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                                                                                                                                 Date : 20050914

                                                                                                                    Dossier : IMM-3635-04

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1209

ENTRE :

                                                        MUHAMMAD TAUSEEF

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                Muhammad Tauseef (Tauseef) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle elle a rejeté l'appel interjeté du rejet, par l'agent des visas, de la demande de résidence permanente de l'épouse de Tauseef, que celui-ci avait parrainée.


[2]                En l'espèce, la principale question de droit en jeu est l'interprétation correcte de l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » que l'on trouve à l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement IPR). C'est une question sur laquelle les opinions sont partagées au sein de la Cour.

[3]                L'alinéa 117(9)d) du Règlement IPR se lit comme suit :


117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

. . .

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier et n'a pas fait l'objet d'un contrôle.

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

. . .

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.


LE CONTEXTE

[4]                Tauseef est citoyen du Pakistan et résident permanent au Canada. En mai 2000, il a déposé une demande de résidence permanente à Islamabad. Son entrevue relative à sa demande a eu lieu en septembre 2001. À l'époque, il était célibataire.

[5]                Le 20 octobre 2001, alors que sa demande était toujours en cours d'examen, il a épousé Alia Tauseef (dont le nom de jeune fille est Saleem Rao), qui est visée par la demande de parrainage rejetée.


[6]                Le 26 mars 2002, quand Tauseef est arrivé au Canada, il lui a été demandé au point d'entrée s'il avait des personnes à charge qui ne l'accompagnaient pas. Il a répondu par la négative.

[7]                Après s'être établi au Canada, Tauseef a parrainé son épouse dans le cadre de la demande de résidence permanente de celle-ci fondée sur le fait qu'elle était un membre de la famille.

[8]                Dans la lettre du 26 mars 2003, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a informé Tauseef que : a) ses dossiers indiquaient qu'il n'avait pas déclaré son épouse dépendante, Alia Tauseef, au moment de l'établissement; b) la réticence sur des faits importants constituait une violation de la Loi sur l'immigration pouvant faire l'objet d'un rapport au

sous-ministre et ultérieurement donner lieu à son renvoi du Canada.

[9]                Cette lettre a finalement informé le demandeur que _TRADUCTION_ « après un examen approfondi des faits _..._ il a été décidé de ne pas transmettre au sous-ministre de rapport concernant votre affaire » .

[10]            Le 18 septembre 2003, environ six mois après cette lettre, l'agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente de Mme Tauseef. Tauseef a porté cette décision en appel devant la SAI.


[11]            La SAI a rejeté l'appel. Elle a statué que la demande de résidence permanente était un processus continu et que, dès que Tauseef s'est marié, il était tenu d'informer immédiatement l'agent des visas de ce changement dans sa situation. La SAI a aussi statué que Tauseef était obligé d'informer l'agent des visas au point d'entrée, immédiatement à son arrivée, qu'il était alors marié.

[12]            La SAI a conclu que les agissements de Tauseef lui interdisaient de parrainer son épouse à l'avenir parce que :

l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés vise à empêcher un appelant de parrainer tout membre de sa famille qui a été exclu des contrôles et dont l'existence n'a pas été déclarée au moment du dépôt de la demande de résidence permanente et jusqu ce qu'il se présente au point d'entrée.

LES MOTIFS

[13]            La question de savoir si l'alinéa 117(9)d) s'applique au cas de Tauseef est une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter (Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 658). Cependant, en ce qui a trait à l'interprétation des lois, la norme est la décision correcte (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).


[14]            Le sort de la présente demande dépend de l'interprétation de l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » . Il est possible de lui donner deux interprétations raisonnables. Le demandeur prétend qu'il s'agit du moment où la demande a été présentée. Le défendeur dit que cette expression englobe toute la période d'examen de la demande, qui commence au moment de son dépôt et se termine à l'établissement de l'intéressé.

[15]            Dans la décision Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 686 (C.F.) (QL), la Cour a conclu que cette expression englobait toute la période d'examen de la demande. Ce principe a été suivi dans la décision Benjelloun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 844 et, dans une certaine mesure, dans la décision Tallon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1039.

[16]            Cependant, dans la décision dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 992, la Cour a statué que l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » visait le moment où la demande a été présentée. Je souscris à l'interprétation adoptée dans cette décision, pour les motifs qui y sont exposés et pour ceux que j'expose ci-dessous.

[17]            Avec toute la déférence que je dois à ceux qui ont une autre opinion, je suis d'avis que cette expression vise le moment où la demande a été présentée _ et non pas la période d'examen de celle-ci.

[18]            Comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998]

1 R.C.S. 27, et cela est conforme à la Loi d'interprétation, la Cour doit interpréter la loi de manière conforme à son objet et à ses fins.


[19]            Chacune des interprétations soutenues se rapporte à une finalité de la LIPR. L'interprétation qui restreint la portée de l'expression au seul moment du dépôt de la demande est plus conforme à l'objectif de réunification des familles (alinéa 3(1)d)). Les tenants de l'interprétation selon laquelle il s'agit de toute la période d'examen de la demande, allant du dépôt de celle-ci et se terminant à l'établissement de l'intéressé, invoquent la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens (alinéa 3(1)h)).

[20]            La disposition en cause se trouve dans la partie du Règlement conçue pour réglementer et donc promouvoir l'objectif de réunification des familles. Cependant, elle figure dans une portion qui vise à exclure certaines personnes de la catégorie du regroupement familial.

[21]            Je suis d'avis que ni l'objet de la Loi ni le contexte de la disposition au sein du Règlement ne peuvent contribuer à l'élucidation de cette question pointue.

[22]            Cependant, lorsque l'on examine la structure grammaticale du texte, il est manifeste que l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » se rapporte à l'expression « le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet » qui précède. Je suis d'avis qu'il y a une différence entre faire une demande et examiner une demande. L'expression « cette demande a été faite » vise le répondant qui a présenté sa demande et non les fonctionnaires qui l'ont examinée.


[23]            La différence entre « la demande » et « l'examen de la demande » est confirmée par le paragraphe 117(8) du Règlement, qui expose les cas où l'agent peut suspendre « l'examen de la demande » lorsque les preuves établissent que l'étranger ne remplit pas certains critères de la déclaration de la province.


117 8) Si, après avoir reçu la déclaration visée au paragraphe (7), l'agent reçoit une preuve supplémentaire établissant que l'étranger ne remplit pas les conditions visées aux alinéas (7) a), b) ou c), selon le cas, de sorte qu'il n'appartient pas à la catégorie du regroupement familial, l'examen de la demande de ce dernier est suspendu jusqu'à ce que l'agent fournisse cette preuve à la province et que celle-ci confirme ou modifie sa déclaration.

117(8) If, after the statement referred to in subsection (7) is provided to the officer, the officer receives evidence that the foreign national does not meet the applicable requirements set out in paragraph (7)(a), (b) or (c) for becoming a member of the family class, the processing of their application shall be suspended until the officer provides that evidence to the province and the province confirms or revises its statement.


[24]            Si le terme « demande » englobait l'intégralité de la période allant du dépôt de celle-ci à la conclusion du processus d'examen, rien n'aurait justifié le recours à l'expression « l'examen de la demande _..._ est suspendu » au paragraphe 117(8) - le législateur aurait dit « la demande est suspendue » .

[25]            En outre, je rejette l'idée que l'alinéa 117(9)d) visait le problème des répondants faisant de fausses déclarations au moment de leur établissement. Comme le défendeur l'a signalé dans sa lettre à Tauseef, cette prétendue fausse déclaration aurait pu faire l'objet d'un rapport au

sous-ministre et elle aurait pu donner lieu à son renvoi. Si cela s'était produit, la demande de parrainage n'aurait forcément pas pu aboutir. Le législateur ne pouvait pas avoir pour intention de permettre au défendeur de parvenir au même résultat indirectement. Le pouvoir de sanctionner les auteurs de déclarations trompeuses figure ailleurs dans la loi.


[26]            La SAI a aussi statué que Tauseef était soumis à l'obligation continue de signaler tous les changements de sa situation survenus après le dépôt de sa demande d'établissement. À part les problèmes pratiques que poserait le respect de cette obligation dans les régions reculées du monde, une telle interprétation rendrait l'article 51 du Règlement IPR redondant :


51. L'étranger titulaire d'un visa de résident permanent qui, à un point d'entrée, cherche à devenir un résident permanent doit :

51. A foreign national who holds a permanent resident visa and is seeking to become a permanent resident at a port of entry must

a)     le cas échéant, faire part à l'agent de ce qui suit :

(a)    inform the officer if

(i)     il est devenu un époux ou conjoint de fait ou il a cessé d'être un époux, un conjoint de fait ou un partenaire conjugal après la délivrance du visa,

(I)     the foreign national has become a spouse or common-law partner or has ceased to be a spouse, common-law partner or conjugal partner after the visa was issued, or

(ii)    tout fait important influant sur la délivrance du visa qui a changé depuis la délivrance ou n'a pas été révélé au moment de celle-ci....

(ii)    material facts relevant to the issuance of the visa have changed since the visa was issued or were not divulged when it was issued ....


[27]            En ce qui concerne la conclusion de la SAI selon laquelle Tauseef n'a pas respecté son obligation de révéler son mariage au point d'entrée, il importe de garder à l'esprit qu'il a été demandé à Tauseef s'il avait des « personnes à charge qui ne l'accompagnaient pas » . Il n'y a pas de définition de l'expression « personne à charge » dans la Loi ou dans le Règlement; les textes légaux ne parlent que d' « enfants à charge » . Poser cette question en tenant pour acquis qu'un époux est une personne à charge ne correspond pas à la terminologie contemporaine, prête à confusion et peut induire n'importe qui à donner une réponse erronée.


[28]            Je suis donc d'avis que l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » vise tout simplement le moment où le demandeur a déposé sa demande. Cette interprétation s'accorde avec les finalités de la législation et avec le contexte de la disposition en question et de cette expression. Cette interprétation n'a pas pour effet d'encourager ou de faciliter les fausses déclarations - ce problème est visé par l'article 40 de la LIPR.

[29]            Si le législateur avait eu l'intention, lourde de conséquences, que lui prête le défendeur, à savoir d'écarter l'application normale des dispositions relatives au processus de parrainage, il se serait exprimé sans équivoque en ce sens.

[30]            Pour ces motifs, la présente demande sera accueillie, la décision annulée, et l'affaire sera renvoyée à la SAI pour nouvel examen.

[31]            Vu que les opinions exprimées au sein de la Cour sont partagées, il semble qu'il faille certifier une question. Les parties auront sept (7) jours à compter du prononcé de la présente ordonnance pour faire des observations sur les points suivants : a) Y a-t-il des questions qui doivent être certifiées? b) Dans l'affirmative, quelles sont-elles?

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _                    

                                                                                                                                                     Juge                                  


Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         IMM-3635-04

INTITULÉ :                                        MUHAMMAD TAUSEEF

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 20 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan                                           POUR LE DEMANDEUR

Deborah Drukarsh                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lani Gozlan

Toronto (Ontario)                                                 POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                    POUR LE DÉFENDEUR

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