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Date : 20200327


Dossier : IMM-3517-19

Référence : 2020 CF 445

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

UPINDER SINGH BRAR, KAINAAT KAUR BRAR ET MANRAJ SINGH BRAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Upinder Singh Brar, le demandeur, et ses deux enfants, qui sont tous des citoyens de l’Inde [les demandeurs], sollicitent le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas [l’agent] en date du 23 mai 2019 rejetant leur demande de visa de résident temporaire [VRT] en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les demandeurs voudraient que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[3]  Les demandeurs sont tous des citoyens de l’Inde. Ils voudraient rendre visite à des membres de leur famille établis au Canada au moyen d’un VRT. Leur corépondant est le beau‑frère du demandeur, qui réside au Canada avec son épouse.

[4]  La demande a été rejetée parce que l’agent n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour, comme le prévoit l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. L’agent a fait état de trois motifs l’ayant amené à tirer sa conclusion : (1) leurs antécédents de voyage, (2) leurs liens familiaux au Canada et dans leur pays de résidence, (3) l’objet de leur visite. Selon les notes de l’agent, celui-ci a apprécié les éléments de preuve fournis par le demandeur, y compris des [traduction] « facteurs favorables », comme des déclarations ou d’autres éléments de preuve; il a toutefois conclu que ces facteurs ne pouvaient pas l’emporter sur certains des facteurs défavorables, comme les raisons économiques du demandeur pour demeurer au Canada, le fait que l’objet de la visite du demandeur était vague et mal documenté, et les antécédents de voyage du demandeur.

[5]  À titre préliminaire, je constate que le dossier certifié du tribunal [le DCT] ne contient que les formulaires de demande, les lettres de refus identiques et les notes de l’agent. Dans son affidavit, le demandeur adulte souligne que plus d’éléments ont été fournis à l’agent : des formulaires, une lettre d’observations, des renseignements sur les passeports, des renseignements financiers, de l’information scolaire concernant les demandeurs mineurs, des affidavits des gens censés les accueillir, etc. Même si le DCT contient moins d’éléments que le dossier de la demande, l’agent ne précise pas dans ses motifs qu’il n’a pris en compte que les formulaires de demande. Dans ses observations, le défendeur n’a pas contesté les observations des demandeurs quant aux éléments qu’ils prétendent avoir fournis initialement à l’agent.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[6]  Les demandeurs affirment que l’agent a) a commis une erreur de droit en rendant sa décision, b) a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de manière abusive ou arbitraire, et c) a omis de [traduction] « respecter le principe de la justice naturelle ». J’estime que ce dernier élément montre un manquement allégué à l’équité procédurale.

[7]  La présente affaire a été entendue avant que la Cour suprême ne rende sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La Cour n’a pas demandé d’autres observations sur la norme de contrôle, et les avocats n’ont pas demandé la possibilité d’en produire. J’ai analysé l’examen qu’a récemment effectué la Cour suprême à l’égard du cadre du droit administratif canadien et j’ai conclu que la question devrait être analysée selon la norme de la décision raisonnable. Je ne vois aucune raison de réfuter la présomption désormais présumée d’application de la norme de la décision raisonnable [Vavilov aux par. 16 et 17).

[8]  La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale : Natt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 238 au par. 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12.

[9]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

IV.  Positions des parties

A.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

(1)  Position des demandeurs

[10]  Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas pris en compte les éléments de preuve qu’ils ont produits, lesquels contredisaient la conclusion de celui-ci selon laquelle ils ne quitteraient pas le Canada. Ils affirment que leurs éléments de preuve établissent ce fait, et que l’agent doit avoir omis d’examiner ces éléments de preuve en tirant sa conclusion. Le demandeur invoque la décision rendue par le juge Russell dans l’affaire Paramasivam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 811 (CanLII) [Paramasivam] pour étayer l’affirmation selon laquelle l’omission d’un agent de prendre en compte ou de mentionner des éléments de preuve très importants dont il dispose constitue une erreur importante. Il soutient que ses biens et ses revenus considérables en Inde établissent que ses enfants et lui ont des liens suffisants en Inde. Il cite la décision Kuewor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 707, pour étayer l’affirmation selon laquelle l’agent n’a pas été assez réceptif à l’égard des éléments de preuve dont il disposait.  

[11]  Le demandeur conteste aussi les conclusions de fait et les motifs de l’agent. Il affirme que l’agent a fait fi de la plupart, voire de l’ensemble, de ses documents. Il cite la décision Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1446 [Dhillon] pour étayer l’affirmation selon laquelle il est déraisonnable qu’un agent ne prenne pas en considération adéquatement et soigneusement les éléments de preuve dont il dispose.

(2)  Position du défendeur

[12]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable. Il affirme que l’agent est présumé avoir pris en considération toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire : Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 336. 

[13]  Le défendeur reconnaît qu’il y a eu une légère erreur —en ce sens que l’agent a affirmé que le demandeur avait [traduction] « des » antécédents de voyage, alors qu’en fait il n’en avait [traduction] « aucun » —mais il soutient que, conformément à la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 au par. 29 [Rahman], l’agent a fondé sa décision sur de nombreux autres facteurs et qu’une erreur mineure dans l’un d’eux ne justifie pas l’annulation de sa conclusion.

[14]  De plus, le défendeur soutient que l’agent a pris en compte adéquatement les liens du demandeur en Inde. Là encore, le défendeur affirme que l’agent est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, citant la décision Rahman au par. 10. Il importe seulement, d’après le défendeur, que les motifs de l’agent permettent à la cour de révision de comprendre les raisons pour lesquelles la décision a été rendue, comme le prévoit l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16.

[15]  Le défendeur prétend que l’agent a convenablement établi que l’objet de la visite des demandeurs était « vague » et « mal documenté ». Selon le défendeur, les éléments de preuve que les demandeurs ont présentés, dont les certificats de mariage, les déclarations de revenu, les demandes de congé approuvées, les évaluations foncières, une invitation de son beau-frère et des documents faisant état de la situation financière de son beau-frère, ne suffisaient pas pour qu’ils s’acquittent de leur fardeau de montrer qu’ils avaient des raisons d’effectuer une visite au Canada. Le défendeur souligne qu’aucun de ces éléments de preuve ne met en évidence une raison précise pour laquelle le demandeur voudrait rendre visite aux membres de sa famille. Il estime que les demandeurs demandent simplement une nouvelle appréciation des éléments de preuve.

B.  La décision était-elle équitable sur le plan de la procédure?

(1)  Position du demandeur

[16]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne prenant pas en compte l’objet de leur visite, même après que le demandeur adulte a envoyé une lettre selon laquelle l’objet de la visite était de rendre visite à des membres de la famille au cours de l’été. De plus, le demandeur adulte affirme que l’agent a omis de mentionner son affidavit qui appuie l’objet déclaré. Il invoque la décision Girn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1222 [Girn], dans laquelle la demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l’agent avait omis de mentionner les documents qu’avait présentés le demandeur.

(2)  Position du défendeur

[17]  Le défendeur estime qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, soulignant que, dans ce contexte, l’agent n’est pas tenu [traduction] « de faire un suivi » auprès du demandeur si celui-ci ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il respectait les exigences de la LIPR et de son règlement d’application. Il cite la décision Duc Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1377 pour étayer cette affirmation. Il précise que les obligations en matière d’équité procédurale dans ce contexte se situent à l’extrémité inférieure du registre : Dash c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1255 au par. 27; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au par. 42.

V.  Analyse

A.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[18]  Il incombe au demandeur de VRT de fournir tous les éléments de preuve pertinents de manière à convaincre l’agent que les exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 sont satisfaites. Dans la présente affaire, il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils quitteraient le Canada à la fin de leur séjour : Rahman au par. 16. La norme de contrôle de la décision raisonnable ne permet pas aux tribunaux d’examiner à nouveau les éléments de preuve : Pei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 391 au par. 14.

[19]  Puisque l’agent a omis de mentionner les éléments de preuve qui pesaient lourdement contre ses conclusions —les liens financiers des demandeurs en Inde —je conclus que la décision était déraisonnable.

[20]  Même s’il est vrai qu’un agent des visas n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve, l’omission d’un agent de montrer qu’il a analysé les éléments de preuve dont il disposait constitue une erreur susceptible de contrôle : Dhillon au par. 7. Dans cette affaire, le juge O’Reilly a affirmé :

Ces éléments de preuve auraient pu s'avérer insuffisants. Ce n’est pas à moi d’en juger. Toutefois, dans les motifs à l’appui de sa décision de rejeter la demande de M. Dhillon, l’agent des visas ne mentionne pas et ne commente pas les éléments de preuve relatifs aux liens de celui-ci avec l’Inde ou à la probabilité qu’il retourne dans ce pays dans le délai prescrit. […] Si la preuve s’avérait toujours insuffisante, M. Dhillon aurait dû être informé pour quelle raison.

[21]  La décision Dhillon diffère légèrement de la présente affaire puisqu’il s’agit d’un demandeur dont la demande a été rejetée à de multiples reprises et qui tentait de répondre à des préoccupations qui avaient été soulevées dans ses demandes de VRT précédentes. Dans la présente affaire, le demandeur s’est aussi vu refuser un VRT auparavant, mais il n’y avait pas d’arguments se rapportant à ce fait, de sorte que je ne me fonde pas sur cet aspect en ce qui concerne mes motifs.  

[22]  La présente affaire est analogue à la décision Paramasivam, en ce sens que l’agent a tiré des conclusions contredisant directement les éléments de preuve produits par les demandeurs, mais n’a pas tenté d’expliquer pourquoi les éléments de preuve ne suffisaient pas pour apaiser ses préoccupations. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve montrant qu’ils ont de solides liens en Inde, y compris des biens considérables et un bon emploi, mais l’agent se contente d’affirmer que [traduction] « l’intérêt des demandeurs à demeurer au Canada pourrait l’emporter sur leurs liens dans leur pays d’origine ». Rien n’indique que l’agent a analysé adéquatement les éléments de preuve dont il disposait. Cette absence d’analyse constitue une erreur susceptible de contrôle.

[23]  En ce qui concerne l’objet de la visite des demandeurs au Canada, je remarque que, sur les demandes, le demandeur adulte a choisi « Autre » quant à l’objet de la visite, et que les demandeurs mineurs ont tous les deux répondu « Visite de la famille ». De plus, il était écrit dans la lettre du représentant datée du 6 mai 2019 que le demandeur voulait rendre visite à des membres de sa famille. L’agent n’explique pas convenablement en quoi les éléments de preuve qui ont été produits étaient insuffisants.  

[24]  Même si l’agent a commis une légère erreur —estimer que les demandeurs avaient des antécédents de voyage même s’ils n’en avaient aucun —cet élément à lui seul n’est pas assez grave pour constituer une erreur susceptible de contrôle.  

[25]  Prise dans son ensemble, à la lumière des éléments que le demandeur jure avoir présentés à l’agent, je dois conclure que la décision de l’agent était déraisonnable.

B.  La décision était-elle équitable sur le plan de la procédure?

[26]  J’estime que les arguments présentés par les demandeurs à cet égard ont été déformés; ils sont tout simplement des arguments de plus exposant les raisons pour lesquelles la décision était déraisonnable. La décision Girn n’étaye pas la position des demandeurs —même si la demande de contrôle judiciaire a été accueillie dans cette affaire notamment en raison d’un manquement à l’équité procédurale, il y avait aussi une préoccupation quant à la crédibilité dans cette affaire (voir la décision Girn au par. 30). Il n’y a pas ici de préoccupation de cette nature quant à la crédibilité.

[27]  La décision était équitable sur le plan de la procédure.

VI.  Conclusion

[28]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.  

[29]  Il n’y a pas de question à certifier, et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3517-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  2. Il n'y a aucune question à certifier;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour d’avril 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3517-19

INTITULÉ :

UPINDER SINGH BRAR, KAINAAT KAUR BRAR ET MANRAJ SINGH BRAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 27 mars 2020

COMPARUTIONS :

Amit Kumar Verma

POUR LES DEMANDEURS

 

Charlotte Chan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Verma Law Corporation

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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