bansal et ses déclarations concernant les menaces envers ses parents, sa propre torture et les allégations contre lui, il est déraisonnable de ne pas conclure que le frère utilise ses contacts avec la police pour mettre de la pression sur elle à trouver M. Bansal. Finalement, la conclusion de la SAR, que le frère allait éventuellement accepter la situation parce que les parents de l’ex-fiancée de M. Bansal avaient approuvé publiquement leur union, n’est que de la spéculation qui va à l’encontre des faits. Toutes les accusations de persécution de M. Bansal contre le frère et la police ont suivi l’approbation de l’union par les parents. Ces faits démontrent la déraisonnabilité de la conclusion spéculative que le frère accepterait la situation.

VII.  Conclusion

[11]  Même si le fardeau reste sur M. Bansal à démontrer que le choix de PRI n’est pas raisonnable en l’espèce, il incombe à la SAR de faire une analyse transparente, intelligible et justifiée. En l’espèce, je considère qu’il existe un désaccord entre la conclusion quant à la crédibilité de M. Bansal et le traitement de la preuve qui a mené la SAR à conclure qu’il existe une PRI. J’accueille la demande de contrôle judiciaire et ordonne que l’affaire soit remise de nouveau à la SAR pour être reconsidérée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question pour considération par la Cour d’appel fédérale et aucune question ne se présente dans les faits et la jurisprudence.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3876-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. L’affaire doit être reconsidérée par un autre membre de la SAR; et

  3. Aucune question n’est certifiée pour considération par la Cour d’appel fédérale.

 

 

« B. Richard Bell »

Juge


 

ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

  (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

  (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

  (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

  (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

  (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

  (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3876-19

 

INTITULÉ :

SURINDER SINGH, BANSAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

 

Pour la PARTIE dEMANDERESSE

 

Me Caroline Doyon

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Valois & Assoc.

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE DEMANDEREsse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

 

 

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