Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                  Date : 20010306

                                                                                                                       Dossier : IMM-2394-00

Toronto (Ontario), le mardi 6 mars 2001

DEVANT : Madame le juge Dawson

ENTRE :

MIKLOS TOTH

MIKLOSNE TOTH

KLAUDIA TOTH

RENATA TOTH

MIKLOS TOTH

                                                                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

JUGEMENT

IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ ET STATUÉ CE QUI SUIT :

La décision que la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendue le 15 mars 2000 est infirmée. L'affaire est renvoyée à une formation différente de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour réexamen.

               « Eleanor R. Dawson »                 

                 Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                  Date : 20010306

                                                                                                                       Dossier : IMM-2394-00

                                                                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 149

ENTRE :

MIKLOS TOTH

MIKLOSNE TOTH

KLAUDIA TOTH

RENATA TOTH

MIKLOS TOTH

                                                                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]         Miklos Toth, sa conjointe Miklosne, leurs enfants, Klaudia, Renata et Miklos, ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en alléguant craindre avec raison d'être persécutés en leur qualité de personnes tziganes de la Hongrie. Ils présentent cette demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 15 mars 2000, qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]         Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur principal, Miklos Toth, a déclaré qu'il avait été battu à maintes reprises par des skinheads et que la police ne lui fournissait aucune protection parce que de nombreux policiers étaient eux-mêmes des skinheads ou avaient un fils qui était un skinhead. M. Toth a déclaré qu'après les changements politiques qui étaient survenus en Hongrie, la situation s'était aggravée pour les Tziganes. Il a relaté qu'il avait fait l'objet de discrimination en matière d'emploi à cause de son origine ethnique et que ses enfants étaient maltraités à la garderie et à l'école parce qu'ils étaient tziganes.

[3]         Dans son témoignage oral, M. Toth a relaté un événement qui s'était produit en 1993 et au cours duquel un groupe de skinheads l'avait battu à l'aide d'un bâton de baseball lorsqu'il rentrait chez lui après son travail. À la suite de cet événement, M. Toth a déposé une plainte auprès de la police, apparemment sans résultat. Au mois de janvier 1997, le frère cadet de M. Toth a été battu par des skinheads à Budapest; le même groupe de skinheads a apparemment tenté d'entrer de force dans l'appartement de son frère aîné. Une plainte a été déposée devant la police, qui n'a pas pris de mesures. M. Toth a également témoigné qu'après 1997, la police l'avait arrêté et détenu pendant deux heures parce qu'elle le soupçonnait sans motif valable d'avoir volé de l'argent.


[4]         Les demandeurs sont arrivés au Canada le 10 février 1999 et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le même jour. Après une première audience infructueuse qui a été ajournée parce que l'avocat des demandeurs ne s'était pas présenté, l'affaire a été entendue le 15 mars 2000. M. Toth a témoigné à titre d'intéressé principal et de représentant désigné de sa famille. À la fin de l'audience, le président de la formation, M. Rossi, a rendu une décision orale. L'autre membre de la formation, Mme Vida Rangan, a souscrit à son avis.

LA DÉCISION DE LA SSR

[5]         La SSR a tiré une conclusion de crédibilité défavorable au sujet d'une partie importante du témoignage de M. Toth, en ce qui concerne l'agression dont celui-ci avait été victime en 1997. Elle a retenu certaines parties du témoignage dans lesquelles M. Toth relatait des cas de discrimination raciale, mais en se fondant sur son interprétation de la preuve documentaire, elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas établi qu'ils avaient raison de craindre d'être persécutés s'ils retournaient en Hongrie.

[6]         Les parties pertinentes des motifs de la SSR, tels qu'ils ont été prononcés oralement, sont ainsi libellées :

[TRADUCTION]

Le dossier présentait d'énormes problèmes et la revendication a malheureusement été rejetée, en grande partie à cause du manque de crédibilité du revendicateur principal.

[...]

Le tribunal a toutefois pris note de la difficulté du revendicateur à raconter de façon claire, précise et méthodique ce qui s'est produit le soir, ou le jour, où il était à l'appartement avec les autres hommes et où sa belle-soeur est venue annoncer que son frère s'était fait battre dans la rue. Le témoignage du revendicateur était loin d'être clair. Il a d'abord déclaré que les skinheads étaient venus à l'appartement. Plus tard, il a affirmé que les skinheads n'étaient venus qu'après avoir vu sa belle-soeur se rendre à l'appartement.


Enfin, lorsqu'il s'est rendu là où son frère avait soit-disant été battu, un avocat hongrois de passage avait utilisé son téléphone cellulaire pour signaler l'incident à la police, mais aucun agent ne s'était présenté. Le revendicateur dit que les agents ne sont pas venus parce qu'ils savaient déjà qui avait été battu, puisqu'un des skinheads était le fils d'un des policiers. C'est peut-être le cas, mais cela n'explique pas pourquoi aucun agent ne s'est rendu sur les lieux. L'avocat n'a jamais identifié la personne qui avait été battue et surtout, il n'a jamais dévoilé à quel groupe ethnique la victime appartenait. Comment les policiers auraient-ils pu choisir d'accorder ou de refuser leur aide s'ils ne possédaient pas ces renseignements?

Le tribunal aurait accordé plus de poids à ce que disait le revendicateur si l'avocat témoin de l'incident avait dit aux policiers : « Un Tzigane a été battu » . Nous savons en effet, par des preuves documentaires, que les policiers maltraitent les Tziganes. Le tribunal estime que, sans ces renseignements, le revendicateur a inventé les raisons pour lesquelles les policiers n'auraient pas répondu à l'appel.

Il a même été jusqu'à affirmer que le fils d'un des policiers, un membre du groupe skinhead, aurait appelé la police à l'avance pour annoncer à son père que « son groupe allait casser la g... à un tel, qu'il ne fallait pas venir parce qu'ils allaient battre ce Tzigane-là aujourd'hui » .

Il n'existe aucune preuve à l'appui de cette affirmation. En fait, la crédibilité du revendicateur, quant à cet incident, s'en trouve amoindrie. Nous devons considérer qu'il s'agit, au mieux, d'une hypothèse. Nous n'accordons aucune valeur à cette partie du témoignage. Le tribunal peut même douter que cet incident se soit produit. Il n'en existe aucune preuve, si ce n'est le témoignage contradictoire et non corroboré du revendicateur.

Le revendicateur déclare ensuite que lui ou son frère auraient rendu visite le même jour à Florian Farkas et lui auraient dit : « Nous allons nous organiser car nous croyons qu'il y aura une attaque. » Peu après son arrivée chez Florian Farkas, ce dernier aurait dit qu'il avait déjà reçu des consignes des échelons supérieurs de la police, que si les gens s'organisaient, les choses empireraient.

Le tribunal s'interroge sur la façon dont la police aurait été informée. Il s'agissait d'une discussion entre le revendicateur et ses amis. Il n'existe pas de preuve que le revendicateur ait communiqué avec les skinheads, non plus de ce que les skinheads savaient que le revendicateur et son groupe se défendrait et se vengerait. À vrai dire, le tribunal n'accorde aucune valeur à la déclaration voulant que Florian Farkas ait été au courant de cet incident.

On a demandé au revendicateur de quels incidents il aurait été victime après 1997. Il a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'attaques par les skinheads. Il a dit qu'il n'avait pas non plus été attaqué par des policiers, mais que la police l'avait détenu pendant deux heures un soir, lorsqu'il rentrait de son travail, parce qu'il avait de l'argent sur lui, en l'occurrence son chèque de paye.

Le tribunal accepte que cet incident s'est bien produit. Cet incident est malheureux et injuste puisqu'un citoyen hongrois, probablement un collègue de travail, qui rentrait chez lui en compagnie du revendicateur a été autorisé à continuer sa route, simplement parce qu'il était Hongrois. Cette discrimination est inacceptable et le revendicateur principal en a été victime, mais cela ne signifie pas, toutefois, que le revendicateur ait été persécuté ou qu'il risque d'être persécuté par la police si sa famille ou lui retournent maintenant en Hongrie.


[7]         Dans sa décision, la SSR avait déjà également conclu que M. Toth avait donné des explications qui étaient loin d'être claires au sujet des raisons qui l'avaient amené à venir au Canada en disant ce qui suit :

[TRADUCTION]

Au début de l'audience, vous avez dit ce qui suit : « Nous sommes venus principalement à cause des agressions commises par les skinheads. » À la fin de l'audience, vous avez dit que vous étiez venu pour assurer le bien-être de vos enfants. Votre avocat a très clairement essayé de vous aider à cet égard, en identifiant ceux que vous craigniez, et malheureusement, vous avez pu dire que même si certains des événements qui se seraient produits, selon vous, sont entrés en ligne de compte, vous êtes venu au Canada à cause de vos enfants.

[8]         Les demandeurs ont soulevé un certain nombre de questions, mais à mon avis, il suffit de déterminer si les conclusions de crédibilité tirées par la SSR étaient fondées sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la SSR disposait.

ANALYSE

[9]         Comme la SSR l'a fait remarquer, la décision était fondée « en grande partie » sur la conclusion tirée au sujet de la crédibilité de M. Toth. Cette conclusion a été tirée après la tenue d'une audience qui, selon la fiche de renseignements concernant l'audience, a commencé une heure et quinze minutes en retard et a duré deux heures et dix minutes, de 9 h 45 à 11 h 55, période pendant laquelle il y a eu deux pauses et des motifs ont été prononcés oralement.


[10]       Quant aux raisons qui étaient loin d'être claires, selon la SSR, que M. Toth a données à l'appui de sa décision de venir au Canada, le témoignage de ce dernier était clair au début de l'audience. En réponse à la première question que lui a posée son avocat : [TRADUCTION] « Quelle était la principale raison qui vous a amené à venir au Canada? » , M. Toth a répondu : [TRADUCTION] « C'était surtout à cause des agressions commises par les skinheads. »

[11]       Il y a ensuite eu une audience que l'avocate du Ministre a prudemment décrite comme étant [TRADUCTION] « loin d'être idéale » . Le témoignage subséquent de M. Toth qui, selon la SSR était loin d'être clair, a été présenté à la suite de l'échange de propos ci-après reproduit (M. Toth a relaté, lors de l'interrogatoire principal effectué par son avocat, qu'en 1997, la police l'avait détenu un jour de paye parce qu'elle le soupçonnait sans motif valable d'avoir volé de l'argent; un ami hongrois qui avait sur lui le même montant avait été relâché) :

[TRADUCTION]

M. ROSSI :                            Bon! Ils l'ont laissé aller. Que vous-ont-ils fait?

L'INTÉRESSÉ :                      Ils m'ont amené au poste de police...

M. ROSSI :                             Ouais.

L'INTÉRESSÉ :                      ... et ils m'ont détenu pendant deux heures.

M. ROSSI :                             Hum!

L'INTÉRESSÉ :                      Puis, ils m'ont laissé partir.

M. ROSSI :                             D'accord.

L'AVOCAT :                          Avez-vous été arrêté?

L'INTÉRESSÉ :                      Je ne sais si cela constitue une arrestation, mais vous savez, pendant deux heures...

M. ROSSI :                             L'intéressé n'a pas été arrêté. Il a été détenu pendant deux heures.


L'AVOCAT :                          A-t-on...

M. ROSSI :                             D'accord.

L'AVOCAT :                          A-t-on refusé de vous laisser utiliser les toilettes?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

L'AVOCAT :                          Vous a-t-on donné à manger?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

L'AVOCAT :                          À boire?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

L'AVOCAT :                          Vous a-t-on de quelque façon traité violemment?

L'INTÉRESSÉ :                      Non. Ils ne m'ont pas traité violemment.

L'AVOCAT :                          Ils ne vous ont pas secoué?

M. ROSSI :                             Maître...

L'AVOCAT :                          Être détenu, était-ce agréable? Était-ce plaisant?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

Mme RANGAN :                    Maître, vraiment...

L'AVOCAT :                          Mais ils ne vous ont pas secoué?

Mme RANGAN :                    ... était-ce agréable...

L'AVOCAT :                          Eh bien, j'essaie de le savoir.

M. ROSSI :                             Était-ce plaisant? Cela vous a-t-il plu de rester au poste de police et...

Mme RANGAN:                    Pendant deux heures.

M. ROSSI :                             ... pendant deux heures?

L'AVOCAT :                          Eh bien, était-ce inhabituel d'être arrêté...

M. ROSSI :                             Bon! Retirons ce témoignage et les questions.

L'AVOCAT :                          Le jury n'en tiendra pas compte?

M. ROSSI :                             Il n'y a pas de jury ici, Monsieur.

L'AVOCAT :                          Merci. Quel est...


M. ROSSI :                             Il n'y a qu'une formation qui essaie de connaître la vérité.

L'AVOCAT :                          Est-ce – pardon, n'est-ce pas inhabituel d'être ainsi détenu?

M. ROSSI :                             Maître, non – ne lui posez pas cette question parce que, selon la preuve documentaire, les Tziganes sont régulièrement maltraitées par la police. La preuve documentaire montre également qu'elles sont régulièrement arrêtées et détenues sans être accusées. Nous reconnaissons la chose. Cela fait partie du dossier. Je ne crois pas que le problème que l'intéressé a eu, cette fois-là, si de fait cela s'est produit, soit vraiment différent de celui qu'auraient pu avoir d'autres personnes qui étaient dans la même situation que lui. Je suis certain que vous êtes fort content que je mentionne la chose pour mémoire.

L'AVOCAT :                          Après 1997...

M. ROSSI :                             Y a-t-il autre chose? Y a-t-il autre chose après 1997, Monsieur?

L'AVOCAT :                          Qui vous a amené à vouloir quitter la Hongrie?

L'INTÉRESSÉ :                      Après 1997, non.

L'AVOCAT :                          Même pas votre famille?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

L'AVOCAT :                          Vos enfants? Nous parlons de quelque chose qui vous a amené à vouloir quitter la Hongrie.

M. ROSSI :                             C'est – soyons justes envers lui. Il vous demande s'il y a d'autres raisons qui vous ont amené à vous enfuir – cela s'est peut-être passé avant 1997 – en ce qui concerne votre famille?

L'AVOCAT :                          J'ai cru comprendre que vous avez eu des – eh bien, nous ne parlons pas nécessairement des agressions commises par les skinheads.

L'INTÉRESSÉ :                      Oui. Les enfants, à l'école.

L'AVOCAT :                          Que s'est-il passé exactement à l'école?

L'INTÉRESSÉ :                      Par exemple, mon fils voulait s'inscrire, il avait choisi l'anglais, il voulait étudier l'anglais, mais les professeurs ne le lui ont pas permis, seulement l'allemand.

L'AVOCAT :                          Eh bien, je crois que la formation est au courant de la discrimination extrême qui existe dans le domaine de l'enseignement, de l'emploi, de la santé et dans toutes les sphères de la vie sociale, mais je vous demande si après 1997, il s'est passé quelque chose qui vous a fait dire : « Bon. Je vais maintenant quitter la Hongrie et aller au Canada. »


L'INTÉRESSÉ :                      Comme je l'ai dit, principalement les enfants, ils n'étaient pas bien traités à l'école.

L'AVOCAT :                          Hum! D'accord. Est-il arrivé quelque chose aux membres de votre famille après 1997? Je parle de la famille étendue. Vous nous avez dit que les skinheads avaient attaqué votre frère Istvan.

M. ROSSI :                             Un instant! Un instant! Je ne vais pas autoriser une question aussi générale. Voici ce que je vais dire et je vous prie de me répondre – votre avocat vous a amplement donné l'occasion de répondre : après 1997, il s'est produit un événement au cours duquel la police a exercé un contrôle et vous a détenu pendant deux heures au poste. Cela a-t-il contribué à votre décision de quitter la Hongrie? Oui ou non?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

M. ROSSI :                             Non. D'accord. Après 1997, vous avez dit que vos enfants n'étaient pas bien traités à l'école. Cela a-t-il contribué à votre décision de quitter la Hongrie?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Y a-t-il autre chose qui a contribué à votre décision de quitter la Hongrie?

L'INTÉRESSÉ :                      Seulement les enfants.

M. ROSSI :                             D'accord. Merci.

[12]       J'estime que la dernière réponse, en ce qui concerne la question de savoir s'il y avait quelque chose qui avait contribué à la décision de quitter la Hongrie, n'est pas incompatible avec la réponse initiale que M. Toth a donnée, à savoir qu'il était principalement venu au Canada à cause des agressions des skinheads. La remarque selon laquelle M. Toth a donné des raisons embrouillées en ce qui concerne sa venue au Canada a été faite sans qu'il soit bien tenu compte de son témoignage.


[13]       La formation a ensuite dit que la preuve que M. Toth avait présentée au sujet des événements qui s'étaient produits au mois de janvier 1997 était loin d'être claire. Elle a dit que M. Toth avait eu de la difficulté à relater d'une façon claire, précise et méthodique les événements qui s'étaient censément produits.

[14]       Compte tenu de cette conclusion, il faut examiner d'une façon passablement approfondie le témoignage de M. Toth, qui est le suivant :

[TRADUCTION]

L'INTÉRESSÉ :                      Oui, en 1997, vers le milieu du mois de janvier – je ne sais pas exactement à quelle date – mon frère cadet se rendait en voiture dans le 13e district.

L'AVOCAT :                          Comment s'appelle-t-il?

L'INTÉRESSÉ :                      Istvan.

L'AVOCAT :                          D'accord.

L'INTÉRESSÉ :                      Il était arrêté à un panneau de signalisation ou à un feu de circulation et les skinheads ont démoli sa voiture d'un côté et de l'autre et il a également été battu à l'aide de bâtons de baseball. Il a été hospitalisé. Par la suite, le même groupe – mon frère aîné qui habite au 21, rue Utag (épellation phonétique).

L'AVOCAT :                          Comment s'appelle-t-il?

L'INTÉRESSÉ :                      Josef. Puis-je continuer?

L'AVOCAT :                          Oui.

L'INTÉRESSÉ :                      Par la suite, le même groupe s'est présenté chez mon frère aîné; ils voulaient entrer dans l'appartement pour massacrer toute la famille. Nous étions un certain nombre d'hommes à cet endroit et c'est ce qui les a empêchés d'entrer.

L'AVOCAT :                          Y a-t-il quelqu'un qui a appelé la police à ce moment-là?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui. Un avocat était là – oui. L'avocat a appelé la police et on lui a répondu qu'il était impossible de fournir une protection.

L'AVOCAT :                          Et savez-vous pourquoi ils ont dit cela?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui, parce que le groupe de skinheads – le fils d'un des policiers était membre du groupe de skinheads.


L'AVOCAT :                          Comment le savez-vous?

L'INTÉRESSÉ :                      Parce que nous le connaissons.

L'AVOCAT :                          Avez-vous vu les skinheads?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui. Nous avons vu les skinheads et nous savions que l'un d'eux était le fils d'un policier.

L'AVOCAT :                          Est-il arrivé quelque chose à votre frère Andrei en Hongrie?

L'INTÉRESSÉ :                      Je voulais poursuivre.

L'AVOCAT :                          Bon! D'accord.

L'INTÉRESSÉ :                      Je crois que nous en étions au point où nous avions mis fin à l'agression à laquelle les skinheads se livraient.

L'AVOCAT :                          Pendant que vous étiez dans l'appartement et que vous les empêchiez d'entrer?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui, nous les avons empêchés d'entrer. Nous étions un certain nombre.

L'AVOCAT :                          Combien y avait-il de skinheads?

L'INTÉRESSÉ :                      Il y en avait beaucoup. Ils étaient dans le couloir. Il devait y en avoir au moins quinze.

L'AVOCAT :                          Et ensuite, dans l'appartement, combien étiez-vous?

L'INTÉRESSÉ :                      Nous étions six.

L'AVOCAT :                          Très bien. Ils ont donc essayé d'entrer et vous en étiez là dans votre récit.

L'INTÉRESSÉ :                      Oui, et ils n'ont pas réussi. Plus tard le même jour, les skinheads ont fait des commentaires tels que : « Nous allons vous massacrer aujourd'hui. »

L'AVOCAT :                          De l'autre côté de la porte?

L'INTÉRESSÉ :                      Ils descendaient les escaliers.

L'AVOCAT :                          D'accord.

L'INTÉRESSÉ :                      Dans les escaliers. Et nous avons ensuite appelé des amis pour qu'ils nous aident parce que nous avions été attaqués.

L'AVOCAT :                          Avez-vous appelé vos amis avant ou après avoir appelé la police – c'est l'avocat qui a appelé la police?


L'INTÉRESSÉ :                      Plus tard. Par la suite.

L'AVOCAT :                         Vous avez donc d'abord essayé d'appeler la police?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

L'AVOCAT :                          La police a dit : « Non, nous ne pouvons pas vous aider? »

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

L'AVOCAT :                          Et vous avez donc appelé des amis?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

L'AVOCAT :                          Et que s'est-il passé?

L'INTÉRESSÉ :                      Par la suite, ce soir-là, il n'est rien arrivé, et parce que nous pouvions constater la gravité de l'agression...

M. ROSSI :                             Eh bien, quelle agression, Monsieur? Je n'ai pas entendu dire qu'il y avait eu une agression. J'ai entendu dire que des gens vous criaient des injures et vous menaçaient. Qu'entendez-vous par agression?

L'INTÉRESSÉ :                      Vous savez, une fois, mon frère cadet a été battu près d'un lampadaire...

M. ROSSI :                             Non, non, non. Un instant! Un instant! Juste un instant! Nous en sommes encore à l'histoire de l'appartement, n'est-ce pas? Ils se sont présentés chez votre frère aîné Josef, mais il y avait des hommes tziganes dans l'appartement.

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                            Et les skinheads sont dans la rue, n'est-ce pas, et ils crient ou sont-ils montés à l'appartement par les escaliers?

L'INTÉRESSÉ :                      Ils sont venus à la porte.

M. ROSSI :                             Ils sont venus à la porte. Frappent-ils à la porte, donnent-ils des coups sur la porte? Que font-ils?

L'INTÉRESSÉ :                      Ils voulaient l'enfoncer.

M. ROSSI :                             Avez-vous ouvert la porte?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

M. ROSSI :                             Ont-ils renoncé à essayer d'entrer?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui, ils y ont renoncé.


M. ROSSI :                             Ils n'ont donc pas battu...

L'INTÉRESSÉ :                      Cette fois-là.

M. ROSSI :                             Cette fois-là. Cette fois-là, l'avocat dans l'appartement – est-il Tzigane?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

M. ROSSI :                             Non. Il est d'origine hongroise, n'est-ce pas?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Était-il là en tant qu'ami ou pour faire des affaires?

L'INTÉRESSÉ :                      Il ne faisait que nous rendre visite.

M. ROSSI :                             Il ne faisait que vous rendre visite. Il a appelé la police?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Il a dit : « Les skinheads qui sont là, à la porte de l'appartement, essaient d'entrer de force. Venez immédiatement. » Est-ce bien cela?

L'INTÉRESSÉ :                      Non.

M. ROSSI :                             Bon! Que s'est-il donc passé?

L'INTÉRESSÉ :                      Voici ce qui est arrivé; la femme de mon frère cadet montait en criant que son mari avait été sérieusement battu; nous sommes alors descendus avec l'avocat et c'est à ce moment-là que l'avocat a appelé la police, sur les lieux mêmes.

L'AVOCAT :                          À l'aide d'un téléphone mobile?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui, le téléphone dans la rue.

M. ROSSI :                             Qui est-ce qui était battu? Votre frère cadet?

L'INTÉRESSÉ :                      Mon frère cadet Istvan.

L'AVOCAT :                          Plus tôt ce soir-là, vous disiez que l'on avait entouré la voiture de votre frère cadet Istvan et que les skinheads l'avaient battu?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

L'AVOCAT :                          Je vous ai demandé qui ils étaient.

M. ROSSI :                             Laissez l'ACR parler – un instant. Non . Arrêtez.


L'ACR : Pardon, Monsieur le président! Je n'ai pas entendu l'intéressé dire que cela s'était passé ce soir-là.

M. ROSSI :                             Moi non plus. En fait, je trouve son témoignage extrêmement décousu et sans suite. C'est pourquoi je m'arrête à la question.

L'AVOCAT :                          Très bien. Je vais essayer encore une fois.

M. ROSSI :                             Supposons – d'accord.

L'AVOCAT :                          La question...

M. ROSSI :                             Nous allons être ici toute la journée.

L'AVOCAT :                          Non, non.

M. ROSSI :                             Laissez-moi faire. La femme a monté les escaliers en disant que votre frère cadet avait été battu, il s'agissait de son mari?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Et la voiture avait été démolie?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             À combien de distance de l'appartement?

L'INTÉRESSÉ :                      À une centaine de mètres.

M. ROSSI :                             D'accord. C'était vraiment près?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Tous les hommes se sont alors mis à sortir en courant de l'appartement parce que vous, les gars, étiez en haut dans l'appartement?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Vous êtes sorti, vous l'avez trouvé dans la voiture, il était blessé et ainsi de suite et il avait été battu?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             Et à ce moment-là, l'avocat prend le téléphone cellulaire et appelle la police?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui.

M. ROSSI :                             D'accord. Et la police ne vient pas?


L'INTÉRESSÉ :                      Non.

[15]       À mon avis, la façon dont le président de la formation a décrit le témoignage de M. Toth, à savoir qu'il était « extrêmement décousu » et « sans suite » , n'est pas juste ou exacte. De plus, la transcription ne renferme apparemment rien qui ait autorisé le président de la formation à interrompre l'interrogatoire principal apparemment ordonné que l'avocat de M. Toth était en train d'effectuer.

[16]       La formation a ensuite discrédité M. Toth en se fondant sur ce qui, à ses yeux, était son incapacité d'expliquer pourquoi la police n'avait pas répondu à l'appel. La formation n'a pas mentionné la partie du témoignage dans laquelle M. Toth déclare avoir vu l'un des skinheads et avoir su que ce dernier était le fils d'un policier. M. Toth a subséquemment témoigné avoir appris que lorsque les skinheads devaient commettre une agression, le fils appelait son père pour lui dire qu'ils voulaient attaquer un Tzigane, de sorte que la police ne devait pas répondre. La formation a rejeté ce témoignage en disant qu'il n'existait aucun élément de preuve à l'appui et que cela sapait la crédibilité de M. Toth. En l'absence de motifs valables permettant de remettre en question la crédibilité de M. Toth, il était erroné d'exiger une preuve corroborant le témoignage de celui-ci (voir Ahortor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 39 (C.F. 1re inst.).


[17]       Enfin, la formation n'a pas cru M. Toth lorsqu'il a témoigné que Florian Farkas avait fait savoir qu'on l'avait déjà averti que si les Tziganes s'organisaient, la situation empirerait. Cette incrédulité était fondée sur le fait que, selon la SSR, la police ne pouvait pas encore savoir que M. Toth ainsi que ses amis et sa famille envisageaient de s'organiser. Le témoignage sur ce point était le suivant :

[TRADUCTION]

L'AVOCAT :                          Avez-vous demandé de l'aide à Farkus Florijan [sic] cette fois-là?

L'INTÉRESSÉ :                      Mon frère Andrei est allé chez lui...

L'AVOCAT :                          Et Andrei, est-ce – comme vous l'avez déjà dit – son beau-frère?

L'INTÉRESSÉ :                      Oui. Il est allé chez lui et il a amené les enfants.

L'AVOCAT :                          Pourquoi?

L'INTÉRESSÉ :                      Pour protéger les enfants.

L'AVOCAT :                          Pour protéger les – et qu'est-il arrivé?

L'INTÉRESSÉ :                      C'est alors qu'Andrei a demandé de l'aide à Florijan Farkus [sic].

L'AVOCAT :                          Et qu'a-t-il dit? Farkus Florijan [sic], qu'a-t-il dit?

L'INTÉRESSÉ :                      Qu'il ne peut pas aider... Il a dit – c'est alors qu'il a dit : « Ne vous organisez pas » parce que cela sera encore pire pour nous.

[18]       La preuve permet de constater deux choses. En premier lieu, le conseil que M. Farkas a donné, de ne pas s'organiser, n'était pas lié à cette agression précise de la part des skinheads. En second lieu, à mon avis, il n'est pas logique que dans un climat [TRADUCTION] « de violence systématique à l'encontre du peuple tzigane » comme l'a dit la formation, il fallait que les autorités soient mises au courant de l'intention de s'organiser pour qu'elles [TRADUCTION] « fassent savoir » que les choses seraient encore pires si l'on s'organisait. À mon avis, il est également logique de reconnaître que les autorités estimeraient que si les Tziganes s'organisaient, cela occasionnerait de graves représailles.


[19]       J'ai donc conclu que l'appréciation de la formation, à savoir que le témoignage de M. Toth n'était pas crédible, n'était pas justifiée étant donné l'analyse qu'elle avait faite au sujet de la preuve dont elle disposait et que cette appréciation a été effectuée sans qu'il soit tenu compte des éléments dont la formation disposait. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[20]       Je n'ai donc pas à examiner l'argument des demandeurs voulant que la formation ait commis une erreur en interrompant le témoignage de M. Toth, en ridiculisant l'avocat de celui-ci et en exerçant des pressions pour que M. Toth se dépêche de façon que l'audience se termine avant l'heure du déjeuner. Toutefois, comme le montrent les parties précitées de la transcription, il s'agissait d'un cas dans lequel le président de la formation est dans une large mesure intervenu. En plus des passages précités, la transcription fait état des remarques suivantes que le président de la formation a faites :

À la page 273 :

[TRADUCTION]

L'INTÉRESSÉ :                      Oui. Lorsque les skinheads m'ont frappé au genou, en 1993, j'ai été obligé d'aller chez le médecin. Il y avait une fracture du cartilage ou de la rotule et pendant toute une année, les médecins m'ont traité à l'aide...

L'INTERPRÈTE :                   Un instant.

L'AVOCAT :                          Un onguent?

L'INTERPRÈTE :                   Pardon?

L'AVOCAT :                         Un onguent?


L'INTERPRÈTE :                   Un médicament quelconque. J'essaie de me rappeler le nom de la substance.

M. ROSSI :                             Je ne veux pas connaître le nom du médicament. Je ne veux pas le savoir. Cela n'est pas pertinent. Le médicament. Il a été traité. À moins qu'il ne s'agisse d'un poison ou de quelque chose du même genre, de la maladie dévoreuse de chair ou de quelque chose du même genre.

[...]

Et à la page 275 :

[TRADUCTION]

M. ROSSI :                             Après 1997, un organe de l'État ou un skinhead ou une autre personne s'en sont-ils pris à vous en vous maltraitant? Et il peut ensuite en parler.

L'AVOCAT :                          Bien sûr.

M. ROSSI :                             D'accord.

L'AVOCAT :                          Merci.

M. ROSSI :                             Après 1997 et avant de venir au Canada – veuillez être très précis et exact, Monsieur.

L'INTÉRESSÉ :                      Après 1997, il n'y a pas eu d'agression de la part des skinheads.


[21]       Dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de la demande et à l'égard duquel il n'a pas été contre-interrogé, M. Toth a déclaré qu'à son avis, on ne lui avait pas pleinement donné la possibilité de présenter sa preuve et que le président de la formation l'avait interrogé d'une façon accusatoire. M. Toth a déclaré sous serment qu'à son avis, le président de la formation avait été impatient et impoli. M. Toth a affirmé que lorsqu'il avait témoigné qu'on l'avait détenu pendant deux heures sans motif valable, la formation l'a ridiculisé et a ri de la possibilité que la chose eût été pénible pour lui. M. Toth a déclaré sous serment que les commentaires et la conduite de la formation l'avaient humilié puisque cette dernière a reconnu, en particulier comme elle l'a noté dans ses motifs, que les Tziganes sont régulièrement détenus par la police, qui se livre à des actes de violence à leur endroit.

[22]       Les membres de la SSR sont chargés de rendre des décisions quasi judiciaires qui ont un effet profond sur la vie des personnes qui comparaissent devant eux. À cette responsabilité vient s'ajouter l'obligation qui incombe à chaque membre de la SSR de respecter, par sa conduite, les normes les plus strictes. Chaque membre de la formation doit en tout temps faire preuve de patience, de respect et de retenue.

[23]       En conclusion, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est infirmée et l'affaire est renvoyée pour réexamen devant une formation différente. L'avocat n'a pas soumis une question grave à certifier; aucune question n'est certifiée.

               « Eleanor R. Dawson »                 

J.C.F.C.

Toronto (Ontario),

le 6 mars 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-2394-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                MIKLOS TOTH

MIKLOSNE TOTH

KLAUDIA TOTH

RENATA TOTH

MIKLOS TOTH

                                                                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE MARDI 30 JANVIER 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Dawson en date du mardi 6 mars 2001

ONT COMPARU :

Peter Ivanyi                                                       pour les demandeurs

Mielka Visnic                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova

Avocats

121, rue Richmond Ouest, bureau 3903

Toronto (Ontario)

M5H 2K1                                                         pour les demandeurs

Morris Rosenberg                                 

Sous-procureur général du Canada                    pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.