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Date : 19980205


Dossier : T-1183-97

     Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29;

     Et un appel contre la décision d'une

     juge de la citoyenneté;

     Et

     MOA-SONG CHANG,

     appelant.

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge MULDOON

[1]      Il y a en l'espèce recours contre la décision d'une juge de la citoyenneté qui, le 23 avril 1997, a rejeté la demande de citoyenneté du requérant par ce motif qu'il n'avait pas accumulé au moins trois années de résidence au Canada au cours des quatre années qui précédaient la date de sa demande. Il ressort du compte fait pour son dossier que sur ces quatre années, ou 1 460 jours, il avait été absent 1 201 jours au lieu des 365 jours tolérés par le législateur, ce qui représente un déficit de 836 jours ou 2 ans et 3 mois! Il avait été donc absent deux ans et trois mois sur quatre années, soit plus de la moitié de la période requise de résidence.

[2]      On se demande si la juge de la citoyenneté aurait pu citer d'autres motifs de rejet en sus de l'insuffisance de la période de résidence. L'appelant montrait qu'il ne savait guère ni l'une ni l'autre langue officielle lors de son témoignage de vive voix devant la Cour, malgré l'assistance d'un traducteur-interprète. Évidemment, vu le peu de temps qu'il réside au Canada, il n'est pas étonnant qu'il sache si peu l'anglais, qui est pourtant la langue officielle de son choix.

[3]      Certains disent que l'obligation de résider au Canada 1 095 jours sur l 460 représente une condition trop rigide, impitoyable et stricte, bien que par le paragraphe 5(1)c), le législateur tolère une absence légitime jusqu'à concurrence d'une année. Il y a aussi le paragraphe 5(4) de la Loi, sur lequel nous reviendrons infra.

[4]      L'appelant et son avocat conviennent que le compte susmentionné de jours de résidence et d'absence est juste.

[5]      L'avocat de l'appelant fait le parallèle entre l'affaire en instance et le cas des étudiants, sans savoir peut-être que M. Pourghasemi, dont le cas a été évoqué par la juge de la citoyenneté, était un étudiant. La juge de la citoyenneté a cité ce passage fort pertinent du jugement d'appel Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259 :

     Cette disposition prévoit que tout demandeur doit "dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, [avoir] résidé au Canada pendant au moins trois ans "". Le législateur a introduit un élément d'insistance dans le texte de loi en posant pour condition la résidence "au Canada pendant au moins trois ans". Les mots soulignés ne sont pas nécessaires; ils ne servent qu'à insister sur la durée prévue. L'appelant a accumulé moins d'un an avant la date de sa demande. En entreprenant une interprétation téléologique du texte de loi, on doit se demander pourquoi le législateur prescrit au moins trois ans de résidence au Canada durant les quatre années qui précèdent la date de la demande de citoyenneté.         
     Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de "se canadianiser".         
     La loi ne dit pas à la Cour de s'abandonner à la sentimentalité pour tourner ou pour défier la condition légale de résidence. Peut-être par méprise sur la jurisprudence de cette Cour en la matière, il semble que des demandeurs se sont fait conseiller que pour satisfaire à la condition prévue par la loi, il suffit d'avoir un ou des comptes bancaires canadiens, de s'abonner à des magazines canadiens, de s'inscrire à l'assurance-maladie canadienne, d'avoir une demeure et des meubles et autres biens au Canada et de nourrir de bonnes intentions, en un mot, tout sauf vivre vraiment au milieu des Canadiens au Canada pendant trois des années précédant la date de la demande, ainsi que le prescrit le législateur.         

On ne confère certainement pas la citoyenneté aux effets personnels inanimés, aux abonnements aux magazines ou aux meubles pendant que leur propriétaire séjourne à l'étranger.

[6]      L'application en justice de la condition de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, a été contrariée pendant au moins deux décennies. Pendant tout ce temps, le législateur n'a pas changé une seule fois ce texte de loi qui est demeuré le même, jusqu'à cette date, comme suit :

5.(1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) "

(b) "

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

5.(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) "

b) "

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;



Voilà une disposition qui se range parmi les textes les plus clairs et les plus nets que le législateur ait jamais adoptés.

[7]      Les mots " résidence " ou " résidant " ont incité certains juges à une certaine interprétation fantaisiste au fil des ans, mais eux aussi sont clairs et nets. Ils ne signifient pas absence, mais présence. Ces deux mots ont le même sens en anglais qu'en français. Il n'y a aucune différence de concept d'une langue à l'autre.

[8]      Le dictionnaire Gage Canadian Dictionary, édition remaniée et amplifiée de 1988, donne les définitions suivantes :

         reside v. -sided, -siding. 1 live (in or at) for a long time; dwell. 2 be (in); exist (in); Her charm resides in her happy smile.         
         residence n. 1 a place where a person lives; house; home. 2 the act of residing; living; dwelling. 3 a period of residing in a place. 4 the fact of living or doing business in a place for the performance of certain duties, to comply with certain regulations, or to qualify for certain rights and privileges: a writer in residence. They have not been in residence long enough to apply for citizenship. 5 a building in which students, nurses, etc. live.         
         in residence, a living in a place: The owner of the house is not in residence. b living in an institution while on duty or doing active work there: a doctor in residence.         
         resident n., adj. - n. 1 a person living in a place, not a visitor. 2 a physician during residency, especially one who has completed internship. 3 an official sent to live in a foreign land to represent his or her country. 4 formerly, a representative of the British Governor General of India at a native court. 5 a bird or animal that is not migratory. 6 a person living or doing business in a place in order to comply with certain regulations, or qualify for certain rights or privileges.         
         -adj. 1 staying; dwelling in a place. A resident owner lives on his or her property. 2 living in a place while on duty or doing active work. 3 not migratory: English sparrows are resident birds. 4 of qualities, present; intrinsic; inherent. 5 of a person, living or doing business in a place in order to comply with certain regulations, or to qualify for certain rights or privileges.         
              (p. 1247)         

[9]      Le dictionnaire The Oxford Dictionary of Current English, 1990, définit de son côté ces mots comme suit :

         reside v.i. have one's home or dwell permanently (in specified place); (of power or right etc.) be vested in; (of quality) be present or inherent in         
         residence n. residing (take up residence); place where one resides, abode of; house esp. of considerable pretension; in residence dwelling at specified place esp. for performance of duties or work         
         resident 1 n. permanent inhabitant (of place); guest of hotel staying overnight. 2a. having quarters on the spot (resident housekeeper); residing in residence; located in (feeling resident in the nerves).         
              (p. 635)         

[10]      Le Petit Robert - nouvelle édition " mise à jour pour 1998 donne les définitions suivantes :

     résidant, ante adj. (résident, 1283; n.m., "habitant", 1415; de résider). Qui réside (en un lieu). V. Habitant. Spécialt. (1846) Membre résidant d'une académie, d'une société savante (opposé à correspondant).         
     résidence n.f. (1271; lat. residentia). 1 Séjour effectif et obligatoire en un lieu; obligation de résider. Emploi, charge qui demande résidence. La résidence d'un magistrat, d'un évêque. - Par ext. Durée de ce séjour. Spécialt. Résidence forcée, surveillée (d'une personne astreinte par décision de justice à rester dans un lieu). 2 (1283). Le fait de demeurer habituellement en un lieu; ce lieu. V. Demeure, habitation, séjour. " Durant les cinq ans de ma résidence" " (Baudel.). Avoir, établir, fixer sa résidence quelque part. Changer sa résidence. " Les maisons semblaient être de résidence bourgeoise " (Romains). Résidence virilocale. Dr. Lieu où une personne habite effectivement durant un certain temps (ou a un centre d'affaires, d'activités), sans y avoir nécessairement son domicile. Certificat de résidence. Résidence principale. Cour. (sens 3e) Résidence secondaire: maison de campagne, de vacances ou de week-end. 3 (1840). Lieu construit, généralement luxueux, où l'on réside. V. Demeure, logement, maison. " Plus d'un, en apercevant ces coquettes résidences, si tranquilles, enviait d'en être le propriétaire " (Flaub). Une somptueuse résidence (V. Résidentiel ). " Il reçoit dans cette résidence princière le feuilletonniste d'un de nos grands journaux " (Balz.) (v. 1960) Groupe d'immeubles résidentiels assez luxueux. La Résidence X ... 4 Charge de résident; lieu (ville, bâtiments) où habite un résident, où se tiennent ses services. La Résidence de Rabat (à l'époque du protectorat).         

     (p. 1683)

     résider v. intr. (v. 1380); lat. residere). 1 Être établi d'une manière habituelle dans un lieu; y avoir sa résidence (surtout admin., dr. ou didact.) " Les ambassadeurs ... prennent les moeurs du pays où il résident " (Chateaub.). Les étrangers qui résidaient aux États-Unis. 2 Fig. Avoir son siège, exister habituellement, se trouver (dans tel lieu, en telle personne ou telle chose). " Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation " (Déclar. Dr. Hom). " L'ordre idéal des peuples réside dans leur bonheur " (Camus). V. Consister . La difficulté réside en ceci.         

     (p. 1684)

[11]      Il ressort des dictionnaires cités ci-dessus que ces mots, en anglais et en français, ont la même origine latine, et qu'ils dénotent le fait de demeurer ou d'habiter en un certain lieu (ou pays), d'y vivre et d'y être présent, et non d'en être absent.

[12]      Le législateur se montre-t-il rigide ou insensible en imposant des conditions de résidence à ceux qui demandent la citoyenneté? Il pourrait l'être s'il l'avait voulu, mais il ne semble pas cruel ou rigide dans l'adoption des dispositions susmentionnées de l'article 5 de la Loi.

[13]      De prévoir qu'un candidat à la citoyenneté peut s'absenter du Canada une année sur quatre, ou un mois sur quatre, au cours des années précédentes, n'est pas du tout excessivement rigide ou insensible à mon avis. Cette obligation ne fait pas d'un candidat à la citoyenneté un " prisonnier " au Canada. Ce qu'elle signifie, c'est que quiconque demande la citoyenneté doit y être prêt, et doit prendre sa demande suffisamment au sérieux pour s'astreindre à quelque petit sacrifice en échange de l'acquisition de la citoyenneté.

[14]      Pourquoi une condition de résidence est-elle nécessaire? Il est clair à mon sens que le législateur refuse d'accorder la citoyenneté canadienne aux étrangers, et qu'il exige que le candidat à la citoyenneté réside au Canada pendant trois ans au moins au cours des quatre années qui précèdent la date de sa demande pour qu'il ait le temps de " se canadianiser ". Il se peut que certains puissent atteindre ce stade en moins de temps que la période prescrite par le législateur, mais c'est à celui-ci seul qu'il appartient de prescrire le temps nécessaire, et non au demandeur ou au juge.

[15]      Si l'objectif de l'alinéa 5(1)c) est clair, il faut noter que le législateur n'emploie pas le mot " canadianiser " (si tant est qu'il existe), mais fixe les années , composées de jours de résidence.

[16]      Depuis 1982 et la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés (tout à son honneur), les juges ont été investis du pouvoir, le cas échéant, d'invalider un texte de loi, d'en restreindre ou étendre la portée et, si nécessaire, quelquefois de le modifier dans les faits. Parfois, ce sentiment d'omnipotence judiciaire s'infiltre dans le travail et le raisonnement de tous les jours de certains juges.

[17]      Notre Cour n'est pas un organe d'action sociale, ni un institut de psychologie appliquée qui ait pour attributions d'assurer le bien-être moral de tous les candidats à la citoyenneté. Si un candidat a des attentes démesurées et sans aucune mesure avec le texte de loi, il n'y a d'autre choix que d'étouffer ces espoirs (tant que le juge ne prétend pas modifier la loi). La Cour n'en éprouve aucun plaisir, mais la responsabilité en revient peut-être aux conseillers de l'appelant et, bien entendu, au législateur lui-même. Ainsi donc, la Cour ne peut pas tourner la loi, même pour faire plaisir au demandeur, même pour lui épargner le sentiment de frustration, si justifié soit-il. Ses fonctions judiciaires ne font pas non plus obligation au juge de jouer pour la galerie, de jouer au généreux bienfaiteur ou à la généreuse bienfaitrice.

[18]      Le Canada se définit comme un pays démocratique, mais la démocratie elle-même est en danger si les juges s'arrogent le rôle de législateur. Pareil état de choses ferait une mascarade de l'exercice par les juges de la citoyenneté de leurs fonctions.

[19]      D'offrir libéralement la citoyenneté à ceux qui ne se donnent pas la peine de se conformer aux dispositions solennellement adoptées par le législateur non seulement constitue un crime de lèse-majesté, mais encore avilit la citoyenneté canadienne. Les demandeurs sérieux et sincères doivent se conformer à la loi, comme tous les autres, qu'ils le veuillent ou non. Quel terrible message cette Cour diffuserait en invalidant la décision d'un juge de la citoyenneté pour accorder à quelqu'un la citoyenneté contre la volonté du législateur! La Cour aura bonne mine en dispensant ce genre de faux bienfaits. Elle n'aura pas encouragé le respect de la loi.

[20]      Ce qui précède n'est certes pas de simples spéculations ou digressions d'un juge. Le législateur a modifié la Loi sur la citoyenneté à diverses reprises depuis la promulgation des lois révisées. Pas une seule fois il n'a adopté une disposition quelle qu'elle soit au sujet des conditions de résidence, ni n'a adopté aucune exception ou prescrit l'octroi de la citoyenneté à un demandeur quelconque qui :

- serait probablement un bon citoyen mais qui ne remplit pas les conditions prévues à l'alinéa 5(1)c);

- a sa vie " centrée " au Canada en raison d'une circonstance quelconque, mais est absent du pays;

- a envoyé ou déposé ses biens meubles (c.-à-d. compte en banque, vêtements, automobile, etc.) à demeure au Canada alors que lui-même est absent du pays;

- s'est " canadianisé " en moins de temps que les trois années nécessaires au cours des quatre années précédant la date de la demande;

- a besoin de se trouver à l'étranger pour raisons d'affaires ou autres pendant plus d'un an au cours des quatre années précédant la date de la demande;

- a un conjoint et/ou des enfants ou autres parents qui sont déjà citoyens.

[21]      Cette tendance à ignorer la loi telle que le législateur l'a formulée semble remonter à la cause Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208. Bien que la décision fût rendue par un juge éminent de l'époque, elle n'est pas passée en force de chose jugée puisque que les jugements rendus par la Cour sur appel en matière de citoyenneté ne sont pas susceptibles d'appel. Ce facteur peut créer, et il crée toujours, une incertitude scandaleuse quant à la règle applicable. Après tout, en page 75 du même recueil des arrêts de la Cour fédérale, il y a le jugement Khoury, rendu par un juge tout aussi éminent de l'époque et qui est parvenu à une conclusion diamétralement opposée; cette dichotomie se poursuit jusqu'à nos jours.

[22]      Comme noté supra, le législateur a, dans l'intervalle, modifié à plusieurs reprises la Loi, jusqu'à L.C. 1997, ch. 22, dont certaines dispositions sont entrées en vigueur le 20 mai 1997, c'est-à-dire tout récemment. La dernière modification des conditions de résidence prévues à l'article 5, modification qui traduit la volonté du législateur, s'est faite par la loi S.C. 1987, ch. 53, sanctionnée en décembre 1987, comme suit :


1.. Section 5 of the Citizenship Act is amended by adding thereto, immediately after subsection (1) thereof, the following subsection:

(1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided with the applicant's spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the public service of Canada or of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraph (1)(c) and subsection 11(1).

1. La Loi sur la citoyenneté est modifiée par insertion, après le paragraphe 5(1), de ce qui suit:

(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l'application de l'alinéa (1)c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l'auteur d'une demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l'étranger, des forces armées canadiennes ou de l'administration publique fédérale ou de celle d'une province.


[23]      Les conditions de résidence sont suffisamment claires, mais le législateur (et non le pouvoir judiciaire) les a encore clarifiées davantage par l'adoption de la modification ci-dessus. Celle-ci prévoit en effet que le candidat à la citoyenneté peut " se canadianiser " en vivant auprès d'un conjoint canadien posté à l'étranger et accumuler ainsi la période de résidence jour par jour . Cette période, et toute la période, de résidence prévue par la Loi s'acquiert par trois années sur quatre, de journées de présence, et non d'absence. Pour le législateur, période de résidence s'entend de la résidence accumulée jour par jour, non pas d'absence, mais de présence; non pas de l'envoi de biens meubles, mais de la présence physique; non pas de la vie centrée, mais de la vie vécue jour après jour après jour au Canada, jusqu'à ce que l'accumulation des jours requis rende le candidat admissible au regard du paragraphe 5(1) ou (1.1). La seule exception est prévue au paragraphe (1.1) selon lequel un candidat peut " se canadianiser " tout en résidant à l'étranger, mais aux côtés de son conjoint canadien, chaque jour .

[24]      Nul doute que le candidat qui n'obtient pas la citoyenneté n'en sera pas très heureux, mais notre Cour n'a absolument rien à y voir. C'est l'affaire du législateur, qui calcule la période de résidence par le nombre de jours de présence.

[25]      La Cour n'est pas un organe législatif. Elle peut adapter aux circonstances les règles générales de common law et d'equity, mais les lois écrites sont inviolables, tant que le législateur ne les aura pas abrogées ou modifiées (ou tant qu'il n'aura pas contrevenu à la Charte). La dernière fois que l'exécutif a voulu légiférer sans passer par le Parlement, c'est notre Cour qui a invalidé cette tentative illégale; Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1994), 67 F.T.R. 98, paragraphes 67, 68 et 69. Notre Cour doit à tout le moins observer les normes qu'elles a fixées elle-même.

[26]      Dans R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, la Cour suprême du Canada a cité avec approbation en page 702 de la décision de la majorité, le principe formulé de façon éloquente en ces termes dans l'arrêt New Brunswick v. Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201, à la page 210, par le juge La Forest, qui siégeait à l'époque à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick :

     Il ne fait aucun doute que le devoir des tribunaux est de donner effet à l'intention du législateur, telle qu'elle est formulée dans le libellé de la Loi. Tout répréhensible que le résultat puisse paraître, il est de notre devoir, si les termes sont clairs, de leur donner effet. Cette règle découle de la doctrine constitutionnelle de la suprématie de la Législature lorsqu'elle agit dans le cadre de ses pouvoirs législatifs. Cependant, le fait que les termes, selon l'interprétation qu'on leur donne, conduiraient à un résultat déraisonnable constitue certainement une raison pour motiver les tribunaux à examiner minutieusement une loi pour bien s'assurer que ces termes ne sont pas susceptibles de recevoir une autre interprétation, car il ne faudrait pas trop facilement prendre pour acquis que le législateur recherche un résultat déraisonnable ou entend créer une injustice ou une absurdité.         
     Ce qui précède ne signifie pas que les tribunaux devraient tenter de reformuler les lois pour satisfaire leurs notions individuelles de ce qui est juste ou raisonnable.         

[27]      En conséquence, l'appel formé contre la décision de la juge de la citoyenneté qui a conclu à l'insuffisance de la période de résidence doit être rejeté, et la Cour le rejette.

[28]      D'aucuns disent que l'application exacte de l'alinéa 5(1)c) est trop rigide, comme si le législateur ne savait pas ce qu'il faisait. Il ressort cependant du paragraphe 5(4) qu'il savait parfaitement bien qu'une application littérale entre autres de cette disposition " même en acceptant l'absence pendant une année sur quatre ou un mois sur quatre " pourrait provoquer des " situations particulières et inhabituelles de détresse ". Il a investi les juges de la citoyenneté, mais non pas cette Cour, d'un pouvoir discrétionnaire unique, par le paragraphe 15(1) de la Loi comme suit :

     15.(1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.         

[29]      En l'espèce, la juge de la citoyenneté ne s'est pas conformée à la prescription du paragraphe 15(1). L'affaire lui sera donc renvoyée ou, si elle ne figure pas au rôle, à un autre juge de la citoyenneté pour finir le travail en rendant, selon son appréciation du cas de l'appelant, une décision en application du paragraphe 15(1). Elle aura toute latitude, mais non l'obligation, de consulter une transcription de l'audience d'appel si elle le juge nécessaire.

[30]      Pour récapituler,

     1)      l'appel relatif à la condition de résidence est rejeté;
     2)      l'affaire est renvoyée, conformément aux présents motifs, pour décision sous le régime du paragraphe 15(1) de la Loi.

     Signé : F.C. Muldoon

     ________________________________

     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 5 février 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :      T-1183-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté;

                 Et un appel contre la décision d'une juge de la citoyenneté;

                 Et MOA-SONG CHANG,

     appelant

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      30 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE MULDOON

LE :                  5 février 1998

ONT COMPARU :

Andrew Z. Wlodyka              pour l'appelant

Julie Fisher                  intervenante bénévole

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew Z. Wlodyka              pour l'appelant

Lawrence Wong & Associates

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