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     Date : 20000529

     Dossier : IMM-2539-00


Entre

     SAMUEL J. RAMIREZ-PEREZ

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge MacKay


[1]      Les présents motifs confirment ceux que, après examen des conclusions soumises par les parties par téléconférence tenue le 19 mai 2000, j'ai prononcés de vive voix pour rejeter la requête du demandeur en ordonnance de prohibition ou de suspension provisoire du renvoi de M. Ramirez-Perez hors du Canada, prévu pour le 23 mai 2000, en attendant l'issue de la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire déposée et signifiée le 17 mai 2000.

[2]      Par la demande susmentionnée, le demandeur agit en contrôle judiciaire contre la décision en date du 11 mai 2000, par laquelle un agent d'immigration a rejeté sa demande de dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration. La lettre portant rejet a été remise au demandeur le 12 mai, en même temps que l'ordre de se présenter à l'aéroport Pearson pour être renvoyé hors du Canada tôt dans la matinée du 23 mai.

[3]      Le demandeur, citoyen guatémaltèque, est arrivé en 1989 au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié. Cette revendication a été rejetée en mars 1992 par une formation de la section du statut, qui concluait qu'il était exclu du statut de réfugié par application de l'article 1F(A) de la Convention sur le statut de réfugié du fait qu'il avait commis des crimes contre l'humanité à l"époque où il faisait partie des services de police du Guatemala. Il a fait l'objet d'un rapport établissant qu'il faisait partie d'une catégorie non admissible par application des alinéas 27(2)a ) et 19(1)j) de la Loi. Cette dernière interdit l'admission au Canada de personnes

     dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration.

[4]      Auparavant, le demandeur avait rencontré puis épousé en 1990 une résidente permanente, qui est devenue par la suite citoyenne canadienne. Une fille est née du mariage en 1991.

[5]      Après le mariage, sa femme a parrainé la demande de résidence permanente de M. Ramirez-Perez. Cette demande a été approuvée en principe, à la condition qu'il remplisse les conditions légales.

[6]      Cependant, l'instruction de la demande a été interrompue puisque le demandeur avait été entre-temps jugé coupable d'une infraction, savoir une infraction au Code de la route dont il avait plaidé coupable. Les autorités de l'immigration lui ont fait savoir alors qu'il pourrait soumettre une nouvelle demande de résidence permanente s'il obtenait un pardon. Il a finalement reçu ce pardon en octobre 1996.

[7]      En janvier 1997, il a été informé qu'il pourrait faire une nouvelle demande de résidence permanente mais en février de la même année, il a été convoqué à une enquête tenue en application de la Loi sur l'immigration. À la clôture de l'enquête, qui faisait suite au propre témoignage du demandeur en 1990-92 devant la section du statut, l'arbitre, dans sa décision rendue le 29 mai 1997, a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi, que ce fût devant la section du statut ou durant l'enquête, et faute de toute autre preuve, a jugé que M. Ramirez-Perez n'était pas une personne visée aux alinéas 27(2)a) et 19(1)j) de la Loi. Ces dispositions définissent les catégories de personnes qui ne sont pas admissibles au Canada, y compris celles dont il y a raisonnablement lieu de croire qu'elles ont commis à l"étranger un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens de la Loi.

[8]      La demande, faite par le ministre, d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire contre cette décision de l'arbitre a été rejetée le 11 octobre 1997.

[9]      Le demandeur fait savoir que lui-même et son avocat de l'époque furent informés qu'une nouvelle demande de résidence permanente n'était pas nécessaire. Par la suite, il a appris qu'une nouvelle demande était nécessaire lorsque où les agents d'immigration envisagèrent les mesures nécessaires pour le renvoyer hors du pays. Sa femme et lui-même ont cependant pu soumettre une nouvelle demande de parrainage à l'intérieur du Canada, le 8 novembre 1999. Cette demande articulait entre autres les circonstances propres de la famille, dont le fait que la femme avait un emploi permanent avec salaire mensuel brut de 2 800 $ environ, et la contribution, encore que minimale, du demandeur au revenu de la famille grâce à sa propre entreprise d'entretien, et la présence des enfants, savoir le fils de la femme, qui est maintenant âgé de 18 ans, et la fille née du mariage, qui a maintenant 8 ans, à l'égard desquels le demandeur a été un père attentif. Ces circonstances ont été articulées pour faire ressortir le préjudice que causerait à la famille et au lien unissant les intéressés, le renvoi du demandeur hors du Canada. La demande de parrainage par le conjoint, faite à l'intérieur du Canada, a été envoyée par la conseillère en immigration du demandeur au Centre de traitement des cas à Vegreville (Alberta). Le demandeur n'a jamais été interrogé au sujet de sa demande.

[10]      Le 4 avril 2000, sa conseillère en immigration a été informée que la demande susmentionnée avait été transmise, pour examen sous l'angle des raisons d'ordre humanitaire, à la Section des crimes de guerre à Mississauga, et aussi que la décision rendue en 1997 par l'arbitre que le demandeur n'était pas une personne visée à l'alinéa 19(1)j) de la Loi, n'avait pas force obligatoire en la matière. La conseillère ayant exprimé son inquiétude devant le processus, l'agente responsable l'a informée qu'elle était seulement chargée d'examiner la demande sous l'angle des raisons d'ordre humanitaire, et non de revoir le rapport au regard de l'alinéa 19(1)j).

[11]      La décision de l'agente responsable en sa qualité de déléguée du ministre, a été notifiée par lettre en date du 11 mai 2000. Cette agente y faisait savoir qu'après examen des circonstances invoquées par le demandeur pour demander, pour des raisons d'ordre humanitaire, la dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi, lequel impose à l'immigrant d'obtenir un visa avant d'entrer au Canada, elle a décidé qu'il n'y avait pas lieu à dispense, et que l'ordonnance de renvoi en cours " doit maintenant être exécutée ".

[12]      Les motifs de cette décision ont été communiqués à l'avocat du demandeur le 15 mai 2000 et, comme noté supra, l'ordre de se présenter pour être renvoyé, remis au demandeur le 12 mai 2000.

[13]      Une demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire a été déposée le 17 mai 2000, suivie le lendemain de la requête en suspension de la mesure de renvoi, en attendant l'issue du recours en contrôle judiciaire.

Conclusions de la Cour

[14]      Après avoir entendu l'argumentation écrite et de vive voix des avocats des deux parties, la Cour a conclu comme suit :

     1.      Le demandeur a soulevé au moins une question sérieuse à trancher par la Cour dans sa demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire, ainsi qu'il ressort en cet état de la cause du témoignage par affidavit déposé à l'appui de la requête en suspension. Sans chercher à préjuger de l'issue du recours en contrôle judiciaire, il faut noter que le demandeur a soulevé les points visiblement défendables suivants et qui sont d'une grande importance pour lui, eu égard aux divergences entre les avocats en présence en cet état de la cause :
         a)      savoir si dans sa décision, l'agente responsable était fondée à ignorer la décision de 1997 de l'arbitre tout en souscrivant à celle rendue en 1992 par une formation de la section du statut, essentiellement sur la même question. Après avoir longuement rappelé la décision de la section du statut et celle de l'arbitre, elle a conclu qu'elle n"était pas convaincue que le demandeur ne tombait pas sous le coup de l'alinéa 19(1)j ) de la Loi sur l'immigration; celui-ci ne pourrait donc satisfaire aux conditions imposées aux immigrants par la Loi. On pourrait se demander si cette conclusion a un rapport avec la question dont cette agente était saisie du moment, comme elle l'avait fait savoir à l'avocat du demandeur, que sa tâche était d'examiner l'affaire sous l'angle des raisons d'ordre humanitaire.
         b)      savoir si, à la lumière de la jurisprudence Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, l'agente d'immigration a fait suffisamment attention aux considérations humanitaires, en particulier aux meilleurs intérêts des enfants de la famille. À cet égard, elle a noté dans ses motifs que le demandeur est marié à une citoyenne canadienne avec laquelle il a une enfant née au Canada, que la famille comprend aussi le fils de sa femme, et que si le demandeur doit quitter le Canada, " les enfants auront toujours leur mère au Canada pour prendre soin d'eux ".
     2.      Rien ne permet de conclure au préjudice irréparable, malgré les difficultés évidentes que causera le renvoi du demandeur hors du Canada, pour lui-même et pour sa famille. L'avocate du demandeur soutient que ces difficultés seront effectivement irréparables d'ici au moment où la Cour pourrait se prononcer sur la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire, peut-être dans un an. À mon avis, le délai dépendra du temps que mettront les avocats des deux parties à se préparer à l'audition de la demande d'autorisation et, si celle-ci est accueillie, à l'audition du recours en contrôle judiciaire. Si l'autorisation est accordée, je pense que l'inscription du recours au rôle pourra être expédiée par la Cour. Et si la Cour fait droit au recours, l'affaire sera alors renvoyée pour nouvelle instruction par un agent d'immigration.
         Je pense que si l'autorisation en est accordée, le recours en contrôle judiciaire pourra être entendu d'ici quelques mois. Dans ces conditions, je ne suis pas convaincu, à la lumière des preuves et témoignages produits, que le lien entre le demandeur d'une part, et sa femme et ses enfants d'autre part, et la situation financière de la famille, subiront un préjudice irréparable en attendant l'issue de la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire.
     3.      Faute de conclusion au préjudice irréparable pour le demandeur, le rapport des préjudices éventuels de part et d'autre engage à refuser la suspension; aussi le ministre, s'il entend renvoyer le demandeur hors du Canada comme prévu au moment où cette requête fut entendue, peut-il y procéder conformément aux obligations qu'il tient de la loi.

Décision

[15]      En fin de compte, j'ai conclu que les conditions de suspension de l'ordonnance de renvoi n'étaient pas remplies à la lumière des éléments de preuve produits.

[16]      Par ce motif, j'ai rendu de vive voix l'ordonnance de rejet de la requête en suspension du demandeur, laquelle ordonnance est maintenant confirmée par écrit.

[17]      Cela dit, j'estime que cette affaire est caractérisée par une incohérence remarquable dans le traitement réservé par le ministère de l'Immigration à M. Ramirez-Perez au fil des ans. Il avait visiblement un permis de travail toutes ces années, la première demande de sa femme pour parrainer son établissement au Canada a été accueillie en principe en 1993 malgré la conclusion tirée en 1992 par une formation de la section du statut qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, par des motifs qui auraient interdit son entrée dans le pays. Ces motifs ont été subséquemment rejetés après enquête par un arbitre en 1997. Il a été alors autorisé à soumettre une nouvelle demande de parrainage. Lorsque celle-ci fut finalement examinée en avril et mai de cette année par une section régionale des crimes de guerre, il s'en est suivi une décision qui, prenant en compte la décision de 1992 de la section du statut et ignorant celle de 1997 de l'arbitre, indique que l'autorité responsable n'est pas convaincue que le demandeur ne soit pas une personne dont l'alinéa 19(1)j) interdit l'entrée dans le pays comme s'il incombait à celui-ci, sans qu'il en soit informé, de prouver qu'il y a lieu de reconsidérer sa situation et de prouver qu'il ne tombe pas sous le coup de cette disposition. Puis une décision défavorable lui a été notifiée le 12 mai en même temps que l'ordre de se présenter pour être renvoyé hors du Canada, 11 jours après.

[18]      Ces considérations m'ont amené à conclure, à la fin de l'audience par téléconférence, que le représentant du ministre défendeur pourrait reconsidérer la date prévue pour le renvoi du demandeur, ce qui éviterait à sa famille les difficultés et le besoin possible d'assistance sociale en cet état de la cause, si le demandeur était autorisé à demeurer au Canada en attendant l'issue de sa demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire.

[19]      Si cela ne pouvait se faire, j'ai engagé l'avocat du ministre à informer celui-ci qu'à mon avis, les circonstances de la cause sont telles qu'il y a lieu d'envisager sérieusement des arrangements pour permettre au demandeur, s'il est maintenant renvoyé hors du Canada, de revenir auprès de sa famille, même avec un visa de visiteur, au cas où sa demande d'autorisation serait accueillie par la Cour, de façon que, en attendant le jugement au fond du recours en contrôle judiciaire, la séparation forcée de la famille ne se poursuive pas à moins qu'il ne soit subséquemment jugé que son recours en contrôle judiciaire n'est pas fondé, ou si ce recours est accueilli, que le réexamen n"implique pas la reconnaissance de sa prétention à la dispense de l'application de la Loi sur l'immigration , aux termes de laquelle les immigrants doivent obtenir au préalable leur visa à l'étranger.

[20]      En dernier lieu, j'ordonne au greffe d'attirer mon attention sur ce dossier dès que la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire sera en état, afin que je puisse expédier l'affaire si l'autorisation est accordée.

     Signé : W. Andrew MacKay

     __________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 29 mai 2000





Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              IMM-2539-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Samuel J. Ramirez-Perez c. M.C.I.


REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE


DATE DE L'AUDIENCE :          19 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY


LE :                          29 mai 2000



ONT COMPARU :


Mme Pamila Ahlfeld                  pour le demandeur

M. Ian Hicks                      pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Mme Pamila Ahlfeld                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



     Date : 20000529

     Dossier : IMM-2539-00

Entre

     SAMUEL J. RAMIREZ-PEREZ

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE


     LA COUR,

     VU la requête du demandeur en ordonnance de prohibition provisoire ou de suspension provisoire de son renvoi hors du Canada en attendant l'issue de la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire, déposée et signifiée le 17 mai 2000,

     OUÏ les avocats des deux parties par téléconférence tenue le 19 mai 2000, à l'issue de laquelle la Cour, après examen des conclusions des deux parties, a rejeté de vive voix cette requête, par des motifs pris oralement à l'audience et maintenant confirmés par écrit,

     CONFIRME son ordonnance de rejet de la requête en suspension.

     Signé : W. Andrew MacKay

     __________________________________

     Juge


Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet, LL. L.

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