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Date : 20021128

Dossier : T-1688-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1233

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                 LA SUCCESSION DE YUAN VERCINGÉTORIX WOO

                                                    (alias JEAN-PAUL MARTINEAU)

et

                                                               GRACE LI XIU WOO

                                                                                                                                            demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 26 juin 2001, par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) du Canada (le TACRA) a statué, relativement à une demande de réexamen, que la demanderesse n'avait pas droit à une pleine pension.

[2]                 Les faits peuvent être résumés comme suit :


[3]                 La demanderesse est la veuve d'un pensionné décédé, M. Woo (Jean-Paul Martineau à la naissance, Yuan Vercingetorix Woo après son changement de nom).

[4]                 M. Woo s'est enrôlé dans l'Aviation royale du Canada le 22 novembre 1952, à l'âge de 17 ans.

[5]                 Le 13 juillet 1953, alors qu'il accomplissait ses tâches de technicien-radardiste sur un avion, M. Woo est tombé et a fait une chute de 20 pieds. Il a été inconscient pendant dix heures et a subi diverses blessures.

[6]                 M. Woo a été hospitalisé pendant deux semaines à l'hôpital militaire de Montréal. Après avoir reçu son congé, il est retourné à l'hôpital en raison de douleurs abdominales. On l'a examiné pour voir s'il avait une appendicite. En août de cette même année, il a été traité pour une angine aiguë et il s'est plaint d'engourdissement à la tête depuis sa chute.

[7]                 En janvier 1954, M. Woo a été admis à nouveau à l'hôpital militaire de Montréal où on l'a opéré d'une appendicite gangréneuse aiguë compliquée d'une perforation ayant entraîné une péritonite.

[8]                 En mai 1954, M. Woo a été admis au Queen Mary Veterans Hospital (l'hôpital des anciens combattants de Queen Mary) et on a alors diagnostiqué qu'il souffrait d'insomnie et de dépression. Son dossier indique qu'il souffrait de nervosité, d'insomnie et de cauchemars et qu'il avait perdu 30 livres en trois mois. Des psychologues et des psychiatres l'ont examiné et ont posé divers diagnostics. À ce moment-là, M. Woo a aussi reçu 30 traitements par choc insulinique.

[9]                 Le 27 septembre 1954, on a recommandé la libération de l'armée de M. Woo pour des raisons médicales.

[10]            Le 25 novembre 1954, M. Woo a été réformé pour raisons médicales.

[11]            Le 11 juillet 1955, M. Woo, se plaignant de maux de tête, de nervosité et d'insomnie, a fait une demande de pension. Il a été admis au service de neurochirurgie.

[12]            En août 1955, on a diagnostiqué que M. Woo souffrait d'un début de schizophrénie, mais aussi de dépression et de tendances suicidaires.


[13]            Le 19 juin 1956, la Commission canadienne des pensions (la CCP) a reconnu à M. Woo le droit de recevoir une pension. Dans sa décision, la CCP a statué que le trouble nerveux dont souffrait M. Woo faisait partie de son bagage personnel. Elle a cependant aussi conclu que le début de schizophrénie pouvait avoir été déclenché par la chute survenue au cours du service militaire. De ce fait, elle a reconnu à M. Woo le droit de recevoir une pension partielle (deux cinquièmes de la pension), tranchant toute incertitude en faveur du pensionné.

[14]            Après un examen psychologique, deux psychiatres ont posé, en novembre 1956, un diagnostic de schizophrénie d'évolution progressive. Ils ont estimé que le degré d'invalidité de M. Woo était de 75 %. Comme la CCP avait statué que l'aggravation de sa maladie était liée, dans une proportion de deux cinquièmes, au service militaire, on lui a accordé une pension de 30 % (2/5 x 75 % = 30 %).

[15]            En février 1957, l'invalidité de M. Woo a été évaluée à 100 % et il a reçu une pension de 40 % (2/5 x 100 % = 40 %).

[16]            Quelques mois avant la mort de M. Woo le 20 août 1996, pour cause de cancer du poumon, la demanderesse a déposé auprès du ministère des Anciens Combattants (le ministère) une demande de pension à titre d'épouse survivante.

[17]            Invoquant une mauvaise caractérisation de l'invalidité de M. Woo, la demanderesse a demandé que la pénalité de 60 %, résultat du droit de recevoir les deux cinquièmes de la pension, soit retirée. Selon elle, c'est l'accident de son mari et le traitement qu'il a par la suite reçu dans les Forces armées canadiennes qui sont la cause de son invalidité, et non la schizophrénie.

[18]            Le 22 octobre 1996, le ministère a confirmé l'estimation faite en 1956.

[19]            Dans sa décision, le ministère a examiné les dossiers militaires de M. Woo et les dossiers du ministère. Il a constaté qu'il n'y avait eu, après l'accident, ni rapport de blessures ni rapport d'enquête au sujet de la blessure subie par M. Woo. Se fondant sur les éléments de preuve présentés, le ministère a statué que l'invalidité résultant de la schizophrénie diagnostiquée au cours du service militaire régulier était, de par sa nature, antérieure à l'enrôlement de M. Woo. Il a aussi conclu que la blessure invoquée comme cause des premiers symptômes de M. Woo en 1954 n'était pas liée à son travail, pas plus que ne l'étaient les autres facteurs invoqués comme cause de l'aggravation de l'invalidité. Le ministère a néanmoins statué qu'on devait continuer de verser la pension antérieurement accordée.

[20]            Insatisfaite de la décision du ministère, la demanderesse a présenté au TACRA une demande de révision de la décision conformément à l'article 18 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18.

[21]            Le 10 avril 1997, le comité de révision du TACRA a tenu une audience et a conclu que le droit à la pension devait rester inchangé. Il a examiné les éléments de preuve et a statué que le droit aux deux cinquièmes de la pension qui avait déjà été accordé était, dans les circonstances, généreux et que la pension ne devrait pas être augmentée puisque l'origine de la schizophrénie était antérieure à l'enrôlement de M. Woo et que l'affection n'était pas liée au trauma.


[22]            La demanderesse a interjeté appel de cette décision.

[23]            Le comité d'appel du TACRA a tenu une audience le 30 juillet 1998. Après l'audience, le Tribunal a demandé un avis médical au Dr Déziel, qui n'a pas vu de lien de causalité entre la schizophrénie et la blessure au crâne subie lors de la chute. Son avis médical était que M. Woo avait commencé à souffrir de schizophrénie en avril ou juin 1954 et que cette affection n'était pas liée à la chute survenue en juillet 1953.

[24]            Se fondant sur cette preuve médicale, le Tribunal a statué qu'il était convaincu hors de tout doute raisonnable que la schizophrénie de M. Woo était, de par sa nature, antérieure à l'enrôlement. Il a par conséquent confirmé la décision du comité de révision du TACRA.

[25]            La demanderesse a alors déposé une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision.

[26]            Le 13 octobre 2000, la demanderesse, représentée par un avocat, a abandonné la demande de contrôle judiciaire, car les deux parties se sont entendues pour que la demanderesse présente plutôt des nouveaux éléments de preuve au TACRA dans le cadre d'un réexamen.

[27]            Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse étaient d'ordre médical et provenaient du Dr Frank et du Dr Ng.

[28]            Le Dr Frank, expert en psychiatrie, a examiné le dossier de M. Woo et a conclu que celui-ci n'avait pas souffert de schizophrénie, mais plutôt d'un trouble de stress post-traumatique. Selon lui, la maladie psychologique de M. Woo était probablement causée par le stress subi lors du service militaire.

[29]            Le Dr Ng a soigné M. Woo du 25 avril 1996 jusqu'à la mort de ce dernier, le 20 août 1996. Lorsqu'il a examiné les dossiers médicaux de M Woo, le Dr Ng n'a trouvé aucune mention de schizophrénie ou d'état mental instable avant la commotion cérébrale subie en juillet 1953. Enfin, il a conclu que M. Woo avait souffert d'un traumatisme crânien qui pouvait avoir été mal diagnostiqué dans les années 50 comme étant la schizophrénie.

[30]            Le comité d'appel du TACRA saisi du réexamen a tenu une audience le 9 avril 2001. Dans sa décision, en date du 26 juin 2001, le Tribunal a confirmé la décision datée du 30 juillet 1998 et a maintenu le droit aux deux cinquièmes de la pension.

[31]            La présente demande de contrôle judiciaire vise cette dernière décision datée du 26 juin 2001.


LA DÉCISION DU COMITÉ D'APPEL DU TACRA

[32]            Le comité a examiné tous les éléments de preuve documentés dont il disposait et a apprécié les nouveaux éléments de preuve d'ordre médical du Dr Frank et du Dr Ng. La décision du comité peut être résumée comme suit :

Lien avec le service militaire

[33]            En vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, le droit à la pension est reconnu en cas de maladie ou de blessure consécutive ou rattachée directement au service dans les forces régulières. Le Tribunal a conclu qu'aucun élément de preuve documenté n'indiquait que M. Woo était tombé lors de l'accomplissement de ses fonctions ou que la blessure subie en 1953 était consécutive ou rattachée directement au service militaire. D'après la preuve, l'accident n'a pas été rapporté et il n'y a pas eu de rapport d'enquête ni de rapport de témoin.

Conséquences physiques de la chute survenue en 1953


[34]            Le Tribunal a examiné la prétention de la demanderesse selon laquelle c'est la chute de M. Woo en 1953 qui a causé son invalidité. Le Tribunal a conclu qu'il n'y a aucune preuve que la chute de M. Woo lui a causé un trouble mental organique ou toute autre séquelle physique au cerveau. M. Woo a subi en 1953, après sa blessure, une série de rayons X au crâne qui n'ont révélé ni fracture ni enfoncement de la boîte crânienne. Un avis médical daté du 28 juillet 1953 indique qu'il n'y avait pas de signe de maladie cérébelleuse ou labyrinthique. Il n'y avait toujours aucun signe, en août 1953, de séquelle cérébrale résiduelle et aucune activité épileptiforme n'a été consignée au dossier. En mai 1954, un EEG n'a révélé aucun signe de dommage organique au cerveau. La première indication de dommage au cerveau a été rapportée après 1954.

Affection existante avant l'enrôlement

[35]            Le Tribunal a analysé la décision que la CCP a rendue en 1956. Cette décision était fondée sur le fait qu'indépendamment de la possibilité que la schizophrénie ait pu être déclenchée par la chute de M. Woo, il existait aussi un consensus médical général selon lequel les facteurs génétiques jouaient un rôle important dans l'étiologie de la schizophrénie. Selon la CCP, l'affection dont souffrait M. Woo était probablement existante avant son enrôlement et faisait partie de son bagage personnel.


[36]            La demanderesse a fait valoir qu'il n'était pas prouvé que M. Woo souffrait d'une affection avant son enrôlement, mais le Tribunal a statué qu'aucune preuve médicale ne contredisait cette thèse. Ayant consulté le Manuel Merck et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM-IV), le Tribunal a conclu que le consensus médical actuel était toujours que la schizophrénie était liée à des facteurs tant génétiques qu'environnementaux. La CCP n'a pas, en 1956, reconnu à M. Woo le droit de recevoir une pleine pension parce qu'il était généralement admis que la maladie avait une composante biologique. Elle a cependant reconnu à M. Woo un droit partiel à la pension parce qu'il était également admis que différents agents stressants de nature environnementale pouvaient déclencher l'apparition ou la réapparition des symptômes chez des personnes vulnérables.

Diagnostic : schizophrénie ou autre affection?

[37]            Le Tribunal a apprécié les avis médicaux du Dr Frank et du Dr Ng. Le Dr Frank a déclaré que le mariage de M. Woo et les réalisations de celui-ci en affaires militaient fortement contre la thèse de la schizophrénie puisque les schizophrènes sont rarement capables de se marier ou de maintenir un emploi rémunéré. Le Tribunal a cependant dit que d'autres éléments de preuve indiquaient que M. Woo était incapable de prendre soin de lui et que son comportement correspondait à celui des personnes souffrant de schizophrénie.

[38]            Le Tribunal a exprimé des inquiétudes quant au diagnostic du Dr Frank selon lequel M. Woo souffrait d'un trouble de stress post-traumatique parce que ce diagnostic ne reposait ni sur une évaluation conformément aux critères du DSM-IV, ni sur un examen médical. Le Tribunal a également noté que le Dr Frank avait énuméré plusieurs facteurs qui auraient pu contribuer au développement de la maladie de M. Woo. Se fondant sur les renseignements fournis par le Dr Frank, le Tribunal a estimé que la preuve était insuffisante pour conclure que M. Woo souffrait d'un trouble de stress post-traumatique.


[39]            Le Tribunal a également accordé peu de poids à l'avis médical du Dr Ng parce que cet avis ne contenait pas une anamnèse valide et complète, composante essentielle d'un avis médical valide.

Antécédents professionnels

[40]            Le Tribunal a examiné les antécédents professionnels de M. Woo après sa libération de l'armée en 1954 et a découvert qu'il a occupé divers postes pendant de courtes périodes. Le Tribunal a estimé que cette information était compatible avec l'avis du Dr Frank selon lequel les personnes souffrant de schizophrénie maintiennent très rarement un emploi rémunéré.

           Relations interpersonnelles

[41]            Le Tribunal a examiné des documents datant de 1954 à 1968 et, se fondant sur l'avis du Dr Frank suivant lequel les schizophrènes ont des relations interpersonnelles fragiles, a conclu que le comportement de M. Woo au cours de cette période correspondait à celui des personnes souffrant de schizophrénie. M. Woo n'a pas conservé un emploi stable, n'a pas eu de relation matrimoniale stable et, souvent, n'a pas été en mesure de s'occuper de ses propres affaires.


Thérapie de coma à l'insuline

[42]            Le Tribunal a examiné l'argumentation de la demanderesse selon laquelle les traitements de coma à l'insuline que M. Woo a reçu en 1954 (environ 30), soit huit mois après sa chute, étaient expérimentaux et avaient grandement contribué à ses problèmes de santé mentale. Le Tribunal n'a pas trouvé dans le dossier de preuve de mauvais traitements ou de traitements expérimentaux.

[43]            Le Tribunal a aussi mentionné un article intitulé « The History of Shock Therapy in Psychiatry » , écrit par Renato M.E. Sabbatni, docteur en neurophysiologie du comportement. Cet article signale que la thérapie du choc insulinique était, à l'époque, considérée comme étant une méthode physiologique pratique et efficace pour le traitement de la schizophrénie et que l'état de certains patients s'était amélioré après qu'ils eurent reçu la thérapie.

Motifs et conclusion

[44]            Après avoir examiné tous les renseignements dont il disposait et avoir pris en considération les nouveaux éléments de preuve d'ordre médical, le Tribunal a estimé que, faute d'évaluation médicale, la preuve ne permettait pas de conclure que M. Woo souffrait d'un trouble de stress post-traumatique.

[45]            Le Tribunal a statué que les faits et les événements qui ont eu lieu entre le milieu des années 50 et 1972 semblent indiquer que M. Woo souffrait d'une maladie mentale. Il a aussi conclu que le diagnostic de schizophrénie rendu en 1954 à Montréal, diagnostic confirmé en 1961 et 1962 par le Dr Dufresne à Paris et en 1964 à la clinique psychiatrique de l'hôpital des anciens combattants de Queen Mary, était crédible dans les circonstances.

[46]            Se fondant sur tous les éléments de preuve disponibles, le Tribunal a conclu que le diagnostic de schizophrénie découlait des faits et qu'un changement de diagnostic n'était pas justifié dans les circonstances. Il a statué que rien dans la preuve présentée n'établissait l'existence d'erreurs de fait ou de droit, et que les nouveaux éléments de preuve ne permettaient pas de conclure qu'une augmentation de la proportion de la pension était justifiée.

[47]            En conséquence, le Tribunal a confirmé la décision du comité d'appel rendue le 30 juillet 1998 relativement au droit à la pension.

CADRE LÉGISLATIF


[48]            En 1995, le Parlement a modifié la structure du processus d'appel et de révision des pensions des anciens combattants. La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (la Loi) a remplacé le Tribunal d'appel des anciens combattants, le Conseil de révision des pensions et la Commission des allocations aux anciens combattants par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Le TACRA constitue maintenant le seul organe de révision et d'appel en matière de pensions des anciens combattants.

[49]            L'article 3 de la Loi énonce un régime dérogatoire à l'égard des pensions des anciens combattants. Cet article est rédigé comme suit :


3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.


[50]            L'article 39 de la Loi régit l'utilisation des éléments de preuve dans une demande. Cet article est rédigé comme suit :


39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


[51]            La Loi contient une clause privative à l'article 31, mais aussi une disposition à l'article 32 qui permet le réexamen d'une demande déjà entendue. Ces articles sont rédigés comme suit :


31. La décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.

32. (1) Par dérogation à l'article 31, le comité d'appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l'annuler ou la modifier s'il constate que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l'auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

2) Le Tribunal, dans les cas où les membres du comité ont cessé d'exercer leur charge, peut exercer les fonctions du comité visées au paragraphe (1).

(2) The Board may exercise the powers of an appeal panel under subsection (1) if the members of the appeal panel have ceased to hold office as members.

(3) Les articles 28 et 31 régissent, avec les adaptations de circonstance, les demandes adressées au Tribunal dans le cadre du paragraphe (1).

(3) Sections 28 and 31 apply, with such modifications as the circumstances require, with respect to an application made under subsection (1).


[52]            En vertu de l'article 111 de la Loi, le TACRA peut réexaminer une décision antérieure sur la base de deux motifs généraux : la présentation de nouveaux éléments de preuve - le réexamen est alors fait sur demande - et l'existence d'erreurs de fait ou de droit - le Tribunal procède de son propre chef au réexamen. L'article 111 est rédigé comme suit :



111. Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est habilité à réexaminer toute décision du Tribunal d'appel des anciens combattants, du Conseil de révision des pensions, de la Commission des allocations aux anciens combattants ou d'un comité d'évaluation ou d'examen, au sens de l'article 79 de la Loi sur les pensions, et soit à la confirmer, soit à l'annuler ou à la modifier comme s'il avait lui-même rendu la décision en cause s'il constate que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées; s'agissant d'une décision du Tribunal d'appel, du Conseil ou de la Commission, il peut aussi le faire sur demande si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

111. TheVeterans Review and Appeal Board may, on its own motion, reconsider any decision f the Veterans Appeal Board, the Pension Review Board, the War Veterans Allowance Board, or an Assessment Board or an Entitlement Board as defined in section 79 of the Pension Act, and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may, in the case of any decision of the Veterans Appeal Board, the Pension Review Board or the War Veterans Allowance Board, do so on application if new evidence is presented to it.


[53]            Finalement, les dispositions suivantes de l'article 21 de la Loi sur les pensions, S.R. 1985, ch. P-6, sont pertinentes pour la présente demande :


[...]

21(2)    Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

[...]

21(2)    Service in militia or reserve army and in peace time

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

b) des pensions sont accordées à l'égard des membres des forces, conformément aux taux prévus à l'annexe II, en cas de décès causé par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(b) where a member of the forces dies as a result of an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall be awarded in respect of the member in accordance with the rates set out in Schedule II;


c) sauf si une compensation est payable aux termes du paragraphe 34(8), la pension supplémentaire que reçoit un membre des forces en application de l'alinéa a), du paragraphe (5) ou de l'article 36 continue d'être versée pendant l'année qui suit la fin du mois du décès de l'époux ou du conjoint de fait avec qui il cohabitait alors ou, le cas échéant, jusqu'au versement de la pension supplémentaire accordée pendant cette année à l'égard d'un autre époux ou conjoint de fait;

(c) where a member of the forces is in receipt of an additional pension under paragraph (a), subsection (5) or section 36 in respect of a spouse or common-law partner who is living with the member and the spouse or common-law partner dies, except where an award is payable under subsection 34(8), the additional pension in respect of the spouse or common-law partner shall continue to be paid for a period of one year from the end of the month in which the spouse or common-law partner died or, if an additional pension in respect of another spouse or common-law partner is awarded to the member commencing during that period, until the date that it so commences; andd) d'une part, une pension égale à la somme visée au sous-alinéa (ii) est payée au survivant qui vivait avec le membre des forces au moment du décès au lieu de la pension visée à l'alinéa b) pendant une période d'un an à compter de la date depuis laquelle une pension est payable aux termes de l'article 56 - sauf que pour l'application du présent alinéa, la mention « si elle est postérieure, la date du lendemain du décès » à l'alinéa 56(1)a) doit s'interpréter comme signifiant « s'il est postérieur, le premier jour du mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès » - d'autre part, après cette année, la pension payée au survivant l'est conformément aux taux prévus à l'annexe II, lorsque, à l'égard de celui-ci, le premier des montants suivants est inférieur au second _:

                (i)    la pension payable en application de l'alinéa b),

                (ii) la somme de la pension de base et de la pension supplémentaire pour un époux ou conjoint de fait qui, à son décès, est payable au membre en application de l'alinéa a), du paragraphe (5) ou de l'article 36.

(d) where, in respect of a survivor who was living with the member of the forces at the time of that member's death,

                (i)    the pension payable under paragraph (b) is less than

                (ii)    the aggregate of the basic pension and the additional pension for a spouse or common-law partner payable to the member under paragraph (a), subsection (5) or section 36 at the time of the member's death,

a pension equal to the amount described in subparagraph (ii) shall be paid to the survivor in lieu of the pension payable under paragraph (b) for a period of one year commencing on the effective date of award as provided in section 56 (except that the words "from the day following the date of death" in subparagraph 56(1)(a)(i) shall be read as "from the first day of the month following the month of the member's death"), and thereafter a pension shall be paid to the survivor in accordance with the rates set out in Schedule II.

21(2.1) Aggravation

(2.1) En cas d'invalidité résultant de l'aggravation d'une blessure ou maladie, seule la fraction - calculée en cinquièmes - du degré total d'invalidité qui représente l'aggravation peut donner droit à une pension.

21(2.1) Pensionable fraction of aggravated disability

(2.1) Where a pension is awarded in respect of a disability resulting from the aggravation of an injury or disease, only that fraction of the total disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated is pensionable.

21(3) Présomption

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

21(3) Presumption

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of


a) d'exercices d'éducation physique ou d'une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu'ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l'intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;b) d'une activité accessoire ou se rattachant directement à une activité visée à l'alinéa a), y compris le transport du membre des forces par quelque moyen que ce soit entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et le lieu de cette activité;

(b) any activity incidental to or directly connected with an activity described in paragraph (a), including the transportation of the member by any means between the place the member normally performed duties and the place of that activity;

c) soit du transport du membre des forces, à l'occasion de ses fonctions, dans un bâtiment, véhicule ou aéronef militaire ou par quelque autre moyen de transport autorisé par une autorité militaire, soit d'un acte fait ou d'une mesure prise par le membre des forces ou une autre personne lorsque cet acte ou cette mesure était accessoire ou se rattachait directement à ce transport;

(c) the transportation of the member, in the course of duties, in a military vessel, vehicle or aircraft or by any means of transportation authorized by a military authority, or any act done or action taken by the member or any other person that was incidental to or directly connected with that transportation;

d) du transport du membre des forces au cours d'une permission par quelque moyen autorisé par une autorité militaire, autre qu'un moyen de transport public, entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et soit le lieu où il devait passer son congé, soit un lieu où un moyen de transport public était disponible;

(d) the transportation of the member while on authorized leave by any means authorized by a military authority, other than public transportation, between the place the member normally performed duties and the place at which the member was to take leave or a place at which public transportation was available;

e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;

(e) service in an area in which the prevalence of the disease contracted by the member, or that aggravated an existing disease or injury of the member, constituted a health hazard to persons in that area;

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member; and

g) de l'exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l'environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.

(g) the performance by the member of any duties that exposed the member to an environmental hazard that might reasonably have caused the disease or injury or the aggravation thereof.


21(5) Pension pour invalidité supplémentaire

(5) En plus de toute pension accordée au titre des paragraphes (1) ou (2), une pension est accordée conformément aux taux indiqués à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, sur demande, à un membre des forces, relativement au degré d'invalidité supplémentaire qui résulte de son état, dans le cas où _:

21(5) Consequential disability

(5) In addition to any pension awarded under subsection (1) or (2), a member of the forces whoa) d'une part, il est admissible à une pension au titre des alinéas (1)a) ou (2)a) ou du présent paragraphe, ou a subi une blessure ou une maladie - ou une aggravation de celle-ci - qui aurait donné droit à une pension à ce titre si elle avait entraîné une invalidité;

(a) is eligible for a pension under paragraph (1)(a) or (2)(a) or this subsection in respect of an injury or disease or an aggravation thereof, or has suffered an injury or disease or an aggravation thereof that would be pensionable under that provision if it had resulted in a disability, and

b) d'autre part, il est frappé d'une invalidité supplémentaire résultant, en tout ou en partie, de la blessure, maladie ou aggravation qui donne ou aurait donné droit à la pension.

(b) is suffering an additional disability that is in whole or in part a consequence of the injury or disease or the aggravation referred to in paragraph (a) shall, on application, be awarded a pension in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I in respect of that part of the additional disability that is a consequence of that injury or disease or aggravation thereof.

21(9) Présomption quant à l'état de santé du membre au moment de l'enrôlement

21(9) Presumption as to medical condition of member on enlistment

(9) Sous réserve du paragraphe (10), lorsqu'une invalidité ou une affection entraînant incapacité d'un membre des forces pour laquelle il a demandé l'attribution d'une compensation n'était pas évidente au moment où il est devenu membre des forces et n'a pas été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement, l'état de santé de ce membre est présumé avoir été celui qui a été constaté lors de l'examen médical, sauf dans les cas suivants :

(9) Subject to subsection (10), where a disability or disabling condition of a member of the forces in respect of which the member has applied for an award was not obvious at the time he or she became a member and was not recorded on medical examination prior to enlistment, that member shall be presumed to have been in the medical condition found on his or her enlistment medical examination unless there is

a) il a été consigné une preuve que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi son enrôlement;

(a) recorded evidence that the disability or disabling condition was diagnosed within three months after the enlistment of the member; or

b) il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité existait avant son enrôlement.

(b) medical evidence that establishes beyond a reasonable doubt that the disability or disabling condition existed prior to the enlistment of the member.

21(10) Corroboration nécessaire à l'égard des renseignements fournis volontairement par un membre quant à son état de santé

21(10) Information volunteered by member as to medical condition to be corroborated


(10) Les renseignements fournis par un membre des forces au moment de son enrôlement en ce qui concerne une invalidité ou une affection entraînant incapacité ne constituent pas une preuve que l'invalidité ou l'affection entraînant l'incapacité existait avant son enrôlement sauf si ces renseignements sont corroborés par une preuve qui établit, hors de tout doute raisonnable, que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité existait avant son enrôlement.

(10) Information given by a member of the forces at the time of the enlistment of the member with respect to a disability or disabling condition is not evidence that the disability or disabling condition existed prior to the enlistment of the member unless there is corroborating evidence that establishes beyond a reasonable doubt that the disability or disabling condition existed prior to the time the member became a member of the forces.


ANALYSE

[54]            Pour déterminer si l'invalidité de M. Woo était causée par la schizophrénie ou une autre affection, il faut tirer une conclusion de fait. Bien que le Tribunal ne soit pas un expert en matière médicale, je suis d'avis qu'on doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard de ses conclusions. Dans la décision MacNeill c. Canada, [1998] A.C.F. no 1115, le juge Nadon a déclaré, au paragraphe 22 :

Même si le Tribunal ne possède peut-être pas de connaissances spéciales en matière médicale, il reste qu'il lui appartient d'apprécier la preuve et de trancher les questions de crédibilité et que cette cour ne devrait pas intervenir dans le cadre d'un contrôle, à moins qu'il ne puisse être démontré qu'une erreur susceptible de révision a été commise.

[55]           La Cour a statué que, compte tenu du cadre législatif qui confère une compétence exclusive au TACRA et de la clause restrictive qui rend la décision du Tribunal définitive et exécutoire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Weare c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1145). Par conséquent, je ne suis justifiée de modifier la décision du Tribunal que si je conclus qu'elle est fondée sur une erreur de droit ou que le Tribunal a tiré, de façon abusive ou arbitraire, une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve dont il était saisi.


[56]            La présente affaire vise le contrôle judiciaire d'une décision du TACRA relative à un réexamen. Lorsqu'il tient une audience relativement à un réexamen en application de l'article 111 de la Loi, le TACRA examine les nouveaux éléments de preuve ainsi que la preuve qui avait été reçue pour la décision antérieure. De même, quand elle procède à un contrôle judiciaire, la Cour examine les nouveaux éléments de preuve soumis lors du réexamen et les compare aux éléments de preuve antérieurement reçus.

[57]            En l'espèce, de nouveaux éléments de preuve d'ordre médical ont été soumis. Il s'agit des avis médicaux du Dr Frank et du Dr Ng selon lesquels l'invalidité de M. Woo résultait d'un trouble de stress post-traumatique. Ces avis contredisent le diagnostic de schizophrénie posé en 1956 par le Dr Koranyi et en 1961 et 1962 par le Dr Dufresne. La Cour a statué qu'en présence d'éléments de preuve contradictoires, le Tribunal doit évaluer la preuve eu égard aux obligations que lui imposent les articles 3 et 39 de la Loi (MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346). Le Tribunal avait par conséquent le devoir d'examiner et d'évaluer les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse et de trancher toute incertitude en faveur de celle-ci.


[58]            La demanderesse met l'accent sur le fait que le rapport de l'examen médical subi par son défunt mari lors de son enrôlement indiquait qu'il était en bonne santé et qu'il ne souffrait d'aucune maladie. Par conséquent, la demanderesse soutient que, pour tirer sa conclusion, le Tribunal aurait dû, suivant le paragraphe 21(9) de la Loi sur les pensions, disposer d'une preuve hors de tout doute raisonnable de l'existence de la schizophrénie chez M. Woo avant son enrôlement dans l'armée. D'après la demanderesse, le Tribunal a commis une erreur de droit en tirant une conclusion sur la base de la « possibilité » que M. Woo ait souffert de schizophrénie, alors qu'il devait détenir une preuve « hors de tout doute raisonnable » .

[59]            Je conviens avec la demanderesse que le lourd fardeau imposé par le paragraphe 21(9) ne permettait pas au Tribunal de conclure que la schizophrénie de M. Woo existait avant son enrôlement. L'indication de bonne santé dans le rapport de l'examen médical subi par M. Woo lors de son enrôlement ne change cependant pas l'analyse que le Tribunal était tenu de faire. Selon le paragraphe 21(9) de la Loi sur les pensions, l'existence avant l'enrôlement d'une affection entraînant l'incapacité doit être établie hors de tout doute raisonnable lorsque l'examen médical subi lors de l'enrôlement fait état d'un bon état de santé. Dans la présente affaire, des éléments de preuve d'ordre médical indiquaient que M. Woo avait souffert de schizophrénie après son enrôlement et sa libération de l'armée. La question de savoir s'il souffrait déjà de schizophrénie avant son enrôlement n'est donc pas déterminante en l'espèce. Même si l'on tient pour acquis que M. Woo était en bonne santé avant son enrôlement, le Tribunal avait malgré tout l'obligation d'apprécier et de soupeser les éléments de preuve contradictoires d'ordre médical pour décider si l'invalidité de M. Woo résultait de sa schizophrénie ou d'une autre affection.

[60]            La Cour a statué que, malgré les articles 3 et 39 de la Loi, il incombe toujours au demandeur de fournir des éléments de preuve crédibles et raisonnables pour établir sa position. Dans la décision Hall c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890, le juge Reed a énoncé, au paragraphe 19 :


Bien que le demandeur affirme à juste titre que les éléments de preuve non contredits qu'il soumet doivent être acceptés à moins que l'on conclue à une absence de vraisemblance et que les conclusions qui lui sont les plus favorables doivent être tirées et que toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande doit être tranchée en sa faveur, le demandeur est quand même tenu de démontrer que le trouble médical dont il souffre présentement découle de son service militaire ou y est rattaché. En d'autres termes, il doit faire la preuve d'un lien de causalité. [Non souligné dans l'original.]

[61]            Le coeur de l'argumentation de la demanderesse est que l'invalidité de M. Woo a été causée uniquement par sa chute en 1953. Pour le prouver, elle a présenté de nouveaux éléments de preuve d'ordre médical selon lesquels M. Woo avait souffert d'un trouble de stress post-traumatique. Pour décider si un changement de diagnostic était justifié dans les circonstances, le Tribunal devait apprécier et soupeser ces nouveaux éléments de preuve ainsi que les avis médicaux antérieurs suivant lesquels M. Woo souffrait de schizophrénie.

[62]            La Cour a déjà statué que le Tribunal est en droit, lorsqu'il est en présence d'éléments de preuve d'ordre médical contradictoires, de rejeter ceux qu'il n'estime pas crédibles, mais qu'il doit fournir les motifs de son rejet (Kripps c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 742). Le Tribunal a rejeté l'avis médical du Dr Ng parce qu'il ne contenait pas une anamnèse valide et complète (antécédents médicaux ou psychiatriques du patient), composante essentielle pour la validité d'un avis médical. Il n'a pas non plus accepté le diagnostic de trouble de stress post-traumatique posé par le Dr Frank puisque ce diagnostic n'était fondé ni sur une évaluation conformément aux critères énoncés au DSM-IV, ni sur un examen médical de M. Woo.

[63]            De plus, l'avis médical du Dr Frank n'indiquait pas clairement que l'invalidité de M. Woo avait un lien avec son service. L'avis médical du Dr Frank était destiné à établir que l'invalidité de M. Woo résultait d'un trouble de stress post-traumatique causé par sa chute en 1953. Le Dr Frank a cependant reconnu dans son rapport que de nombreux facteurs auraient pu contribuer au développement du trouble de stress post-traumatique, dont certains ne sont pas liés au service militaire de M. Woo.

[64]            Le Tribunal a également noté que M. Woo n'avait subi, entre 1964 et 1996, aucun examen médical aux fins de la pension qu'il aurait pu examiner. Compte tenu du manque de fiabilité des éléments de preuve soumis par la demanderesse et l'absence d'examen médical de M. Woo entre 1964 et 1996, le Tribunal a rejeté le diagnostic de trouble de stress post-traumatique.

[65]            Je suis d'avis que le Tribunal a correctement apprécié et soupesé les éléments de preuve d'ordre médical. Dans son analyse, le Tribunal n'a pas oublié son obligation d'interpréter de façon libérale tous les textes de loi et de trancher toute incertitude en faveur de la demanderesse. Il n'a cependant pas été convaincu, au vu des nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse, que le diagnostic de schizophrénie devait être infirmé. Il avait aussi des doutes quant au lien entre l'invalidité de M. Woo et le service militaire. Il a cependant donné le bénéfice du doute à la demanderesse et a maintenu son droit de recevoir les deux cinquièmes de la pension conformément à ce qui avait préalablement été accordé. Je ne puis conclure que la décision du Tribunal était manifestement déraisonnable.


[66]            La demanderesse soutient également que le Tribunal avait des préjugés contre elle. Comme trois des cinq membres du comité avaient rendu la décision antérieure (au terme de l'audience du 30 juillet 1998), la demanderesse fait valoir que le Tribunal penchait déjà pour une conclusion défavorable avant de rendre sa décision et qu'il était prêt à tout pour rejeter sa demande de réexamen.

[67]            La demanderesse souligne que le Tribunal n'a pas accédé à sa demande de laisser le Dr Frank assister à l'audience, mais a choisi de la contre-interroger sur le contenu de l'avis du médecin. Selon elle, l'emploi du contre-interrogatoire par le Tribunal est révélateur de sa partialité. Elle ajoute que le Tribunal n'a pas appliqué la même norme à l'égard de tous les éléments de preuve d'ordre médical. Les membres du Tribunal ont rejeté la surexpertise du Dr Frank au motif qu'il n'avait pas examiné M. Woo, mais ils se sont fiés à l'avis du Dr Déziel et à leur propre évaluation alors que ni ce médecin ni les membres du Tribunal n'avaient examiné M. Woo.

[68]            Le fait que les mêmes membres du comité siègent pour le réexamen est conforme à la Loi et n'est pas indicatif de partialité de la part du Tribunal. Le paragraphe 32(2) de la Loi indique que les décisions sont réexaminées par les membres qui ont siégé à la première audience. Par conséquent, je ne peux accepter que le fait que les mêmes membres ont siégé pour le réexamen puisse susciter une crainte raisonnable de partialité.


[69]            De plus, on a demandé, à l'audience, à la demanderesse si elle acceptait la composition du comité et elle a répondu affirmativement :

[TRADUCTION] D'une certaine façon, cela me préoccupe parce que ce genre d'appel est incompatible avec les principes de neutralité et de justice fondamentale. Mais je crois que c'est le mieux que l'on puisse faire avec la loi actuelle. Je crois donc que vous ferez de votre mieux avec les outils ... les outils juridiques à votre disposition et nous acceptons donc le comité. Merci.

Dossier complémentaire du défendeur, page 6

[70]            En ce qui concerne la demande de la demanderesse visant la présence du Dr Frank à l'audience, les paragraphes 28(2) et 32(3) de la Loi indiquent que seuls des éléments de preuve documentés peuvent être soumis au comité d'appel lors d'un réexamen. Le Dr Frank n'a donc pas pu assister à l'audience de réexamen et la décision du Tribunal de ne pas accéder à la demande de la demanderesse était bien fondée en droit.

[71]            Je ne peux pas non plus accepter la prétention de la demanderesse selon laquelle l'emploi du contre-interrogatoire par le Tribunal est indicateur de sa partialité. À mon avis, cette prétention est attribuable à la mauvaise compréhension par la demanderesse de la procédure du TACRA. Le TACRA est un tribunal non contradictoire. Cela veut dire qu'il n'entend pas les arguments de parties opposées, mais qu'il conduit plutôt sa propre enquête pour parvenir à une décision. Ainsi, le Tribunal était en droit d'interroger ou de contre-interroger la demanderesse sur certains aspects de sa demande.

[72]            La prétention de la demanderesse selon laquelle le Tribunal n'a pas appliqué la même norme à l'égard de tous les éléments de preuve d'ordre médical n'est pas non plus fondée. Premièrement, le Tribunal ne s'est pas appuyé sur l'avis du Dr Déziel pour rendre sa décision en date du 26 juin 2001. Deuxièmement, il n'a pas rejeté l'évaluation du Dr Frank pour le seul motif que celui-ci n'avait pas examiné M. Woo. Plusieurs facteurs ont motivé le rejet de l'évaluation du médecin, notamment l'absence d'une anamnèse valide et complète et l'absence de preuve médicale suffisante à l'appui du diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Troisièmement, les membres du Tribunal n'ont pas effectué leur propre évaluation de M. Woo, mais ont plutôt évalué les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse et se sont demandés s'ils suffisaient pour infirmer le diagnostic antérieur de schizophrénie.

[73]            La demanderesse a de plus soutenu que le Tribunal s'était fondé, pour rendre sa décision, sur les documents suivants qui ne lui ont pas été communiqués : des documents des Archives nationales; six volumes tirés des dossiers médicaux de M. Woo; le Manuel Merck et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM-IV); la décision McTague c. Procureur général de la Cour fédérale; un article intitulé « The History of Shock Therapy in Psychiatry » . Elle prétend qu'il est contraire aux règles de justice naturelle qu'un tribunal fonde sa décision sur des renseignements qui n'ont pas été communiqués avant l'audience, privant ainsi le demandeur d'une juste possibilité de les corriger ou de les contredire.

[74]            Je suis d'avis que le renvoi aux documents susmentionnés dans la décision du Tribunal ne constitue pas une violation du droit de la demanderesse à l'équité procédurale. La demanderesse a eu par le passé accès aux documents des Archives nationales, aux six volumes tirés des dossiers médicaux de M. Woo et au Manuel Merck. Par conséquent, le fait que le Tribunal se soit servi de ces documents pour rendre sa décision n'aurait pas dû la surprendre. Le DSM-IV n'a pas été mentionné à l'audience, mais le Dr Frank devait connaître ce manuel étant donné ses études en médecine.

[75]            De la même façon, le recours à la décision McTague n'entraîne pas une violation de l'équité procédurale. Cette décision appartient à la jurisprudence et le Tribunal a le droit de se reporter à des décisions de la Cour pour interpréter les régimes législatifs pertinents. Le Tribunal est en droit d'interpréter les lois et de se reporter aux décisions de la Cour.


[76]            Enfin, je suis d'avis que la mention, dans la décision du Tribunal, de l'article sur les traitements de choc ne porte pas atteinte aux principes d'équité procédurale. Le Tribunal a renvoyé à cet article pour illustrer le fait que les médecins estimaient à l'époque que la thérapie du choc insulinique était une forme de traitement acceptable pour les patients souffrant de schizophrénie et que certaines personnes en avaient même tiré bénéfice. La question déterminante pour le Tribunal n'était cependant pas si cette thérapie était bonne, mais plutôt s'il était prouvé que les traitements de choc insulinique avaient aggravé l'invalidité de M. Woo. Le Tribunal a conclu qu'aucune preuve n'indiquait que cette thérapie avait eu une incidence sur l'invalidité de M. Woo. L'article n'a servi qu'à fournir des renseignements généraux sur la thérapie du choc insulinique et n'a pas causé à la demanderesse un préjudice de nature à constituer une violation des principes d'équité procédurale.

[77]            Après examen des prétentions de la demanderesse en matière de partialité, je suis d'avis qu'elles ne sont pas fondées. Rien n'indique que le Tribunal a agi avec partialité ou que ses commentaires étaient abusifs ou arbitraires.

[78]            Les autres moyens invoqués par la demanderesse ont trait à des irrégularités dans les décisions antérieures du TACRA. La demanderesse fait valoir que le TACRA a commis une erreur en demandant, après l'audience du 30 juillet 1998, l'avis du Dr Déziel, un membre du ministère. Elle soutient aussi que le TACRA a commis une erreur de droit en l'empêchant de contre-interroger le Dr Déziel. Finalement, elle prétend que le ministre a commis une erreur de droit ne lui portant pas assistance alors qu'il était tenu de le faire en vertu de la Loi sur les pensions.

[79]            Ces allégations n'appartiennent pas, à mon sens, au présent contrôle judiciaire. La décision du Tribunal datée du 26 juin 2001 n'était pas fondée sur l'avis du Dr Déziel. Aucun préjudice n'a donc été causé à la demanderesse.


[80]            De plus, si la demanderesse estimait qu'il y avait eu des irrégularités à la suite de l'audience du 30 juillet 1998, elle aurait dû les soulever à l'audience du 9 avril 2001. Dans la décision Hudon c. Procureur général du Canada, [2001] A.C.F. no 1836, la Cour a réitéré que les questions de violations des principes de justice naturelle doivent être soulevées devant le tribunal en cause puisque c'est le tribunal qui entend l'affaire qui est le mieux placé pour intervenir rapidement. En ne soulevant pas ces arguments à l'audience, la demanderesse a renoncé à son droit de les faire valoir.

[81]            Finalement, le TACRA est un tribunal indépendant constitué en vertu de l'article 4 de la Loi. Il n'est pas lié par les actes des employés du ministre. En conséquence, j'estime que la demanderesse ne peut faire valoir, dans la présente demande de contrôle judiciaire, ses arguments relatifs au défaut du ministre d'exercer les obligations que lui imposait la loi.

CONCLUSION

[82]            Malgré son argumentation habile, la demanderesse ne m'a pas convaincue que la Cour a une raison d'intervenir. À l'audience de réexamen, la demanderesse a présenté des nouveaux éléments de preuve : les avis médicaux du Dr Frank et du Dr Ng. Selon ces médecins, l'invalidité de M. Woo était due à un trouble de stress post-traumatique, et non à la schizophrénie. Cette opinion contraste avec les avis médicaux antérieurs donnés par des psychologues et des psychiatres qui avaient personnellement examiné M. Woo et posé un diagnostic de schizophrénie.


[83]            Le tribunal avait pour rôle d'apprécier et de soupeser ces éléments de preuve contradictoires d'ordre médical. Il lui incombait de trancher toute incertitude en faveur de la demanderesse, mais il n'a pas été convaincu que la preuve médicale présentée par cette dernière était suffisamment fiable pour faire pencher la balance en sa faveur.

[84]            Je suis convaincue que le Tribunal a correctement apprécié et soupesé la preuve médicale. Il a fourni des motifs à l'appui du rejet des nouveaux éléments de preuve d'ordre médical présentés par la demanderesse. Rien n'indique non plus que le Tribunal a été partial. Je ne puis conclure qu'il a commis une erreur de droit ou de fait en rendant sa décision ou que ses conclusions étaient manifestement déraisonnables.

[85]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        T-1688-01

INTITULÉ :                                                        LA SUCCESSION DE YUAN VERCINGÉTORIX WOO (alias JEAN-PAUL MARTINEAU)

et

GRACE LI XIU WOO

                                                                                           demanderesses

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 31 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                    Le 28 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Grace Li Xiu Woo                                                POUR LES DEMANDERESSES

Éric Lafrenière              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grace Li Xiu Woo                                                POUR LES DEMANDERESSES

1981, rue Favard

Montréal (Québec) H3Y 1Y9

Ministère de la Justice    POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

Tour Est, 5e étage

200, boul. René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec) H2Z 1X4                                                    

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