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Date : 20040811

Dossier : IMM-7971-03

Référence : 2004 CF 1114

Toronto (Ontario), le 11 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                            WILLY TSHIBANGU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 9 septembre 2003, dans laquelle la Commission a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » , tel que défini dans les articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


LES FAITS

[2]                Willy Tshibangu (le demandeur) est un ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC) qui prétend craindre avec raison d'être persécuté en raison des opinions politiques qui lui sont imputées. En outre, le demandeur prétend être une personne à protéger parce que sa vie est menacée et qu'il risque des traitements ou des peines cruels et inusités dans la RDC.

[3]                En janvier 1994, le demandeur a déménagé de la ville de Goma à Kinshasa pour poursuivre ses études. Pendant qu'il se trouvait à Kinshasa, le demandeur vivait avec la famille de M. Kalinda Mutwajogire, son parrain et un ami de sa famille qui vient du Rwanda. Après un an, le demandeur a cessé ses études et a commencé à travailler dans le magasin de vêtements de M. Kalinda.


[4]                En juillet 1998, le président Laurent-Désiré Kabila a ordonné l'expulsion de tous les Rwandais se trouvant en RDC. La famille Kalinda était en vacances en Afrique du Sud à l'époque et un membre de cette famille a appelé le demandeur le 10 octobre 1998 pour lui demander s'ils pouvaient revenir au Kinshasa. Le demandeur leur a déconseillé de revenir et les a informés que, depuis le 21 août, de nombreux Rwandais avaient été capturés et même tués. Le demandeur leur a également donné les noms de deux Rwandais qu'il connaissait et qui avaient été arrêtés. Lorsque deux soldats ont entendu le demandeur prononcer ces noms, ils ont arrêté le demandeur parce qu'ils le soupçonnaient d'être rwandais. Le demandeur a passé deux semaines dans un cachot souterrain où il a été torturé et reçu des chocs électriques. Par la suite, le demandeur a été transféré à la prison centrale de Makala. En février 2000, il a pu quitter cette prison en soudoyant ses geôliers.

[5]                Le 25 janvier 2003, le gardien qui avait libéré le demandeur l'a informé qu'une personne se trouvant en possession de lettres adressées au demandeur avait été arrêtée. Cet ami a informé le demandeur que des soldats ont été envoyés chez lui pour l'arrêter en raison des renseignements contenus dans ces lettres. Le demandeur a immédiatement été se cacher dans la maison de son ami Papy.

[6]                Le demandeur a quitté la RDC le 17 février 2003, et il est arrivé au Canada le 22 février 2003 en passant par la Zambie, l'Afrique du Sud et les États-Unis.

LA QUESTION EN LITIGE

[7]                La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » , tel que défini aux articles 96 et 97 de la Loi?


ANALYSE

[8]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni « une personne à protéger » parce qu'elle a conclu qu'il n'avait pas fourni de documents d'identité adéquats et que sa demande n'était pas crédible.

[9]                La Cour ne peut substituer son opinion à celle de la Commission au sujet des conclusions en matière de crédibilité à moins que le demandeur ne démontre que la décision de la Commission est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des documents présentés : voir le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. La décision de la Commission ne peut être modifiée que si elle est suffisamment déraisonnable pour amener la Cour à intervenir : voir Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1994), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Il est important de rappeler que la Commission est un tribunal spécialisé qui est en mesure d'apprécier la vraisemblance et la crédibilité d'un témoignage, dans la mesure où les déductions tirées ne sont pas déraisonnables et que ses motifs sont exprimés de façon claire et compréhensible : voir Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).


[10]            La Commission a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi parce que les deux documents d'identité présentés, à savoir le certificat de naissance et le certificat de perte de documents, contenaient des renseignements qui étaient incompatibles avec les déclarations du demandeur dans son FRP et dans son témoignage. La Commission a jugé que le demandeur n'était pas muni de documents acceptables et que celui-ci n'avait pu en justifier raisonnablement la raison. L'article 106 de la Loi énonce :


106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.



[11]            La Commission a noté que, d'après le certificat de naissance, daté du 18 mars 1992, le lieu de résidence du demandeur était Kinshasa : voir le dossier du tribunal, page 35. Cependant, le demandeur a témoigné qu'il n'était venu résider à Kinshasa qu'en janvier 1994 : voir la transcription de l'audience à la page 241 du dossier du tribunal. Confronté sur ce point, le demandeur a expliqué qu'il se trouvait à Kinshasa à l'époque pour subir une opération chirurgicale et que Mme Kalinda qui l'accompagnait au bureau municipal en qualité de tutrice avait déclaré aux autorités qu'il résidait à Kinshasa : voir la transcription de l'audience aux pages 223 à 225 du dossier du tribunal. En outre, la Commission a noté que le certificat de perte de pièces d'identité du demandeur, délivré en 2000, indique qu'il est étudiant : voir la page 37 du dossier du tribunal. Cependant, d'après les renseignements contenus dans son FRP et dans les notes de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), le demandeur exploitait un commerce à l'époque : voir les notes de CIC à la page 68 et le FRP à la page 20 du dossier du tribunal. Confronté à cette contradiction, le demandeur a expliqué qu'il avait déclaré être étudiant parce qu'il suivait des cours d'informatique à temps partiel et qu'il pensait qu'en qualité d'étudiant, il ne serait pas harcelé par les autorités : voir la transcription de l'audience aux pages 240, 252 à 254 du dossier du tribunal. La Commission a rejeté les explications fournies par le demandeur étant donné que, d'après la preuve documentaire, les étudiants étaient souvent la cible des autorités : voir la transcription de l'audience à la page 242 du dossier du tribunal. Compte tenu de ces contradictions, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi et n'avait pas réussi à établir son identité conformément à l'article 106 de la Loi.


[12]            La Commission a également estimé que les allégations du demandeur n'étaient pas crédibles parce qu'il a fourni plusieurs versions différentes des événements ayant entouré son arrestation. D'après son FRP, il avait été arrêté par deux soldats le 10 octobre 1998 : voir le FRP à la page 31 du dossier du tribunal. Cependant, d'après les déclarations contenues dans le document de CIC daté du 25 mars 2003, le demandeur a été arrêté en novembre 1998 par quatre soldats à Kinshasa : voir le document en bas de la page 63 du dossier du tribunal. En outre, dans les déclarations faites au CIC, le demandeur mentionne avoir été arrêté en octobre 1998 : voir les notes de CIC à la page 69 du dossier du tribunal. Confronté à ces éléments, le demandeur explique qu'il a en fait été arrêté en octobre 1998 par deux soldats et qu'il avait fait une erreur au cours de l'entrevue qu'il a eue avec un agent de CIC : voir la transcription de l'audience aux pages 193, 194 et 236 à 238 du dossier du tribunal. Pour ce qui est du nombre des soldats qui l'ont arrêté, le demandeur a expliqué qu'au cours de la semaine ayant précédé son arrestation, quatre soldats étaient venus à deux reprises l'interroger dans le magasin où il travaillait. Ayant constaté que les deux hommes qui l'avaient arrêté faisaient partie de ce groupe de quatre soldats, il a indiqué au CIC que quatre soldats l'avaient arrêté : voir la transcription de l'audience aux pages 232 à 234 et 237 du dossier du tribunal. La Commission a rejeté les explications fournies par le demandeur au sujet de ces contradictions et a conclu qu'il les avait fabriquées dans le but de convaincre la Commission.

[13]            Comme la Cour d'appel fédérale l'a déclaré dans Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244 (C.A.F.), le fait qu'un tribunal estime qu'un demandeur n'est pas crédible à l'égard d'un élément important de sa demande d'asile peut équivaloir à la conclusion selon laquelle la demande ne repose sur aucune preuve crédible. En outre, la Commission peut rejeter une preuve non contestée si elle n'est pas compatible avec les probabilités découlant de l'ensemble de l'affaire ou lorsque les preuves sont contradictoires : voir Monteiro c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n ° 1720 (C.F. 1re inst.), le juge Martineau au paragraphe 15; Akinlolu c. Canada (M.E.I.), [1997] A.C.F. n ° 296 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay au paragraphe 13. La Commission a le droit de formuler des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le sens commun et la logique : voir Monteiro, ibid., au paragraphe 15; Aguebor, précité. En l'espèce, je conclus que la Commission a tenu compte des déclarations contradictoires faites par le demandeur pour conclure qu'il n'était pas crédible.


[14]            L'examen de la décision de la Commission et du dossier du tribunal montre que les contradictions retenues par la Commission concernaient l'arrestation du demandeur et remettaient en question les renseignements contenus dans les papiers d'identité du demandeur. Les contradictions relevées par la Commission constituaient un élément central de la demande du demandeur parce qu'elles remettaient en question la version des événements fournie par le demandeur pour établir sa crainte d'être persécuté. S'il est vrai que le témoignage sous serment présenté par le demandeur est présumé être vrai à moins qu'il n'existe des raisons de douter de sa véracité, cette présomption peut être réfutée lorsque la demande du demandeur contient des contradictions : voir Maldonado c. Canada (M.C.I.), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.). Compte tenu des contradictions que contenait la demande du demandeur et l'absence de preuves susceptibles de corroborer ses allégations, il existait des motifs de douter de la sincérité du demandeur et la Commission avait le droit de conclure que le demandeur n'était pas crédible.

[15]            Dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1451, 2003 CF 1146, la juge Snider a déclaré au paragraphe 11 :

Une divergence d'opinions sur la façon dont la Commission a apprécié la preuve ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire. En outre, la Commission n'a pas l'obligation d'accepter toutes les explications que lui donne le demandeur et elle peut rejeter celles qu'elle estime ne pas être crédibles, compte tenu des incohérences, des contradictions ou des invraisemblances (voir à cet égard l'arrêt Aguebor, précité, et la décision Rathore c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. n ° 42 (1re inst.) (QL)).

[16]            L'examen de la décision de la Commission prononcée à l'espèce montre que la Commission a fourni des motifs précis et clairs à l'appui des conclusions de sorte que le demandeur connaissait suffisamment les réponses pour les motifs pour lesquels sa revendication du statut de réfugié avait été rejetée : voir Mehterian c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. n ° 545 (C.A.F.); Tekin c. Canada (M.E.I.), [2003] A.C.F. n ° 506 (C.F. 1re inst.), la juge Snider. L'argument présenté par le demandeur sur ce point est donc mal fondé.

[17]            Si la Commission peut tenir compte du fait que le demandeur n'a pas demandé l'asile aux États-Unis dans son évaluation de sa crédibilité, le demandeur a raison d'énoncer que ce facteur à lui seul ne suffit pas à justifier une conclusion défavorable relative à sa crédibilité et la Commission est tenue de tenir compte des explications fournies par le demandeur et doit avoir un bon motif pour les rejeter : voir Gavrushenko c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n ° 1209 (1re inst.), le juge Lutfy. En l'espèce, le demandeur est passé par les États-Unis sans s'y arrêter et a poursuivi son voyage vers le Canada. Interrogé sur la raison pour laquelle il n'avait pas demandé le statut de réfugié dans ce pays, le demandeur a déclaré que sa destination finale prévue était le Canada : voir la transcription de l'audience, à la page 263 du dossier du tribunal. Dans ses motifs, la Commission a indiqué qu'elle n'avait pas retenu l'explication fournie par le demandeur. J'estime que la Commission ne devrait pas se fonder sur un passage aussi bref dans un pays tiers pour mettre en doute la crédibilité du demandeur mais j'estime que la présence des autres contradictions dans la demande du demandeur a également amené la Commission à tirer cette conclusion. Par conséquent, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a considéré que le passage du demandeur par les États-Unis était un facteur dont elle pouvait tenir compte pour apprécier sa crédibilité.


[18]            Pour les motifs exposés ci-dessus, j'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable dans la décision qu'elle a prise dans cette affaire. Plus précisément, le demandeur n'a pas démontré que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des documents présentés. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.          Pas de question susceptible d'être certifiée.

                                                                                                                                     _ Pierre Blais _                  

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-7971-03

INTITULÉ :                                           WILLY TSHIBANGU

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 28 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                          LE 11 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Michael Kako                                                               pour le demandeur

Neeta Logsetty                                                              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Kako                                                               pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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