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Date : 20060726

Dossier : IMM‑6316‑05

Référence : 2006 CF 921

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

JOSE LUIS EFREN ZUMAYA SANCHEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Le demandeur, un citoyen du Mexique dans la fin vingtaine, a demandé l’asile parce qu’il craint d’être « pris pour cible » par des narcotrafiquants. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile parce que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

II.        Faits

[2]               Le demandeur travaillait comme technicien en informatique auprès d’une entreprise de Mexico. Dans le cadre de ses fonctions, le demandeur recevait et livrait des colis contenant des ordinateurs. Des policiers se sont présentés à l’entreprise pour se renseigner sur certains colis que le demandeur avait livrés, parce qu’ils contenaient censément des drogues. L’entreprise a fermé ses portes le lendemain.

 

[3]               Quelques jours plus tard, le demandeur s’est présenté au poste de police pour un nouvel interrogatoire, puis il est rentré chez lui. Le demandeur soutient que deux hommes l’ont forcé à monter à bord d’une voiture le lendemain, qu’ils l’ont questionné quant à l’interrogatoire auquel la police l’avait soumis, puis qu’ils l’ont battu et qu’ils l’ont menacé, lui et les membres de sa famille.

 

[4]               Par la suite, le demandeur s’est enfui chez sa sœur à Querétaro, puis il est rentré à Mexico où sa demande de visa des États‑Unis a été rejetée. Il est ensuite retourné à Querétaro. Lorsque sa sœur a reçu un appel de la police, le demandeur s’est rendu chez sa tante à Toluca pour y chercher du travail. Le demandeur a décidé de quitter le Mexique pour venir au Canada lorsqu’il a revu la voiture dans laquelle on l’avait obligé à monter auparavant à Mexico.

 

[5]               Comme je l’ai dit ci‑dessus, la Commission a rejeté la demande d’asile parce que le demandeur n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Le demandeur avait produit une preuve documentaire qui donnait à penser que des policiers et certains fonctionnaires judiciaires étaient corrompus et figuraient sur la liste de paie de narcotrafiquants. Cette preuve avait été présentée pour expliquer l’absence flagrante d’efforts de la part du demandeur pour obtenir de l’aide d’organismes étatiques du Mexique.

 

[6]               Le demandeur soulève trois questions :

·                    le rejet, par la Commission, de l’objection formulée quant à l’ordre inverse de l’interrogatoire;

·                    les conséquences de l’omission par le gouverneur en conseil de mettre en vigueur les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sur la création de la Section d’appel des réfugiés;

·                    la conclusion de la Commission portant que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

III.       Analyse

A.        La requête d’ajournement

[7]               Le demandeur a présenté une requête d’ajournement de la présente audience parce que la Cour d’appel fédérale a mis en délibéré les affaires Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 8 (QL), 2006 CF 16; Trujillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 595 (QL), 2006 CF 414; Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 631 (QL), 2006 CF 461. Ces affaires portent toutes sur les Directives no 7 et sur l’ordre inverse de l’interrogatoire. En l’absence d’une suspension d’instance générale prononcée par la Cour d’appel pour les affaires portant sur cette question et parce que la présente affaire vise aussi d’autres questions, la requête d’ajournement a été rejetée. L’ajournement aurait, en fait, constitué une suspension d’instance.

 

B.        La protection de l’État

[8]               Malgré les arguments présentés avec vigueur par l’avocat du demandeur et ses efforts pour faire reposer sur une autre question de droit la présente affaire, il n’en reste pas moins que la décision de la Commission reposait sur la question de la protection de l’État.

 

[9]               Le demandeur affirme que la Commission n’a tenu aucun compte des cinq éléments de preuve documentaire qu’il a produits pour faire état de la corruption de policiers et de fonctionnaires judiciaires au Mexique. Il est de droit constant qu’un tribunal de la Commission n’a pas à mentionner chaque élément de preuve qui lui est fourni; elle doit toutefois examiner les questions ou les éléments de preuve importants.

 

[10]           Bien qu’il puisse y avoir certaines divergences au sein de la Cour quant à savoir si la norme de contrôle judiciaire applicable aux conclusions en matière de protection de l’État est la « décision raisonnable » ou la « décision manifestement déraisonnable », la différence entre ces normes n’est pas particulièrement pertinente en l’espèce.

 

[11]           Dans la mesure où la Cour doit fixer une norme de contrôle judiciaire, la question fondamentale à résoudre en l’espèce est de savoir si le demandeur avait produit une preuve « claire et convaincante » quant à l’existence (ou l’absence) de la protection de l’État. Comme il s’agissait du critère retenu dans Canada (Procureur général) c. Ward (C.A.F.), [1990] A.C.F. no 209 (QL), [1990] 2 C.F. 667, et appliqué aux faits en cause, il s’agit d’une question mixte de droit et de fait à laquelle la « décision raisonnable » s’applique comme norme.

 

[12]           Pour ce qui est de la décision de la Commission, le commissaire a fait référence à la preuve documentaire relative à la corruption des institutions d’ordre public du Mexique. La Commission a donc effectivement considéré la question et elle peut être présumée avoir examiné la preuve pertinente, dont celle du demandeur.

 

[13]           La Commission a essentiellement conclu qu’aucun fondement raisonnable ne lui permettait de conclure que l’ensemble du système policier et judiciaire du Mexique était si corrompu que le demandeur avait eu raison de ne pas tenter de se réclamer même une seule fois de la protection de l’État. Cette conclusion n’a rien de déraisonnable. Pour ce seul motif, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, particulièrement parce qu’il diffère assez des autres questions soulevées qu’il peut à lui seul étayer la décision.

 

C.        Les directives no 7

[14]           Les questions relatives aux Directives no 7 et à l’ordre inverse de l’interrogatoire sont strictement des questions de droit et d’équité procédurale. Par conséquent, la décision correcte est la norme qui s’applique à elles (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29).

 

[15]           Le demandeur ayant soulevé une objection liée aux Directives no 7 à l’audience devant la Commission, la Cour est régulièrement saisie de la question dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. En attendant la décision que la Cour d’appel rendra pour trancher certaines questions institutionnelles relatives aux Directives no 7 dans l’affaire Benitez, les questions en l’espèce sont de savoir si l’application des Directives no 7 a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission et de savoir si les Directives no 7 constituent un manquement aux principes d’équité procédurale.

 

[16]           À la lumière des faits de l’espèce et compte tenu de la façon dont la Commission a donné suite à l’objection, notamment en se penchant sur la question de savoir si elle devait appliquer les Directives ou non, aucun élément de preuve ne démontre qu’il y a eu entrave à l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire.

 

[17]           Pour ce qui est de la question de savoir si les Directives no 7 constituent un manquement aux principes d’équité procédurale, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve laissant croire qu’il y a eu atteinte à son droit de faire valoir sa cause. Un manquement à l’équité procédurale constituerait plutôt une question d’ordre institutionnel, ce dont la Cour d’appel est déjà saisie.

 

D.        L’omission du gouverneur en conseil

[18]           Si je comprends bien les prétentions du demandeur, ce n’est pas que le gouverneur en conseil n’a pas le pouvoir de suspendre l’entrée en vigueur des dispositions créant la Section d’appel des réfugiés, mais plutôt qu’il faut, à la lumière des motifs justifiant la création de cette section, réexaminer la question de la retenue judiciaire à l’endroit de la Section de la protection des réfugiés.

 

[19]           Le demandeur soutient que, sous l’ancienne Loi, deux commissaires auraient pris une décision semblable à celle contestée en l’espèce et que le demandeur aurait eu le bénéfice du doute en cas d’égalité des voix. Le législateur aurait créé la Section d’appel des réfugiés pour fournir une mesure de protection supplémentaire puisque de telles décisions n’allaient désormais être prises que par un seul commissaire aux termes de la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[20]           Cela étant, le demandeur soutient‑il, il faudrait reconsidérer la retenue judiciaire dont il convient de faire preuve à l’endroit de la Commission, particulièrement en ce qui concerne le « caractère manifestement déraisonnable », soit la norme formulée dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. En outre, puisque des droits garantis par l’article 7 de la Charte pourraient être en cause, la Cour devrait appliquer une norme de contrôle plus sévère lorsqu’une décision est prise par un seul commissaire.

 

[21]           Bien que l’argumentation du demandeur soit très bien présentée, elle aurait peut‑être été plus efficace si la question en l’espèce reposait en partie sur la norme de contrôle, ce qui n’est pas le cas.

 

[22]           Peu importe la façon dont l’analyse pragmatique et fonctionnelle est menée à l’égard d’une décision qu’un commissaire a prise seul quant à une question de fait et, au mieux, quant à une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle appliquée à un tribunal spécialisé tel que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié serait au mieux la « décision raisonnable ». Comme je l’ai dit précédemment relativement à la question de la protection de l’État, la décision de la Commission était ici raisonnable.

 

[23]           En conséquence, la demande du demandeur ne peut être accueillie pour ce motif à la lumière des faits de l’espèce.

 

IV.       Conclusion

[24]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

V.        La certification

[25]           À la fin de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, les parties ont soumis des observations quant à la question de savoir si la Cour devrait certifier des questions. Le demandeur aimerait que des questions soient certifiées sur les trois points qu’il a soulevés.

 

[26]           Si l’on applique le critère énoncé dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4, [1994] A.C.F. no 1637 (QL), la seule question pouvant répondre à ce critère a trait aux Directives no 7. Bien que la question relative aux Directives no 7 n’ait pas été déterminante pour le contrôle judiciaire, si ces directives sont contraires à la loi, il faudra néanmoins établir les incidences d’une telle conclusion sur une décision qui repose sur d’autres questions. La question 4 des questions certifiées énoncées dans Benitez traite en partie de ce point.

 

[27]           J’estime qu’il serait injuste que le demandeur perde les avantages pouvant résulter de l’arrêt que la Cour d’appel fédérale prononcera quant aux Directives no 7, parce que notre Cour n’aurait pas préservé de droits d’appel. Advenant que les Directives no 7 soient à un certain égard contraires à la loi, il s’agit là d’une conclusion revêtant une portée générale pour les décisions qui reposent sur d’autres questions.

 

[28]           Par conséquent, je certifierai les sept questions qui ont été certifiées dans Benitez ainsi que la question supplémentaire suivante :

Si les Directives no 7 sont contraires à la loi, soit quant à leur création, soit quant à leur application, l’instance qui se déroule conformément à celles‑ci et la décision rendue sont‑elles valides lorsque l’affaire est tranchée en fonction d’une question qui n’a pas trait aux Directives no 7 ou à leur application dans l’instance?

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

 

a)         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

b)                 Les questions suivantes sont certifiées :

[traduction]

1.                 Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

2.                 L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

3.                 L’application des Directives no 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

4.                 Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie-t-elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

5.                 Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne-t-il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

6.                 Les Directives no 7 sont-elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

7.                 Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

8.                 Si les Directives no 7 sont contraires à la loi, soit quant à leur création, soit quant à leur application, l’instance qui se déroule conformément à celles‑ci et la décision rendue sont‑elles valides lorsque l’affaire est tranchée en fonction d’une question qui n’a pas trait aux Directives no 7 ou à leur application dans l’instance?

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6316‑05

 

 

INTITULÉ :                                       JOSE LUIS EFREN ZUMAYA SANCHEZ

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 juillet 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 26 juillet 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MATTHEW J. JEFFERY

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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