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                                                                                                                                            Date : 20011019

                                                                                                                                       Dossier : T-1712-00

                                                                                                             Référence neutre : 2001 CFPI 1139

Entre :

                                CONSTRUCTION & RÉNOVATION M. DUBEAU INC.

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                              AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                               Défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue le 23 août 2000 par monsieur Louis Turcotte, chef des Appels pour la défenderesse, refusant la demande d'annulation d'une pénalité imposée à la demanderesse, pénalité calculée en vertu du paragraphe 227(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la « Loi » ).

[2]         Le 25 mars 1999, on a diagnostiqué un cancer en la personne de Charles Dubeau, fils de monsieur Marc Dubeau, représentant de la demanderesse.


[3]         Le 30 juin 1999, deux bonis de 500 000,00 $ ont été versés par la demanderesse à Marc Dubeau et à sa conjointe, madame Linda Dubeau. En raison de cette transaction, la demanderesse devait, conformément à la Loi, remettre au ministre du Revenu national (le « ministre » ) la somme de 259 999,32 $ à titre de déductions à la source ( « DAS » ).

[4]         Le 9 juillet 1999, la demanderesse a fait parvenir un chèque de 60 000,00 $ à la défenderesse, montant qui fut appliqué aux DAS liées à ces bonis, laissant ainsi un solde à ce titre de 199 999,32 $.

[5]         Le 23 mars 2000, après un long combat contre la maladie, impliquant de la chimiothérapie, une hospitalisation et une greffe de la moelle osseuse, Charles Dubeau est décédé.

[6]         Le 30 mars 2000, le ministre a émis un avis de cotisation visant les DAS impayées par la demanderesse, relativement à l'année d'imposition 1999, lui réclamant les solde, intérêts et pénalité suivants :

DAS                 199 999,32 $

Intérêts     3 722,08 $

Pénalité             19 999,93 $

Total                  223 721,33 $

[7]         Le 19 avril 2000, la demanderesse a présenté une demande d'annulation de la pénalité en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. À l'appui de cette demande, le représentant de la demanderesse, Marc Dubeau, a invoqué ses absences prolongées au travail en raison de la maladie et du décès subséquent de son fils ainsi que de la maladie de sa propre épouse.


[8]         Le 10 mai 2000, la défenderesse a conclu qu'il n'était pas approprié dans les circonstances d'annuler la pénalité et les intérêts applicables et a conséquemment refusé la demande d'annulation.

[9]         Le 23 mai 2000, la demanderesse a fait parvenir un chèque de 199 999,32 $ à la défenderesse, montant qui fut appliqué aux DAS liées aux bonis concernés.

[10]       Le 26 juin 2000, la demanderesse a adressé à la défenderesse une demande de réexamen administratif de la décision du 10 mai 2000. Marc Dubeau y allègue les mêmes motifs que ceux étayés dans sa lettre du 19 avril 2000 et, en plus, fait état de sa propre maladie de même que de son ignorance de l'obligation de payer des DAS sur les bonis déclarés.

[11]       Le 23 août 2000, la demande d'annulation de la pénalité fut à nouveau rejetée, la lettre de refus exposant les motifs suivants :

. . . Mon examen me permet de conclure qu'il n'est pas approprié d'annuler la pénalité relative au défaut de remettre dans le délai prévu un montant déduit ou retenu conformément à la présente loi, compte tenu des circonstances entourant votre cas ainsi que de l'objet et l'esprit des dispositions d'équité. Tel que mentionné dans la Circulaire d'information IC92-2 qui vous fut expédiée le 10 mai 2000, cette pénalité ne découle ni des situations indépendantes de votre volonté (numéro 5) ni d'actions attribuables au Ministère (numéro 6).

[12]       Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l'espèce :


220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.





227. (9) Subject to subsection 227(9.5), every person who in a calendar year has failed to remit or pay as and when required by this Act or a regulation an amount deducted or withheld as required by this Act or a regulation or an amount of tax that the person is, by section 116 or by a regulation made under subsection 215(4), required to pay is liable to a penalty of

(a) 10% of that amount; or

(b) where at the time of the failure a penalty under this subsection was payable by the person in respect of an amount that should have been remitted or paid during the year and the failure was made knowingly or under circumstances amounting to gross negligence, 20% of that amount.


227. (9) Sous réserve du paragraphe (9.5), toute personne qui ne remet pas ou ne paye pas au cours d'une année civile, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu conformément à la présente loi ou à son règlement ou un montant d'impôt qu'elle doit payer conformément à l'article 116 ou à une disposition réglementaire prise en application du paragraphe 215(4) est passible d'une pénalité :

a) soit de 10 % sur ce montant;

b) soit de 20 % du montant qui aurait dû être remis ou payé au cours de l'année si, au moment du défaut, une pénalité en application du présent paragraphe était payable par la personne et si le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.


[13]       Un contribuable à qui le ministre a imposé une pénalité ou intérêt en vertu du paragraphe 227(9) de la Loi peut donc demander l'annulation de ces frais en vertu du paragraphe 220(3.1). À cet égard, la politique « Application des dispositions d'équité aux intérêts et aux pénalités » , mars 1996, à laquelle réfère l'affidavit de Louis Turcotte, chef d'équipe, Agence des douanes et du revenu du Canada, prévoit que l'allégement demandé pourra être accordé en cas de situations exceptionnelles. Cette même politique décrit l'objet et l'esprit des dispositions d'équité de la façon suivante :

Les dispositions d'équité ont été conçues pour permettre à Revenu Canada d'aider les clients à se tirer de difficultés qu'ils n'ont pas provoquées, de même que pour permettre au Ministère d'adopter une attitude plus empreinte de bon sens envers les clients qui, en raison d'un malheur personnel ou de circonstances indépendantes de leur volonté, ne peuvent se conformer à ses lignes directrices ou aux dispositions législatives qu'il applique.

[14]       Dans cette politique, on prévoit des exemples de cas où l'annulation de pénalités et intérêts pourrait être justifiée, y compris « des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate » . Dans un tel cas, la politique suggère qu'en plus de jauger si le particulier était le seul ayant le pouvoir de verser les sommes payables au nom de la société, le ministre doit considérer :

a)             les liens qui existent entre les parties;

b)             la date du décès;

c)             les dates et la nature de la maladie ou de l'accident;


d)             l'explication de la manière dont l'événement a empêché le client de se conformer aux exigences;

e)             le fait que le client a manqué ou non à d'autres obligations d'affaires et pourquoi.

[15]       La Circulaire d'information IC 92-2 intitulée « Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités » prévoit qu'au cours de son analyse, le ministre devra notamment tenir compte des points suivants :

a)             si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b)             si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c)             si le contribuable ou l'employeur a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;

d)             si le contribuable ou l'employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

[16]       Dans son affidavit, monsieur Turcotte énonce les motifs suivants à l'appui de son refus de la demande d'annulation de la demanderesse :

11) J'estime qu'il n'y a pas lieu d'annuler la pénalité puisque la demanderesse n'a pas fait la preuve que son défaut de payer les DAS impayées était intimement lié aux épreuves douloureuses que son représentant a dû subir;

12) En effet, à toute époque pertinente, la demanderesse a continué d'effectuer ses opérations et n'a jamais fait défaut d'effectuer les DAS mensuelles régulières;

13) Ce ne sont que les DAS qui ont suivi la déclaration des deux bonis de 500 000,00$ qui furent impayées;

14) De plus, comme un paiement partiel de 60 000,00$ fut reçu en date du 9 juillet 1999 relativement à ces DAS, lequel paiement était accompagné d'une lettre du comptable de l'entreprise, il appert que la demanderesse n'était pas dans l'impossibilité de s'occuper de la gestion de ses opérations, tel qu'il appert de ladite lettre jointe aux présentes comme pièce 6 de mon affidavit;

[17]       Le lettre en question du 9 juillet 1999 se lit en partie comme suit :

La présente est pour vous aviser que l'impôt à payer pour la période ci-haut mentionnée est de $272,057.16. Nous avons fait une remise totale de $77,670.59 sur un montant total dû de $277,670.59. Dès que nous aurons la possibilité, nous vous remettrons le solde à payer. . . .


[18]       Dans sa lettre à la défenderesse datée du 26 juin 2000, la demanderesse tente d'expliquer les observations précédentes :

Aurait-il fallu que je ne fasse pas de remise sur plusieurs mois pour que vous acceptiez ma demande d'annulation de la pénalité? Même si j'ai omis ma remise sur un seul mois, il n'en reste pas moins que mes capacités de gestionnaire étaient grandement diminuées en 1999 et que cette remise concernait un élément exceptionnel que je n'arrivais pas à gérer et à comprendre.

De plus, même si nous avons produit un formulaire de remise de retenues à la source en bonne et due forme pour juin 1999 pour le montant entier, et que le paiement joint était inférieur d'environ 200 000 $, nous n'avons jamais reçu d'appel ni d'avis de votre ministère pour le solde impayé. Ceci m'aurait probablement secouer (sic) et nous aurions pu discuter de la situation et y remédier.

[19]       La politique « Application des dispositions d'équité aux intérêts et aux pénalités » précise que l'allégement demandé pourra seulement être accordé si les deux conditions suivantes sont réunies :

(i)            la situation exceptionnelle peut être confirmée ou établie au moyen de preuves;

(ii)           il est raisonnable de conclure que l'entreprise ou le représentant du client ne pouvait pas, en raison de cette situation exceptionnelle, éviter le retard dans l'observation de la loi.


[20]       Le présent litige implique plutôt la seconde condition, à savoir s'il est raisonnable de conclure que monsieur Marc Dubeau ne pouvait pas, dans les circonstances particulières, éviter le retard dans la remise des DAS. Monsieur Dubeau allègue qu'il a littéralement abandonné son entreprise pendant la maladie de son fils. La lettre du 9 juillet 1999, cependant, rend évident le fait que monsieur Dubeau savait qu'il devait encore près de 200 000,00 $ en DAS au ministre. Monsieur Dubeau a même réussi à effectuer un paiement partiel de la somme due à cette date. Il est aussi important de souligner que monsieur Dubeau a pu continuer de s'acquitter de ses obligations fiscales par rapport aux DAS mensuelles régulières. Par ailleurs, la preuve révèle qu'il a respecté, par le passé, ses obligations fiscales, qu'il a effectué le paiement du solde des DAS dans un délai de deux mois suivant le décès de son fils, et que personne à son bureau avait l'autorisation, en son absence, d'agir à sa place au niveau financier.

[21]       Dans tout ce contexte, malgré toute la sympathie suscitée par les malheurs de monsieur Marc Dubeau et de sa famille, la norme sévère de contrôle judiciaire réaffirmée dans l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, m'empêche d'intervenir. Dans cet arrêt, madame le juge L'Heureux-Dubé écrit, au paragraphe 53, à la page 853 :

Le droit administratif a traditionnellement abordé le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires séparément de décisions sur l'interprétation de règles de droit. Le principe est qu'on ne peut exercer un contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires que pour des motifs limités, comme la mauvaise foi des décideurs, l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, et l'utilisation de considérations non pertinentes : voir, par exemple, Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pp. 7 et 8; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231. Un principe général relatif au « caractère raisonnable » a parfois été appliqué aussi à des décisions discrétionnaires : Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.). À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales - qu'une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l'égard des décideurs lorsqu'ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l'étendue de la compétence du décideur. Ces principes reconnaissent que lorsque le législateur confère par voie législative des choix étendus aux organismes administratifs, son intention est d'indiquer que les tribunaux ne devraient pas intervenir à la légère dans de telles décisions, et devraient accorder une marge considérable de respect aux décideurs lorsqu'ils révisent la façon dont les décideurs ont exercé leur discrétion. . . .    

(J'ai souligné.)


[22]       Or, en l'espèce, la bonne foi du décideur n'est absolument pas en cause. Il n'a pas non plus été établi que le décideur a exercé son pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, pas plus qu'il a utilisé des considérations non pertinentes. Le décideur a bien considéré les circonstances exceptionnelles portées à son attention par monsieur Marc Dubeau, pour la demanderesse, et a simplement jugé, à la lumière des lignes directrices et des dispositions d'équité applicables, que l'omission de la demanderesse de se conformer à la Loi n'était pas imputable à la situation exceptionnelle invoquée. Enfin, il s'agit aussi d'un cas où l'équité de procédure a été bien respectée. Il n'est en effet pas contesté que la demanderesse a profité de plusieurs occasions pour faire valoir tous ses arguments en temps utile, avant que la décision dont elle se plaint ne soit finalement rendue.

[23]       La question n'est pas celle de savoir si j'aurais apprécié les circonstances exceptionnelles en cause de façon différente, mais encore une fois bien simplement celle de savoir, comme l'enseigne la Cour suprême du Canada dans Baker, supra, si l'exercice du pouvoir discrétionnaire a été fait de bonne foi, dans un but correct, sur la base de considérations pertinentes et dans le respect de l'équité de procédure. Le juge McIntyre, dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd., auquel réfère l'arrêt Baker, supra, écrit de la même façon, aux pages 7 et 8 :

. . . C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision . . .

(J'ai souligné.)

[24]       Pour toutes ces raisons, donc, on ne m'a pas convaincu que l'intervention de cette Cour est justifiée. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 octobre 2001

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