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                                                                                                                     Date : 20041014

                                                                                                                 Dossier : T-854-04

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1421

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                GARY ALEXANDER TYHY

                                 et HANDY-HITCH MANUFACTURING INC.

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

                                             SCHULTE INDUSTRIES LTD.

                                                                                                                          défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Les demandeurs sont titulaires du brevet no 2241162 (le brevet 162), qui porte sur un attelage décentré conçu pour tirer un instrument. Dans la déclaration qu'ils ont déposée devant la Cour le 30 avril 2004, les demandeurs affirment que la défenderesse a conçu un attelage décentré, appelé « Schulte Flex-Arm » , qui contrefait le brevet 162.


[2]         La défenderesse réclame la radiation de la demande ou, à titre subsidiaire, de plus amples précisions en ce qui concerne certaines parties de la déclaration des demandeurs.

Analyse

1.          Requête en radiation

[3]         La défenderesse rappelle qu'aux termes du paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), une requête en radiation de la déclaration peut être présentée et que la Cour peut radier la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable. La requérante invoque à cet égard les propos suivants tenus par le juge Cullen dans le jugement Chart Industries Ltd. c. Hein-Werner of Canada Ltd., (1988), 25 C.P.R. (3d) 373, à la page 2 :

En règle générale, dans notre régime de procédure, la déclaration dans laquelle le demandeur affirme qu'on a porté atteinte à ses droits doit établir clairement :

a) les faits en vertu desquels le droit reconnaît au demandeur un droit déterminé;

b) les faits qui constituent une atteinte portée par le défendeur à ce droit déterminé du demandeur.


[4]         La défenderesse affirme que les demandeurs se sont contentés de [traduction] « reprendre mot à mot » les éléments de leurs revendications du brevet 162 et qu'ils n'ont pas précisé en quoi l'attelage décentré de la défenderesse contrefaisait le brevet 162. La défenderesse soutient que, bien qu'ils satisfassent peut-être au premier volet du critère posé dans le jugement Chart Industries, les demandeurs n'en respectent pas le second volet. Plus précisément, les demandeurs n'ont pas établi les faits qui constituent une atteinte portée par la défenderesse aux droits des demandeurs.

[5]         De façon générale, la jurisprudence récente fixe un critère préliminaire rigoureux en matière de radiation de déclarations. Ainsi, le critère auquel il faut satisfaire pour pouvoir radier un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucune cause d'action valable consiste à se demander s'il est évident et manifeste, en tenant pour avérés les faits allégués, que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, aux paragraphes 30 à 33; Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, au paragraphe 15). Ainsi que la Cour l'a dit dans l'arrêt Odhavji, « [c]e n'est que si la déclaration est vouée à l'échec parce qu'elle contient un "vice fondamental" que le demandeur devrait être privé d'un jugement » . Ce qui constitue un « vice fondamental » dépend des faits de chaque espèce. La juge Layden-Stevenson a, dans le jugement Partenaires pharmaceutiques du Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc., [2002] A.C.F. no 1305, au paragraphe 13, expliqué dans les termes suivants la norme régissant la radiation des actes de procédure :


Il en est résulté [de l'arrêt Hunt], bien qu'il soit souhaitable que les actes de procédure soient rédigés correctement, qu'une norme ou un critère a été établi pour la radiation d'un acte de procédure. Ce critère a été décrit récemment par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2002 CAF 255, [2002] A.C.F. no 882. Le juge Sexton, s'exprimant au nom de la Cour, a statué qu'un acte de procédure, bien qu'il soit très large et formulé en termes très généraux, ne devrait pas être radié dès lors qu'on peut trouver, à la lecture de la déclaration, une cause d'action, si ténue soit-elle. La charge qui incombe à la partie qui demande la radiation est très lourde : elle doit établir qu'il est indubitable que l'affaire n'a aucune chance de succès à l'instruction. De même, dans l'arrêt Sweet c. Canada, (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.), le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a statué que, même s'il peut manquer des éléments et que certains autres peuvent être incomplets, dès lors que l'acte de procédure contient assez d'information pour permettre à la partie opposée de se faire une idée assez juste de la preuve à laquelle elle devra faire face, il ne sera pas radié.

[6]        Pour ce qui est de la présente déclaration, la situation ne me semble pas excessivement complexe. La présumée contrefaçon vise un dispositif pour lequel les demandeurs sont titulaires du brevet 162. Au paragraphe 10 de la déclaration, les demandeurs décrivent sept des attributs du dispositif « Schulte Flex Arm » . Ces sept présumés attributs sont des caractéristiques physiques. Il me semble que la défenderesse devrait pouvoir réviser cette liste et déterminer si son dispositif « Schulte Flex Arm » accomplit ou non les fonctions décrites dans cette liste. C'est l'essence même de la demande. À mon sens, il est indifférent que les termes employés pour décrire les attributs de ce mécanisme reprennent textuellement ceux que l'on trouve dans la déclaration.


[7]         À mon avis, la défenderesse se fonde trop sur la forme et pas assez sur le fond de la déclaration. Il est vrai que, dans l'affaire Chart Industries, la déclaration a été radiée. Toutefois, dans cette affaire, la déclaration se résumait à une seule affirmation, à savoir que la défenderesse avait [traduction] « fabriqué, utilisé, offert en vente, vendu ou autrement distribué au Canada des dispositifs d'ancrage au sol [...] qui sont visés par chacune et la totalité des revendications du brevet no 1185584 » . Même en faisant abstraction de la jurisprudence plus récente qui a évolué vers une application plus rigoureuse d'un critère à deux volets, la déclaration en litige dans l'affaire Chart Industries semble inacceptable. Cependant, en l'espèce, les demandeurs ont pris la peine de bien énumérer les éléments de la déclaration et de les relier à l'appareil en litige ce qui, au vu de l'ensemble des faits de l'espèce, est suffisant.

2.          Demande de précisions


[8]         À titre subsidiaire, la défenderesse réclame de plus amples précisions, en particulier en ce qui concerne l'allégation que le dispositif « Schulte Flex-Arm » comporte une caractéristique qui est ainsi décrite : [traduction] « un cadre muni de roulettes dans lequel le cadre et les roulettes définissent la direction voulue du mouvement, ainsi qu'une première et une seconde extrémités espacées en travers de la direction du mouvement » . La défenderesse souhaite simplement que les demandeurs lui indiquent les éléments du dispositif « Schulte Flex-Arm » qui pourraient définir la direction du mouvement et qu'ils lui précisent comment ces éléments définissent la direction voulue du mouvement. La défenderesse soutient que, comme elle n'est pas en mesure de savoir quels éléments du dispositif « Schulte Flex-Arm » permettent de définir la direction du mouvement, ou quelle peut être cette direction, elle n'a pas été en mesure de préparer une défense valable. Bien que la défenderesse ait d'abord exigé des précisions au sujet de plusieurs des éléments de la déclaration, la présente requête se limite à cette seule demande.

[9]        Pour obtenir gain de cause sur la présente requête, la défenderesse doit établir les éléments suivants :

a)          les renseignements réclamés doivent constituer des précisions nécessaires ou utiles;

b)          le défendeur n'a pas accès aux précisions réclamées ou le plaideur n'a aucune raison de supposer que la partie qui les réclame y a accès;

c)          les précisions sont nécessaires, non seulement pour la préparation du procès, mais aussi pour permettre au défendeur de répondre aux actes de procédure contestés (Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. 2970-0085 Québec Inc., [2000] A.C.F. no 88, au paragraphe 43, citant le jugement Cooper Canada Ltd. c. Amer Sport International Inc., (1996), 9 C.P.R. (3d) 549).


[10]       La défenderesse invoque l'affidavit d'un dessinateur industriel qui conclut son affidavit de quatre paragraphes en déclarant que, sans ces renseignements, la défenderesse [traduction] « est incapable d'instruire comme il se doit son avocat sur la réponse à donner à cette allégation » . Je constate toutefois qu'au paragraphe 2 de son affidavit, le déclarant affirme que le dispositif de la défenderesse est muni de roulettes pivotantes et que [traduction] « en réponse à une force latérale exercée de l'extérieur, le dispositif Schulte-Flex Arm change de direction et ne peut définir la direction voulue du mouvement. » Il s'agit en fait d'une affirmation selon laquelle le dispositif de la défenderesse n'est pas doté d'un cadre muni de roulettes dans lequel le cadre et les roulettes définissent la direction voulue du mouvement (alinéa 10a) de la déclaration). Cela ressemble beaucoup à une défense à l'allégation.

[11]       En résumé, cette affirmation tirée de l'affidavit n'appuie pas les arguments de la défenderesse. La défenderesse n'a pas besoin que les demandeurs signalent le point de la présumée contrefaçon sur le diagramme du dispositif « Schulte Flex Arm » . Je crois que la défenderesse est tout à fait en mesure, sans de plus amples précisions, de préparer sa défense en vue de contester cette allégation, de même que d'autres allégations de la déclaration.

Conclusion


[12]       En conclusion, la déclaration renferme suffisamment de précisions pour permettre à la défenderesse de connaître la preuve à laquelle elle doit répondre. Dans son ensemble, la déclaration expose suffisamment les arguments des demandeurs. Il est inutile d'ordonner aux demandeurs de fournir de plus amples précisions pour permettre à la défenderesse de répondre intelligemment à la demande. La requête de la défenderesse sera rejetée avec dépens quelle que soit l'issue de la cause.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête est rejetée et les dépens sont adjugés aux demandeurs quelle que soit l'issue de la cause;

2.        La défenderesse aura jusqu'au 15 novembre 2004 pour déposer sa défense.

      « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                  

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  T-854-04

INTITULÉ :                                 GARY ALEXANDER TYHY et HANDY-HITCH

MANUFACTURING INC. c. SCHULTE INDUSTRIES

LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 12 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :               MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :               LE 14 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS:

Simon D. Johnson                                                                POUR LES DEMANDEURS

Robert A. Kallio                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bennett Jones s.r.l.                                                               POUR LES DEMANDEURS

Edmonton (Alberta)

Furman & Kallio                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Regina (Saskatchewan)

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